Mais ce n’est pas l’homme qui est en cause ici. Ce sont les méthodes, les personnes, les organisations, qui refusant les débats – au contraire de leur prétention – ne rendent pas service à sa cause. J’use de ma liberté de citoyen, d’enseignant, d’historien, pour dire cela. De fils de résistant aussi ! La lecture que je fais du bouquin de Fabrice Grenard est tout autre que celle présentée dans le numéro de mars d’ IPNS. Cet ouvrage remarquable est bien le premier écrit par un non-limousin, étant entendu que dans le contexte où il a été publié L’affaire Guingouin de Taubmann, est une oeuvre “limousine“. Et il “dépoussière“ (que de guillemets !) pas mal de choses. Jamais autant de notes et citations n’avaient été proposées auparavant, qui s’appuient ainsi sur de multiples sources, souvent inédites, très précisément citées et répertoriées.
Georges – quand je pense à lui, c’est toujours ainsi que je l’appelle - s’est exprimé sur sa conception de l’Histoire à de très nombreuses occasions. La matière scientifique de l’historien, celle qu’on étudie, dissèque, explique, vérifie... c’est le document. En voici un : en 1952, dans ses réponses au délégué du Comité central du PCF (Waldeck-Rochet). Question 3 : questions-réponses citées intégralement par Grenard. C’est scientifique, sans “guillemets“, mais c’est une citation, donc il y a des guillemets ! “C’est une conception étroite et sectaire de croire que n’importe qui peut, en falsifiant la réalité des choses par l’écrit ou la parole, s’arroger les mérites d’autrui.... (un peu plus loin). Les hommes ne sont pas des marionnettes“. Merci Georges, tu vas m’aider.
Il est de notoriété publique que “çà a chauffé“ très souvent, durant la guerre, et longtemps encore après, sur la question de l’autorité, et du mérite des uns et des autres, y compris chez les fidèles parmi les fidèles. Autour du thème : “il“ avait tendance à beaucoup tirer la couverture à lui. Des témoignages ont été rapportés, écrits même, sur des dissensions. Est-ce scientifique ? Oui et non. Qu’est-ce que j’en pense ? Pas grand chose, Georges était un chef, c’est clair. Pour moi, c’est le symbole-même du héros et du courage. C’est à la fois un fait et un jugement. Ce qui ne m’empêche pas de dire : non, Georges n’a pas condamné le pacte germano-soviétique, non nous n’avons aucune preuve d’une quelconque tentative d’élimination physique de Georges par le PCF, aucune preuve non plus des causes de l’accident d’auto de 1945...
Plus récemment (2003), MM. Fouché, Juchereau et Monédiaire, dans Chemin de Résistances, rapportaient encore ceci, dans la bouche du “Grand“ (p. 31) : “L’essentiel dans le travail de l’historien est de partir des faits : ce qui consiste à les établir et les respecter, donc et surtout ne pas les tronquer. Quant à leur interprétation, c’est une affaire où chacun prend sa liberté“. Merci-bis Georges. Est-il utile que je développe ? Oui, finalement, pour être scientifique. Voyons donc un fait : la décision de prendre Limoges sans attaque frontale, sans bain de sang. Qui l’a prise, où et quand, pourquoi ? Notre “préfet du maquis“, titre qu’il s’est lui-même attribué , s’est opposé sur ce point à la direction du PCF (représentée par Léon Mauvais). Est-ce un fait avéré ? Oui (cf. P.Buton, Les lendemains qui déchantent), mais il ne s’agit pas du même projet, du moins pas du même contexte. Le désaccord dont il est question ici correspond aux journées suivants le débarquement du 6 juin 1944. Georges a refusé ce qui avait été également demandé aux FTP Corréziens à Tulle, avec les conséquences que l’on connaît, aux Creusois à Guéret. A cette date, le maquis Guingouin – fort de 1000 hommes ? - était d’ailleurs entièrement autonome, hors contrôle de l’état-major FTP même. Il ne faut pas confondre ce refus avec celui d’août 44, au contexte radicalement différent.
Grenard nous explique que la nomination de Guingouin comme chef de la Résistance en Haute Vienne (et non en Limousin !), n’allait pas de soi, et cela pour de multiples raisons. Cà, çà fache un peu, non ? De chef des FTP, du moins ceux de son secteur, il devient chef des FFI, le 15 août 1944. Or, la décision d’une tactique d’encerclement de Limoges, et non d’affrontement direct, fut prise une semaine plus tôt, le 8 août, collectivement, lors d’une réunion des chefs des différents mouvements. Décision reprise dans une instruction de l’Etat-Major régional des FFI du 14 août.
C’est cette même stratégie, particulièrement judicieuse, que Georges va mettre en oeuvre et réussir. Qu’il ait pris à cette décision une très grande part, qu’il l’ait largement inspirée, approuvée, voire imposée, est “probable“, mais non prouvé. Je n’en trouve aucune trace “scientifique“ autre que ses propres déclarations. Or, personne ne lui conteste ce mérite, et je vous renvoie au fameux “mérite d’autrui“ que j’évoquais plus haut. Est-ce trahir la mémoire de Georges, la rabaisser, que de dire : la décision (quasiment unique dans l’histoire de la libération des grandes villes françaises) ne fut pas LA SIENNE, mais elle fut COLLECTIVE ... Eh bien voilà, être scientifique en histoire, c’est çà. Est-ce que la mémoire de Georges est édulcorée, ternie ou affaiblie par ces remarques ? Non, il fut bien le Libérateur de Limoges, dans les conditions efficaces, glorieuses (et généreuses !) que l’on sait. C’est lui qui a FAIT. C’est là l’essentiel.
Michel Patinaud