Tabou d’abord car si une eau est dite polluée, il est coutume de stigmatiser les pollueurs et les gestionnaires de l’eau censés éviter aux pollueurs de polluer, et souvent aussi d'interpeller le politique auquel le citoyen a généralement délégué cette mission qui l’a parfois lui-même délégué au privé. Le sujet a donc une forte capacité à faire peur, peur de savoir ou peur d’être stigmatisé a minima. Mais sujet méconnu aussi sûrement, car comme pour d’autres thématiques majeures on a cherché à éloigner au fil des décennies le citoyen des questions relatives à l’eau, à sa gestion, à sa qualité, à sa quantité, et à tous les autres enjeux associés, agriculture et sylviculture notamment.
Pourtant, “l’eau c’est la vie“ et au même titre que la question de l’alimentation, il est bien naturel de se préoccuper grandement de cette ressource oh combien précieuse et si facilement altérée, sans déléguer aveuglément sa responsabilité à qui que ce soit.
Cette synthèse d’une publication parue dans le numéro 47 avait le mérite de pointer du doigt avec justesse certains problèmes qui existent bel et bien et dont il serait temps de parler plus largement pour éviter erreurs et approximations, voire rumeurs et mensonges avérés prononcés pour ne pas affoler le citoyen qui devra demeurer ignare et qui de toute façon est incapable de décider de quoi que ce soit.
Globalement, les habitants de la Montagne limousine sont attachés au goût de leur eau douce et légère, acide voire très acide - nous reviendrons sur ce point - et généralement non chlorée sauf ponctuellement lors d’épisodes climatiques particuliers ou lors du nettoyage des châteaux d’eau.
Tellement attachés que certains vont même régulièrement jusqu’à la fontaine du village pour la collecter dans des bouteilles et la ramener à la maison. Si leurs canalisations sont en cuivre ou en plomb, c’est effectivement plutôt une bonne idée puisque l’eau de la fontaine qui coule en permanence ne séjourne pas dans les tuyaux du réseau de distribution ou en tout cas beaucoup moins. Elle a donc moins le loisir de récupérer, du fait de son acidité, les métaux néfastes du réseau.
Si c’est le goût qui marque toujours les esprits et qui fait réagir dès qu’une modification de ce dernier intervient, il est moins fréquent d’avoir des remarques de citoyens sur la qualité physico-chimique de leur eau. Et pourtant, c’est bien là aussi un point important à regarder de près.
Parfois, l’eau prend d’un seul coup une couleur teintée. Matières organiques à cause d’orages violents, rouille du fait de tuyaux en fonte non purgés, il est assez fréquent tout de même d’observer des modifications temporaires de la qualité de l’eau du robinet. C’est donc bien que la qualité de l’eau n’est pas immuable et que des phénomènes locaux ou globaux peuvent altérer sa qualité de manière temporaire ou permanente.
Sur le plateau, point de nitrates à ce jour dans la plupart des captages d’eau potable même si ponctuellement on peut observer ici ou là quelques valeurs qui, si elles restent bien en dessous des normes officielles, peuvent sembler déjà un peu élevées pour le plateau ou son piémont. Au delà de 10 mg/L, compte tenu du contexte géologique, on peut penser qu’il y a déjà une perturbation de la ressource par des nitrates qui seront soit d’origine agricole, cas le plus fréquent, soit d’origine domestique, les industries étant peu présentes sur le plateau.
Mais on est bien loin heureusement des 50 mg/L réglementaires ou pire des sources de Beauce à 110 mg/L de nitrates, et des coûteux investissements de traitement de l’eau pour revenir à des niveaux acceptables. Acceptables vous avez dit, et bien oui, les nitrates (No3-) ne sont toxiques que par leur excès dans l’eau car l’azote (N) est un élément naturellement présent dans la nature et essentiel au fonctionnement de la vie. L’OMS1 indique même que le niveau souhaitable de nitrates dans l’eau ne devrait pas excéder 25 mg/L. D’autres éléments comme le phosphore (P) sont à classer dans la même catégorie des “toxiques par excès“, ce sont les macro-polluants.
Et les micro-polluants alors ? Là, c’est une autre histoire, il s’agit de substances polluantes minérales, biologiques, organiques ou radioactives présentes dans l’eau en très petites quantités (microgrammes ou nanogrammes par litre) qui, à ces concentrations infimes, peuvent avoir une action toxique pour tout ou partie des organismes ou de l’écosystème.
Ces polluants souvent dits “émergents“, car récemment recherchés, plus difficiles à déceler et très nombreux sont intrinsèquement toxiques et de surcroît généralement très peu biodégradables ; il ne faudrait donc pas tolérer leur présence, d’autant plus qu’ils forment le plus souvent des cocktails de toxiques. Leur effet est alors amplifié, avec à la clé des modifications du fonctionnement biologique et hormonal des êtres vivants dont l’homme.
D’où viennent ces micro-polluants ? De partout, du local et du global, de l’eau de pluie et des pollutions locales, des usages et pratiques modernes et multiples de l’homme qui a créé, et continue de le faire, des milliers de substances chimiques nouvelles sur terre, issues notamment de la pétrochimie.
Tous ces produits finissent tôt ou tard par rejoindre l’égout puis la rivière puis la mer, car les stations d’épuration des eaux usées - quand elles existent - ne savent pas traiter ces micro-polluants.
Et comme rien ne se perd, qu’il y a beaucoup de ruisseaux et qu’il pleut beaucoup sur le plateau nous récupérons forcément nous aussi certains de ces produits et leurs dérivés issus pour une bonne part de notre société industrielle.
Tous ces produits viendraient-ils d’ailleurs ? Oui et non, enfin pas seulement, car ici aussi, plastiques, pesticides, médicaments, antiparasitaires, biocides et antimicrobiens, cosmétiques, savons, parfums, sont utilisés très largement mais par une population peu dense ce qui en limite l’impact ou plutôt le dilue plus fortement dans l’environnement.
Certains produits sont-ils plus dangereux ? Oui, parmi ceux là tous les produits à effets toxiques avérés car créés pour cet objet sont particulièrement à craindre et notamment, les pesticides, dont le triptyque herbicides – fongicides - insecticides, tous les produits de traitement des bois, du bétail (antiparasitaires) ou des surfaces (antimicrobiens).
On ne peut s’intéresser à l’eau potable, sans s’intéresser à l’eau brute, l’eau qui coule dans nos ruisseaux et rivières, qui sort de nos sources et alimente les grandes retenues EDF. C’est vrai partout mais encore plus sur les massifs anciens tels que le nôtre.
Le circuit de transit entre les deux est en effet relativement court dans notre région du fait de la géologie et de la pluviométrie importante. Le temps de transit de la pluie au robinet peut selon les captages et la période de l’année aller de quelques jours à quelques heures pour des captages peu profonds dans le tuf, mais peu atteindre quelques semaines ou mois avec les captages de faille. On peut aussi avoir un mélange d’eaux avant la collecte par le captage avec différentes durées de transit.
Combien d’eau coule en moyenne par an sur notre territoire ? A l’échelle du plateau de Gentioux (290 km²) c’est environ 435 millions de m³ annuels en moyenne qui tombent sous forme de pluie, de neige ou de grêle, ce qui n’est pas rien, mais heureusement le complexe EDF du lac de Vassivière est là pour récolter et turbiner tout cela ou du moins une bonne partie !
Si l’on a déjà du mal à cartographier précisément tous les ruisseaux pour les eaux de surface du plateau, il est encore plus complexe à ce jour d’estimer ou de cartographier les circulations d’eaux souterraines.
Cette eau va circuler de manière préférentielle et prépondérante le long des fractures, diaclases2 et failles. La variation de débit souvent importante des sources dans l’année est liée au fait qu’on a localement des systèmes aquifères dits “discontinus fissurés“ à vitesse de transit importante mais à faible débit et fortement dépendants des précipitations.
Un bon moyen pour appréhender les circulations souterraines consiste à mesurer la concentration en gaz radon dissous dans les rivières en différents points amont/aval. Un plus fort taux à un endroit indique une arrivée importante d’eau souterraine chargée de ce gaz radioactif issu de la roche.
Côté quantité, EDF avec les barrages et les piézomètres est bien placée pour avoir une idée précise de l’eau qui descend de la Montagne limousine puisque la sécurité énergétique et la sécurité nucléaire (“il faut bien Millevaches pour alimenter Civaux“) en dépendent.
La DREAL effectuait auparavant des campagnes de jaugeage pour effectuer les courbes de tarage des cours d’eau et connaître ainsi la relation entre hauteur et débit d’eau propre à chaque cours d’eau.
Mais pour la gestion globale et le suivi de la qualité, là c’est plus compliqué et les acteurs plus ou moins en charge de cela sont nombreux et pas forcément toujours coordonnés : agences de l’eau, conseils généraux (rebaptisés il y a peu départementaux) et régionaux, EPTB3, PNR4, ONEMA5, DREAL6, fédérations départementales de pêche, et bientôt les nouveaux EPAGE7, etc.
La loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (Mapam) attribue même désormais aux communes une compétence obligatoire de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (Gemapi).
L’information sur la qualité existe donc, mais elle n’est pas forcément bien compilée ni vérifiée ou complétée. Pire, quand un agent probablement trop zélé d’un PNR envisage une campagne locale de mesure des pesticides, un fonctionnaire d’un conseil général pourra alors lui rétorquer qu’il est dangereux de chercher ce genre de choses au risque d’en trouver... Fermez le ban !
Le territoire est considéré comme vierge de toute pollution et il serait dommageable ou inconcevable de découvrir qu’il en est autrement. Et pourtant, les pressions sont là, agricoles et forestières, domestiques et communales, énergétiques (hydro-électricité), voire industrielles dans quelques communes dotées d’ICPE8.
Aussi, si vous signalez par deux fois en 2 ans d’intervalle aux inspecteurs des installations classées, avec preuves, cartes et photos à l’appui, un écoulement de produits très toxiques dans la Vienne en provenance d’un établissement classé ICPE du fait d’un défaut de gestion des eaux pluviales, et bien rien n’y fait. On continue “business as usual “ et que la Vienne nous pardonne !
Pourtant, mieux vaudrait essayer d’identifier et de connaître les diverses pressions et pollutions ponctuelles ou diffuses sur la ressource en eau pour travailler avec les acteurs à les réduire ou même pour certaines à les supprimer. Car la pollution la moins chère à traiter, c’est celle qui ne s’est pas produite ou qu’on a évitée.
Dans le contexte généralisé de dégradation de l’environnement et de la ressource en eau en particulier, les habitants des communes du plateau pourront-ils continuer à profiter d’une eau sans traitement ou uniquement un traitement antibactérien ? Est-ce souhaitable et est-ce faisable actuellement ?
Il est évident qu’il faut cesser de croire que notre montagne s’affranchit du contexte européen et mondial. Les émissions toxiques sont en hausses perpétuelles malgré les discours convenus et les produits voyagent à très longue distance, en particulier les pesticides dont les effets toxiques peuvent se manifester à très faibles doses. A signaler, le traitement par charbon actif de ce type de polluants est assez efficace et possible via des systèmes peu onéreux à domicile.
Facteurs d’acidification des eaux | |||
Facteurs non forestiers | Dépôts atmosphériques acides | Sols et roches acides | Fortes précipitations (favorisant le drainage des éléments acidifiants) |
Facteurs forestiers | Certains résineux et des peuplements trop denses peuvent entraîner des risques d’acidification | Exportations de minéraux liées à l’exploitation forestière. Les jeunes tiges étant les plus riches en minéraux | Coupes rases et mise à nu des sols |
Par ailleurs, la connaissance scientifique et épidémiologique progresse bien et l’on connaît aujourd’hui les mécanismes toxiques ou perturbateurs du métabolisme de telle substance chimique ou de tel métal lourd.
Mais bizarrement la question de l’acidité vient plus facilement sur les lèvres que celle des micro-polluants. Serait-ce parce que là on a une solution clés en mains à proposer aux communes et aux habitants ? L’OMS recommande en effet de boire une eau de pH 6,5 comme acidité maximale ce qui est cohérent en terme de conseil mais pas rédhibitoire.
En soi, l’acidité ne pose pas de problème majeur tant qu’on reste dans une plage entre 5,5 et 7 unités pH. L’acidité génère il est vrai la mise en solution de métaux lourds (arsenic, cadmium, cuivre, zinc, plomb, uranium, etc) d’origine naturelle ou bien issus des canalisations (cuivre, plomb). Leurs effets toxiques sont variables selon les cas et les doses mais jamais très bons sur le long terme pour la santé. Mais là aussi, un filtre adéquat peut éliminer une bonne partie des ces métaux pour l’eau à boire.
Un problème qui apparaît plus important est la dynamique d’acidification qui semble à l’œuvre sur les massifs anciens tels le plateau de Millevaches. Ce phénomène est observé depuis des décennies dans les Vosges lié à l’industrialisation massive du bassin du Rhin, et s’il fait moins de bruit chez nous, il est néanmoins effectif avec une diminution progressive du pH de l’eau brute et donc forcément aussi de l’eau potable non traitée9. L’émission continue pendant des décennies de polluants soufrés et azotés (chauffages, usines, transports routiers) dans l’atmosphère a généré au contact de l’eau de pluie des acides qui en retombant sur des sols déjà acides amplifient le phénomène peu à peu. Arrivée à un certain pH très bas, proche de 4,8, l’eau va rendre disponible de l’aluminium Al3+ substance qui jusqu’alors n’était pas assimilable et n’était de ce fait pas toxique.
L’aluminium est vraisemblablement un polluant de l’eau en expansion sur notre territoire, dans les cours d’eau comme dans les captages. Une étude universitaire sur le territoire du PNR est d’ailleurs en cours pour mieux appréhender le phénomène dans les captages.
Au contexte général viennent s’ajouter les pratiques locales qui tendent elles aussi vers plus d’acidification, à savoir, les plantations monospécifiques en particulier d’épicéas et de sapin Douglas, les coupes rases et andainages forestiers, les retournements de prairies qui détruisent la matière organique du sol. J. Ranger, un scientifique de l’INRA, qui a étudié deux sites forestiers dans le Beaujolais et le Morvan, a même montré que le Douglas stimule fortement la nitrification, acidifie le sol et conduit au transfert d’aluminium toxique (Ranger, 2009). Et voilà avec les nitrates d’aluminium on parvient chez nous aussi à produire des nitrates grâce au Douglas, sauf si on pratique un amendement calcique, mais c’est un agronome qui vous le dit ! Le Douglas remplacera donc bientôt le porc breton !
L’aluminium est encore plus problématique car il est toxique à la fois pour l’homme (effet sur les neurones notamment) pour les plantes et pour les animaux. Les truites et notamment leurs alevins affrontent probablement chaque hiver quand l’acidité est la plus forte (fonte de la neige) une forte mortalité rien qu’avec ce facteur, qui n’est pas unique évidemment. Ceci sachant que le taux de mortalité naturel des alevins de truites de première année est déjà de 90 % en conditions normales.
Et pour les plantes, l’aluminium bloque l’absorption du calcium et du magnésium au niveau des racines et bloque aussi le phosphore sous une forme insoluble (Drénou, 2006).
Au delà des métaux lourds et des pesticides, bien d’autres produits néfastes peuvent se trouver dans l’eau du robinet, que ce soit lié à une origine naturelle comme avec le radon (gaz dissous radioactif) ou à une origine humaine comme avec le chlorure de vinyle monomère issu de vieilles canalisations en PVC (celles d’avant 1980).
Face à toute cette évolution peu encourageante de la qualité de l’eau brute, même ici sur le plateau, il est probable qu’il faille prochainement traiter l’eau du réseau au-delà des bactéries ou de l’acidité pour garantir une consommation plus saine et pour limiter les risques épidémiologiques à long terme. On parle d’ailleurs de plus en plus d’une eau “à destination de consommation humaine“. Les grandes villes dont la ressource est souvent bien polluée sont déjà passées à la nanofiltration ou à l’ultrafiltration (cf schéma des techniques de filtration). Ces technologies sont très chères, énergivores et probablement impossibles à atteindre pour nos petites communes.
Alors la solution de ne pas traiter en amont toute l’eau du réseau - dont un tiers au moins part en fuites de canalisations - mais de traiter à l’arrivée dans les maisons, par microfiltration et charbons actifs, seulement la part de l’eau que l’on boit et qui sert à la cuisine tous les jours (3 à 4 L /personne). Ne serait-il pas une solution intéressante et de bon sens à envisager dans nos communes peu peuplées ?
Cela permettrait de concentrer plutôt les moyens sur la prévention des pollutions, d’éviter le recours fatal aux multinationales de l’eau, d’aider les pollueurs (y compris l’habitant pour l’assainissement) à diminuer leurs impacts plutôt que de les stigmatiser et de procéder à l’achat public du foncier au-delà des périmètres immédiats de captages. Ceci permettrait d’avoir une meilleure maîtrise, de renforcer la sécurisation et la gestion des périmètres de protection et même au-delà celle des bassins de captages.
Vincent Magnet