Trois éléments distinguent le plateau de Millevaches de la moyenne française au cours des six dernières élections législatives (celles du XXIe siècle) :
Ce n’est pas négligeable mais pour autant le Plateau n’a pas échappé aux deux grands phénomènes politiques de ce quart de siècle :
En revanche, ce qui fait la spécificité du Plateau c’est la rapidité et la profondeur de l’effondrement du « centre » après 2017. Il passe de 32 % à 24 % en 2022 (30 % au plan national) et 8 % en 2024 (22 % au plan national). Cet effondrement du centre ne profite pratiquement qu’au RN qui passe de 10 % en 2017 à 29 % en 2024, la gauche ne progressant que de 1,5 point et LR de 2,5 points. Bien que le plus souvent l'explication la plus probable des variations d'électorats soit leur proximité, il est possible que, dans le cas d'espèce, la plus grande part de l'effondrement du vote macroniste soit due à un passage direct de ces électeurs au vote RN, au nom du même « dégagisme » sans réel contenu politico-idéologique.
Le plateau de Millevaches fait partie de trois circonscriptions électorales différentes.
Côté Haute-Vienne, ancrée à gauche « depuis toujours »La partie du plateau située en Haute-Vienne (l’ancien canton d’Eymoutiers) est la seule qui soit constamment et massivement à gauche. À plus de 60 % dès le premier tour et 70 % au second, de 2002 à 2012, elle recule à 46 % en 2017 et sa division et l’effondrement du vote socialiste ne lui permettent pas d’accéder au second tour. En 2022, sans augmenter son score du premier tour, la candidature unique Nupés-LFI lui permet d’obtenir 61 % au second tour. En 2024, la gauche obtient 48 % au premier tour et son candidat NFP-LFI la majorité absolue dans le cadre d’une triangulaire au second.
Côté Corrèze, l’alternance opportunisteLa partie du plateau située en Corrèze (anciens cantons de Bugeat, Eygurande, Meymac, Sornac, Treignac) a la particularité de se référer à deux Présidents de la République. En 2002, elle donne donc 49 % au premier tour et 57 % au second au candidat chiraquien et, en 2012, 59 % dès le premier tour à la candidate hollandiste. L’élection de Macron en 2017 réduit la gauche à 34 % et LR à 20 % au premier tour, et la gauche n’obtient que 43 % au deuxième tour. En 2022, le candidat macroniste ne se qualifie pas pour le second tour et dans le duel traditionnel droite/gauche la gauche ne fait que répéter son médiocre score de 43 %. Ce n’est qu’à la faveur de la triangulaire de 2024 que, avec toujours le même score, Hollande est élu. Ici comme ailleurs, la candidature Hollande, incarnation du social-libéralisme même sous la bannière NFP, n’a guère fait « rentrer au bercail » les anciens électeurs socialistes partis chez Macron en 2017.
Côté Creuse, une gauche faible « depuis toujours »La partie du plateau située en Creuse (anciens cantons de Crocq, de Felletin, de Gentioux, de La Courtine, de Royère-de-Vassivière) est la moins favorable à la gauche aux élections législatives depuis 2002. Elle n’est majoritaire qu’en 2012 à la faveur de l’élection de Hollande à la présidentielle. Elle chute à 30 % en 2017 et, divisée, elle n’est pas présente au second tour. Réunie dans la Nupés en 2022, sa candidate LFI reste à 30 %, mais elle est présente au deuxième tour. Jean Auclair, candidat LR battu au premier tour et député de 1993 à 2012, fait voter pour la candidate Nupès-LFI, comme le montre le vote dans ses bastions. Contre toute attente elle est donc élue. Mais en 2024, la même candidate NFP-LFI n’obtient que 28 % au premier tour et, dans le cadre d’une triangulaire, n’atteint que 31 % et est battue par le RN.
Il faut probablement dépasser le cadre départemental et avoir une vision cartographique du plateau.
À l’ouestSur les 47 communes creusoises du Plateau, seules 11 placent la gauche en tête et parmi elles 7 jouxtent directement ou indirectement la partie du plateau de la Haute-Vienne très à gauche (Faux-la-Montagne, Saint-Martin-Château, Gentioux-Pigerolles, La Villedieu, Saint-Moreil, Saint-Pardoux-Morterolles, Saint-Pierre-Bellevue). On peut y ajouter, côté Corrèze, Peyrelevade, Tarnac, Lacelle, L’Église-aux-bois, Viam, Toy-Viam. Il y a là un bloc de 25 communes regroupant un quart des électeurs du Plateau. Ce bloc votait à plus de 60 % à gauche, toutes tendances confondues, dès le premier tour en 2002, 2007 et 2012. Il chute à 46 % aux législatives de 2017 au profit de LREM. La gauche ne remonte de justesse à la majorité absolue dès le premier tour qu’en 2024. Le FN-RN progresse dans cette zone comme sur l’ensemble du Plateau mais à un rythme inférieur de 3 ou 4 points (soit 8 à 9 points de moins qu’au niveau national).
À l’est La situation est radicalement différente. Les anciens cantons de Crocq et de la Courtine en Creuse et d’Eygurande et d’Ussel-ouest (hors Ussel) en Corrèze regroupent 33 communes et représentent aussi presque un quart des électeurs du Plateau (à noter que deux communes, Magnat-l’Étrange et Beissat, font exception et votent à gauche).C’est un bastion UMP-LR en 2002 et 2007 où il est majoritaire, ou presque, dès le premier tour tandis que la gauche ne dépasse pas 33 %. L’élection de Hollande en 2012 fait reculer LR à 40 % au profit de la gauche. En revanche, l’élection de Macron fait encore reculer LR à 35 % mais aussi la gauche, toutes tendances confondues, à 25 %. Ces pourcentages ne bougent pas aux législatives suivantes (la gauche tombe toutefois à 20 % dans les deux cantons creusois en 2024) tandis que l’effondrement de LREM ne profite qu’au FN-RN qui atteint 32 % en 2024 au premier tour. C’est particulièrement le cas du canton de La Courtine où le RN atteint 34 %. C’est même plus de 40 % dès le premier tour à Basville, La Villetelle, Le Mas d’Artiges, Saint-Martial-le-Vieux et Laroche-près- Feyt.On peut ainsi opposer caricaturalement le canton d’Eymoutiers et celui de La Courtine au premier tour de 2024 : gauche à 48 % contre 19 %, « bloc central » à 23 % contre 45 % et RN à 27 % contre 34 %. Le quart nord-ouest du Plateau s’oppose à la bordure est, dans une forme à peine atténuée. À noter toutefois que, même dans le canton qui accorde le plus fort pourcentage au RN, celui-ci ne fait qu’atteindre la moyenne nationale. Ceci pour les experts médiatiques qui martèlent que la montée du RN s’explique par la ruralité. Notre territoire hyper rural montre a minima que c’est probablement moins simple. À noter également que les experts médiatiques nous martèlent aussi que les électeurs ne respectent pas du tout les consignes de vote des candidats battus ou qui se retirent pour le second tour alors que nous avons un exemple éclatant du contraire en Creuse en 2022 avec Jean Auclair, capable de faire élire, non sans paradoxe, la candidate LFI contre le candidat Ensemble.