Un petit village entouré de pâturages d’altitude, surplombé par un pic dont il porte le nom : c’est ici que notre groupe logera pour les trois prochaines nuits, chaleureusement accueilli par une famille de paysans vivant en quasi-autonomie sur leur ferme. Nous sommes à quelques kilomètres du siège de la Chambre d’agriculture alternative basque, où nous allons passer la journée.
Nous, ce sont des jeunes porteurs de projet agricole, un agriculteur retraité maire de sa commune, une ex-salariée de l’Adear et un salarié de l’Arban férus de foncier, un éleveur syndiqué à la Confédération paysanne et un membre du groupe « Eau » soucieux du devenir des terres dans la vallée de la Vienne, se reconnaissant du Syndicat de la Montagne limousine. Avec nous, une équipe de 3 membres de Télé Millevaches, caméra au poing, attestera de nos pérégrinations dans le but d’en sortir un documentaire pour faciliter la transmission de notre travail d’enquête.Ce groupe de travail, démarré depuis un an, réfléchit à la création d’une structure pour racheter du foncier agricole sur le plateau de Millevaches. Son premier but serait d’encourager, faciliter et multiplier l’installation de nouveaux paysans sur le territoire. Dans un contexte de départ à la retraite simultané d’une génération d’exploitants, un grand nombre de fermes vont être à reprendre mais leur transmission paraît compromise : la spécialisation dans l’élevage de bovins allaitants, qui représente 60 % des fermes du PNR de Millevaches, a conduit à l’agrandissement des exploitations au cours des dernières décennies. Cette tendance mène aujourd’hui à une impasse en termes de transmission des fermes, équipées de matériel de grande dimension et dépassant bien souvent les 100 hectares, ce qui justifie un prix de revente très élevé. Beaucoup de nouveaux porteurs de projets, ne venant pas de familles d’agriculteurs, doivent donc investir dans leur outil de travail. Enfin, ces élevages surdimensionnés rendent difficile la possibilité d’y projeter d’autres types de production qui permettraient pourtant de tendre vers davantage d’autonomie alimentaire sur le territoire. Dans ce contexte, l’hypothèse de notre groupe est que le rachat collectif de certaines fermes permettrait de faire la transition avec l’agriculteur cédant, le temps de trouver les candidat.es ou groupes candidats à la reprise, ainsi que d’aider à redimensionner les exploitations en lots plus petits adaptés à leur projet.
Nous sommes donc partis pour comprendre en quoi le territoire basque est plus efficace que les autres à installer des paysans, et si ses institutions paysannes alternatives peuvent nous servir de modèle. Nous avons rencontré deux structures : la Chambre d’agriculture alternative Euskal Herriko laborantza Ganbara (EHLG) et la foncière Lurzaindia ainsi que des paysans du syndicat ELB qui nous ont raconté leur histoire. Ces structures constituent le fer de lance de la défense d’une agriculture paysanne au Pays Basque. Là-bas, l’agriculture représente une part non négligeable de l’économie puisque 18 % des actifs sont agriculteurs dans les zones de montagne (contre 3,4 % en moyenne en France). Qui plus est, les fermes paysannes y sont encore nombreuses, en témoigne le syndicat ELB, majoritaire depuis 2001 aux élections de la Chambre d’agriculture officielle dans les cantons basques. De très bonnes terres associées à un climat propice ont permis le développement d’une production spécialisée de fromage de brebis très bien valorisé (AOP Ossau Iraty). Un autre indice de la forte dynamique agricole de la région est la proportion de jeunes paysans repreneurs, plus nombreux à s’installer dans le cadre familial qu’en Limousin. Ainsi, toutes les fermes que nous avons visitées avaient été reprises par les enfants des anciens exploitants. L’identité basque est un ferment de leur engagement en faveur d’une agriculture paysanne. Cette logique semble primer non pas uniquement pour les paysans mais aussi pour le reste de la société civile basque, qui nous a témoigné d’une forte implication dans la défense du maintien d’une agriculture paysanne sur le territoire. Nous avons ainsi rencontré plusieurs citoyens dont une responsable de l’association InterAMAP qui s’est très impliquée dans les instances paysannes en siégeant notamment à la Chambre d’agriculture alternative et en participant à la foncière Lurzaindia.
Suite à ces rencontres riches d’enseignements, il nous apparaît clairement que la question du devenir du foncier agricole sur le Plateau ne pourra pas se poser sans la mobilisation de deux éléments primordiaux : d’une part celle d’une population paysanne locale soucieuse du rôle social qu’elle joue et cherchant à se renforcer, et d’autre part celle d’habitant.es du territoire qui reconnaîtraient la valeur sociale d’une lutte pour le foncier agricole et l’installation de nouveaux paysans. Les paysans basques sont forts certes par leur nombre et leur détermination, mais aussi parce qu’ils ont une partie de la population basque qui se mobilise avec eux. Là-bas, les enjeux agricoles sont des enjeux de société. Travailler notre inscription sur le territoire nous semble donc être une priorité. Une structure foncière n’est qu’un outil, un prétexte à prendre à bras le corps cette question du foncier et de la place de la paysannerie par chez nous. L’aventure ne fait que commencer, et les pistes à mettre en travail sont nombreuses. En voici deux : faire davantage de lien avec les paysans de la Confédération paysanne qui siègent en Safer et gèrent les dossiers de reprise de ferme, et nous appuyer sur les communes pour réaliser des associations de propriétaires de terre comme c’est en préfiguration à La Villedieu.