Les 13 et 14 juin 2015 ont eu lieu à Guéret une manifestation nationale de défense des services publics et un débat citoyen sur le sujet. À cette occasion, Roger Fidani nous propose une défense et illustration des services publics qui passe d’abord par la dénonciation de quelques fausses évidences.
Néo-libéralisme et dépense publique
On connaît la rengaine : la France serait un État dépensier que la dette publique étouffe. Elle sacrifierait les générations futures en s’adonnant à des politiques sociales dispendieuses et, avec ses prélèvements obligatoires, handicaperait la compétitivité des entreprises, les seules en mesure de créer la richesse, les seules productives. La réduction des dépenses publiques, celle de la sphère de l’intervention publique deviennent dès lors, parallèlement à la baisse des coûts salariaux, l’alpha et l’oméga de la politique gouvernementale. Il y aurait trop de fonctionnaires, trop de services publics, trop de prélèvements sur le capital. L’État social est sommé de rentrer dans l’ère d’une austérité plus radicale. C’est ainsi que le gouvernement Hollande-Valls a pour objectif de réaliser en 4 ans, 65 milliards d’économie et de diminuer le poids des dépenses publiques dans le produit intérieur brut (PIB).
“On nous apprend que les entreprises ont une âme, ce qui est bien la nouvelle la plus terrifiante du monde“
Gilles Deleuze
Cette politique en France comme en Europe est déterminée par une seule et même préoccupation : réduire la dépense publique afin d’accroître les prélèvements de la finance sur les richesses produites et ouvrir aux intérêts privés les multiples secteurs de la santé, des retraites, des transports, de l’énergie, de l’éducation, des collectivités locales... Ces secteurs sont délibérément affaiblis alors même que l’évolution de la société engendre des besoins croissants. Les services publics et les fonctions publiques sont ainsi contraints de réduire leur offre ou de recourir à l’emprunt ce qui a pour résultat d’accroître sur eux le poids des prélèvements financiers. Cette politique est mise en œuvre en instrumentalisant la dette publique que l’on utilise comme un prétexte pour saper les fondements mêmes de l’État social. Elle relève d’un choix de société qui vise à structurer sur le long terme une marchandisation accrue de la vie en société. Elle est une allégeance au monde de la finance et de l’entreprise.
L’importance économique des services publics
On peut en avoir une idée lorsqu’on sait que, parmi les raisons retenues par les directions d’entreprises étrangères pour s’implanter en France, il y a l’existence de services publics. Ils seraient “un catalyseur clé pour la croissance“ (voir encadré). Les services sont indispensables pour les entreprises : salariés formés sans investissement dans le système éducatif ; infrastructures disponibles comme les routes, aéroports, chemins de fer, réseau électrique ; développement de la recherche ; préventions sanitaire, etc. En outre, le secteur privé bénéficie indirectement des dépenses en prestations sociales reversées aux ménages qui, en complétant leur revenu, favorisent ses débouchés. En effet, le secteur public et les fonctionnaires produisent des valeurs d’usage : enseignement, santé, social, culture, sécurité, mais aussi “des valeurs monétaires, de la richesse monétaire“, équivalant aux salaires versés et contribuent aussi au PIB (PIB non marchand). Mais la richesse créée, richesse non marchande puisque les services du public sont essentiellement gratuits, bénéficie aux ménages en augmentant leurs capacités de consommation. Ainsi, non seulement la dépense publique n’est pas antinomique au développement économique du pays, mais elle en est une condition. En 2011, les recettes publiques en France constituent 50,8% du PIB et la croissance est de 1,7%. En Suède, elles sont de l’ordre de 53% du PIB mais la croissance est de 4,2%.
C’est si vrai que, compte-tenu du rôle de la puissance publique en France en matière d’infrastructure et de l’importance de la commande publique (les collectivités locales réalisent 70% des investissements publics), l’affaiblissement, depuis de longues années, de la dépense publique se traduit par du chômage et de la précarité accrus, une dégradation salariale et une régression économique. En 2008, si l’impact social de la crise a été moins fort dans notre pays, c’est parce que nous avions des services publics plus développés qu’ailleurs. Les services publics sont un facteur d’efficacité économique et sociale.

Les services publics, facteur d’égalité
Il y a des pays où la dépense publique n’est pas élevée. Les prestations sociales, les services publics y existent mais leur impact est beaucoup plus limité. La santé, l’enseignement, les retraites relèvent pour une part non négligeable des assurances privées, des fonds de pension. Mais dans ces pays les inégalités sont plus grandes et ce choix plus cher. Les États-Unis, par exemple, dépensent 17% de leur PIB pour la santé contre 13% en France. Mais l’espérance de vie y est plus faible. La comparaison public / privé est loin d’être à l’avantage de ce dernier. Cela tient au poids du secteur public en France et au parasitisme du privé de l’autre. Dans notre pays, bien qu’affaiblis, la protection sociale et les services publics jouent encore un rôle dans le soutien du niveau de vie des moins favorisés de la société et contribuent encore à la réduction des inégalités grâce aux transferts en nature (soins, remboursements, éducation...) ou en argent (retraites, chômage...).
Les services publics sont donc un vecteur d’égalité, raison pour laquelle il convient de mettre un coup d’arrêt à leur privatisation, de s’opposer à la réforme territoriale actuelle qui va élargir les zones de désertification des services publics de proximité, d’en finir avec l’austérité qui, outre les dégâts sociaux, n’améliore aucunement les soldes publics.
Les services publics font société
Favoriser les investissements au bénéfice des intérêts privés par une politique de l’offre (cadeaux financiers énormes aux entreprises sans contreparties) qui sacrifie la dépense publique, c’est tout bonnement s’interdire de construire une société solidaire et créatrice de richesses partagées avec équité. La preuve est faite : le marché capitaliste ne réalise pas par lui-même leur redistribution. La concurrence détruit de la valeur. La plupart des entreprises ne réinvestissent pas leurs profits pour plus de salaires, la recherche, l’écologie. Avec la question des services publics, on interpelle donc les choix d’une société. Un modèle social de progrès pour tous, les fondamentaux républicains (équité, égalité, neutralité) n’existent pas sans cette colonne vertébrale solidaire qu’ils sont et qu’ils devraient mieux être encore. Les services publics sont le moyen moderne d’agir pour le bien commun. Défendons-les.
Roger Fidani
- Quand une multinationale souligne l’importance des services publics
“Le secteur public, non seulement représente la moitié du PIB européen, mais de plus il régule l’autre moitié et fournit des services publics essentiels au secteur privé au travers de sa contribution à l’éducation, la formation, la recherche. Pour ces raisons, le secteur public est un catalyseur clé pour la croissance. La croissance économique dépend pour partie de son efficacité.“
Extrait d’un rapport réalisé par les équipes européennes du géant américain Général Electric.
- Dépenses collectives et dépenses sociales
Dans la dépense publique on associe d’un côté les dépenses collectives (administration du pays, défense, justice, police ; infrastructures de transports et dépenses d’intervention économique), et de l’autre côté les dépenses de protection ou de développement social (retraites, santé, allocations familiales, chômage, éducation, logement, RSA...). La France se classe au 10e rang des pays de l’OCDE pour les dépenses collectives et se trouve en tête dans le monde pour les dépenses publiques sociales.
- PIB marchand et PIB non marchand
Le Produit intérieur brut (PIB) contient le produit marchand mais aussi le produit non marchand qui a une évaluation monétaire. Ce dernier est loin d’être négligeable puisque, dans la plupart des pays capitalistes développés, en retenant simplement ses deux composantes principales (éducation et santé dans les hôpitaux publics) il représente autour d’un quart du PIB. Contrairement à une légende tenace, les services rendus dans les domaines non marchands ne sont pas inutiles et parasitaires. Ils ne s’effectuent pas au détriment de l’activité marchande mais sont expressément productifs de valeurs d’usage primordiales pour le bien être humain et pour la cohésion sociale. Toutefois ils ont la caractéristique de ne pas rapporter du profit. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils sont dénigrés et se voient imposer l’austérité.
- Crise de la dépense publique ou crise du capitalisme ?
De 1990 à 2007, en France, le PIB a été multiplié par 2,1 mais la capitalisation boursière par 8,8. Conséquences : si la valeur des titres est multiplié par 6 ou 8, la rémunération des dividendes augmente d’autant. Un prélèvement qui se fait au détriment des ressources dédiées à l’emploi, aux salaires, aux dépenses publiques. Tandis que la crise a commencé à cause du gonflement boursier, on nous fait croire que cette crise du capitalisme n’est qu’une crise de la dépense publique !