La Creuse fait partie des rares départements qui ont partiellement échappé aux multiples désastres écologiques des fameuses “trente glorieuses“ et des années qui ont suivi. Le maëlstrom du développement technico-économique qui, par exemple, a transformé la vallée du Rhône jadis occupée par des vergers champêtres en un couloir motorisé parsemé de réacteurs nucléaires, a épargné ce modeste département, grâce à son isolement par rapport aux grandes métropoles et malgré les multiples travaux routiers réalisés au nom du désenclavement qui devait le sortir du “moyen âge“. La Creuse est perçue aujourd’hui comme un havre pour des catégories de population en réaction contre le “progrès“ dont ils connaissent le vrai visage.
Du point de vue de cet héritage ambivalent, le plan particulier pour la Creuse n’apporte rien de nouveau car il ne fait que perpétuer l’imaginaire politique qui est à l’origine de la situation actuelle, caractérisée par le recours monomaniaque à l’idéologie de l’innovation technologique comme unique source du bien public. En réalité, pour les rédacteurs de ce document qui appartiennent à notre caste technocratique, contrairement à ce qui est dit, il s’agit moins d’améliorer les conditions de vie des habitants que de transformer l’image de ce département essentiellement rural.
Une idée reçue qui reflète le point de vue urbain de nombreux de ces élus obsédés par le “retard“ creusois au regard de ces phares de la modernité que sont les métropoles. “Faire de Guéret la capitale du sport et des loisirs de nature par la création d’un complexe aqualudique“ (6 millions pour ce dernier) illustre très bien ce préjugé consumériste partagé par d’autres départements.
La signature du PPC le 5 avril 2019 à Felletin par le Premier ministre, la ministre de la cohésion sociale et tous les élus du départements.
La principale faiblesse de ce document réside dans l’absence d'un bilan initial des problèmes qui affectent ce département. Aucun travail de synthèse n’a été fait à ce sujet qui aurait permis de faire avancer la réflexion. Si l’on prend le cas de l’agriculture, aucune analyse de son état actuel et à venir n’est développée, alors que l’on aurait pu envisager l’installation de jeunes agriculteurs et la revitalisation de villages abandonnés. Ce rapport ignore d’ailleurs totalement la question des jeunes néo-ruraux fuyant les lieux de modernité que sont les métropoles en cherchant à s’installer à la campagne. Malgré la forte demande d’accès au foncier, il n’envisage rien à ce sujet alors que cela aurait justement pu constituer un vrai “projet innovant“. Ce genre de lacunes se retrouve dans d’autres domaines qui vont dans le même sens. Par exemple, des développements sont consacrés aux métiers du bâtiments en raison de l’existence du Lycée de Felletin, mais pas un mot n’est consacré à la sauvegarde du patrimoine rural de la Creuse dont les maisons paysannes tombent souvent en ruine ou sont remplacées par d’horribles hangars. Si restauration il y a, elle ne provient que d’initiatives privées venant également de populations urbaines retraitées, souvent d’origine creusoise, en raison du faible prix de l’immobilier. Plus grave, ce plan passe complètement sous silence la question de la protection de l’environnement, comme si les pratiques de surexploitation forestière en cours n’existaient pas, alors que, par ailleurs, il souligne le potentiel que représente cette ressource pour l’industrie. Mais surtout, aucune prospective n’a été esquissée concernant les désordres climatiques à venir (dont les épisodes de sécheresse) et la manière de s’y préparer.
Si les réponses positives à la situation actuelle de la Creuse sont dans l’ensemble tout à fait ignorées, par contre les propositions qui s’inscrivent dans la logique du développement technico-économique et qui sont justement responsables de sa situation désastreuse, abondent. Faut-il rappeler qu’il y a plus de cinquante ans la Creuse était plus peuplée (160 000 habitants contre 117 000 aujourd'hui), qu’y existait une petite agriculture permettant aux paysans d’être autonomes sur le plan alimentaire, un petit commerce permettant aux habitants des communes de se servir localement, que les hameaux isolés étaient alimentés par un commerce ambulant et qu'existait encore une petite industrie à fort coefficient d’emploi ? Qu’est-ce qu’a été le fameux “progrès“ pour la Creuse ? En fait celui de la destruction d’une société paysanne qui ne demandait qu’à voir sa condition s’améliorer ! Au lieu, non pas de retourner en arrière car cela est effectivement impossible, mais de s’inspirer de ce qui pourrait être considéré comme un modèle économique à échelle humaine en le modernisant, on prétend sauver ce département en recourant à des moyens qui sont à l’origine de sa faillite !
C’est ainsi que le recours au numérique est présenté comme “la condition d’émancipation des territoires ruraux, un enjeu fort du PPC“. Ce recours au numérique comporte un alibi social et sanitaire car il permettrait de pallier à l’insuffisance de personnel, en particulier médical, grâce à la télémédecine, le déficit d’aide à domicile étant pour sa part comblé par la domotique ! Autrement dit, on espère en haut lieu voir venir les robots dans les maisons de retraite ! Tout ceci sans compter sur l’alibi écologique représenté par les énergies alternatives favorisant l’implantation d’éoliennes industrielles ! Ce que certains appellent “le solutionnisme technologique“ ne nous prépare pas à un avenir empreint d’humanisme. Voilà où mène le slogan usé de “la Creuse dynamique et innovante“ sans considération des conséquences sociales, culturelles et écologiques et qu'incarne parfaitement ce plan particulier pour la Creuse. Plus grave, ce programme doit faire l’objet de financements (d’ailleurs peut-être hypothétiques en raison du contexte économique global). Certains de ces choix d’investissement profitant à telle branche de l’industrie pourront être imposés à la population grâce aux nouveaux pouvoirs conférés aux préfets depuis 2017 qui leur donnent un droit général à déroger à la loi pour accélérer la réalisation des projets.
Qu'y-a-t-il dans le plan Particulier pour la Creuse ?Pour qui n'aura pas le courage de lire l'intégralité du Plan particulier pour la Creuse (on le comprend, la déprime arriverait vite...) IPNS vous en a concocté un petit résumé. Ce tableau récapitulatif ne reprend que les mesures chiffrées du PPC, en laissant tomber les bonnes intentions et les orientations qui ne font l'objet d'aucun engagement financier..