En face du petit village de Truffy (sur la commune de Faux-la-Montagne), une forêt de feuillus diversifiée comptant entre autres des chênes et des hêtres pluricentenaires a été décimée en quelques jours à peine. Les machines, passées à une période de l’hiver tout particulièrement pluvieuse, ont endommagé un milieu vivant situé en zone de protection spéciale Natura 2000, détruisant au passage le lit d’un ruisseau et l’équilibre d’une zone humide, dans l’enceinte du PNR de Millevaches.
Comble de l’absurde, aucune réglementation n’oblige les professionnels à déclarer une telle coupe. Les mairies de Faux-la-Montagne et la Villedieu ont pourtant réagi immédiatement après découverte du saccage, en faisant remonter l’information aux services départementaux. Mais qu’elles ne s’inquiètent guère : le département a assuré que tout a été réalisé dans le respect de la loi.
En effet la réglementation stipule que seules les surfaces supérieures à 4 hectares d’un seul tenant et appartenant à un même propriétaire doivent être déclarées. Mais cette obligation ne correspond pas à la réalité du territoire : ici la plupart des parcelles sont de petites tailles et enclavées les unes dans les autres, ce qui permet de réaliser des ensembles boisés avec différents propriétaires, donc non concernés par la déclaration réglementaire.
L’appel des deux mairies étant resté sans suite, il fallait trouver d’autres lieux de protestation. Ainsi le 17 avril 2021, ce sont plus de cent habitant-es, élu-es, naturalistes et forestier-es qui se sont rassemblé-es, malgré le confinement, pour dénoncer cette nouvelle disparition. L’un des objectifs de ce rassemblement était notamment d’ouvrir la communication entre les différents acteurs de l’industrie du bois. Y avaient donc été convié-es plusieurs forestiers et propriétaires de forêts, ainsi que l’exploitant et l’expert en charge de la parcelle de Truffy, qui ont cependant décliné l’invitation.
Cette coupe rase de feuillus est une nouvelle fois la preuve qu’il existe toujours un fossé terrible entre discours et réalités : malgré l’existence de normes environnementales et un encadrement des coupes rases, la réglementation laisse la porte grande ouverte à des modes de gestion abusifs. Cette dissociation entre les paroles et les actes s’illustre parfaitement par la labellisation PEFC de l’entreprise, supposée assurer à l’acheteur une gestion durable de la forêt !
Ce qui semble se rejouer à taille réelle, avec le cas de Truffy, c’est le débat qui avait déjà eu lieu lors de la réunion publique sur la forêt survenue en février 2020, entre industriels du bois et partisans d’une foresterie alternative1. Si les premiers reconnaissent désormais qu’une évolution de leurs pratiques est nécessaire et qu’elle a même déjà été entamée, les seconds rétorquent que ce changement est encore largement insuffisant et qu’il reste dérisoire face à l’ampleur de l’enjeu climatique et environnemental.
Prendre acte collectivement de la nécessité du changement des pratiques pourrait permettre de pousser ensemble à changer le cadre légal, afin qu’il permette aux forestiers de vivre d’une activité résolument durable. Si nous nous en référons à ce point de concorde, il devrait dès lors être parfaitement convenu de s’indigner devant une exploitation de la forêt telle que réalisée à Truffy, y compris de la part des forestiers, sans qui le changement des pratiques ne pourra s’effectuer.
La banderole érigée sur l’immense tas de grumes « La filière bois / La forêt trinque » déployée à l’occasion du 17 avril, ne dit finalement rien d’autre que ce sur quoi industriels et alternatifs s’accordent : l’exploitation intensive de la forêt doit cesser pour que la forêt continue de vivre pour elle-même ainsi que pour les usages que nous en aurons.
Tristement symbolique, la coupe rase de Truffy est un cas d’école, l’exemple-type d’un mode de gestion forestière appartenant à l’ancien temps, mais qui perdure encore aujourd’hui et auquel il faut dire stop.
Dans un premier temps, l’urgence semble être la préservation des forêts spontanées, mélangées et anciennes de feuillus. Déjà dans une étude de 2012, on constatait à l’échelle régionale une régression de la régénération des forêts, et une diminution de la forêt de feuillus, dévorée par la culture monospécifique de douglas2.
Une revendication forte et significative serait l’interdiction pure et simple de nouvelles coupes rases de feuillus. Ce n’est pas utopique si l’on s’en réfère à la Suisse ou la Slovénie, qui ont tout bonnement interdit les coupes rases3. Reste encore aux préfectures du territoire de prendre leurs responsabilités et de modifier la réglementation en ce sens.
À Truffy, la propriétaire va sûrement être incitée à planter du douglas, comme c’est le cas de neuf arbres replantés sur dix sur le plateau limousin2. Mais elle pourrait laisser la parcelle se régénérer spontanément, ce qui serait le chemin vers une réparation lente et progressive. Il faudra cependant attendre 150 ans au moins avant de retrouver une richesse biologique digne de ce qui a été décimé…
En attendant un engagement un tant soit peu sérieux des institutions, il n’est pas question de rester les bras croisés. La multiplication des initiatives locales, de la création des groupements forestiers ou fonds de dotation qui permettent le rachat collectif de forêts et la progression des alternatives forestières et de la sylviculture douce pour contrer la gestion intensive des forêts, en sont la preuve4.
Au Syndicat de la Montagne limousine, des groupes de travail pensent eux-aussi le rachat de parcelles forestières. Une fois acquises, ces forêts pourraient être les lieux de formations à la sylviculture douce et d’expérimentation d’une gestion respectueuse, afin d’ouvrir plus encore la voie vers les alternatives forestières. Une manière également de montrer par l’exemple aux propriétaires qu’un autre avenir est possible pour leur forêt.
Une autre question posée par le Syndicat est celle des soins à apporter aux anciennes coupes rases : il s’agit avant tout de les sortir de la logique “coupe-plantation”. Ensuite pourront s’élaborer collectivement des usages adaptés à la restauration de chacune : pâturage pour favoriser le réenrichissement des sols, régénération spontanée et réduction des usages, replantation diversifiée pour les besoins en bois…
Le Groupe Forêt du Syndicat de la Montagne limousine