On connaît la rengaine : la France serait un État dépensier que la dette publique étouffe. Elle sacrifierait les générations futures en s’adonnant à des politiques sociales dispendieuses et, avec ses prélèvements obligatoires, handicaperait la compétitivité des entreprises, les seules en mesure de créer la richesse, les seules productives. La réduction des dépenses publiques, celle de la sphère de l’intervention publique deviennent dès lors, parallèlement à la baisse des coûts salariaux, l’alpha et l’oméga de la politique gouvernementale. Il y aurait trop de fonctionnaires, trop de services publics, trop de prélèvements sur le capital. L’État social est sommé de rentrer dans l’ère d’une austérité plus radicale. C’est ainsi que le gouvernement Hollande-Valls a pour objectif de réaliser en 4 ans, 65 milliards d’économie et de diminuer le poids des dépenses publiques dans le produit intérieur brut (PIB).
Cette politique en France comme en Europe est déterminée par une seule et même préoccupation : réduire la dépense publique afin d’accroître les prélèvements de la finance sur les richesses produites et ouvrir aux intérêts privés les multiples secteurs de la santé, des retraites, des transports, de l’énergie, de l’éducation, des collectivités locales... Ces secteurs sont délibérément affaiblis alors même que l’évolution de la société engendre des besoins croissants. Les services publics et les fonctions publiques sont ainsi contraints de réduire leur offre ou de recourir à l’emprunt ce qui a pour résultat d’accroître sur eux le poids des prélèvements financiers. Cette politique est mise en œuvre en instrumentalisant la dette publique que l’on utilise comme un prétexte pour saper les fondements mêmes de l’État social. Elle relève d’un choix de société qui vise à structurer sur le long terme une marchandisation accrue de la vie en société. Elle est une allégeance au monde de la finance et de l’entreprise.
On peut en avoir une idée lorsqu’on sait que, parmi les raisons retenues par les directions d’entreprises étrangères pour s’implanter en France, il y a l’existence de services publics. Ils seraient “un catalyseur clé pour la croissance“ (voir encadré). Les services sont indispensables pour les entreprises : salariés formés sans investissement dans le système éducatif ; infrastructures disponibles comme les routes, aéroports, chemins de fer, réseau électrique ; développement de la recherche ; préventions sanitaire, etc. En outre, le secteur privé bénéficie indirectement des dépenses en prestations sociales reversées aux ménages qui, en complétant leur revenu, favorisent ses débouchés. En effet, le secteur public et les fonctionnaires produisent des valeurs d’usage : enseignement, santé, social, culture, sécurité, mais aussi “des valeurs monétaires, de la richesse monétaire“, équivalant aux salaires versés et contribuent aussi au PIB (PIB non marchand). Mais la richesse créée, richesse non marchande puisque les services du public sont essentiellement gratuits, bénéficie aux ménages en augmentant leurs capacités de consommation. Ainsi, non seulement la dépense publique n’est pas antinomique au développement économique du pays, mais elle en est une condition. En 2011, les recettes publiques en France constituent 50,8% du PIB et la croissance est de 1,7%. En Suède, elles sont de l’ordre de 53% du PIB mais la croissance est de 4,2%.
C’est si vrai que, compte-tenu du rôle de la puissance publique en France en matière d’infrastructure et de l’importance de la commande publique (les collectivités locales réalisent 70% des investissements publics), l’affaiblissement, depuis de longues années, de la dépense publique se traduit par du chômage et de la précarité accrus, une dégradation salariale et une régression économique. En 2008, si l’impact social de la crise a été moins fort dans notre pays, c’est parce que nous avions des services publics plus développés qu’ailleurs. Les services publics sont un facteur d’efficacité économique et sociale.
Il y a des pays où la dépense publique n’est pas élevée. Les prestations sociales, les services publics y existent mais leur impact est beaucoup plus limité. La santé, l’enseignement, les retraites relèvent pour une part non négligeable des assurances privées, des fonds de pension. Mais dans ces pays les inégalités sont plus grandes et ce choix plus cher. Les États-Unis, par exemple, dépensent 17% de leur PIB pour la santé contre 13% en France. Mais l’espérance de vie y est plus faible. La comparaison public / privé est loin d’être à l’avantage de ce dernier. Cela tient au poids du secteur public en France et au parasitisme du privé de l’autre. Dans notre pays, bien qu’affaiblis, la protection sociale et les services publics jouent encore un rôle dans le soutien du niveau de vie des moins favorisés de la société et contribuent encore à la réduction des inégalités grâce aux transferts en nature (soins, remboursements, éducation...) ou en argent (retraites, chômage...).
Les services publics sont donc un vecteur d’égalité, raison pour laquelle il convient de mettre un coup d’arrêt à leur privatisation, de s’opposer à la réforme territoriale actuelle qui va élargir les zones de désertification des services publics de proximité, d’en finir avec l’austérité qui, outre les dégâts sociaux, n’améliore aucunement les soldes publics.
Favoriser les investissements au bénéfice des intérêts privés par une politique de l’offre (cadeaux financiers énormes aux entreprises sans contreparties) qui sacrifie la dépense publique, c’est tout bonnement s’interdire de construire une société solidaire et créatrice de richesses partagées avec équité. La preuve est faite : le marché capitaliste ne réalise pas par lui-même leur redistribution. La concurrence détruit de la valeur. La plupart des entreprises ne réinvestissent pas leurs profits pour plus de salaires, la recherche, l’écologie. Avec la question des services publics, on interpelle donc les choix d’une société. Un modèle social de progrès pour tous, les fondamentaux républicains (équité, égalité, neutralité) n’existent pas sans cette colonne vertébrale solidaire qu’ils sont et qu’ils devraient mieux être encore. Les services publics sont le moyen moderne d’agir pour le bien commun. Défendons-les.
Roger Fidani