« Allo la Cimade : je n’arrive pas à prendre rendez-vous à la préfecture. » Situation banale d’une personne étrangère qui souhaite demander ou renouveler un titre de séjour et n’arrive pas à obtenir un rendez-vous.
De mémoire d’étrangers et de militants les services des étrangers en préfecture ont toujours été surchargés : files d’attente interminables devant les préfectures, parfois avec enfants, parfois depuis la veille au soir, par tous temps et souvent sans certitude d’être reçu dans la journée. Salles d’attente bondées et bruyantes. Fonctionnaires débordés et pas toujours bien aimables, dont parfois l’affectation dans le service des étrangers est une sanction, ce qui ne contribue ni à la qualité de leur accueil ni à leur efficacité.
Désormais les prises de rendez-vous se font par internet. Mais les services des étrangers sont restés sous-dotés et surchargés. Les files d’attente sont devant les écrans, cela fait moins désordre ! Les salles d’attente sont un peu moins bondées mais à 6 guichets dans la même pièce et 10 minutes par rendez-vous, lequel est annulé au moindre retard, cela fait du monde. Pour prendre un rendez-vous il vaut mieux maîtriser internet et avoir une bonne connaissance de la langue et des subtilités des plateformes numériques. Ce n’est pas si simple quand on parle mal la langue, surtout administrative et écrite, qu’on a bien un téléphone qui envoie des photos mais qu’on ne sait pas se servir d’internet et qu’en plus on n’a pas de messagerie.
Tout d’abord il faut accéder au site, prouver qu’on n’est pas un robot : cocher les morceaux d’éléphants, de feux rouges, de motos dans l’image, sans erreur. Savoir quelle plateforme choisir : renouvellement, première demande, malade, changement de statut : guichet F ou E (c’est quoi ce truc ?) ? Cela change tout le temps. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
Après avoir coché l’acceptation des conditions d’utilisation, bien souvent, on accède à « il n’existe plus de plage horaire libre pour votre demande de rendez-vous. Veuillez recommencer ultérieurement »
Cette réponse se renouvellera sur un temps plus ou moins long, variable selon les préfectures. À Limoges, il faut quelques jours de tentatives pour un renouvellement, beaucoup plus pour une première demande de titre. Dans d’autres départements, en particulier en Île-de-France, il arrive qu’il soit impossible de trouver un rendez-vous. Cela se compte en mois. Compliqué quand il faut renouveler ses droits aux allocations, à la PUMA, ou convaincre un employeur... Il arrive souvent que les personnes perdent ainsi leurs droits. À Limoges, il est prudent de s’y prendre à l’avance car les rendez-vous proposés ne sont pas immédiats : les délais peuvent atteindre deux ou trois mois.
Enfin on accède au site et à une proposition de rendez-vous. Il faut remplir le formulaire sans se tromper, maîtriser un clavier. L’état civil c’est relativement simple mais c’est quoi le numéro étranger ? Et le type de titre demandé ? Que donner comme adresse internet si je n’en ai pas ? Et comment la consulter ? Quand enfin on a réussi à remplir le document, s’affiche : « délai expiré » !! Tout est à refaire...
Quand, enfin on arrive à obtenir un rendez-vous , il faut dénicher le document papier ad hoc à télécharger, imprimé à remplir obligatoirement (donc trouver une imprimante), fournir les pièces demandées (et parfois plus mais ceci est une autre histoire). Pour les étudiants la procédure semble encore plus complexe Dans la majorité des préfectures il n’y a personne pour orienter et conseiller les étrangers. Parfois il existait des personnes en service civique qui pouvaient aider. Depuis le covid il n’y a plus rien. Pour le moment le dépôt des dossiers se fait toujours au cours d’un rendez-vous où est vérifiée la conformité du dossier.
Mais que se passera-t-il le jour où le dépôt sera entièrement dématérialisé ?
Enfin les délais de traitement de dossier vont bien au-delà des limites imposées par la loi (4 mois) et les personnes peuvent passer des mois (en province), voire des années (en région parisienne), sous récépissé quand on leur en délivre un. La loi impose aux administrations de prévoir des solutions alternatives à cette dématérialisation.
Le Conseil d’état a confirmé le 27 novembre 2019 que la dématérialisation des procédures ne peut être imposée, et que des modalités alternatives d’accès au service public doivent toujours être proposées. Ce n’est pas le cas du service étranger de bon nombre de préfectures. C’est pourquoi la Cimade et d’autres associations ont décidé d’attaquer les préfectures en justice afin que, conformément à l’arrêt du Conseil d’État, elles offrent des alternatives à la dématérialisation des prises de rendez-vous et abondent en personnel les services concernés. En Limousin il s’agit des préfectures de la Corrèze et la Haute Vienne.
Dominique Weber