La migration est un phénomène fascinant et complexe. Il y a une part d’inné dans ce comportement (inscription dans le patrimoine génétique). Le jeune Coucou gris élevé par une famille de Bergeronnettes grises doit par exemple trouver tout seul la route pour aller hiverner au sud de l’Afrique.
Voies Migratoires en France
Le principal mécanisme poussant les oiseaux à migrer est l’influence des saisons climatiques sur la disponibilité en nourriture en un lieu donné. La plupart des espèces sont migratrices au moins partiellement. En général on parle de migrateurs partiels pour les espèces qui au sein d’une même population présentent des individus sédentaires et des migrateurs. On parle de migrateurs au long cours lorsque la quasi-totalité de la population n’occupe pas les mêmes zones en période de nidification et d’hivernage. Les mouvements migratoires ne sont pas toujours visibles par l’homme. Par exemple, il y a une grande partie des passereaux insectivores qui migrent la nuit pour profiter des conditions météorologiques plus clémentes et éviter les prédateurs. Morphologiquement les oiseaux sont très bien adaptés pour se déplacer sur de grandes distances, il n’est donc pas simple de savoir si le Rougegorge familier observé dans le jardin en hiver vient du bois voisin ou de Scandinavie.
En France, les principales voies de migration sont le littoral atlantique, la vallée du Rhône et la diagonale qui va de la Champagne aux Pyrénées-Atlantiques. C’est cet axe qui passe dans le Limousin et par le Plateau de Millevaches. La présence des deux grandes vallées, la Vézère et la Vienne avec leurs affluents, va canaliser les migrateurs au moment de leur arrivée sur les marges du Plateau. Ce n’est pas une barrière importante à franchir mais la diversité des habitats favorise les haltes alimentaires et l’observation de différentes espèces : bécassines dans les tourbières, bruants, gobemouches, rougequeues dans les landes et les haies, fauvettes dans les friches forestières, pinsons dans les forêts de hêtre, tarins dans les boisements d’aulnes, grives dans les landes arbustives à sorbiers, pipits et alouettes, merles à plastron dans les prairies, tariers et traquets dans les pelouses… Des rapaces peuvent aussi faire une pause pour faire des réserves de gras, vitales pour compenser les pertes énergétiques liées à la migration : les balbuzards pêcheurs s’alimentent dans les étangs, les busards chassent au-dessus des landes et tourbières, les faucons (émerillon, hobereau et pèlerin) suivent leurs proies (des oiseaux) dans leurs déplacements et les milans profitent des labours pour chasser des vers de terre.
Les passages sont plus marqués pendant la période postnuptiale de fin juillet à novembre. En été on peut observer différentes espèces qui vont hiverner en dessous du Sahara et qui ont donc une longue route à parcourir (les migrateurs transsahariens) : Milan noir, Bondrée apivore, Martinet noir, Hirondelle rustique… En automne on va pouvoir observer des migrateurs partiels : Grue cendrée, Pigeon ramier, Milan royal, Pinson du nord. Les oiseaux dont les effectifs sont les plus importants à cette période sont le Pigeon ramier et le Pinson des arbres. Autour du 18 octobre, la fameuse Saint-Luc, des effectifs de plus de 500 000 pigeons ont pu être observés sur une seule journée sur la marge est du Plateau, à Saint-Setiers et Féniers. Le pic de passage pour le Pinson des arbres à lieu de fin octobre à début novembre. À cette période on peut croiser des groupes posés au bord des routes là où il y a des hêtres et des faînes à manger. Chez les rapaces, la star de la migration d'automne est le Milan royal avec des journées où l’on peut voir plus de 100 individus depuis un point d’observation stratégique au sommet d’un puy. Ce sont des oiseaux d’Allemagne, de Belgique, de Suisse et du nord de la France qui vont passer au-dessus du Limousin pour aller hiverner jusqu’au Pays Basque ou en Espagne. Depuis quelques années, on constate que les effectifs nicheurs de cette espèce augmentent en Europe et pour la première fois en hiver 2022/2023 un dortoir d’une trentaine de milans a pu être observé au cœur du plateau de Millevaches. Il s’agit bien d’un migrateur partiel qui peut profiter des hivers plus cléments ou des pullulations localisées de rat-taupiers pour limiter ses déplacements et pouvoir regagner au plus vite ses sites de nidification à la fin de l’hiver. Le passage du Milan noir et de la Bondrée apivore dans l’été est moins visible car les oiseaux profitent des ascendances plus importantes pour passer plus haut en altitude.
En général des mouvements importants de grues cendrées se font par le nord de la Creuse et de la Haute-Vienne vers la Charente et la Dordogne, le secteur des lacs autour de Vassivière n’est pas loin de cette voie, c’est une zone intéressante pour les observer entre octobre et novembre et en février/mars à la remontée. Quelquefois des oiseaux peuvent y faire halte.
En hiver des rassemblements importants d’oiseaux migrateurs peuvent s’observer. Ces regroupements sont conditionnés par la rigueur de l’hiver et par la fructification des arbres à baies et à fruit (sorbiers, houx, hêtres, aulnes…) aussi bien sur le territoire que plus en amont sur la route des migrateurs. Il n’est pas rare d’observer des regroupements de plusieurs centaines de grives (litornes et mauvis) certaines années sur le Plateau dans les secteurs de landes ou de fourrés avec des sorbiers, des houx ou des genévriers alors que certains hivers les plus gros groupes observés ne dépassent pas la cinquantaine d’individus. Quand on observe les oiseaux à la mangeoire ce phénomène de fluctuation peut aussi être détecté chez certaines espèces : Grosbec casse-noyaux, Pinson du Nord. Il y a des années avec et des années sans !
Au printemps pendant la période prénuptiale les passages sont plus étalés dans le temps (entre janvier et juin) et dans l’espace, rendant l’observation plus complexe. Il y a quand même de belles journées pour les pigeons et les milans et une belle diversité de passereaux en février/mars. Des rassemblements de pigeons colombins, peu communs en France ont pu être observés dans des chaumes de sarrasin ou des labours au mois de mars, dont un groupe record de 360 oiseaux en 2016 sur la commune de Chavanac. Il y a dix ans on pouvait également voir de beaux mouvements de buses variables avec des journées à plus de 100 individus lors du retour fin février, début mars. Maintenant il semble que les oiseaux profitent des redoux hivernaux pour rester dans le quart nord-est de la France et ne descendent plus (ou moins) dans le sud-ouest du pays.
C’est un plaisir renouvelé chaque année de détecter les premiers migrateurs lors de leur arrivée sur leur site de nidification. Sur le plateau de Millevaches voici quelques dates moyennes d’arrivées : en fonction de la rigueur de la météo le Tarier pâtre et le Rougequeue noir peuvent s’observer en plein hiver (entre décembre et février) mais en général les premiers oiseaux s’observent plus nettement autour du 1er mars, le premier Milan noir autour du 5 mars, les hirondelles rustiques vers le 20 mars et celles des fenêtres vers le 5 avril. Le chant du premier Coucou gris est entendu vers le 30 mars, celui de la Fauvette à tête noire vers le 1er avril. Les martinets noirs arrivent à la fin du mois d’avril, la première Pie-grièche écorcheur est observée vers le 1er mai, la première Bondrée apivore vers le 5 mai. Vers le 20 mai c’est au tour du chant de la Caille des blés de se faire entendre dans les prairies et cultures. Les Bruants proyer eux arrivent à la fin du mois de mai.
Robin Petit