La nuit dernière, j’ai fait un rêve étrange… La commune de Nedde avait été rebaptisée « Naphta », du nom de la start-up états-unienne qui l’avait sauvée de la ruine en y installant un centre de recherche dans l’ancien centre de vacances VVF. La direction de la multinationale avait réclamé quelques aménagements à la mairie avant d’y transférer ses activités : notamment la construction d’un parking gigantesque en face du centre, où une cinquantaine de SUV rechargeaient maintenant leurs batteries, attendant patiemment leur propriétaire. Mais aussi l’installation d’un portail à reconnaissance oculaire à l’entrée de l’école communale (le même modèle que celui se trouvant à l’entrée du centre), de caméras de vidéosurveillance algorithmique à chaque coin de rue et, cerise sur le gâteau, d’une gendarmerie flambant neuve en plein coeur du village.
En me baladant dans la rue principale complètement déserte, je remarquai les nombreuses caméras de surveillance dernier cri, plusieurs d’entre elles se retournant à mon approche. Les commerces étaient tous fermés, à l’exception du petit bar, où une Naphtoise « de souche » sirotait un picon bière, l’air hagard. L’église était entièrement recouverte de panneaux voltaïques, comme si on avait voulu la dissimuler aux yeux des passants. Un immense logo NAPHTA brillait en lettres d’or sur sa devanture.J’entendis alors un vrombissement au-dessus de ma tête. Un drone de la gendarmerie stationnait à quelques mètres de moi, sans doute pour me prendre en photo. Accélérant le pas, je découvris un peu plus loin un énorme entrepôt tout noir, en lieu et place du centre de contrôle technique. Un employé fumait une clope à l’entrée en pianotant sur son smartphone. Il leva les yeux et me jeta un regard suspicieux. Voulant m’éloigner au plus vite, je rentrai dans le camping et me dirigeai vers la rivière. Un homme était assis en tailleur au bord de la Vienne. Ses habits étaient en loques et il portait une longue barbe. M’approchant de lui, je reconnus avec stupeur un conseiller municipal.
« Tout ça c’est la faute à Iberdrolaaaaaa ! » me hurla-t-il au visage, l’haleine avinée. « Quand les Espagnols ont fait faillite, la commune a dû démanteler le parc éolien à ses frais, ce qui a fait exploser ses dépenses. On n’avait pas d’autre choix que d’augmenter les impôts locaux et ça a fait fuir quasiment tous les habitants. Les commerces ont fermé et la commune a été mise sous tutelle, quelle honte ! ». Il sanglotait. « Puis les Ricains ont débarqué ! Au début, on les aimait bien, on les admirait même. On a un peu grogné après à cause du chantier de l’entrepôt qui durait jour et nuit, mais soit, c’était bon pour l’emploi qu’on se disait... ». Je lui demandai des précisions : « Ben ouais, on imaginait qu’ils allaient embaucher des gens du coin pour faire tourner leur entrepôt, mais en fait y’a personne là-dedans ! Juste trois ingénieurs qui pilotent des robots… »
Je quittai ensuite mon interlocuteur et me retrouvai dans un jardinet clos. Le jour tombait, on entendait quelques moineaux piailler et une mésange charbonnière zinzinulait au loin. Au fond du jardin, je vis une stèle et m’avançai sur la petite allée de gravier qui serpentait jusqu’à elle. Elle était très sale et j’eus du mal à déchiffrer l’inscription gravée dans la pierre : « Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu ». C’est alors que je me suis réveillé.
PS : Eh Ygor ! Ce n'était qu'un mauvais rêve ! Iberdrola ne viendra pas installer ses éoliennes à Nedde. Amorcé en 2018, ce projet a fait l’objet le 30 mai 2024 d’un arrêté préfectoral de rejet, suite à un avis défavorable de l’armée. Ce dernier est motivé par une gêne pour le fonctionnement du radar d’Audouze situé à 23 km. La mobilisation des habitants contre le projet qui s'est exprimée depuis deux ans n'y est peut-être pas étrangère non plus… Signé : Le Blaireau