Pour comprendre de quoi il s’agit, laissons la plume à François Christin qui nous raconte la naissance du groupement pastoral du Haut-Thaurion.
“Il était une fois, il y a 20 ans déjà, Guy de Lamberterie, de Peyrat-la-Nonière, maire, élu départemental et régional, militant syndical et associatif actif qui voulait sauver le troupeau de brebis du lycée agricole d’Ahun, troupeau voué à la disparition comme tant d’autres. Guy vient me rencontrer, entre moutons et myrtilles. Il faut trouver un territoire. Il existe, mais comment le mobiliser ? Le porte à porte donne de bons résultats, plus de 20 propriétaires, souvent et surtout forestiers, donnent leur accord : une association foncière est née, selon les règles. Dès lors, avec l’appui de l’administration, dans le cadre associatif, fondé sur les textes régissant le pastoralisme, le groupement pastoral du Haut-Thaurion, sur la commune de Gentioux, peut exister. Il est destiné avant tout aux jeunes éleveurs en quête de terres pour leur installation. Tous les baux sont signés entre les propriétaires et le groupement pastoral (GP). 17 jeunes pourront s’installer ainsi grâce à lui. La réussite dépasse les espérances, le GP devient aussi une structure de réinsertion : une équipe de jeunes répare entre autres les dégâts de la tempête de 1999. Le GP s’ouvre à l’agroforesterie qui vise à l’équilibre vital – sur une même structure – de l’homme, de la forêt, de l’animal, du fourrage. Les adhérents disposent de 500 hectares et de 2000 brebis sans compter vaches et chevaux. Comment ne pas faire la fête ? Ce fut fait, vers le 15 août : c’est la fête du pont romain de Senoueix, la “Pastorale“ rassemblant jeunes et vieux, urbains et ruraux, forestiers et paysans, autour d’un site sympa, c’est à dire ouvert, accueillant, libre et chaleureux, à l’image du plateau.“
Début 2007, l’un des éleveurs du GP, Robert Christin, le fils de François, demande à bénéficier de son droit à la retraite. Le problème, c’est que la retraite d’un agriculteur nécessite qu’il puisse prouver que les terres qu’il exploitait ont bien été libérées et qu’il ne les occupe plus – il a juste le droit de conserver ce qu’on appelle une “surface de subsistance“ de 6 hectares. Rien de plus facile à démontrer pourrait-on penser. Pourtant la Mutualité sociale agricole (MSA) ne le comprend pas de cette oreille. Pour prouver que Robert n’exploite plus ses terres, la MSA a besoin d’établir ce qu’on appelle un “relevé d’exploitation“ et de vérifier que les baux signés entre l’exploitant (Robert) et les propriétaires ont bien été résiliés. C’est méconnaître la réalité juridique du groupement pastoral. Les baux sont en effet signés entre les propriétaires et le GP, association loi 1901, et pas avec Robert. Ce dernier ne peut donc rien résilier... Ce qui ne colle pas avec les fichiers informatiques de la MSA qui semblent ignorer le cas spécifique du pastoralisme (il est vrai que le GP de Gentioux est unique en son genre en Limousin)... De même la demande de retraite a été faite le 31 janvier 2007 sur papier libre. La mutualité l’exige sur un formulaire imprimé ce qui provoque un mois de délai supplémentaire, ce qui nécessitera de batailler pour faire admettre la première date... C’est ce que François Christin appelle “l’évangile du fichier informatisé“ et ce qui provoque sa colère !
“Robert, le berger infatigable souhaite se reposer. Dans le cadre légal du pastoralisme solidaire et durable, le foncier devait passer sans problème à une autre génération... C’était sans compter sur les saigneurs et les sbirettes de la MSA envoyés tout exprès de la citadelle lémovice. Ils s’affairent sur le gibier : le contrôle s’engage, mutualisant surtout l’incompétence, l’incohérence, l’autisme et un égo à nul autre pareil... Le fichier MSA formaté est binaire ; le Code rural impose à la MSA de le compléter, le binaire doit devenir ternaire... Rien d’impossible ! Mais à quoi bon ? Le mouton noir doit disparaître, unique en son genre en Limousin – préfiguration d’une autre société rurale, gênant, il empoisonnerait la vie des informaticiens, détenteurs par définition de la logique, de la vérité, donc du droit ! “
François Christin n’est pas du genre à baisser les bras. Même si au bout de deux ans Robert peut enfin percevoir sa retraite, le père sort sa calculette et additionne : la retraite qu’il aurait dû toucher en 2007 + celle qu’il aurait dû toucher en 2008 + les cotisations qu’il n’aurait pas dû payer durant cette période mais qu’il a néanmoins fallu verser : voilà 16 000 € que le père veut récupérer (il y rajoute, sans illusions, 6000 € d’intérêts de retards et de dommages et intérêts). Pour le principe. Sachant bien que les frais de justice risquent d’être supérieurs à la somme qu’il réclame. Le Tribunal des affaires sociales lui donne tort. La cour d’appel abonde. Ne reste que la Cour de cassation que le vaillant retraité n’hésite pas à saisir !
“Le verdict est là, la sentence tombe. Mais au fait, les baux pourris qui auraient dû impérativement être résiliés, qu’en est-il ? Et bien, ils sont toujours là, en pleine santé, sans problème... Que dire alors devant l’effarante stupidité, devant l’aberration, l’incohérence, l'imbécillité érigée en système ? Le temps passe, Robert le berger a vendu terres et bâtiments pour survivre, la solidarité et l’entraide ont fait le reste. Le “vieux François“, toujours militant a demandé à être incarcéré à Madame la ministre de la Justice pour outrages à magistrats... Et en se quittant, on se demande si les “Tarnaquiens“ pourraient avoir raison un jour. Pas sûr, mais ça risque ! “
Depuis sa maison de Senoueix, fier et résolu, François Christin attend qu’on lui rende justice.
Les textes en italiques sont de François Christin.