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Parcours de migrants

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Date
vendredi 1 mars 2019 17:11
Numéro de journal
66
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Tant par la particularité de son auteur que par l’aura de ses deux héros, Omar Benlaâla nous offre avec  son dernier livre Tu n’habiteras jamais Paris un témoignage singulier des rudes conditions des travailleurs immigrés en France au XIX° et XX° siècles. En douze courts chapitres qui s’imbriquent dans le récit de la vie de son père, Bouzid Benlaâla, l’auteur retrace la biographie de son second héros, Martin Nadaud, réunissant deux migrants devenus tous deux, à un siècle de distance, maçons parisiens. Si nos lecteurs connaissent sans doute bien l’itinéraire de Martin Nadaud, celui de Bouzir Benlaâla leur est sans doute inconnu. C’est celui-ci que nous vous proposons de découvrir ici à travers quelques extraits du récit de son fils.

 

Omar Benlaâla nous rapporte le récit de la vie de son père, Bouzid Benlaâla, né en kabylie en 1939. Si son grand frère (l’oncle d’Omar) fréquentait l’école coranique, lui ne s’y retrouvait pas. Il n’apprend donc pas à lire et à écrire. À l’âge de huit ans, en 1947, il est embauché comme coursier dans l’épicerie du village créée par son père après plusieurs années de migration saisonnière comme maçon à Paris. À 15 ans, sur un coup de tête il quitte l’échoppe  familiale où il a acquis aisance et une forte qualité relationnelle. Laissons-lui la parole pour la suite...

 

omar benlaala

 

En Kabylie une jeunesse difficile 

“Me voilà en 1954, pris entre deux feux comme tous les autres. Pendant longtemps, j’ai même été incapable de dater les “événements“ d’Algérie. Il s’agissait alors simplement d’être du bon côté de l’Histoire, pas de l’envisager dans sa complexité. Pas idéologue pour un sou, je ne veux tuer personne, encore moins croiser ma victime. Poussé au crime, qui me dit que c’est le bon ennemi que je supprimerai ?  Rejoindre l’armée de libération ? Avec les camarades on a bien essayé, mais où la trouver, cette armée ? Des fantômes. D’eux on entendait tout et son contraire, des ombres en mouvement. Il y avait tant de malheurs des deux côtés que je ne voulais être d’aucun. Et je n’étais pas le seul ! Derrière les hautes palissades, on entendait des cris. D’autres fois, c’étaient des corps mutilés exhibés sur la place publique qui nous rappelaient notre impuissance. Qu’avaient-ils donc fait, ces corps, pour être punis même après la mort ? Finalement l’homme – cet animal – s’habitue à tout. L’indépendance ! Il fallait surtout s’affranchir de la misère, et çà, ce n’était pas affaire de décret.  Pour fêter l’armistice, je m’achète un costume, une chemise blanche et une cravate, puis je monte à Alger. Là, je retrouve mon père. Réfugié dans la banlieue d’Alger, car soupçonné de soutenir les fellaghas, il est recherché. Son conseil ? Retourner au village et y prendre femme. Plutôt crever. Je dois partir, au moins pour un temps goûter à autre chose. Comme tout le monde, la seule algérienne que je désirais alors, c’était la pièce d’identité. Simple comme un coup de tampon : qu’il se marie, et il aura ses papiers ? Le 16  juin 1963, le mariage a eu lieu chez nous. Ta mère et moi nous n’avions pas le même âge, ni la même expérience, et je ne me sentais tout simplement pas prêt. Le mariage n’a rien changé à mes projets. Je suis resté vingt-neuf jours  avec mon épouse avant de prendre le large“.

 

Partir à l’étranger, c’est la France

“C’est la première fois que je prends l’avion. À Paris , je suis certain d’être bien reçu par la famille, et c’est tout ce qui compte. J’ai 23 ans, et déjà quinze de besogne derrière moi. À peine le pied posé chez les cousins, je suis accueilli à bras ouvert, dans une pièce d’une quinzaine de mètres carrés. Ma première réflexion, en observant la pièce : on va être serrés là-dedans. Pourtant il y avait le minimum vital. Avec les cousins, on discutait de la famille ou de l’Algérie indépendante. Entre nous on se chamaillait  peu. Mais dans les bars, au café, la dispute était fréquente. Il y avait trop de ressentiment. Notre émigration puait la haine et la rancune. On polémiquait à en crever. Entre ceux  qui reprochaient à la France de les avoir abandonnés et les déçus de l’Algérie qui laissait ses enfants se vendre à l’ennemi, çà n’en finissait jamais. On était sacrément perdus, mon fils. Alors, on s’est concentré sur ce qu’on savait faire le mieux : travailler. On ne cherchait qu’à mettre de l’argent à gauche pour le retour, à remplir la gamelle et les enveloppes  à envoyer au village. On calculait en mercenaire et pas en sédentaire. Même si je ne me souciais pas beaucoup de l’avenir, une pensée me projetait loin du chantier : ta mère. L’amener en France ? Matériellement impossible. Moralement impensable : à cette époque, c’est une honte, le pire déshonneur. Mais pour moi c’était très clair : construire un foyer ici et là-bas, ce n’était pas possible. Il fallait choisir. “

 

Travail d’arabe

“Les offres d’emploi arrivaient de partout ; il fallait juste tendre l’oreille. Dès quatre heures du matin on partait en banlieue, où les entreprises étaient domiciliées. De là, on nous dirigeait vers le chantier d’accueil. Ma première mission comme couvreur, à Courbevoie, je la dois à un cousin.  Mon premier poste fixe, c’était en 1966, comme égoutier à la Distribution des eaux de la ville de Paris. J’y suis resté quatre ans, en cuissardes, à visiter la capitale à l’envers. Au début on te met manœuvre parce que tu n’as pas de qualification et que tu es prêt à tout faire. Moi j’aime bricoler le bois ; je trouve çà plus propre. Alors je suis devenu boiseur, même si je faisais toujours beaucoup de maçonnerie. Le maçon-boiseur est très recherché. Ma qualification, je la tiens d’une école du bâtiment, dans le quinzième arrondissement, rue saint Lambert, où l’entreprise m’a envoyé à deux reprises, en 1972, pour me perfectionner. Pendant un mois, on nous apprenait la lecture de plans, le traçage. La première fois, celle où j’ai eu mon diplôme, j’ai aimé çà et j’y allais volontiers. La seconde, c’était comme un mois de vacances ; je ne rendais même pas les devoirs. Il y avait de moins en moins de grands chantiers, alors on faisait de la rénovation et moi, je maîtrisais. Puis je suis allé chez Ronteix. J’ai aussi travaillé dans une entreprise de décolletage avant de reprendre dans le bâtiment. C’était le printemps de l’embauche : on changeait d’entreprise comme de chemise, jusqu’à ce que l’hiver économique arrive, et s’installe pour de bon. À  l’entreprise Lefaure et Rigaud je suis resté de 1977 à 1997. Moi qui ai trente-cinq ans de bâtiment, je ne suis jamais devenu chef de chantier. Je crois que j’aurais pu si on m’avait appris, mais on ne nous apprenait qu’à rester à notre place. “

 

Représentant la CGT avec un camarade africain

“Un délégué syndical m’a tellement cassé les pieds que j’ai pris ma carte pour le faire taire ! Une fois inscrit, je me suis dit que ce serait bien de l’écouter en détail ; je pensais qu’il comprendrait  ma situation, mais les conseillers ne sont pas les payeurs : ma première réunion a été catastrophique. Les syndicalistes, des ouvriers qui passaient le plus clair de leur temps à causer. On les regardait avec curiosité, sans beaucoup d’illusions vu qu’on comprenait walou à leur charabia, quand ils voulaient bien s’adresser à nous. Ils ne pouvaient pas passer leur temps à tout nous expliquer. Pourtant, il y avait de quoi se battre : nous les ouvriers étrangers, on était vraiment considérés comme du bétail. On était baladés comme les pions d’un jeu dont on ne saisissait pas toutes les règles. Sans parler de nos conditions de vie à l’extérieur dont les syndicalistes se foutaient pas mal. Ouvrier du bâtiment travaillant sur le site de Boulogne-Billancourt, je me suis sérieusement intéressé au syndicat. J’ai appris un nouveau métier, avec de nouveaux outils : la langue et la critique. Même si j’étais  protégé par la CGT, je marchais sur un fil. “

 

A lire :
Omar Benlaâla,  Tu n’habiteras jamais Paris, Flammarion, 2018.

 

tu n habiteras jamais parisL’auteur

Omar Benlaâla est né à Paris en 1974. Il est le fils d’immigrés kabyles arrivés en France après la guerre d’Algérie. Bon élève, il abandonne cependant sa scolarité en fin de collège sous le prétexte d’un désaccord sur l’orientation qui lui est proposée. Livré à la castagne et à la drogue dans les rues de Ménilmontant, il se retrouve à 18 ans au quartier des jeunes à la prison de Fleury-Mérogis. Quelques mois après sa sortie il entre par hasard à la mosquée d’Omar, régie par une branche islamiste d’Asie du sud-est. Il en ressort transformé en bédouin avec une barbe. Il déambule, allant et prêchant dans les rues de Paris et dans les campagnes françaises. Son père lui dira plus tard : “Pendant que tu prêchais au monde entier, j’avais l’impression que tu disais des choses que tu ne comprenais même pas“. On lui conseille un séjour initiatique en Asie du sud-est. Il parcourt le Pakistan, l’Inde et le Bangladesh à la recherche de chemins spirituels. Il en revient pour s’enfoncer dans la défonce et la drogue. Au terme de ces longues années de vagabondage religieux il trouve un emploi à la Réunion. À son retour il se met à l’écriture et publie deux romans et un récit de vie. Avec Tu n’habiteras jamais Paris, il demande à “celui qui n’a jamais cessé de me tendre la main“ de lui raconter sa vie.

 

Dictionnaire des ouvriers du bâtiment de l'ancien canton de Royère

Josette Moré nous livre un travail de recherche exceptionnel sur la migration saisonnière qui a profondément marqué l'histoire des sept communes de ce petit territoire de la montagne limousine. Sur plus de trois siècles elle nous rapporte que 11 447 hommes âgés de 12 à 60 ans quittaient leurs villages de mars à novembre pour rejoindre  des chantiers partout où ils pouvaient exercer  leurs savoir-faire dans tous les métiers du bâtiment. 

A partir d'une somme considérable de sources d'archives consultées dans toute la France elle a pu établir cette longue liste de travailleurs saisonniers représentant 1099 familles de ce canton. Pour plus de la moitié d'entre eux (55  %) elle est parvenue à identifier leur lieu d'arrivée et leur qualification professionnelle. Et surprise, ce n'est pas vers la région parisienne (32 %) qu'ils se sont dirigés mais la région lyonnaise (68 %).Dans cette abondante documentation elle a rassemblé des actes administratifs et notariés,voire des échanges de courriers concernant quelques unes de ces familles. Cette vision rigoureuse et singulière de la migration saisonnière du canton sera présentée  et accessible le 21 septembre 2019 dans un cahier de l'association Les Maçons de la Creuse. 

Nul doute que des familles vont s'emparer de cet outil et l'enrichir en suivant les traces de leurs ancêtres maçons comme Josette Moré l'a entrepris pour ses ancêtres du village du Picq.
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  • Tu n'habiteras jamais Paris | Omar Benlaâla | Royère | CGT | Paris | syndicat | bâtiment | écrivain | littérature | migrants
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IPNS - 23340 Faux-la-Montagne - ISSN 2110-5758 - contact@journal-ipns.org
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