(…) Pour l’activation à distance des appareils électroniques à des fins de géolocalisation, permettant d’obtenir l’emplacement de leurs propriétaires, les députés de la majorité – réunis avec la droite et l’extrême droite – ont ramené le texte à sa version initiale. Ainsi, cette mesure pourra être mise en œuvre sur des personnes poursuivies pour des délits et crimes punis de 5 ans d’emprisonnement seulement, alors que les sénateurs avaient rehaussé ce seuil à 10 ans. Pour l’activation du micro et de la caméra des objets connectés permettant de filmer ou d’écouter tout ce qui se passe à leurs alentours, aucune modification substantielle n’est à noter. Prévue pour la criminalité et la délinquance organisées, l’application future de cette technique extrêmement intrusive nous fait craindre le pire. Actuellement déjà, un grand nombre d’actions peuvent tomber dans le champ de la délinquance et la « criminalité organisée », comme par exemple la « dégradation en bande organisée » pour laquelle sont poursuivies les militant·es écologistes arrêtées pour avoir participé à l’action contre l’usine Lafarge.
Mais surtout, il est très probable que cette technique de compromission des appareils s’étende ou se banalise d’ici à quelques années. La dernière décennie, qui a bouleversé en profondeur la réglementation pénale et antiterroriste, démontre par l’exemple quel pourrait être le chemin d’une telle généralisation. En effet, les techniques spéciales d’enquête, particulièrement intrusives, étaient historiquement réservées aux enquêtes et affaires les plus graves, données au seul juge d’instruction. Ce n’est que depuis la réforme pénale de 2016 que ces possibilités ont été élargies aux officiers de police judiciaire et aux procureurs dans le cadre d’enquête de flagrance et préliminaire. Avec cette loi, le procureur pouvait alors ordonner des écoutes téléphoniques, des sonorisations de lieux, des poses de balise GPS, de la vidéosurveillance, des captations de données informatiques ou des perquisitions de nuit.
Cette extension était fortement critiquée au regard des pouvoirs inédits donnés au parquet, hiérarchiquement dépendant de l’exécutif. Le journal Le Monde parlait à l’époque de « la loi antiterroriste la plus sévère d’Europe » et s’inquiétait, comme nous aujourd’hui, du « glissement régulier des méthodes du renseignement vers l’antiterrorisme, celles de l’antiterrorisme vers le crime organisé, celles du crime organisé vers la délinquance ordinaire » et de conclure « les procédures d’exception finissent par dissoudre le principe même d’un droit commun ».
Ces prédictions se sont révélées exactes puisque dès 2018, le gouvernement a voulu élargir ces possibilités fraîchement données au procureur à l’ensemble des crimes dans le cadre d’une enquête en flagrance ou d’une enquête préliminaire, et non plus à la seule délinquance et à la criminalité en bande organisée. (...) À l’heure où l’antiterrorisme est mobilisé pour réprimer des militant·es politiques, ce renforcement des pouvoirs policiers ne fait que souligner les dérives autoritaires du gouvernement. Cette volonté de faire tomber les barrières qui empêchent l’État d’accéder à l’intimité des citoyens rejoint aussi l’offensive actuelle contre le chiffrement des conversations, que nous avons documentée à travers l’instruction de l’affaire dite du « 8 décembre ».
Le projet de loi sera prochainement transmis à une commission mixte paritaire qui tranchera les derniers arbitrages. Les équilibres politiques actuels font qu’il n’y a quasiment aucune chance que les parlementaires reculent et fassent retirer ces mesures de surveillance. Pourtant, si ces dernières sont votées, elles offriront une possibilité de contrôle de masse à faible coût et feront basculer le rapport que peuvent avoir les citoyens à la technologie en transformant radicalement la nature des objets qui nous entourent.
LQDN