Il est nécessaire, pour comprendre le nucléaire, d’avoir quelques notions de physique élémentaires.
Ces données de base sont exposées dans ce qui suit, parfois avec quelques approximations qui permettent de simplifier l’exposé, sans en dénaturer l’exactitude.
Il y a là deux notions, souvent confondues, qu’il importe de bien connaître.
Energie : elle correspond au travail qu’il faut faire pour modifier l’état d’un système (le déplacer, changer sa température, etc…). Son unité est le joule (J).
Monter 10 kg à 20 m nécessite environ 2000 J, alors que monter 10 kg à 10 m ou 5 kg à 20 m en nécessite la moitié.
Puissance : elle prend en compte le temps mis dans l’utilisation de l’énergie. Son unité est le watt (W). Monter 10 kg à 20 m en 5 minutes correspond à une puissance de 6,6 W, alors que faire la même opération (même énergie) en 10 secondes correspond à une puissance de 198W.
De deux machines qui fournissent la même énergie, la plus puissante est la plus rapide. De deux machines fonctionnant dans la même durée, la plus puissante est celle qui fournit le plus d’énergie.
Dans le système légal d’unités :
Energie (joules : J) = Puissance (watt : W) x Temps (secondes : s)
L’unité d’énergie pourrait s’appeler watt secondes, mais on préfère l’appeler joule
On utilise parfois une autre unité :
Energie (kilowattheure : kWh) = Puissance (watt : W) x Temps (heure : h)
Remarque : 1 kW = 1000 W
La matière est constituée d’atomes.
Atome : un atome est constitué d’un noyau autour duquel gravitent des électrons. Les atomes ont des tailles de l’ordre du dixième de nanomètre (un nanomètre est un millionième de millimètre).
Le noyau est formé de deux sortes de particules : les protons p+ ayant une charge électrique positive, et de neutrons n° non chargés. Les masses d’un proton et d’un neutron sont sensiblement égales.
L’ensemble des neutrons et protons constitue les nucléons (particules du noyau).
Les électrons e- gravitant autour du noyau ont une masse négligeable ; donc la masse de l’atome est sensiblement égale à celle du noyau.
Les électrons ont une charge négative, opposée à celle des protons. Comme protons et électrons sont en nombres égaux, l’atome est électriquement neutre.
La constitution exacte du noyau (nombre de protons et nombre de neutrons) caractérise un nucléide (ou nuclide).
Eléments chimiques : les propriétés chimiques ne dépendent que du nombre de protons d’un atome.
Par exemple :
Ces atomes constituent les éléments chimiques. Il en existe une centaine.
Isotopes : ce sont des atomes ayant le même nombre de protons (ils appartiennent donc au même élément) mais différents par leur nombre de neutrons (donc par leur masse).
Par exemple l’élément chlore comprend deux isotopes :
Toutefois les divers isotopes d’un même élément sont toujours mélangés dans des proportions invariables. Ainsi, où que l’on prenne l’élément chlore, il contient toujours 75% de chlore à 35 nucléons et 25% de chlore à 37 nucléons. En conséquence la masse molaire atomique de l’élément chlore, obtenue en tenant compte des proportions de ses isotopes est de 35,5 g/mol.
Pour le chimiste les isotopes n’ont pas d’importance.
Par contre pour le physicien, qui s’intéresse à la masse des atomes, les isotopes ont leur importance :
Par exemple, l’uranium (92 p+) a deux isotopes :
L’uranium 238 (238 nucléons) qui ne subit pas de réaction en chaîne dans les réacteurs nucléaires et l’uranium 235 (235 nucléons) qui, plus léger, en subit une (Uranium 238 : 99.3% et uranium 325 : 0,7%)
Certains atomes ont un noyau fragile (on dit instable).
Ces noyaux ont une certaine probabilité de modifier brutalement leur structure (on dit qu’ils se désintègrent). Les atomes en question sont dits radioactifs.
La radioactivité : il y a trois processus de désintégration spontanée.
Lors de son départ la particule, a ou b « bouscule » les électrons qui gravitent autour du noyau. Cela produit une onde électromagnétique dont la fréquence est bien plus grande que celle de la lumière (c’est donc invisible) qu’on appelle un rayon g.
Radioactivité artificielle et réaction en chaîne : on utilise des neutrons pour casser des noyaux d’atome. Le neutron est un excellent projectile car, n’étant pas électrisé il ne se laisse repousser ni par le noyau positif, ni par le nuage électronique négatif.
Lorsqu’un neutron percute un noyau d’uranium 235 ( U) (mise en jeu de 1+235 = 236 nucléons) il y a cassure et production de deux gros morceaux : Strontium (94 nucléons) et Xénon (140 nucléons), avec émission de 2 neutrons (94 + 140 + 2 = 236 nucléons : le nombre de nucléons est conservé !).
Ces 2 neutrons vont produire 2 nouvelles cassures analogues donnant 4 neutrons produisant 4 cassures libérant 8 neutrons etc… C’est la réaction en chaîne qui libère en quelques brefs instants toute l’énergie atomique de l’uranium, ce qui donne la puissance considérable qui est celle des bombes atomiques.
Irradiation : Les rayonnements a, b et g arrachent des électrons aux atomes constituant la matière qu’ils traversent. On dit qu’ils sont ionisants. Lorsqu’il s’agit de matière vivante cette ionisation est susceptible, suivant sa durée et son intensité, d’entraîner des troubles graves pouvant aller jusqu’à l’apparition de cancers ou de mutations génétiques. Même de faibles irradiations peuvent, par effet cumulatif avoir de graves conséquences.
Il y a deux cas différents à considérer :
Contamination : l’effet des rayonnements ionisants dépend de la localisation de la source qui les émet. Lorsque cette dernière est située à l’extérieur de l’organisme, les organes sont irradiés par les seuls rayonnements qui arrivent à traverser les barrières de protection (air, vêtements, peau), qui sont les moins ionisants et les plus pénétrants. Par contre lorsque la source du rayonnement est située dans un organe, celui-ci est irradié par la totalité du rayonnement émis. Ce cas, de loin le plus dangereux, se produit quand la substance radioactive a été assimilée par l’organisme. C’est ce qu’on appelle la contamination.
L’industrie nucléaire fabrique des isotopes radioactifs d’éléments qu’on trouve, à l’état non radioactif dans la nature. Assimilés comme ces derniers, les corps radioactifs concernés pénètrent dans les organes qui sont alors irradiés de l’intérieur. Parmi ces corps citons ; l’iode radioactif qui se fixe dans la thyroïde, ainsi que le strontium radioactif (fixation dans les os) et le césium radioactif, qui se fixe dans tout l’organisme.
Il y en a beaucoup d’autres, dont certains constituent des poisons de nature chimique. Ceux-là sont bien sûr éliminés (au moins en grande partie), ce qui irradie les organismes éliminateurs.
L’activité : elle indique le nombre de désintégrations par unité de temps.
Son unité est le becquerel (Bq) : 1 Bq correspond à une désintégration par seconde. Ancienne unité : le curie (Ci) : 1 Ci = 37 milliards de becquerels.
La demi-vie : c’est la durée au bout de laquelle la moitié du corps s’est désintégrée (elle est indépendante de la quantité considérée).
Par exemple la demi-vie de l’uranium 238 est de 4,5 milliards d’années : au bout de cette (très longue) durée il restera :
L’iode radioactif a une demi-vie de 8 jours.
Le carbone 14 (isotope du carbone) utilisé pour les datations a une demi-vie de 5 730 ans.
Au bout de dix demi-vies la masse du corps a été approximativement divisée par mille (exactement par 1 024), et par un million au bout de 20 demi-vies.
La dose absorbée : c’est l’énergie absorbée par unité de masse de tissu. Unité le gray (Gy) : 1 Gy = 1 J/kg.
Ancienne unité le rad : 1 rad = 0,01 Gy
L’efficacité biologique relative : des rayonnements ionisants de même énergie produiront, suivant leur nature, des degrés d’ionisation différents. Ou, ce qui revient au même, on obtiendra le même effet biologique avec des énergies différentes suivant les rayonnements employés.
Par exemple, des particules a produiront dans la matière des dégâts 20 fois plus importants que les rayons g de même énergie. Pour les g on fixe l’efficacité biologique relative (EBR) égale à un. Pour les a on aura donc EBR = 20.
L’équivalent dose (ED) : ce n’est pas une grandeur physique mais biologique. Elle s’obtient en multipliant la dose absorbée par l’EBR.
Unité le sievert (Sv) : ED (Sv) = EBR x Dose absorbée (Gy)
Ancienne unité le rem : 1 rem = 0,01 Sv
Remarque : beaucoup de considérations interviennent quand on essaie de déterminer la dangerosité d’une substance radioactive : la nature des organes absorbant la substance, le temps de séjour de la substance dans le corps (pour celles qui seront éliminées), la concentration des substances dans les chaînes alimentaires, etc…
Elle comprend l’ensemble des activités nucléaires : exploitation des gisements d’uranium, fabrication de combustible, fonctionnement du réacteur nucléaire, traitement des déchets, stockage des déchets.
Mines d’uranium : l’uranium naturel est radioactif. L’exploitation des mines produit une dissémination des radionucléides (uranium, radon, radium, autres produits de la famille de l’uranium) d’autant plus importante que les roches sont broyées et ramenées à la surface. Ces produits sont d’autant plus sensibles aux agents d’érosion qu’ils sont plus pulvérulents, ou libérés à l’état gazeux. Une fois le gisement épuisé il reste des stériles miniers contenant de l’uranium dont l’exploitation de serait pas rentable, ainsi que les radio-éléments l’accompagnant.
Fabrication de combustible : après avoir extrait l’uranium, il faut l’enrichir pour qu’il soit utilisable dans les centrales actuelles dites PWR (Réacteur à eau pressurisée). L’EPR (réacteur européen à eau pressurisée) est un PWR amélioré.
L’enrichissement consiste à faire passer la teneur de l’uranium 235 de 0,7 % (uranium naturel) à 3% (uranium enrichi) pour favoriser la réaction en chaîne.
On fabrique également un combustible appelé MOX, mélange d’uranium appauvri (teneur abaissée en uranium 235 due à la réaction dans la centrale) et de plutonium fabriqué dans le réacteur.
Réacteur nucléaire PWR : c’est là que se produit la réaction en chaîne qui désintègre l’uranium 235. Cela produit de l’énergie calorifique dont on se sert, comme dans les centrales thermiques classiques, pour produire de l’électricité.
Ses éléments principaux sont, en plus du combustible :
Il est nécessaire dans un PWR que l’eau reste à l’état liquide malgré sa température élevée. Pour cela il faut qu’elle soit sous pression, d’où le terme « eau pressurisée ».
On distingue les produits de fission et les produits d’activation :
Dans un PWR les conditions ne sont pas réunies pour qu’une réaction en chaîne se déclenche avec le plutonium (heureusement !).
Les produits d’activation sont dus au bombardement par les neutrons et les rayonnements radioactifs des matériaux contenus dans le réacteur, autre que le combustible (parois, eau, tuyauteries, etc…). Un grand nombre de ces produits, souvent radioactifs, se forment.
Traitement des combustibles irradiés : lorsqu’on sort les combustibles du réacteur, il faut commencer par les faire refroidir en piscine, où ils perdent une partie de leur radioactivité. On peut enduite envisager soit de les stocker comme déchets, soit de les retraiter. La France et l’Angleterre ont des usines de retraitement, qui leur permettent non seulement de retraiter leurs combustibles, mais également ceux qui leur sont confiés par d’autres pays.
On cherche surtout à récupérer du plutonium (environ 15 % servira pour le MOX), et d’autres éléments radioactifs. Ceux qui ne sont pas réutilisables sont stockés.
Stockage des déchets : avant d’être stockés, certains doivent être refroidis en cuve. Le MOX, qui ne se recycle pas, doit être refroidi beaucoup plus longtemps que les combustibles classiques. Le stockage définitif n’a pas reçu de solution satisfaisante, compte tenu de la dangerosité des produits et de la durée de leur radioactivité. La plus mauvaise solution serait l’enfouissement à grande profondeur dans des terrains censés offrir les garanties satisfaisantes : il est impossible de prévoir, sur des milliers d’années, la tenue des containers et des terrains. Le stockage en surface sous surveillance paraît une moins mauvaise solution, à condition d’utiliser pour cela des terrains ne permettant pas un stockage en profondeur pour éviter tout enfouissement ultérieur en catimini.
Fonctionnement normal des installations : les divers éléments de la filière nucléaire, et les transports de matière en résultant, contribuent à rejeter dans l’environnement des nucléides radioactifs naturels et artificiels, d’où résultent irradiation et contamination. En fonctionnement normal ces rejets sont inférieurs aux normes, mais les normes sont contestées par les écologistes car elles sont établies en prenant en compte une absence d’effet apparent sur des périodes qui se révèlent courtes devant les durées impliquées par la radioactivité. De plus, les effets des très faibles doses, diluées parmi les autres polluants, sont difficiles à isoler, et les problèmes de concentration dans les chaînes alimentaires sont difficiles à cerner.
Risques d’accidents : il faut distinguer ceux qui résultent du fonctionnement des installations (risques internes) et ceux qui résultent d’une action extérieure (risques externes).
1) Risques internes : le plus important et le plus médiatisé est l’explosion du cœur suite à un défaut de refroidissement. Cette explosion ne peut pas être de nature nucléaire car la matière fissible n’a pas la concentration suffisante dans un réacteur. Il s’agit donc d’une explosion de nature chimique extrêmement violente susceptible de détruire les enceintes de confinement (en théorie prévues pour résister) ce qui provoquerait alors l’expulsion dans l’environnement de tout le contenu du réacteur. Les conséquences en seraient catastrophiques et de très longue durée. Le nouveau réacteur EPR est censé être plus sûr, mais les taux de combustion y étant plus élevés et le combustible irradié plus radioactif, l’impact d’un accident serait plus important qu’avec un PWR classique.
Il y a également un risque de rejet accidentel de substances en quantité supérieure aux normes. C’est moins grave qu’une explosion, pas toujours évident à détecter, et plus facile à dissimuler.
Aux risques inhérents aux centrales il faut ajouter ceux provenant des usines de fabrication et de traitement des combustibles, de l’exploitation des mines, des stériles des gisements, du stockage des déchets et des transports. L’augmentation des stocks de plutonium, et les difficultés rencontrées pour en connaître exactement la quantité posent également problème.
Il faut également tenir compte de l’aggravation due au vieillissement des matériels.
2) Risques externes : certains d’entre eux résultent de phénomènes naturels : sécheresse pouvant poser problème pour le refroidissement, tremblements de terre, inondation, etc… Ces risques ont bien sûr été pris en compte, en fonction des données passées, de l’histoire des sites, assorties de marge de sécurité. Mais des changements dépassant les valeurs prises en compte ne peuvent être totalement exclus.
Il faut également envisager les risques résultant d’une action humaine : chute d’aéronef, action terroriste, guerre, etc… Là encore il ya polémique entre ceux qui pensent que tout à été prévu et que les installations pourront résister et ceux qui pensent le contraire. C’est l’éternelle lutte de la cuirasse et de la lance : on sait construire des enceinte de plus en plus solides et des systèmes de sécurité de plus en plus performants ; mais on invente également des dispositifs de brouillage et d’intrusion de plus en plus élaborés, ainsi que des missiles (sol/sol, sol air et antichar) aux capacités perforantes étonnamment puissantes.
Il y a également un risque de vol de matériaux radioactifs, en particulier de plutonium, qui non seulement peut servir à fabriquer une bombe atomique (ce qui nécessite quand même une technologie élaborée) mais peut aussi, répandu dans l’environnement, provoquer d’énormes dégâts compte tenu de la très forte toxicité du produit.
Quant aux pays disposant de centrales nucléaires, ils peuvent essayer, en échappant aux instances internationales de récupérer le plutonium à des fins militaires.
Problèmes économiques : l’industrie nucléaire est extrêmement onéreuse, mais, pour des raisons essentiellement politique, le prix de l’électricité nucléaire est sous évaluée. Un certain nombre d’éléments ne sont pas pris en compte, ou minimisés. C’est par exemple le cas des coûts : du démantèlement des installations, d’un certain nombre de risques, et de la gestion des déchets. De plus, certaines recherches ont été financées par des budgets militaires, et si des problèmes de santé se posent, ils seront à la charge de la sécurité sociale. Comme les gisements d’uranium situés en France et exploitables au prix du marché sont épuisés, il faut acheter cet uranium à l’étranger. Cela peut induire des surcoûts liés à des modifications de la situation géopolitique.
Problèmes de société : compte tenu de la complexité des opérations, des risques et de leur durée, le nucléaire recourt à une société complexe, très sécurisée et très centralisée, donc présentant une énorme inertie, et incitant à une croissance indéfinie pour rentabiliser les investissements.
Cette inertie interdit tout changement important du type de société, au moment même où la réalité des problèmes écologiques montre qu’il serait souhaitable que la société ait la souplesse nécessaire pour ‘adapter aux impératifs imposés par l’environnement.
Sans préjuger de ce que serait la société idéale, ce qui n’est pas le but de cet article, on peut citer les deux modèles extrêmes de sociétés envisageables parmi tant d’autres :
Entre ces deux extrêmes le nucléaire ne laisse pas le choix, contrairement à tous les systèmes sociaux de type réversible.
Pierre Seignol