Se plonger dans la vie de Jan dau Melhau, c’est se lancer dans plus de cinquante années de résistance. C’est suivre le long parcours de ce fils de paysans limousins, né il y a tout juste 70 ans dans le Limoges ouvrier d’après-guerre, qui a grandi dans le bistrot de sa mère à une époque où, partout dans la ville rouge, grondait la rumeur de la révolte sociale. Un fils de prolos qui, chose rare à l’époque, a “marché“ dans les études et a su accéder à celles que l’on dit “supérieures“. Depuis l’École Nationale Professionnelle devenue le lycée Turgot, où il forgea dès l’adolescence ses convictions anti-techniciennes et écologistes, jusqu’à la maîtrise de philo, où il confirma et défendit ses amours libertaires, en passant par Sciences Po Toulouse où, nageant à contre-courant, à contre-institution, il affûta sa critique de l’ordre établi et son anti-conformisme.
Lire le parcours de Jan dau Melhau, c’est également suivre la vie d’un pacifiste, d’un antimilitariste, marqué très jeune par les ravages de la guerre d’Algérie et dont le procès pour objection de conscience, au début des années 1970, mobilisa beaucoup de Limousins.
C’est aussi revivre mai 1968, à Toulouse puis à Limoges, dans les manifestations durant lesquelles il brandissait, seul, le drapeau noir, au milieu des drapeaux rouges et tricolores…
En 1971, après avoir fait tant d’études, alors que s’ouvrait à lui une carrière universitaire toute tracée, Jan dau Melhau suivit une autre voie, répondit à son déterminisme (et n’est-ce pas là au fond, comme il le dit, la vraie liberté ?) en s’installant à Royer de Meuzac, dans le village de ses grands-parents. Il fit alors ce que l’on appelle aujourd’hui son “retour à la terre“. Pas dans une communauté comme celles qui fleurissaient alors un peu partout dans le sud de la France, mais seul, avec sa compagne de l’époque, fidèle à son individualisme anarchiste. Là, il fit un peu le paysan, comme tous ceux de sa lignée, mais il tomba surtout passionnément amoureux de la civilisation limousine et de sa langue occitane qui, poussée en ses derniers retranchements, mourait déjà à petit feu. Le grand combat de sa vie commença alors. D’abord plus de dix ans au côté de son voisin paysan, le Serge Marot, avec lequel il anima moult bals et fut de tous les festivals occitans de l’époque. Cette époque du Larzac, cette époque de Martí et de Joan-Pau Verdier, celle du revival. Un combat régionaliste très majoritairement communiste et anarchiste, porté par de nombreux militants et un public important (on aurait aujourd’hui peine à croire aux foules que déplaçait alors l’occitanisme). Un combat perdu d’avance, contre un jacobinisme et un centralisme français dévastateurs. La présidence Mitterrand sonnera définitivement le glas de tous ces faux espoirs.
Mais les combats perdus d’avance, ça n’arrête pas un dissident pathologique comme Jan dau Melhau : “Tout est foutu ? Alors on continue !“ Les disques, les livres et les spectacles s’enchaînent, plus qu’on ne pourrait normalement en produire dans une vie d’homme, mais notre homme dort très peu. Les collaborations aussi, avec Michel Chadeuil, Max Eyrolle, Jean-Marie Carlotti, Bernard Comby, Olivier Payrat, Patrick Cazals, Claude Alranq, tant d’autres… Les recherches et concerts sur l’art des trobadors, la création de sa maison d’édition Lo chamin de Sent Jaume, avec laquelle il publiera notamment l’oeuvre intégrale de son amie Marcelle Delpastre.
Toute une vie consacrée à la défense d’une langue et d’une culture moribondes. Jan dau Melhau a fait ce qu’il avait à faire, il a œuvré pour son peuple, pour les siens. On ne parle pas ici d’efficacité ni de rentabilité. On parle de passion, de nécessité, de besoin vital. Aussi d’une vie égayée par de nombreuses amitiés, surtout celles d’artistes comme Noël Nivard, Jean-Marc Siméonin, Jean Estaque, Roland Vincent, Marc Petit…
Jan dau Melhau, ou quand le plus grand pessimisme côtoie l’amour du beau et du savoir-faire, du savoir-dire, du savoir-écrire, du savoir-être, quand le plus grand désespoir se frotte à l’humour et à la persévérance.
J’ai eu le privilège d’approcher de près l’animal, notamment au cours de huit journées d’entretiens, huit journées intenses, pleines de mots et d’idées, comme les milliers de livres qui peuplent sa maison. J’ai voulu restituer dans cet ouvrage l’essentiel de ces échanges si riches, que chacun puisse en profiter...
Baptiste Chrétien
Toutes les semaines je vais à Limoges pour me rendre à la libraria occitana et y travailler. Ma routine routière matinale et nocturne (je rentre souvent tard) fut il y a quelques mois perturbée lors de mon arrivée à Gentioux. En effet il manquait quelque chose à mon décor. Ce n'est qu'à la sortie du bourg que les connections se firent : “Mais oui, bien sur !“, les panneaux de signalisation d'entrée d'agglomération occitans “Genciòus“ avaient disparu... remplacés par des petits panneaux ronds “territoire bio engagé“ .
Ces deux panneaux en langue d'oc avaient été posés en 2002, par l'ancienne équipe municipale, c'est peut-être là leur tort. Une journaliste de La Montagne à qui j'avais parlé de cette disparition interviewe madame la maire de Gentioux-Pigerolles. L'article publié quelques jours plus tard m'apprit les motifs de cette disparition : Gentioux ne serait pas en Occitanie, et le nom en occitan n'aurait pas été bien retranscrit et ne correspond pas à celui inscrit sur la carte de Fayen datant du XVIe siècle.
Gentioux est bien en zone occitane où l'on parle occitan dans sa forme dialectale nord occitane, l'occitan limousin, mais ne fait pas partie de la nouvelle région Occitanie. Ce nouveau nom de région usurpe le nom Occitanie qui recouvre un territoire linguistique beaucoup plus vaste. C'est, en niant l'occitanité de la commune de Gentioux, faire affront à celles et ceux qui parlent encore cette langue (même si ils l'appellent “patois“ et qu'elles et ils ne soient pas bien nombreux). C'est, comme dit mon père, faire affront aux 58 noms gravés sur le célèbre monument aux morts, qui parlaient tous occitan (même si ils savaient déjà le français). C'est aussi remettre en doute le travail de nombreux linguistes (Pierre Desrosier, ancien maire de cette commune et occitaniste convaincu, Yves Lavalade, spécialiste de toponymie, l'IEO Lemosin qui a fait de nombreuses collectes sur ce territoire).
Quand à la fameuse carte de Fayen (Jean Fayen (1530-1616) médecin cartographe réalise la première carte du Limousin en 1594), c'est une carte en français ! Elle est visible sur le site de la bibliothèque numérique de la bibliothèque francophone multimédia de Limoges. Le choix de la graphie occitane (et oui, vous devez le savoir, chaque langue à sa graphie propre, l'occitan n'échappe pas à la règle et pour qui n'est pas habitué à jongler entre les langues, elle peut parfois être déroutante) faite par Yves Lavalade n'est pas fruit du hasard mais bien le résultat de recherches d'attestations anciennes. Pour en savoir plus nous vous conseillons la lecture de l'ouvrage Les noms de lieux du canton de Gentioux d'Yves Lavalade (IEO Lemosin éditions, 2008, page 39).
Gentioux était l'une des deux seules communes de Creuse (l'autre c'est Saint-Marc à Loubaud / Sent Marc a Lobaud) qui avaient posé des panneaux bilingues, affirmant ainsi sur un support pérenne l'identité linguistique de ce territoire (Zut, pas pérenne pour Genciòus !). La commune de Saint-Paul la Roche en Dordogne, affiche sur le même support : un panneau en français, un panneau en occitan, le panneau du PNR Périgord-Limousin et celui de territoire bio engagé, comme quoi, quand on veut on peut. Nous espérons vivement que ces panneaux retrouveront leur place et que l'on n'oubliera pas complètement l'identité culturelle et linguistique de ce pays.
Jean-Marie Caunet