Au cours de l’année 2022, le gouvernement a annoncé sa volonté d’expérimenter le conditionnement du RSA (Revenu de Solidarité Active) à un certain nombre d’heures d’activité par semaine. À la mi-décembre, la liste des départements retenus parmi ceux qui s’étaient portés volontaires a été révélée : on y retrouve par exemple la Creuse, aux côtés de la Seine-Saint-Denis, l’Aveyron, la Réunion et une quinzaine d’autres. Le démarrage est prévu pour 2024, et la présidente du Département Valérie Simonet souhaite que les quelques
3 000 allocataires du RSA soient concernés, soit l’entièreté du département.
Mais dans les faits, tout semble encore très flou. Le sujet principal, celui des « conditions » à remplir pour toucher cette allocation, ne semble absolument pas clair ni du côté du gouvernement ni du département. Cette expérimentation vise, selon ses instigateurs, à « rénover » le suivi des personnes allocataires du RSA, au travers d’un « droit » à l’accompagnement renforcé vers le retour à l’emploi, assorti de « devoirs » (réaliser un certain nombre d’heures d’activité régulière).
Ce qui soulève plusieurs problèmes : d’abord, ce droit à l’accompagnement et à l’insertion n’est-il pas déjà inscrit dans les missions des services décentrés du département (Pôle Emploi, la Caisse d’Allocations Familiales, la MSA, la Commission à la Pauvreté) ? Les employés de ces organismes peinent déjà à assurer leur rôle auprès des allocataires qui veulent effectivement trouver un emploi : on est en droit de se demander en quoi le fait de rendre le RSA « conditionnel » apporterait une amélioration quelconque. Peut-être qu’il serait bon de commencer par améliorer les conditions d’accompagnement avant de pointer du doigt les allocataires du RSA.
Quant aux « devoirs » à remplir, là aussi la réunion d’information a laissé plus de questions que de réponses. Les 15 à 20h d’activité par semaine pourraient, d’après le Haut-Commissaire, être remplies avec les heures passées à réaliser des démarches de retour à l’emploi (remplir un CV, candidater, etc.), à se rendre davantage employable (heures de conduite, de formation, etc.) ou à « faire une expérience en entreprise ». Sur ce dernier point, c’est à nouveau le flou complet. Les structures accueillantes auront-elles des conditions d’accompagnement à remplir, et si oui, avec quels moyens ?
S’agira-t-il de mini-stages non-rémunérés, d’heures de bénévolat « obligatoires » ? (autrement dit, qu’une entreprise ou une administration bénéficie du travail des allocataires dans le cadre de leur « obligation d’insertion »). Le RSA s’élève à 598 € au maximum, ramené à 20h ou même 15h de travail hebdomadaire, on tomberait largement en-dessous du taux horaire minimum. On peut s’attendre, en revanche, à un contrôle plus poussé et plus intrusif des allocataires, et que cela mette en difficulté les personnes les plus vulnérables.
Car avec cette expérimentation, le gouvernement remet en question un élément juridique : l’inconditionnalité du revenu de subsistance, le RSA. Aujourd’hui, ce revenu peut être versé à toute personne de plus de 25 ans, en théorie sans conditions. Dans les faits, il faut déjà pouvoir cocher certaines cases pour en bénéficier : être en capacité de faire la demande, et bien souvent, justifier de démarches actives de recherche d’emploi et d’insertion. Les demandes de RSA prennent souvent longtemps à être traitées et quiconque s’y est déjà frotté sait à quel point les procédures administratives peuvent tarder. Néanmoins, la loi garantissait jusqu’à aujourd’hui cette inconditionnalité : alors qu’en sera-t-il avec cette expérimentation ? La suspension de l’allocation sera-t-elle automatique si l’on ne remplit pas les critères ? Derrière cette expérimentation, ce qui est en jeu, c’est évidemment la question du travail. Dans un contexte de réforme des retraites, de l’assurance chômage, et avec la mise en place de « France Travail » (une série de mesures pour réformer le fonctionnement des organismes d’emploi et d’insertion, qui englobe notamment le RSA conditionné), le message est très clair : travaille, ou crève !
Et pourtant, on sait bien aujourd’hui qu’il existe un « chômage structurel » (au moins 8% de la population active) et que tout le monde n’aura pas de travail – du moins si on garde la même organisation du travail qu’actuellement. On sait aussi que le « plein emploi » n’est pas vraiment compatible avec la nécessité de réduire les émissions de carbone et les facteurs de pollution : mieux vaut pour cela avoir un peu de temps libre pour produire soi-même des choses plutôt qu’acheter, et un revenu de subsistance assuré. Cette « obligation à l’emploi » profite davantage aux entreprises capitalistes qui extorquent de la valeur, qu’aux personnes qui se retrouvent forcées d’accepter des emplois précaires, souvent abrutissants et sous-payés. L’idéologie qui sous-tend cette réforme est plutôt claire.
En parallèle, on sait que les allocataires du RSA ne sont pas une population très visible, ni facilement mobilisable : d’abord en raison du stigmate (« assistés »), ensuite en raison d’une grande diversité de situations qui vont de la plus subie et isolée à celle d’un choix politique de vivre de peu et de donner du temps de manière non rémunérée. Alors à quoi peut-on s’attendre dans les prochains mois ? Quoiqu’il advienne, il semble que le département aura besoin du concours des organismes décentralisés et des associations locales : ces dernières vont-elles coopérer ? ou au contraire s’opposer à cette nouvelle offensive sur les droits sociaux ? Pourrait-on imaginer un mouvement d’opposition un peu fin qui serait capable de rassembler davantage que les allocataires actuels ? L’enquête est ouverte : à suivre, dans IPNS et ailleurs !
Clara