Paru en décembre 2013, de dernier Atlas des oiseaux nicheurs du Limousin réalisé par la Société pour l’étude et la protection des oiseaux en Limousin (Sepol) a connu un succès remarquable pour un ouvrage de sciences naturelles de ce poids (et de ce prix) dans une région si peu peuplée (d’humains). Il faisait le point sur l’évolution des populations d’oiseaux, un quart de siècle après le premier atlas réalisé en 1993 par la Sepol et publié chez Lucien Souny. Grâce aux écrits des premiers ornithologues limousins (Joseph Dugenest en Creuse, Alphonse Précigou vers Rochechouart et René d’Abadie en Basse-Marche), il approfondissait aussi l’examen des différences survenues durant la fin du dernier millénaire marqué par un bouleversement des activités humaines et des paysages, en Limousin plus qu’en beaucoup d’autres lieux.
Nid de Cigogne blanche occupé depuis 2016 tout près de l’étang de Landes (“Les Canadis“, Lussat -23). Le premier en Limousin.Photo de Gabriel Dubois sur “Faune Limousin.eu“
Le temps des oiseaux ne s’est pas arrêté depuis lors ; celui des ornithologues, de leurs structures et de leurs techniques d’étude non plus. La Sepol est devenue la LPO (Ligue de protection des oiseaux) du Limousin (IPNS y a fait allusion) et l'ensemble des associations d’étude et de protection des espèces animales ont adopté un outil de collecte et de partage des données déjà en usage dans bien d’autres régions et qui s’est, depuis, généralisé à tout le pays (et à quelques autres autour). “Faune-limousin.eu“, inauguré en mars 2016, a connu un engouement réel. Avec plus de 2 300 contributeurs et contributrices (dont plus de 920 résidents en Limousin et beaucoup de membres de la diaspora, visiteurs d’été et des longs week-ends), le site voit, en ce printemps, remonter 1 000 observations quotidiennes dont plus des trois quarts concernent les oiseaux. On peut donc considérer « Faune Limousin » comme une sorte d’atlas permanent, alimenté en temps réel par les naturalistes qui y déposent aussi leurs photographies, des notes comportementales et des appréciations sur ce qu’ils observent. C’est sur cette base qu’une première mise au point sur les évolutions perceptibles ces cinq dernières années peut être présentée.
Trois nouvelles espèces s’y sont reproduites pour la première fois (à notre connaissance et avec le recul que nous avons) : la cigogne blanche, le goéland leucophée et l'élanion blanc.
Comme on l’espérait depuis sa mise en réserve naturelle nationale, c’est l’étang des Landes, propriété du département de la Creuse, sur la commune de Lussat, qu’a choisi la cigogne blanche en avril 2016. Mais, aux magnifiques plates-formes proposées à son intention dans le cadre d’une coopération avec EDF, le jeune couple d’arrivants a préféré un vieil arbre mort au sommet duquel il a installé sa très volumineuse construction en ossature bois. Depuis, il y est fidèle et, en trois couvées, 10 petits cigogneaux ont déjà pris leur envol !
L’arrivée du goéland leucophée non plus, n’a pas été une grosse surprise… Déjà connu sur des lacs de barrages auvergnats et séjournant de façon prolongée sur les nôtres, ce goéland était à notre Méditerranée ce que l’argenté était à l’Atlantique : la “mouette“ habituelle des touristes, celle qui crie fort, chaparde nos restes et escorte les pêcheurs. Le premier se distingue du second par ses pattes jaunes (et non roses) et un gris plus intense. Il a aussi une plus grande tendance à aller explorer les eaux continentales, et à s’y installer ! C’est donc ce qu’il a fait sur l’étang des Landes (encore !), sur des éboulis rocheux de la vallée de la Dordogne (en Corrèze) et sur le lac de Vassivière. Pour le moment cependant, ces premières tentatives ne semblent pas avoir été couronnées de succès…
L’élanion blanc était attendu également mais son implantation semble assez fulgurante. Ce magnifique petit rapace aux yeux rubis, d’origine africaine, a longtemps limité son implantation européenne à des zones agricoles d’Estrémadure et du proche Portugal. Puis, durant les années 1990, il a franchi les Pyrénées et occupé le bassin de l’Adour où plusieurs dizaines de couples se reproduisent régulièrement. C’est probablement à partir de ce bastion que des pionniers sont partis vers le nord et s’y sont plu. Il faut bien dire que l’élanion n’est pas exigeant : son penchant coupable pour les zones à maïs, les bocages démantelés et la proximité des grosses stabulations lui ouvre des perspectives ! Mais il est tellement beau à voir quand il plane les ailes relevées, comme un petit avion de papier, et quand il guette le campagnol en vol géostationnaire (comme disent les rétifs au “Saint-Esprit“). Les observations limousines se multiplient, même si les indices de nidification demeurent cantonnés aux confins du Poitou.
Qu’ont en commun ces trois nouveaux, à part leur couleur blanche ? Ce sont des prédateurs ou des charognards peu spécialisés, qui consomment des espèces communes et nourrissantes ou profitent de nos déchets. Ils ne craignent pas notre proximité et la protection légale dont ils bénéficient depuis quelques décennies a stimulé ces bonnes dispositions.
Ce dernier aspect, l’arrêt du tir et du piégeage, a aussi été décisif pour d’autres oiseaux qui ont vu ces dernières années leurs populations augmenter ou se stabiliser. Pour les hérons, les cormorans et beaucoup de rapaces notre influence (très) limitante était directe et a longtemps maintenu les populations à un niveau si bas qu’on était habitué à ne pas les voir et même à trouver ça normal. Et donc, leur retour ne peut découler, dans l’esprit de beaucoup, que de réintroductions, forcément irresponsables... Cela ne concerne pas que les oiseaux…
Mais il est difficile d’admettre que des activités humaines aussi anciennes et “proches de la nature“ que l’agriculture et l’élevage puissent aujourd’hui conduire ou contribuer à des bouleversements importants des milieux et à des disparitions d’espèces qui avaient progressé avec elles au cours de millénaires de lente évolution… Le XXe siècle avait d’abord vu la disparition des bécassines des marais qui nichaient assez communément dans les prairies humides. Ce furent ensuite, à partir des années 1960, les deux perdrix, grises et rouges, qui désertèrent les campagnes où elles n’existent plus qu’à coups de lâchers annuels des sociétés de chasse.
Depuis le dernier atlas, l’effacement des derniers couples nicheurs du tarier des prés s’est malheureusement confirmé. Adepte exclusif des vastes prairies naturelles fauchées ou pâturées tardivement, très riches en diversité florale et en insectes, ce grand migrateur a progressivement été chassé des plaines, puis des collines, pour être aujourd’hui confiné à la haute montagne et aux toundras nordiques. Il a connu le même sort que son cousin le traquet motteux adepte des rochers et des murets au sein de vastes espaces ouverts, naturels ou peu exploités, disparu de Millevaches entre les deux atlas et toujours pas retrouvé depuis. Lui aussi ne trouve plus guère qu’en montagne les milieux qui lui conviennent.
Pour ces deux-là, encore présents chez nos voisins d’Auvergne mais en nette baisse là-bas aussi, tout est compliqué… Aux modifications drastiques ou plus légères de leurs milieux de vie chez nous s’ajoutent les dangers d’une migration au long cours qui les conduit d’août à octobre au sud du Sahara. Traditionnellement chassés sur le pourtour méditerranéen (le motteux n’est autre que le “cul-blanc“ des romans de Marcel Pagnol), ces deux oiseaux (et bien d’autres) y font désormais l’objet d’une capture carrément industrielle, avec des dizaines de kilomètres de filets tendus à l’automne sur le bord des plages, d’Égypte principalement. Ils finissent ensuite en brochettes dans les restaurants du Caire et d’ailleurs. Les images de ce carnage faites par des ornithologues allemands sont pathétiques.
C’est probablement bien dans ce cortège d’oiseaux attachés aux espaces agropastoraux traditionnels que sont à attendre les prochaines disparitions d’espèces nidificatrices en Corrèze, Creuse et Haute-Vienne dans les années qui viennent. Qui sera le suivant ? Attesté comme nicheur sur de dernier atlas, le vanneau huppé a déjà déserté les tourbières et bords d’étangs de Millevaches et des Hautes-Combrailles ; il subsiste encore sur quelques coins de la Marche et du Bas-Berry, mais pour combien de temps ? Avec toujours ce même penchant malencontreux pour les campagnes “d’avant“, la désormais célèbre pie-grièche grise et l’anodin pipit farlouse semblent aussi assez mal barrés. Des mesures a priori favorables pour eux sont pourtant mises en place avec les agriculteurs qui s’occupent des zones où ils subsistent. Mais, tout autour, les pratiques s’intensifient, parfois insensiblement, plus souvent de façon nette et font de leurs bastions de précaires îlots au milieu de prairies d'un vert pétant fauchées de plus en plus tôt, et du maïs qui grimpe de plus en plus haut. La carte de leur répartition régionale depuis 2013 a continué de se restreindre de façon inquiétante. Ce rétrécissement continu concerne aussi le moineau friquet qui n’a toujours pas inversé la courbe de son déclin.
Ces 4 cartes illustrent l’évolution de l’aire de distribution du Pipit farlouse en période de reproduction. De gauche à droite, celles des atlas de 1993 et 2013, issues de Wnat.fr, puis celle issue de Faune-Limousin.eu en 2019 et enfin celle de Faune France en 2019. Le Pipit farlouse a pâti de la raréfaction des grandes zones humides ouvertes, des landes et pelouses à fort degré de naturalité. Une telle évolution s’est produite chez plusieurs autres espèces disparues du Limousin en tant que nicheuses.