Face à l’opposition au centre d’engraissement de Saint-Martial-le-Vieux (voir IPNS n° 48, 49 et 50), la réaction s’est faite entendre du côté de ses défenseurs qui ont organisé une manifestation de soutien au projet le 3 juillet 2015. Si, pour eux, ce projet ne peut être que bénéfique au territoire leur discours n’en reste pas là. Selon la bonne vieille recette qui consiste à décrédibiliser l’adversaire, l’éditorial de l’Union paysanne du 10 juillet 2015, “hebdomadaire d’informations agricoles et rurales“, organe officieux de la FNSEA, ne s’embarrasse guère de nuances. Ceux qui critiquent le projet ne sont que des fainéants qui ne paient pas d’impôts et vivent du RSA, des sectaires, des marginaux ou des bobos. Il faut lire cette prose haineuse (dans laquelle perce aussi, reconnaissons-le, un certain désespoir) :
À vrai dire, ce discours n’est pas très nouveau. Lorsque IPNS sortait en avril 2002 son premier numéro, il consacrait un de ses articles à répondre à un certain Philippe Chazette, président de la section bovine Creuse qui, dans La Creuse agricole et rurale du 28 septembre 2001, était monté à la charge avec le même ton et les mêmes arguments contre les “baba-cools“ et la “pègre citadine“ : “Et dire, écrivait-il, que dans quelques semaines les tribunes électorales verront refleurir tous les plus beaux discours sur l’installation des jeunes et la fameuse occupation harmonieuse du territoire alors que tout semble fait pour laminer nos zones rurales où les vrais agriculteurs courent à la disparition, remplacés déjà dans les têtes de certains par de nouvelles populations où se retrouveront pêle-mêle baba-cools doux rêveurs inoffensifs et surtout improductifs et dans les coins les plus retirés, des
franges de la pègre citadine dont on ne s’étonne même plus qu’en apparence ils ne vivent de rien, le travail étant banni chez ces gens-là.“ Des discours qui fleurent bon la logorrhée du Front national ou celle non moins polluante de quelques tristes sires, y compris “de gauche“, qui ne tolèrent pas que des gens vivent différemment qu’eux. Quant au maire de Limoges, tout aussi fin et subtil, il soutient les promoteurs du projet de Saint-Martial-le-Vieux : “Le fils de paysan que je suis ne peut admettre que les manœuvres politiques de quelques bobos empêchent la survivance du monde rural“ (La Montagne du 5 août 2015).
Pourtant, si le monde rural survit, si même, en certains endroits il connaît un regain de dynamisme, démographique et économique, c’est aussi grâce à des gens qui travaillent eux aussi, qui paient leurs impôts eux aussi, qui animent de nombreuses activités (associatives, productives, culturelles, sociales, économiques...) et qui ne croient pas forcément que le modèle de l’agriculture industrielle ou de l’intégration de la production agricole dans des filières dominées par la grande distribution est la meilleure solution pour peupler des territoires comme les nôtres, les mettre en valeur et leur donner une fonction riche et variée. Malheureusement pour ses défenseurs acharnés et butés de ces modèles, ce ne sont pas seulement les “baba-cools inoffensifs“ ou les “activistes marginaux“ qui le disent. Un ancien ministre de l’agriculture comme Edgar Pisani lui même en est revenu défendant “une agriculture moderne à dimension artisanale“ et des agriculteurs eux-mêmes expérimentent des alternatives qui permettent de conserver une présence sensible dans les territoires – et pas seulement résiduelle. Par ailleurs, il est bon de rappeler que le projet de centre d’engraissement de Saint-Martial-le-Vieux est largement subventionné sur des fonds publics et qu’en la matière, la solidarité – ou l’assistanat, c’est selon le point de vue, mais appliquons dans ce cas le même mot aux deux situations – n’est pas qu’une affaire de RSA...
Michel Lulek