Le décor c'est Oulx et Clavière en Italie puis, si on passe en France, d'abord Montgenèvre et plus bas Briançon, à 4 heures de marche. Montgenèvre, 1800m. Le jour des touristes dévalent ses pistes. Ils donnent leur avis sur Internet : « Le soir c'est très très calme, à vrai dire rien à faire à part les restos » ; «Le voyage entre la France et l'Italie est très agréable. On se sent tout de suite en vacances. » Ça c'est pour le jour. La nuit, des gendarmes y pourchassent des exilé·es. Témoignages.
31 octobre 2018. “J'ai 32 ans. Je suis parti de Clavière avec 8 autres personnes vers 22h30. Au bout de 45 minutes, nous avons été interceptés par la police. On n'a rien vu parce qu'ils nous aveuglaient avec des torches, ils étaient nombreux. Ils s'étaient cachés dans la brousse. Ils ont attrapé quelques personnes et avant que ce soit mon tour j'ai pris la fuite en direction de Clavière. Au bout d'un moment j'ai rencontré d'autres personnes qui venaient et on a décidé de cheminer ensemble. Ils m'ont raconté qu'ils s'étaient fait attraper et que les policiers leur avaient pris tout leur argent : l'un 800 euros, l'autre 300 euros. Les policiers leur ont demandé de ne pas opposer de résistance, sinon qu'on allait les faire retourner en Lybie. Deux jours après, nous sommes arrivés à Briançon. C'était long parce qu'il y avait des gendarmes partout dans la forêt. En Italie j'ai travaillé. Je cueillais des fruits et je coupais du raisin mais je n'ai jamais reçu d'argent. C'est pour ça que je suis parti.“
8 octobre 2018. “Les gendarmes ont crié : si vous ne sortez pas on lâche les chiens. Nous avons eu très peur.“
“Ils nous ont fait déshabiller et vider nos poches.“
“J'ai 19 ans. Il nous a dit que la France ne peut plus accueillir la misère du monde, il nous a demandé de lever les mains (…) Ils ont commencé à crier, à nous insulter et dire des injures racistes. Ils ont sorti les matraques et ont commencé à nous frapper dans le dos et les jambes. Je suis tombé. Heureusement nous avons réussi à nous enfuir à 5 heures vers l'Italie. J'ai encore mal à l'épaule.“
“J'ai 18 ans. Un policier a dit : la France a colonisé le Mali et tu ne parles même pas le français ! Les gens comme vous, vous êtes des poubelles, vous feriez mieux de rentrer chez vous.“
“J'ai 16 ans, je viens de Sierra Leone. Je ne voulais plus rester en Italie, il y a trop de racisme. Je vivais au milieu des bois sans possibilité de m'intégrer. Avec 75 euros on ne peut pas vivre, ça nous force à faire des bêtises. Comme j'étais pêcheur, je connais bien le GPS, je suis parti en éclaireur. Vers 7 heures après 12 heures de marche, nous avons rencontré les gendarmes. (…) Dans le bureau à côté il y avait un Guinéen. Il ne voulait pas donner ses empreintes, la police insistait en disant : « Mais si, tu vas voir, tu vas le faire ». Ensuite j'ai vu que les policiers avaient sorti les bâtons de la ceinture et qu'ils frappaient. Une heure après on nous a embarqué à la frontière et j'ai revu le Guinéen : son visage était tout gonflé.“
“A 23 heures, on est revenu à Clavière, on était fatigué parce qu'on a couru et c'est pas petit. On a croisé des bénévoles. On a mangé du riz, du pain, de l’omelette. On nous a donné des habits chauds, des chaussures. Ca m'a donné de l'espoir.“
“Au refuge en bas on a eu la solidarité des frères exilés, ils prennent aussi soin de nous quand on arrive”.
Avis de touriste sur la station : “Montgenèvre est une station agréable et calme, il y avait peu de monde et le public est vraiment zen.“
Chronique rédigée par des maraudeurs et maraudeuses de la Montagne limousine.