Voilà sept ans à quelques jours près (avril 2008) que commençait dans les arcanes des services de renseignement français alors en plein chamboulement, ce qui allait devenir l’ “affaire de Tarnac“ et qui n’était encore qu’une obscure enquête préliminaire diligentée par le parquet anti-terroriste, sous les auspices de Michèle Alliot-Marie. C’est par un bel ouvrage de 135 pages de récit à charge que le parquet parisien célèbre cet anniversaire d’une des plus grandes pantalonnades de l’anti-terrorisme français. “Réquisitoire aux fins de non-lieu partiel, de requalification, et de renvoi devant le tribunal correctionnel“ titre fièrement l’épaisse liasse de papier qui revisite ces sept dernières années, du point de vue des magistrats et des policiers. Au terme d’un vrai exercice de style, mêlant analyse littéraire du livre L’insurrection qui vient, commentaire sportif sur les coups bas de la défense qui auraient entre autre mené au départ volontaire du pauvre juge Fragnoli, n’hésitant pas à “mettre systématiquement en doute la probité des agents des services et du magistrat instructeur“ ou bien encore “à livrer des informations volontairement tronquées à la presse“ (on croit rêver!), les magistrats se livrent à une démonstration métaphysique sur le seuil au-delà duquel trois des mis en examen, Yildune, Julien et Gabrielle, auraient “embrassé le projet terroriste“.
Ce réquisitoire n’est qu’une nouvelle étape, il ouvre la voie à une “ordonnance de renvoi“ de la juge d’instruction en charge du dossier qui pourrait survenir avant l’automne, et renvoyer ou non, tout ou partie des mis en examen devant le tribunal correctionnel.
Il ne vous aura sans doute pas échappé non plus que, 48 heures plus tôt, au terme d’un débat au pas de charge, une majorité de députés, gauche et droite confondues dans la magie de l’ “esprit du 11 janvier“, ont voté la loi dite “sur le Renseignement“.
Cette loi qui vient compléter tout un ensemble d’autres lois passées en chapelet depuis le 11 septembre 2001, indifférentes aux alternances politiques, vient assurer les “services de renseignement“ et tous leurs agents classés “secret défense“, que rien ni personne ne pourra plus se retourner contre eux. Tout ce qui jusque là supportait mal la publicité (et qu’on appelait vulgairement les “barbouzeries“ : sonorisations de maison et de véhicules, balises, “aspirateurs“ de données, captation de flux internet à grande échelle... hors de tout cadre judiciaire), sera enfin reconnu comme légal et légitime dans à peu près tous les domaines de la vie publique grâce à un puissant anti-douleur : l’anti-terrorisme.
Au motif fallacieux d’un “encadrement nécessaire des pratiques de renseignement“, c’est un véritable chèque en blanc qui est donné à la plus grande boîte noire de l’Etat, la DGSI (Direction Générale de Sécurité Intérieure). En ayant l’air de vouloir répondre aux scandales divers qui ont étrillé les services secrets en tous genres depuis quelques années, tant les révélations de Edward Snowden sur la surveillance de masse mondiale opérée par La NSA (agence de sécurité nationale des USA), qu’à l’échelle nationale, ce qu’a permis de mettre au jour la défense dans l’affaire de Tarnac, le gouvernement tente le tour de force, non pas de se prémunir contre l’avènement d’une “surveillance de masse“ à la française, mais de simplement s’attaquer à son caractère scandaleux, en la rendant tout simplement légale et donc légitime. Après cette loi, c’est finalement le régime de surveillance réservé entre autres aux mis en examen de Tarnac, tout au long de six ans d’instruction antiterroriste, qui sera officiellement le lot commun.
Et il fait malheureusement très peu de doute, au vu du climat de chantage actuel, que cette loi passe sans encombre le cap du vote solennel et du contrôle constitutionnel (à l’heure où vous lirez ces lignes ce sera chose faite). Reste pour nous la question de savoir comment pratiquement se prémunir, comment se défendre du régime que cette loi instaure. Le véritable combat ne se terminera pas avec l’adoption finale du texte, il ne fera alors que commencer. C’est dans cette idée que nous-autres, mis en examen de Tarnac, avec nombre de ceux qui nous ont soutenu, et comme de nombreux autre collectifs mobilisés contre cette loi, appelons tous ceux qui se sentent concernés par ce qui n’est déjà plus l’avenir de la “société de surveillance“ à se retrouver pour penser une réponse à la hauteur de la sidération provoquée par l’offensive tous-azimuts du gouvernement (loi Cazeneuve, loi Macron, loi “sur le dialogue social“, loi “NoTRE“, loi “sur le Renseignement“).
Après une première rencontre qui a eu lieu à Tarnac le 29 mai dernier, une autre aura lieu à Tulle, le 15 juin à 18h30 au Cinéma le Palace avant la projection du film “Citizen Four“ (sur Edward Snowden), une autre le mardi16 juin, à 20h30 à la salle du Temps Libre derrière la mairie de Limoges. D’autres événements suivront en Limousin et partout en France dans les jours, semaines et mois qui viennent. Le temps n’est plus seulement à se tenir informé, il est à se mettre en mouvement.
Benjamin Rosoux