Sylvie a passé son enfance et adolescence à Saint-Étienne, où elle a découvert le théâtre avec Jean Dasté et la Comédie de Saint-Étienne. Ce fut la naissance d'une passion. Montée ensuite à Paris, elle y passe une maîtrise de philosophie, tout en commençant à travailler dans le théâtre, occupant des postes dans différentes compagnies. Claude, de son côté, a développé sa sensibilité artistique pendant ses jeunes années, grâce aux séances de cinéma et spectacles présentés dans le café paternel, à Narbonne. C'est pourquoi – parallèlement à ses études et à son activité professionnelle (éducateur spécialisé), il a suivi une formation théâtrale. Elle lui a permis de rencontrer des comédiens professionnels avec qui il a travaillé. Puis en 1982, Claude rejoint à Paris une école privée créée par une comédienne bulgare où Sylvie suit aussi des cours : L'Atelier Radka Riakova. En 1985, Sylvie et Claude joignent leurs efforts pour créer la compagnie La Chélidoine, sous forme associative.
En 1986, le couple vient pour la première fois en Corrèze, animer un stage de théâtre à Saint-Pantaléon-de-Lapleau, lequel débouchera sur la présentation de Geoffoy Tête Noire, de Jacques Bens. L'année suivante, ils décident avec Roger Ponty, maire de Lapleau, et René Breuil, maire de Saint-Pantaléon, de créer le Festival de la Luzège (ou du Gour Noir). Dans ce cadre, ils montent La mère confidente, de Marivaux, puis créent la même année la Scop La Chélidoine, une structure coopérative leur paraissant mieux adaptée que la forme associative.
Après plusieurs éditions du festival à Lapleau, ils aspirent à trouver un lieu d'implantation pérenne. Sous la forme d'une occasion d'achat, terrain et bâtiments à prix abordables, le hasard à permis que cela se fasse en Corrèze, à Lestrade de Saint-Angel. Après l'achat, c'est l'aménagement des locaux, un lourd chantier. Les collectivités locales soutiennent l'initiative, particulièrement la Région Limousin, alors présidée par Robert Savy. Ce dernier est d'ailleurs venu à Lestrade. Dans la grange, une salle de spectacle de 126 places est créée, et ouvre en 1997.
En 32 ans de présence en Corrèze, la Chélidoine a présenté 61 créations, réuni des milliers de spectateurs, proposé des milliers d'heures de formation théâtrale, encadré plus de 250 projets amateurs, a accueilli plus de 200 spectacles dans son théâtre. Parmi les 31 créations tout public de la compagnie (1986-2016), on peut relever autant d'auteurs classiques (Molière, La Fontaine, Marivaux, Baudelaire, Hugo, Goldoni…) que contemporains (Marcelle Delpastre, Luc de Goustines, Dario Fo, Jacques Bens, Richard Millet, Laurence Biberfeld).
Pour le festival de Sédières (2000-2015), la compagnie a monté 16 opéras qui ont ensuite tourné en France et à l'étranger. Parmi les œuvres présentées, citons certaines des plus célèbres : Cosi fan tutte et L'enlèvement au sérail (de Mozart), La Bohème et La Tosca (de Puccini), Le barbier de Séville (Rossini), Rigoletto (Verdi), La belle Hélène (Offenbach) ou Carmen (Bizet).
Nous garderons un souvenir émerveillé d'une création. C'était en 2009, avec « Ligne de partage », une réalisation festive commandée par le Parc naturel régional de Millevaches, travail auquel avaient collaboré des associations culturelles comme l'Institut d'études occitanes et l'association Pays'Sage. La manifestation – itinérante – a duré 3 jours, avec départ d'Eymoutiers et arrivée à Saint-Georges-Nigremont, après avoir cheminé par Pérols-sur-Vézère, Saint-Merd-les-Oussines, Peyrelevade, Saint-Setiers, Féniers et Magnat-l'Étrange. Avec quatre comédiens professionnels et 65 amateurs, La Chélidoine avait mis en scène le texte de Laurence Biberfeld Le roi du silence. Un texte à suspense dont l'action se déroule sur le Plateau de Millevaches. Outre l'intrigue, l'auteure avait inséré dans son œuvre des tableaux d'histoire locale évoquant les Gaulois, les Gallo-Romains, la Révolution de 1789, la déclaration de guerre d'août 1914, les Espagnols dans les maquis corréziens… La compagnie avait ajouté des performances d'artistes de land'art et des interventions musicales. Ceux qui ont eu la chance de participer à cette déambulation artistique en gardent un souvenir impérissable. Malheureusement, la manifestation n'a pas bénéficié d'un public aussi nombreux qu'elle l'aurait méritée... à cause sans doute d'une communication défaillante.
Tout au long de l'histoire de La Chélidoine, l'activité de formation théâtrale a occupé une place centrale. Elle concerne les ateliers de pratique artistique, en milieu scolaire, de l'école élémentaire à l'université, en passant par collèges et lycées et des interventions auprès de diverses structures : associations, compagnies amateurs, hôpitaux, communautés de communes… avec ou sans montage de spectacle. Parmi les lieux d'intervention récents, on trouve ainsi des EHPAD, l'IUT de Tulle, les cadres d'ASF... L'école de théâtre concerne trois types d'ateliers : enfants, adolescents, adultes. Chacun débouche sur une représentation publique finale. En juin 2018 le parvis de l'abbaye de Saint-Angel accueille le spectacle de l'année : Les Misérables d'après Victor Hugo.
Sans faire de concession sur la qualité des spectacles présentés, La Chélidoine a voulu, et a largement réussi, toucher un public habituellement éloigné du théâtre. Sylvie et Claude définissent ainsi leur éthique : « Nous avons toujours pensé le théâtre populaire comme une utopie nécessaire… contre la paresse de l'esprit, pour l'émancipation de l'individu. Proposer le théâtre comme une fête que l'on célèbre, non pour quelques initiés, mais pour le plus large public. Intéresser celle ou celui qui pense ne pas avoir droit à la culture, parce que sa vie ne lui a pas permis de fréquenter de tels lieux ». Le 30 juin 2018 marquera la fin d'une Scop, peut-être la fin d'un théâtre (nous espérons que non), mais certainement pas la fin du théâtre à la campagne. Le public rural est, nous semble-t-il, de plus en plus demandeur de spectacles culturels et artistiques de qualité. L'activité de La Chélidoine a certainement largement contribué à cet essor.
Jean-François Pressicaud