L’écolier orphelin et la malédiction, intimement liés, n’ont-ils pas une vocation flagrante à être incorporés au Patrimoine mondial de l’Humanité ? Pour Gérard Monédiaire qui re-lance l’idée, la réponse est clairement oui.
Le monument aux morts de Gentioux a-t-il “besoin“ d’une inscription au Patrimoine mondial de l’humanité ? L’action valeureuse et opiniâtre (initiée dès 1989) du Comité laïque des amis du monument aux morts de Gentioux (CLAMMG) n’exprime-t-elle pas suffisamment le sens du message qu’ont voulu adresser le maire Jules Coutaud et son conseil municipal, tout en se tenant, statut associatif aidant, à l’écart des risques d’une institutionnalisation dont on doit souvent attendre moins qu’on en a à redouter ? Ces interrogations appellent des échanges approfondis, car portant sur l’opportunité même du projet. Afin de contribuer à les nourrir, les propos qui suivent visent à mettre en lumière les atouts et les difficultés d’un tel projet.
Gentioux – Unesco : mêmes valeurs !
S’agissant des atouts, il convient de se souvenir que le “patrimoine mondial“ est l’affaire de l’UNESCO, institution spécialisée des Nations-Unies. Il importe dès lors de mettre en miroir l’illustre malédiction “Maudite soit la guerre“ avec les textes fondateurs des organisations internationales concernées, leur congruence apparaissant vite flagrante. Ainsi la Charte des Nations Unies (1945/San Francisco) proclame, dès la première phrase de son préambule “Nous, peuples des Nations Unies, résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l’espace d’une vie humaine a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances“, tandis que l’article 1er de la Charte proprement dite indique que “Les buts des Nations Unies sont les suivants : 1-Maintenir la paix et la sécurité internationale“. Le sens de l’apostrophe de l’orphelin de Gentioux n’est-elle pas rigoureusement équivalent à celle exprimé par la langue juridique des conventions internationales, au surplus proféré par anticipation ? Quant à l’UNESCO (Organisation des Nations-Unies pour l’éducation, la science et la culture, Londres/1945), son Acte constitutif justifie tout autant le principe de l’inscription au patrimoine mondial, étant entendu qu’il faut le lire en gardant à l’esprit que l’institution dédiée notamment à l’éducation a ici affaire à une statuaire qui présente un orphelin vêtu de la blouse traditionnelle de l’école laïque du début du XXème siècle. L’UNESCO fonde ainsi un de ses objectifs primordiaux : développer une “culture de la paix“. C’est donc peu dire qu’il y a similitude entre les buts affichés par ces deux éminentes organisations internationales et le “message de Gentioux“. Dès lors rien au plan des principes fondateurs ne fait obstacle pour l’inscription du monument aux morts de Gentioux au patrimoine mondial de l’humanité.
Patrimoine culturel ou immatériel ?
Ce point ne doit pas pour autant dissimuler les obstacles ou les hésitations qui peuvent surgir.
Et tout d’abord, quelle catégorie de patrimoine mondial aurait vocation à accueillir le monument ? Certainement pas le patrimoine mondial naturel, cela va presque sans dire, mais on peut se poser la question du choix entre patrimoine culturel et patrimoine immatériel (ce dernier introduit par la convention sur le patrimoine culturel immatériel de 2003). D’une étude approfondie réalisée par des étudiants de la Faculté de droit et des sciences économiques de Limoges en 2009 (Séverine Landry, Claire Lebon, Simon Jolivet, Luc Moulun), il résulte que la perspective du patrimoine mondial culturel, en quelque sorte “matériel“, doit être privilégiée, ne serait-ce qu’en raison d’une évolution des classements au patrimoine immatériel donnant de plus en plus le sentiment d’avoir affaire à un poème à la Prévert, risquant à court terme de folkloriser les éléments de celui-ci, avec une probabilité très forte de mercantilisation.
Il n’y a pas que Gentioux !
Une autre difficulté tient au caractère heureusement non absolument unique du message de Gentioux, lequel compte, on le sait, d’autres expressions en France, mais aussi à l’étranger (en Allemagne, “Nie wieder Krieg“ à Weinstadt dans le Bade-Wurtemberg par exemple ; ou en Belgique, ainsi qu’au Japon et sans doute ailleurs…). Cette modeste pluralité est certes bienvenue, surtout quand on sait que le dôme de Genbaku d’Hiroshima a été classé au patrimoine mondial de l’humanité en 1996 en tant que “Monument universel pour l’humanité entière“, ou que la Tour d’Yser en Belgique comprend un musée qui est intégré depuis 1998 dans le “réseau international des musées pour la paix“ des Nations Unies. On le voit, une proposition d’inscription du monument de Gentioux au patrimoine mondial culturel paraît de moins en moins extravagante, au point même d’apparaître tardive. Mais ces éléments une fois posés, on peut se demander si ce ne sont pas tous les monuments aux morts hétérodoxes qui devraient bénéficier, ensemble, de l’inscription. Au fond, c’est un tel regroupement qui serait logique, mais on imagine immédiatement, au stade de l’élaboration et de l’instruction effectives des demandes, l’inéluctable lourdeur qui en résulterait. Une stratégie humblement locale, mais fortement incitative et coopérative à l’égard d’autres initiatives ayant ailleurs le même objet semble a priori nettement plus raisonnable en termes d’efficacité.
Mémoires “emboîtées“
L’orphelin de Gentioux est aujourd’hui objet d’appropriations et de mémoires “emboîtées“. Sans préjudice du sens que lui donnent les fidèles des commémorations du 11 novembre dans leur diversité. Il est avant tout patrimoine communal, mais aussi départemental, interdépartemental à travers le
PNR de Millevaches, régional au niveau du Limousin, national en tant qu’édifice protégé au titre des monuments historiques par arrêté du 9 février 1990. Bref : ne lui fait plus défaut que la consécration internationale universelle. Au demeurant, le Président du Conseil général de la Creuse exprimait par courrier en 2006 son accord de principe, et tout incline à penser que les autorités publiques locales qui ont tant fait pour promouvoir les ostensions limousines au patrimoine mondial, feront plus encore, et d’enthousiasme, en faveur du message de l’orphelin.
Inutile de préciser que la longue période commémorative qui s’ouvre est loin de placer l’idée hors-sujet, mais plutôt sous le signe de l’urgence. Au demeurant la lecture du Monde (11 janvier 2013) apprend que la France a déposé une demande pour l’inscription au patrimoine mondial de 80 sites liés à la première guerre mondiale. On y chercherait bien sûr en vain le blasphémateur de Gentioux. Si inscrire au patrimoine mondial les lieux de la boucherie humaine peut être sinon justifié en tous cas discuté (l’esclavage et le bagne ont été “incarnés“ dans des territoires par l’UNESCO), il semblerait infiniment suspect d’en répudier les expressions de désespoir et d’aversion qui en ont résulté. Est-il besoin de demander son opinion à Tardi ?
Laissons pour finir la parole à la Marcelle Delpastre, qui confiait ce qui suit dans ses “Petites chroniques de Germont“ (Le Populaire, 9 décembre 1985) : “Maudite soit la guerre. Je le crie moi aussi, et à mon propre compte, bien que je ne sois pas orpheline de fonte, que mes sabots ne soient que des bottes, que ma blouse ne soit point la blouse noire des écoliers mais bigarrée de multiples couleurs, toutes plus laides les unes que les autres. Je me plais à le répéter : maudite soit la guerre“.
Une idée, comme ça, pas encore une initiative, peut-être jamais. Si intéressé, écrire au journal, qui transmettra…
Gérard Monédiaire