IPNS : Pour le comité de rédaction d’IPNS et pour de nombreux habitants de l’ex Comcom de Gentioux, tu es connu comme ayant été adjoint de Michel Moine à la mairie d’Aubusson et délégué à la Comcom Creuse Grand Sud…
Michel : Pour apprécier mes relations avec Michel Moine et mes collègues de la municipalité, il faut introduire de la complexité. Il y avait certes des manques importants dans le fonctionnement des instances municipales. Dans les prises de décision, la place de la délibération n’était pas suffisante, mais c’est aussi le cas dans la majorité des collectivités locales. Michel Moine ne peut être résumé en un autocrate manipulateur, son comportement est bien plus complexe.
IPNS : Ce livre est édité grâce à une souscription publique. Pourquoi ?
Michel : Plusieurs raisons. D’abord parce que l’édition coûte cher. Ensuite parce que les éditeurs à qui je l’ai proposé l’ont trouvé trop long, trop technique, trop austère, très philosophique. J’avais bien, il y a quelques années, publié un ouvrage sur Hannah Arendt chez l’Harmattan, mais c’était bien moins long et sur un sujet bien délimité. Enfin parce que je voulais que cet ouvrage soit complet et serve de base, dans un projet de philosophie politique, à des débats, des conférences. Le livre, que pas grand monde ne lira dans sa totalité, servira de base pour la diffusion des conceptions que je défends.
En 2001, avec quelques amis, nous avons créé la « Ligue des citoyens délibérants », qui défendait déjà les idées présentées dans le livre. Mais l’absence de publication de référence nous avait handicapés : nous avions commencé par la fin, l’action avant la pensée de l’action. L’idée du régime des citoyens doit être très profondément argumentée ; l’ouvrage s’attaque aux fondements théoriques plutôt qu’à l’action. Il n’y a pas grand chose sur la faisabilité. Il s’agit avant tout d’établir les raisons pour lesquelles la politique doit appartenir au citoyen en personne. L’appel à participation pour l’édition du livre permet de commencer à diffuser les idées sur lesquelles il repose ; ça enclenche le débat et fait exister ces conceptions dans l’espace public.
IPNS : La première partie de La citoyenneté confisquée présente une critique de la démocratie représentative, au sujet de laquelle tu parles d’épuisement. Cette affirmation est assez largement partagée. Mais, ensuite, la définition du régime politécratique fait appel à des notions parfois difficiles à appréhender pour nous qui sommes englués depuis deux siècles au moins dans la société techno-industrielle.
Michel : Je m’appuie sur Aristote qui dit : « pour accéder à la citoyenneté politique, il faut s’arracher au monde social, s’abstraire de son individualité sociale ». Le régime des citoyens donne au domaine politique sa puissance maximale il n’est pas soumis aux mêmes limites que la science et la technique. En faisant de la moralité la fin du politique et de la conformité à la vertu morale le critère de la décision politique, Aristote est celui qui fait définitivement échapper l’activité politique aux domaines des sciences et des techniques, « aux sérails de l’expertise et de la spécialisation ».
« Faire de la politique, nous dit Aristote, c’est décider sur les affaires publiques conformément à ce qu’exige la morale de l’homme ».
IPNS : Il peut y avoir une difficulté à bien comprendre ce que dit Aristote quand il parle de « morale »…
Michel : Ce n’est évidemment pas une morale préétablie, donnée une fois pour toutes, c’est encore moins le moralisme vulgaire. Ce qui est moralement souhaitable, c’est ce qui résulte de la délibération. L’assemblée des citoyens est seule à même de définir ce qui est moral pour la société : ce qui est bien, ce qui est juste, et autres notions du même genre. Le citoyen n’est pas seulement un sujet de droit, il est activement impliqué en personne dans l’élaboration des décisions publiques. C’est la participation qui définit le citoyen et non l’obéissance.
IPNS : Aristote apparaît plus dans ton livre comme l’auteur d’une utopie politique que comme un théoricien de la pratique de la démocratie dans la cité grecque.
Michel : La citoyenneté politique se présente chez Aristote comme un idéal non atteint jouant le rôle d’idée régulatrice. Ma proposition de retour à l’antiquité ne renvoie pas à l’expérience des anciens grecs mais à une production philosophique (celle d’Aristote) qui s’était déjà, dans certaines parties de son œuvre, largement abstraite des circonstances de son temps.
IPNS : Une autre notion peut demander une explication : celle du « bien vivre ».
Michel : Elle découle de ce qui a été dit au sujet de la morale. Le « bien vivre », c’est une finalité biologique et morale étrangère à la sphère du travail et de l’économie. C’est vivre pour donner une signification concrète à des notions morales (le juste, le bien, le beau…).
En passant du stade du village à celui de la polis, l’objet de l’activité humaine change d’aspect avec l’apparition du
« bien vivre » qui se révèle être la finalité véritable. Le bien est ce qui est propre à réaliser en acte la nature politique des hommes. Quand les citoyens font de la politique en vue de « bien vivre », ils le font en s’exerçant au meilleur usage possible de la raison.
IPNS : Même si ton propos ne vise pas à établir la faisabilité du projet, tu as tout de même défini quatre leviers pour le changement.
Michel : Même s’il ne constitue pas un mode d’emploi, il apparaît possible de définir quatre domaines qui peuvent nous rapprocher de l’idéal de la citoyenneté politique.
IPNS : Pour terminer, une question très souvent posée : comment penser en même temps la démocratie grecque et l’esclavage ?
Michel : J’ai déjà expliqué que l’utopie élaborée par Aristote ne reprend pas le fonctionnement réel de la démocratie dans les cités grecques.
Mais on ne peut éluder la question : pour moi, Aristote était plus raciste qu’esclavagiste dans la mesure où l’esclavage était réservé à des êtres qu’il considérait comme non-humains. La grande majorité des esclaves étaient des barbares, et pour Aristote ce n’étaient pas vraiment des humains, il était donc hors de question d’en faire des citoyens. Cette conception ségrégationniste se retrouve sur la question des femmes, à qui il refuse le statut d’égalité avec les hommes. Il reprend un argument éculé, souvent ressassé : elles sont dominées par leur sensibilité. Platon, au contraire, reconnaît l’égalité des sexes.
IPNS : Nous avons survolé certains des grands thèmes de ce livre ; nous sommes évidemment très loin de l’exhaustivité. Quand sortira-t-il et où le trouver ?
Michel : Il devrait sortir en mars 2023. On le trouvera dans certaines librairies. Chacun pourra le commander chez son libraire ou sur les librairies en ligne.