Yves Rebeix : Au départ, j’étais lissier à la tapisserie d’Aubusson. Je ne connaissais pas du tout le travail de la mine, sauf par les bouquins. J’ai voulu travailler à la mine, parce que le salaire était motivant. Il ne faut pas se le cacher, je touchais plus en 86 que maintenant.
L’exploitation de la mine a eu lieu en deux temps. Tout d’abord il y a eu un premier puits de mine dans les années 60 au dessus du village de La Brousse. Mais comme l’uranium ne se vendait pas bien à l’époque, le puits a été fermé. A partir de 1970 a eu lieu l’exploitation de la carrière en amont, vers le village d’Hyverneresse. C’était une très très grosse exploitation. A la fin des années 70, comme la mine à ciel ouvert, déjà bien profonde, partait en entonnoir, on ne pouvait donc plus accéder au reste de l’uranium par cette carrière. Il a donc été décidé de creuser un tunnel depuis le quartier de La Brousse jusque sous la carrière afin d’y exploiter la poche d’uranium qui restait. Ça faisait un puits de mine de 65 mètres de haut, sous la carrière. Pour ouvrir ce puits, on creusait par le dessous, en remontant vers le fond de la carrière, avec tous les risques que ça comportait. On a eu des accidents. J’étais second du chef mineur et je m’occupais de mon équipe. Un tir de mine s’était mal passé, il a fallu aller purger. J’avais une parfaite connaissance du chantier mais un rocher s’est décroché. Un camarade a été pris au niveau de la hanche. Finalement il s’en est bien sorti.
Les mineurs faisaient les 2/8 : une équipe de 5h00 à 13h00, et une autre de 13h00 à 21h00. Dans le puits de mine on était trempé. On travaillait dans de très mauvaises conditions. Il y avait un trou de guide au dessus de nous, et toute l’eau de la carrière nous tombait dessus, par ce trou. Donc on travaillait en permanence dans l’eau. Nos bottes en étaient remplies. Comme protection, on avait simplement des habits imperméables, mais quand vous aviez les bras levés ça vous coulait dans les manches, dans le cou, partout, sans compter la boue sur la figure. On n’avait pas de scaphandre ! (rires) C’était dangereux. Ça veut dire qu’on se dépêchait de faire notre tir de mine. On travaillait à la Zola : à la main. Il y avait deux pelleteurs, deux piocheurs, deux brouetteurs. Les mineurs travaillaient comme ça avant. Bon, on n’avait pas de cheval parce que la galerie n’était pas assez haute, sinon…. C’était dur, certains ne sont pas restés.
En tant que responsable syndical, j’ai réussi à faire acheter un Bobcat, un petit engin de chantier qui tourne sur lui même. On le descendait par le treuil. Mais on déblayait 6/7 mètres à la main. On cassait tout à la masse et au marteau piqueur avant d’évacuer.
Le puits de mine était en plusieurs parties : une partie pour les remblais, une autre pour la ventilation, et enfin une pour l’ascenseur. Il fallait beaucoup de ventilation pour renouveler l’air et évacuer le radon. Les mineurs portaient deux dosimètres, l’un pour mesurer la radioactivité, l’autre pour la poussière. Ces instruments permettaient de savoir quelles doses les mineurs recevaient à chaque fois qu’ils descendaient dans la mine. On ne nous disait pas grand-chose à propos de la dangerosité de la radioactivité. On nous cachait pas mal de choses. On était là pour travailler.
Le médecin du Travail est arrivé un jour. Là, il a vu que les gars ne remontaient pas au jour. Les analyses des dosimètres permettaient à la direction, de déterminer combien de temps un mineur pouvait rester au fond de la mine. Comme la direction cadenassait l’information, les gars restaient en bas, et se prenaient de la radioactivité. C’est le médecin du Travail qui nous a expliqué tout ça. Du coup, on a fait pression, et les gars remontaient au jour. Mais un nouveau directeur est arrivé. Voyant ça, il a décidé de nous envoyer chez le médecin de la COGEMA. Et là, plus personne ne remontait au jour. C’était terminé. De 1979 à 1983 ou 84, on travaillait sans douche ; on se douchait chez nous. Puis le médecin du Travail de la Creuse a appuyé en notre faveur pour que l’on ait des douches. Il a beaucoup fait pour les employés de la mine. Il a vraiment fait son travail de médecin. Quant aux habits, normalement ils auraient du rester sur place pour être lavés. Mais on les ramenait chez nous il n’y a rien de plus mauvais.
Le ton est un peu monté. Car plus vous travaillez archaïquement, sans rien, moins il y a d’argent dépensé par la direction. Mais l’équipe était soudée. Dès que ça n’allait pas, tout le monde se rassemblait et faisait front. J’étais délégué du personnel et membre du comité “Hygiène et sécurité“, je bataillais contre les risques d’éboulement. Dans la mine à ciel ouvert, on en était arrivé à avoir un guetteur car il pouvait tomber des pierres de la paroi. Alors j’ai dit on arrête là. À la carrière, avec le ravinement, ça s’écroulait. Du coup, en bord de fosse, avec des parois à pic qui pouvaient atteindre 25 mètres, on avait coupé quelques sapins, on avait reculé les clôtures en empiétant sur des parcelles privées (NdR : Aujourd’hui, sur le parement sud de la carrière on peut observer un important glissement de terrain).
L’année de la fermeture, en 1986. J’ai été licencié, à cause de mon engagement sur les questions d’hygiène et de sécurité.
J’ai une maladie qui ne peut être causée que par ce travail. J’ai le dossier de la médecine du travail de la Creuse. J’ai aussi demandé mon dossier à la Cogema. Mais tous les dossiers ont disparu. Il n’y a plus rien. Aucun mineur ne peut les récupérer. Il y a de la bagarre pour faire reconnaître ma maladie comme une maladie professionnelle. Ça a été reconnu par la CPAM mais une commission a défait leur conclusion. Donc je vais au tribunal.
Je ne recommencerais pas ce travail, c’est trop dangereux. Pourtant le métier me plaisait bien, j’aimais bien cet univers là et la camaraderie qu’il y avait.