Y’avait pas de gants comme maintenant ! Les tailleurs de pierre découpaient des bouts de chambre à air, avec des trous pour les doigts, pour se protéger les mains. Sinon, l’hiver, l’acier des outils te collait aux doigts, à cause du gel. Et quand la massette dérapait, tu emportais un bout de chair ; il fallait cogner très fort ce fichu granit bleu pour qu’un éclat parte, mais en même temps tu appréhendais que ça dérape encore, parce que là, eh bien tu regrettais d’avoir lancé la massette si fort ! Une fois, deux fois, ça cicatrisait jamais, et avec le gel c’était pire, ça saignait tout le temps en travaillant ; les crevasses aussi, ça n’arrêtait pas. Marius Paties se souvient d’une pommade, la “miska“, mais ça ne faisait pas grand chose...
Bien avant l’ère des secouristes et de la sécurité sociale, voilà comment se soignaient les blessures du quotidien chez les Italiens : le tailleur de pierre qui pissait le sang s’éloignait, puis brûlait la blessure avec une cigarette ou même un outil de la forge ; le soir, en rentrant du chantier, le vrai remède consistait à baigner longuement la blessure dans... l’eau des pâtes... résultat garanti !
Compagnie Le Chat perplexe, Cogner le granit, Italiens tailleurs de pierre en Creuse, Les Ardents éditeurs, 2015, 104 pages, 24 €, extrait : pages 18 et 19.