Au cours de cette réunion, on a senti un effort d'écoute sincère de la part des élus-e-s présent-e-s, et ce, malgré certaines interventions laborieuses… On a eu droit par exemple à une longue litanie sur la déchéance du LMB qui ne présentait que peu d'intérêt en terme de propositions. Il n'y avait tout simplement personne pour animer la réunion, ce qui a laissé toute la place aux longueurs et aux digressions. Le débat aurait peut-être gagné à ce que la parole tourne un peu plus. L'effet de la prise de parole en public doublé du manque d'animation a fini par dessiner une polarisation maladroitement résumée en une opposition entre autochtones et néo-ruraux : en gros celles et ceux qui voudraient des autoroutes et des grands projets contre celles et ceux qui voudraient vivre tranquilles et caché-e-s. À cet endroit, un-e animateur-ice avisé-e aurait pu relativiser la caricature et relancer le débat en des termes plus constructifs… Quelques idées sont pourtant ressorties de cette réunion. Mais surtout, elle a rassemblé des personnes qui ne se croisent probablement jamais, et c'était peut-être là le plus intéressant. Nous manquons incontestablement d'espaces de ce type, pour nous aider à dépasser les cercles affinitaires et créer de la rencontre et du débat.
À Felletin, la municipalité précédente proposait un temps d'échange annuel avec les habitant-e-s, et on regrette qu'il n'existe plus aujourd'hui. Certes on passait beaucoup de temps sur les nuisances de toutes sortes, mais il faut sans doute savoir saisir le politique par où il se présente pour l'accompagner vers des terrains plus consistants. Le chemin est long pour parvenir au budget participatif évoqué parmi les propositions de la comcom. C'est un travail de longue haleine, il ne faut pas renoncer mais au contraire faire preuve de persévérance !
Je suis ressorti de cette réunion partagé entre l'envie que ces temps de débat et d'échange puissent être plus fréquents et le souhait que l'on trouve des formes plus adéquates pour favoriser l'émergence de l'intelligence collective.
Les formes de la démocratie locale dans le Sud Creuse semblent se limiter aux conseils municipaux, au conseil communautaire (qui n'est qu'une reproduction à plus grande échelle des précédents), aux commissions (dont l'ouverture aux habitant-e-s non élu-e-s est encore difficile), et aux réunions publiques (si rares qu'on ne pense même pas à les animer). Malgré tout la Comcom expérimente. La collectivité dédie une page de son site internet à la démocratie participative sous forme de questionnaires dont les résultats sont analysés et restitués. C'est un peu décevant en terme qualitatif mais la participation n'est pas négligeable, en attendant l'émergence d'autres espaces d'expressions. Un conseil de développement (CoDev) est également en cours de création : il s'agit d'un organe non décisionnaire qui devra faire le relais entre l'institution et les habitant-e-s et être force de proposition. Le risque est de produire une structure bureaucratique sans réel pouvoir, où les personnes et les idées s'épuiseraient au fil des réunions… C'est un outil qui se retrouve parfois au service des élu-e-s désireux-ses de canaliser et éteindre les conflictualités locales à moindre frais. Charge aux élu-e-s communautaires de jouer le jeu et de prendre en compte les travaux du CoDev dans leurs décisions. De leur côté, les membres du CoDev auront la tâche difficile d'en faire un espace vivant et organique qui soit capable de proposer de nouvelles formes et de nouveaux lieux de la démocratie.
Des postures et des méthodes existent pour favoriser la participation. Animer des espaces de débat s'apprend, notamment pour produire collectivement des idées et des arguments qui soient de réelles aides à la décision. C'est aussi la garantie de pouvoir mobiliser à nouveau la fois suivante (rien n'est plus démotivant qu'une réunion ratée…) La bonne volonté ne saurait suffire à faire émerger l'intelligence collective, et il est indispensable d'envisager des formations à destination des élu-e-s, technicien-ne-s et autres habitant-e-s pour s'outiller, être capables de jeter des ponts entre les institutions et les initiatives citoyennes, et apprendre à intégrer les processus de participation dans le calendrier de l'action publique.
Il s'agit aussi d'apprendre à composer avec la contradiction, ce qui ne va pas toujours de soi.
Dans les colonnes de ce journal, une responsable associative qui avait travaillé sur un projet avec la comcom regrettait le manque de concertation de la part de la collectivité. Le ton de l'article était juste et très mesuré, mais plutôt que de prendre note de la critique et ouvrir le dialogue en vue de changer les pratiques, les élus concernés en firent un casus belli. L'association dans laquelle travaillait l'auteure de l'article fut menacée de voir les projets avec la collectivité gelés (ce qui advint de fait), et le président de la Comcom de l'époque alla même jusqu'à menacer d'user de son influence pour annuler d'autres subventions ne relevant pourtant pas de la collectivité qu'il servait !
Au delà de la réaction surréaliste qui dénonce une pratique certaine du clientélisme, il est regrettable que les acteurs du territoire ne soient pas systématiquement associés aux projets qui les concernent, et quand ils le sont, qu'ils soient traités en subalternes plutôt qu'en partenaires. Car alors ils s'épuisent dans de stériles rapports de force au lieu de mettre leur énergie au service des projets et du territoire.
À la lumière de cet exemple, on comprend mieux l'anonymat choisi par certain-e-s des rédacteur-rice-s de “Ici les habitants“ qui prennent soin de ne pas compromettre les structures dans lesquelles il-elle-s s'investissent. Il faut ajouter qu'à la même époque, l'élu en question n'avait pas manqué de s'afficher “Charlie“ et de se poser en défenseur de la liberté d'expression. Cela révèle toute la distance qui existe entre le discours et la pratique, et qui engendre un profond dégoût de la politique.
Il se pourrait que la page du paternalisme soit en train de se tourner sur Creuse Grand Sud, mais les vieilles habitudes ont la vie dure, et c'est un long processus qui nous attend pour sortir des schémas hiérarchiques traditionnels. Lors de cette réunion à Felletin, le président actuel de la comcom a formulé le vœu d'impliquer les habitant-e-s pour construire le projet de territoire dans les années à venir. On ne peut que s'en féliciter, et souhaiter que les habitant-e-s soient associé-e-s dès l'amont de la démarche.
Les défis qui se présentent pour les années à venir sont de taille : la métropolisation avec son cortège de fuite de compétences et de ressources, la poursuite du déclin démographique, le recul des services publics, la diminution des dotations de l'État et la mise en concurrence des territoires… Nous avons besoin de toutes les forces vives du territoire pour faire face à ces défis, et seule une transformation réelle de la culture locale du politique peut permettre de mobiliser fructueusement ces forces.
En ces temps de disette budgétaire, voilà d'ailleurs une proposition peu coûteuse pour les collectivités (hormis la formation de personnes ressources et le recours à des compétences professionnelles, dont certaines sont déjà présentes sur le territoire). Un engagement dans ce sens nécessitera une certaine disposition à l'expérimentation et une solide volonté politique. L'investissement devra être conséquent, il se mesurera en temps et en disponibilité.
Olivier Cagnon