Parmi les autres monuments aux morts allergiques à la guerre, l’un des plus connus est celui de Saint Martin d’Estréaux, dans la Loire. Il est beaucoup plus bavard que celui de Gentioux dont quatre mots suffisent pour délivrer le message. Là-bas on a été loquace (voir photo) et le texte se développe en réalité sur cinq faces du monument : de quoi en raconter !
Sur la Montagne limousine, la rébellion exprimée à Gentioux sourd en d’autres endroits (voir dans IPNS n°27 l’article de Michel Patinaud). Plus ou moins vaillamment, plus ou moins fortement. À Peyrat le Château, sous une palme dressée pour honorer les morts, la longue liste de ces derniers égrène la terrible indication qui, pour ne pas effrayer, oublier plus facilement ou adoucir le drame, est généralement omise des nomenclatures froides où l’on se contente d’aligner noms et prénoms. Sur la stèle peyratoise deux chiffres dont le premier est le plus souvent un 2, viennent dire pour chacun l’âge où la mort est venu le faucher (voir photo). Ce souci d’exactitude et d’information recèle une évidente part de révolte. La proclamation vaut sédition. La dédicace qui, ni ne laboure des champs d’honneur, ni n’encense de glorieux enfants, est faite :
C’est une litanie effrayante, un long poème des morts, une prière funèbre qui refuse l’abstrait pour asséner la violente réalité de l’hécatombe. Derrière les quelques chiffres taillés en millions que les manuels scolaires nous donnent, les morts de 14-18 ont à Peyrat le Chateau, pire que des noms : des âges : 21 ans, 21 ans, 25 ans, 28 ans, 24 ans... À Eymoutiers, la classe (l’année de naissance) dit, d’une autre manière, la même chose.
À Rempnat, il s’en est fallu de peu pour qu’il en soit pareil - mais il faut supposer, supputer. Rien d’explicite. Seulement une étrange faute d’orthographe qui, ambiguë coquille, englue le monument aux morts dans le traditionnel conformisme des hommages, ou, au contraire, le projette délibérément du côté de l’insurrection. Première lecture :
La formule n’a pas de quoi retenir l’attention. Mais la graphie du texte nous indique clairement que telle ne fut pas la première inscription. Celle-ci donne cette seconde lecture :
L’on s’avisa alors, soit de l’orthographe défaillante du graveur, soit de son ardeur par trop pacifiste. On y remédia en glissant le S qui ramène la sentence dans le droit chemin et qu’on coinça tant bien que mal, légèrement décalé vers le haut et gravé plus petit, entre le T de MORT et le trop proche A qui suit… Le burineur de Rempnat était analphabète ou assez subtil pour fourbir l’hommage communal d’un clin d’œil subversif. À chacun de choisir sa version !
Michel Lulek