Le choix de cet espace était double : étudier le patrimoine archéologique de la commune dont je suis originaire (Faux-la-Montagne) et contribuer au renouvellement des recherches sur le plateau de Millevaches qui reste encore actuellement mal connu du point de vue de l’archéologie. Ce territoire se trouve au cœur de la cité des Lémovices, peuple gaulois cité à plusieurs reprises par Jules César dans La Guerre des Gaules. Il indique notamment que les Lémovices ont envoyé un contingent de 10 000 hommes pour l’armée de secours à Alésia, attestant une importante population.
Je me suis d’abord attelée à un dépouillement bibliographique le plus exhaustif possible de la documentation existante sur cet espace. Ce dépouillement m’a permis de recenser un total de 134 sites archéologiques. Outre ce travail préliminaire, je me suis intéressée à l’environnement de ma zone d’étude (géologie, relief, climat, palynologie) ainsi qu’aux limites du plateau de Millevaches. L’emprise de ce dernier, qui n’a jamais été définie, fait encore l’objet de débats. Plusieurs tracés ont été et/ou sont actuellement proposés. Je me suis notamment intéressée à ceux proposés par Marius Vazeilles, par le Parc naturel régional, par la DREAL et celui proposé dans l’ouvrage Millevaches en Limousin, architecture du plateau et de ses abords, écrit sous la direction de Paul-Edouard Robinne (ancien conservateur du patrimoine au Service régional de l’archéologie du Limousin) et publié en 1987. Ces limites étant toutes différentes, j’ai décidé d’en proposer une nouvelle basée uniquement sur le relief, à l’image du travail de Marius Vazeilles qui s’était basé sur la courbe de niveau des 800 m d’altitude et les zones hautes du plateau. L’utilisation d’un Système d’Information Géographique (SIG) et du Modèle Numérique de Terrain du Limousin m’ont permis de bien visualiser les différents reliefs de la Montagne limousine et ainsi de dessiner les contours d’un plateau de Millevaches propre à cette étude. Ce plateau, qui s’étend sur les 3 départements de la région Limousin, se compose de 57 communes, parmi elles 33 ont leur territoire entièrement compris dans les limites du plateau, les 24 autres n’en font que partiellement partie.
J’ai également consulté les archives de Marius Vazeilles conservées aux Archives Départementales de la Corrèze. Aucun élément inédit n’est ressortit de ces archives, mais des précisions sur certains sites ont pu être apportées. J’ai également constaté que les écrits de Marius Vazeilles avaient été très bien exploités, tant par lui-même que par les autres érudits et chercheurs ayant travaillé sur cette zone. Une fois le dépouillement bibliographique terminé, j’ai pu me consacrer au travail de terrain : rencontres avec les différents élus locaux et prospections pédestres. Celui-ci se traduit par environ 110 ha prospectés (20 ha de parcelles labourées, 80 ha de prairies et 16 ha de zones boisées). Il a permis de relocaliser 17 sites archéologiques déjà connus et d’en identifier 3 nouveaux.
À la fin de mon travail de recherche, j’ai pu recenser 148 entités archéologiques réparties sur l’ensemble de la zone d’étude. Parmi celles-ci, j’ai dénombré 3 sites protohistoriques, 62 sites antiques, 6 sites médiévaux et 77 sites dont la datation reste indéterminée. On peut constater que les périodes pauvres sont la Protohistoire (3 entités archéologiques) et le haut Moyen Âge (6 entités archéologiques). Ce phénomène s’explique par un manque d’intérêt lié à une conservation des vestiges moins importante que celle des vestiges antiques et donc plus difficile à appréhender. Ce constat est similaire dans l’ensemble des études réalisées sur le Limousin.
La période antique est donc la plus représentée. Elle se caractérise par un nombre important de sites funéraires et de sites d’habitat, avec quelques villae importantes. La quantité de sites antiques m’a incité à tenter de caractériser les lieux d’implantation des sites les mieux documentés. Pour cela, j’ai réalisé plusieurs analyses à l’aide du SIG. Celles-ci m’ont permis d’avoir une idée de la densité d’occupation du sol durant l’Antiquité, de l’ensoleillement, du degré de pente des sites d’implantation, du cours d’eau le plus proche et de leur visibilité. Il s’agit cependant d’analyses théoriques réalisées à partir de données environnementales actuelles. Les résultats ne sont donc pas exacts mais ils permettent d’émettre des hypothèses quant aux choix des lieux d’implantation des sites d’habitat. J’ai ainsi pu constater que la majorité des sites analysés présentaient une bonne exposition, qu’ils étaient installés, non pas sur des zones planes mais des zones relativement pentues (on peut alors supposer que des travaux d’aménagements étaient nécessaires) et qu’un cours d’eau était presque systématiquement à proximité (quelques dizaines à quelques centaines de mètres). La notion de visibilité (voir et être vu de loin) pouvait également être un critère dans le choix de l’emplacement d’un site d’habitat. Les analyses ont également révélé la présence d’un site antique environ tous les 1 à 3 km, preuve d’une densité relativement importante, en tout cas plus élevée que l’on ne pouvait s’y attendre au départ. Ces différents résultats, bien que théoriques, permettent d’appréhender un peu mieux l’environnement des sites d’habitat antique.
Bien qu’elle soit la plus représentée dans mon travail, la période antique conserve une part d’ombre. En effet, la zone étudiée ne comporte absolument aucune voie avérée et les domaines ruraux restent mal connus en ce qui concerne leur pars rustica (partie d’une villa romaine consacrée aux travaux agricoles), leur étendue, leurs activités, leurs productions... Certains sites nous permettent cependant de dire que les propriétaires des lieux faisaient partie de l’élite de la cité. En effet, les structures et le mobilier découvert sur les quatre villae archéologiquement avérées de mon corpus révèlent un certain standing (mosaïque, enduits peints, marbre, céramique fine...). On constate ainsi que le plateau de Millevaches n’était pas un territoire isolé et marginal mais qu’il s’intégrait totalement au sein de la cité des Lémovices.
À l’issue de ce travail, il ressort la nécessité de poursuivre les recherches de terrain, à la fois pour relocaliser et mieux caractériser les sites mais aussi pour mettre au jour de nouvelles occupations afin d’appréhender encore mieux les dynamiques du peuplement notamment pour la Protohistoire et le haut Moyen Age. Les prospections pourraient être guidées par les résultats de l’analyse de la visibilité en menant des recherches au sein des espaces depuis lesquels il est possible de voir plusieurs sites. Des études paléoenvironnementales pourraient également permettre de compléter nos connaissances et d’approcher l’évolution des paysages et la mise en valeur du plateau de Millevaches dans le temps long. Les tourbières, très nombreuses au sein de cet espace, sont un excellent enregistreur de l’évolution des paysages et font du plateau de Millevaches un laboratoire de prédilection pour pouvoir, à l’avenir, croiser les approches afin de comprendre, de manière systémique, le développement de ces territoires. Ces nouvelles recherches permettraient peut-être de répondre aux questions laissées en suspens par une documentation lacunaire : quelles activités artisanales étaient présentes sur le plateau de Millevaches, quelles relations l’habitat rural entretenait-il avec les agglomérations et les voies terrestres.
Gentiane Davigo