Le plateau de Millevaches est très représentatif des différents types de filière bois énergie que l’on peut trouver en Limousin. Il est au cœur d’une dynamique régionale caractérisée par l’émergence de projets de chaudières et de réseaux de chaleur dans les villes se trouvant en bordure et sur le plateau. Des villes comme Bourganeuf, Felletin ou encore Egletons regroupent les plus importantes scieries du Limousin en volume de bois scié dans des zones bois spécialement conçues pour les accueillir, et deux nouveaux réseaux de chaleur sont actuellement en projet à Gentioux et à Royère. Le plateau possède également une réalité administrative avec le PNR. Dans le cadre de la charte forestière actuellement en cours d’élaboration, un groupe de travail bois énergie s’est déjà réuni plusieurs fois pour discuter des enjeux et objectifs du développement de la filière. Au-delà de l’intérêt général, les discussions font apparaître en filigrane les intérêts particuliers de chacun des intervenants (scieurs, exploitants forestiers, agriculteurs, associations, collectivités).
Il n’existe pas une seule filière bois-énergie, mais plusieurs. Elles diffèrent les unes des autres en fonction des types de combustible utilisés le plus souvent, mais aussi en fonction des maîtres d’œuvre à l’origine des projets, de la puissance des chaudières installées, de l’usage de la chaleur, etc. Tous ces éléments conditionnent et expliquent les différents circuits d’approvisionnement des chaudières (c’est-à-dire le parcours du combustible de son lieu de production à son lieu de consommation). Cependant, en Limousin plus de 90% des combustibles utilisés dans les chaudières de moyennes et grosses puissances (de 100 à 70 000 kW) sont des produits connexes de scierie. En effet, la plupart des projets de chaudières automatiques ont émergé car les scieurs et les autres usines de transformation du bois (menuiseries, usines de trituration) possédaient des déchets de bois qui n’avaient pas de débouchés. Ces déchets ont changé de dénomination pour devenir des “produits connexes“. Ils comprennent les écorces, les dosses et les délignures, des chutes diverses, des sciures et des copeaux de bois et peuvent représenter jusqu’à 50% du volume total de bois scié pour une entreprise (ce qui n’est bien évidemment pas le cas pour les usines de la seconde transformation). On parle également de plaquettes de scierie lorsque les chutes de bois ont été broyées. Elles peuvent être blanches ou grises en fonction du taux d’écorce qu’elles contiennent.
Dans la plupart des cas, les entreprises du bois ont investi dans des chaudières soit pour faire fonctionner des séchoirs à bois soit pour chauffer leurs locaux. Le premier cas est illustré par les scieries Ambiance Bois (345 kW- Faux-la-Montagne), Cosylva (3560 kW- Bourganeuf), Gatignol (725 kW - Saint Angel), le second cas par des usines comme Ozoo (2500 kW - la Courtine), Jeld Wen (3400 kW - Ussel) ou encore Parquets Marty (Bourganeuf). Dans le premier cas, les scieries valorisent le bois scié en le séchant à un moindre coût, dans l’autre, il s’agit de réduire la facture de chauffage des grands bâtiments d’usine. C’est également cette ressource connexe qui a favorisé l’émergence de projets de chaudière menés par des établissements, des collectivités ou encore des associations. Sur le plateau, nous retrouvons ce cas de figure à Faux-la-Montagne, avec la scierie Ambiance Bois qui vend des produits connexes à la SCI à notre Guise ainsi qu’à la mairie pour faire fonctionner une chaudière de 100 kW dans le premier cas et de 290 kW dans le second. De même, nous pouvons mentionner de nombreuses chaudières fonctionnant avec des produits connexes à Peyrelevade dans le quartier des HLM, à Ussel (collège Voltaire, maison de retraite, centre hospitalier ou encore le quartier des HLM de la Jaloustre)… Un peu plus loin, à Neuvic le lycée agricole est chauffé avec une chaudière bois fonctionnant avec les produits connexes de scieries locales.
Enfin, nous verrons que les réseaux de chaleur de Felletin, de Bourganeuf et d’Egletons ont vu le jour car ils étaient assurés de disposer d’une ressource en produits connexes importante. La présence d’industries de transformation du bois en bordure de plateau est significative du développement de la filière bois et de sa géographie.
Nous revenons toujours aux fondamentaux : si 50 % de la superficie du plateau est occupée par des forêts, il n’en a pas toujours été ainsi (voir IPNS n°28). Les premières plantations de résineux ont débuté au début du XXème siècle puis se sont accentuées après guerre. Ces politiques de reboisement ont ainsi transformé les paysages du plateau pour en faire un espace forestier de production, et de nombreuses parcelles sont arrivées à maturité. Une filière bois s’est constituée, elle scie chaque année plusieurs milliers de m3 de bois. La filière forêt-bois est le deuxième secteur économique de la région. Pour une large part, la ressource forestière en résineux (épicéa, douglas, mélèze) sur laquelle s’est constituée cette économie provient des forêts du plateau. Il n’est pas étonnant que les plus importantes scieries de résineux du Limousin soient implantées en bordure de ce dernier : Douglas Structure et Seiqueira à Bourganeuf, Creuse Sciage à Felletin, Farges à Egletons, Scieries du Limousin à St Léonard. Cette position géographique traduit une double nécessité : être proche de la ressource bois et disposer de voies de communications régionales pour acheminer les marchandises vers l’extérieur. Le plateau est donc, à l’échelle régionale une unité à part entière, un massif forestier nouveau, encadré par des comptoirs de transformation du bois.
Comme des volumes importants de bois sont sciés, des volumes de produits connexes tout aussi importants sont générés. Ce dernier point explique pourquoi les trois réseaux de chaleur de la région aient été développés à Bourganeuf (3,2 MW), Felletin (15,6 MW) et Egletons (6,4 MW).
Les caractéristiques de l’approvisionnement de ces trois chaufferies sont identiques. Pour s’assurer un approvisionnement de 6 000 tonnes de combustible à l’année, l’exploitant du réseau de chaleur d’Egletons (Idex) travaille avec la Société Lyaudet1. Elle fournit un mélange de plaquettes de scierie (Scierie Piveteau à Egletons) et de plaquettes forestières industrielles. Pour Bourganeuf, l’exploitant Cofely, travaille avec le logisticien BNE (Bois Négoce Energie) qui achète et transporte la ressource chez des scieurs dans un rayon de 20 km autour de la chaufferie (Seiqueira, Tartières, Moreau). Pour Felletin l’exploitant SOCCRAM travaille avec sa propre filiale SCEF et un GIE de scieurs (Groupement d’Intérêt Economique) pour se procurer du combustible bois. Dans ce dernier cas, la chaufferie a été installée juste à côté de Creuse Sciage, une scierie d’importance nationale qui valorise directement ses écorces dans la chaufferie (1/3 environ du combustible est fourni par Creuse Sciage, le reste provient de scieries locales).
Dans le cadre de cette dynamique, on peut également mentionner que 2 des 3 entreprises ayant répondu à l’appel à projet de chaudière cogénération (production de chaleur et d’électricité) lancé par la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) possèdent cette géographie. C’est le cas pour Scieries du Limousin à St Léonard et de la Scierie Farges à Egletons.
Si le développement de la filière bois énergie s’est constitué sur la valorisation des PCS (produits connexes de scierie), aujourd’hui, selon le PNR, 90% du volume produit est déjà valorisé. L’enjeu actuel est donc de développer une filière bois énergie au travers de la plaquette forestière. Le groupe de travail bois énergie de la charte forestière actuellement en cours d’élaboration oriente sa réflexion sur ce sujet. Cependant, derrière cette orientation, une question se pose : De quelles plaquettes forestières parlons-nous ? Car, dans la réalité, les plaquettes forestières sont très diverses et variées, et leur coût peut varier du simple au double selon qu’elles sont produites par des agriculteurs ou par des industriels de la forêt. Deux filières existent sur la vente de ce produit : les agriculteurs qui se sont organisés en CUMA2 pour produire une plaquette forestière bocagère et les exploitants forestiers telles que les coopératives forestières (CFBL, CAFSA, UNYSILVA) qui voient dans le bois énergie un façon de valoriser des billons de bois d’un diamètre allant de 7 à 10 cm et des rémanents.
Pour l’instant, la distinction entre ces deux filières n’est pas très claire. Un exemple : une exploitation agricole (GAEC Broussouloux3 à Peyrelevade) a investi dans un broyeur en propre, elle réalise entre autres des prestations de broyage pour la coopérative forestier CFBL.
Mais à l’avenir, il semblerait que ces deux filières se développeront indépendamment.
Les agriculteurs, regroupés en CUMA continueront à proposer une plaquette forestière s’adressant à des collectivités ou à des établissements possédant une chaudière de moyenne puissance sur le plateau. Et les exploitants forestiers alliés aux exploitants de chaudière développeront une véritable filière industrielle sur la ressource billon mélangée à des produits connexes, avec une commercialisation capable de dépasser les frontières du plateau. Cette filière industrielle aura pour base des plateformes de stockage installées sur les parcs à grumes des grosses scieries déjà mentionnées plus haut. Elles feront appel à des prestataires tel que Lyaudet pour broyer des billons et les mélangeront à des produits connexes pour obtenir un combustible.
Nous pouvons nous demander qui contrôlera la filière bois énergie industrielle. Une position de monopole des sociétés spécialisées dans les services énergétiques pourrait s’avérer problématique pour les propriétaires de la ressource. De plus, il ne faudrait pas que cette filière s’accapare la gestion et l’approvisionnement des chaudières de petites et moyennes puissances qui peuvent avoir un approvisionnement avec un scieur local ou un agriculteur. Le projet de plateforme collective porté par des acteurs du plateau de Millevaches autour des réseaux de chaleur de Gentioux et de Royère pourrait être une véritable démarche territoriale.
Deux visions du plateau se côtoie : un espace de vie pour certains et un espace ressource pour d’autres, à deux échelles bien distinctes, la première locale et l’autre régionale.
Nahoum Champroy