On ne saurait trop répéter que les nouvelles dispositions en matière de sécurité, que ce soit à la suite des lois sur le renseignement ou dans le cadre du désormais inamovible état d‘urgence, ont de quoi inquiéter. Mais inquiéter qui ? Certainement pas la majorité de nos députés, qui ont beaucoup déserté les bancs de l’Assemblée nationale au moment de voter la révision de notre constitution. Et ceux qui s’en inquiètent passent apparemment pour des “catastrophistes“ ; au même titre que les lanceurs d’alerte sur le climat… La tendance est à l’escalade ces derniers temps, en visant particulièrement les militants écologistes au moment de la Cop 21. Ces derniers se sont vus catalogués comme des individus dangereux, certains assignés à résidence, sans autre motif que leurs idées.
Tout cela n’a pas suscité de véritable réaction dans les rangs de nos parlementaires, les grands médias en ont fait de brefs entrefilets, vite exprimés, vite oubliés. Ne pas faire de vagues semble la seule ligne à suivre, à tous les niveaux de nos institutions, pourvu que les intérêts des lobbies soient protégés, tout en continuant à manier impunément la langue de bois.
Malgré tout, quelques voix s’élèvent pour s’insurger contre ces mesures liberticides, émanant d’un gouvernement soi-disant socialiste. Ratisser du côté de l’extrême-droite en vue des prochaines élections présidentielles n’est une pratique ni subtile ni récente, le gouvernement précédent l’ayant largement utilisée. Mais ce que Nicolas Sarkozy n’avait pas osé faire, François Hollande, visiblement encore plus décomplexé que son prédécesseur, le met en oeuvre !
Voici deux textes qui ont circulé ces derniers mois et qui expriment la volonté de s’opposer à toutes ces résolutions dignes d’un état totalitaire.
Maryse Villain
Ceci n’est pas le titre d’une nouvelle chanson de Juliette Gréco (Déshabillez-moi…), c’est le début d’une lettre ouverte au ministre de l’intérieur à propos des assignations à résidence édictées après les attentats du 13 novembre.
Monsieur le Ministre de l’Intérieur,
Je demande mon assignation à résidence, dans les meilleurs délais.
Il se trouve en effet que je partage l’essentiel des convictions de nombre de militants écologistes, altermondialistes et autres squatteurs qui ont fait tout récemment, par dizaines, l’objet de cette mesure administrative, dans le cadre de l’état d’urgence mis en place à l’issue des attentats du 13 novembre 2015 :
Je suis l'adversaire déclaré des aventures militaires néo-coloniales actuellement conduites au nom de la France et d'un “droit de légitime défense“ parfaitement nébuleux.
Je trouve abject votre projet d'inscrire dans la Constitution de notre pays la possibilité de déchoir de leur nationalité des binationaux présumés coupables, mesure distinctement inspirée par le Front national auquel, au demeurant, vous prétendez “faire barrage“.
Je trouve odieux que des musulmans fassent l'objet d'une assignation à résidence du simple fait qu'ils tiennent une sandwicherie halal ou fréquentent une mosquée estampillée comme suspecte – ou du simple fait qu'ils sont musulmans ou étiquetés comme tels.
Je me refuse à me désolidariser des réfugiés (aujourd'hui par vous assimilés à des terroristes) avec lesquels je me bats pour qu'ils-elles puissent vivre là où bon leur semble. Je ne renoncerai pas à manifester auprès des collectifs des quartiers populaires qui, de Saint-Denis à Moellenbeek, n'ont pas attendu le 13 novembre 2015 pour vivre en état d'urgence (et, depuis des décennies, pour pleurer leurs morts des suites de « bavures policières »).
Je m'oppose formellement au projet de construction d'un nouvel aéroport dans la région de Nantes et, pour cette raison, me déclare solidaire des Zadistes qui occupent la zone contestée.
Je suis scandalisé-e par le fait que l'enquête concernant la mort de Rémi Fraisse, tué par un gendarme, ait été confiée à la gendarmerie.
Je me suis délibérément abstenu-e de pavoiser au jour dit, ceci au mépris des consignes expressément dispensées aux citoyens par les services de l'Etat.
Je considère que l'état d'urgence rendant possible, dans les conditions expéditives que vous savez, ma propre assignation à résidence (comme celle de tant d'autres) constitue une atteinte caractérisée aux droits des citoyens et aux libertés publiques – à commencer par l'interdiction de manifester. J'y vois l'ébauche d'un régime policier du plus mauvais aloi. Ce simple fait devrait suffire amplement à justifier l'exécution de la mesure susmentionnée.
Je ne doute pas un instant que vos services sauront utilement compléter ce tableau attestant ma dangerosité et rendant nécessaire mon assignation à résidence – ceci que mon nom figure ou non parmi ceux des suspects enregistrés sous la lettre “S“.
Si ces messieurs-dames de la police pouvaient, simplement, lorsqu'ils viendront me notifier cette mesure de salubrité publique, se dispenser de faire voler en éclats ma porte (que je suis tout-e disposé-e à leur ouvrir dès le premier coup de sonnette, à toute heure du jour ou de la nuit) et de dévaster mon logement dans lequel les livres, les ustensiles de cuisine et les kits de jardinage comptent en plus grand nombre que les armes de guerre, je leur (et vous) en vouerais une reconnaissance durable.
Dans l'espoir que ma démarche saura retenir votre attention, je vous prie, Monsieur le Ministre,etc, etc…
Pour voir les signataires :
Un autre titre, cette fois en référence à Serge Gainsbourg, pour dénoncer l’hypocrisie généralisée et bien pensante vis-à-vis de nos diverses interventions militaires : tout ce qui est en train de nous revenir en pleine figure.
vendredi 5 février 2016
Après l’Europe centrale, l’Afrique subsaharienne et le Moyen-Orient, c’est maintenant en Syrie et à nouveau en Irak que la France mène la guerre en attendant d’intervenir en Libye. Il est vrai qu’en cinq cents ans, la France a été engagée 110 fois dans un conflit armé. La France est perpétuellement en guerre. Même si les médias en parlent peu, la guerre continue. Elle tue des civils qui n’ont droit qu’au silence. Car aucune frappe n’est chirurgicale. Les civils tués sous nos bombes valent-ils moins que les civils tués sur notre sol ? La guerre s’annonce infinie, en Syrie, en Irak, en Libye, au Mali et ailleurs où la France continue sa politique post coloniale et impose par les armes une morale des droits de l’homme dont elle juge, unilatéralement, qu’elle est la seule gardienne.
Certains s’indignent de l’état d’urgence sans condamner les interventions françaises. C’est là une bien courte vue limitée au confort des libertés publiques “chez nous“. Mais comment refuser l’état d’urgence et sa constitutionnalisation sans dénoncer la guerre qui les autorise ? Comment accepter cette guerre qui, de coalitions en connivences, de confrontations de forces en réactions en chaîne, étendra fatalement le périmètre des belligérants, en suscitant, ailleurs, d’autres conflits armés ? La guerre exige d’abonder toujours davantage les budgets militaires (soutien des opérations, solde des soldats et des policiers, etc.). Elle conduit conjointement chaque État à faire au moins autant, si ce n’est plus, que les concurrents. La guerre cause et appelle la guerre. Elle avive la surenchère des États qui soutiennent leurs multinationales de l’énergie et de l’armement pour maintenir, réaffirmer, élargir leur domination matérielle (sur les espaces et les ressources) ainsi qu’idéologique et même culturelle (sur des sociétés voulues vassales). La guerre, en France, ne peut se faire qu’au détriment des politiques sociales. La guerre, là-bas, assassine, détruit, ruine et engendre la misère et la haine. Peut-on croire que la détestation d’une France qui bombarde n’aura à terme aucune conséquence en France ? Les performances des Rafales dans les cieux syriens font figure de “Salon du Bourget“ grandeur nature. Les ventes d’armes françaises en seront boostées. Et d’ailleurs, la guerre constitue toujours une magnifique opportunité pour vendre, via des circuits opaques, des armes à tous les belligérants. Mais elle facilite en même temps une dissémination des armes (pillages de dépôts, reventes…) qui, par la suite, servent encore, n’importe qui et n’importe quel motif : du terrorisme au grand banditisme…
La guerre provoque et provoquera davantage de migrations douloureuses. Lesquelles sont utilisées pour justifier aussi bien la généralisation des équipements de surveillance que toutes les formes de racisme qui, à leur tour, minent les relations sociales. Il faut donc être cohérent : dire non à l’état d’urgence, c’est dire non à la guerre. Car la guerre extérieure entraîne quasi automatiquement le renforcement des contrôles à l’intérieur du pays. Et presque toujours, la guerre produit un rassemblement nationaliste autour d’une supposée identité menacée, ce qui légitime toutes les restrictions de liberté. Elle engendre un état d’urgence permanent qui finit par servir de prétexte pour criminaliser toutes les résistances au néolibéralisme, qui, lui-même, se nourrit de la guerre.