En 2018, la préfecture de la Creuse expulsait bien en toute illégalité !
« Dans une société où l’on trouve normal d’être gouvernés par des fonctionnaires, au point que leurs échecs ou leurs fautes n’entraînent pas de conséquences qui soient en proportion, il est logique que ces employés qui sont devenus les maîtres se désintéressent des suites effectives de leurs actes. » - François Sureau, avocat.
Depuis 2014 et l’ouverture des premiers CADA (Centres d’Accueil des Demandeurs d’Asile) et autres centres d’ « accueil » ou d’hébergement d’urgence sur la Montagne limousine, de nombreux habitants se sont mobilisés, dans un premier temps pour accueillir au mieux, en tissant des liens, donnant des cours de français, organisant des occasions de rencontres, puis, rapidement, pour faire face aux problématiques d’hébergement et de survie des personnes « à la rue » car déboutées de leurs demandes d’asile ou tout simplement non prises en charge durant leur parcours de demande d’asile. Ou encore pour les accompagner dans la défense de leurs droits trop souvent bafoués.
C’est ainsi qu’à l’automne 2017, à Faux-la-Montagne, sont arrivés et ont été hébergés par différentes familles plusieurs jeunes Soudanais, demandeurs d’asile sans allocation ni hébergement. Arrivés en France au printemps 2017, ces très jeunes hommes, âgés alors de 19 à 22 ans, ont fui le régime génocidaire du dictateur Omar Al Bachir, ses geôles et ses tortures ainsi que les exactions des milices à sa solde dans le Darfour, leur région d’origine.
Après l’enfer du parcours à-travers la Libye et des situations d’esclavage qu’ils y ont vécues, après l’épreuve terrifiante de la traversée de la Méditerranée, ils sont alors victimes de la machine infernale du règlement européen « de Dublin ». Cet accord de 2013 entre les différents pays européens prévoit que c’est le pays d’entrée en Europe qui est responsable du traitement des demandes d’asile. La géographie étant ce qu’elle est, cela revient à faire porter aux pays du sud de l’Europe, riverains de la Méditerranée (en clair la Grèce, l’Italie, l’Espagne et le Portugal) l’essentiel de la charge de l’accueil pendant que les autres pays regardent ailleurs.
L’obsession de chaque pays étant de ne surtout pas accueillir sur son territoire, s’instaure alors une partie de ping-pong dont les personnes en exil font les frais : la France renvoie ainsi les demandeurs d’asile parvenus sur son territoire vers l’Italie, qui à son tour leur ordonne de quitter son territoire et les renvoie illico vers la France.
Lorsqu’ils arrivent à Faux la Montagne, ces jeunes demandeurs d’asile viennent d’avoir été renvoyés une première fois, par la préfecture de Haute-Vienne, en Italie, qui les a immédiatement chassés vers la France. À leur retour, ils ont pu faire enregistrer une nouvelle demande d’asile mais le droit à l’hébergement et à l’allocation de demandeur d’asile leur a été refusé par l’OFII (Office Français de l’Immigration et de l’Intégration). Et ils sont à la merci d’une deuxième expulsion par la préfecture dont ils dépendent désormais, celle de la Creuse.
Ces mesures, l’expulsion (le langage légal et administratif parle de « transfert » pour mieux masquer la violence des situations) comme le droit à l’hébergement ou à l’allocation, sont encadrées par des lois et règlements, internationaux comme nationaux. Mais les préfectures, ainsi que l’OFII, sont fréquemment hors des clous pour le respect de ces textes, profitant de l’ignorance et de l’isolement des personnes concernées.
Parmi les personnes accueillies, une fait exception : par décision de bon sens, considérant les liens établis depuis le début de son séjour, sa volonté d’intégration, sa participation à la vie locale, son suivi assidu de cours de français et l’engagement d’habitants à lui offrir un contexte favorable, le préfet de Haute-Vienne d’alors, faisant application de la clause discrétionnaire prévue au règlement de « Dublin », lui a, quelques jours avant la date prévue pour son renvoi en Italie, accordé la possibilité de déposer sa demande d’asile en France et d’être pendant ce temps hébergé par des habitants de Faux la Montagne.
Car en effet, les textes n’imposent jamais à la France de renvoyer les demandeurs d’asile et lui donnent toujours la possibilité d’examiner leur demande.
La préfecture de la Creuse aurait été bien inspirée de suivre cet exemple. Cela lui aurait évité une série de condamnations pour illégalité des mesures qu’elle a prises tout au long de l’année 2018. Cela lui aurait évité les fortes mobilisations d’habitants de l’été 2018, le recours désastreux à la violence par les forces de gendarmerie pour défendre des mesures illégales. Cela aurait évité au contribuable les dizaines de milliers d’euros dépensés pour les tentatives de renvoi, le recours disproportionné aux forces de l’ordre, les frais de justice et de condamnation à des dommages et intérêts. Surtout, cela aurait évité d’immenses traumatismes à ces jeunes en pleine reconstruction, ne demandant qu’à s’intégrer à la société dans laquelle ils avaient commencé à construire des liens. Enfin, cela aurait évité de saper auprès des jeunes Français devenus leurs amis le peu de confiance qu’ils pouvaient encore avoir dans les institutions républicaines.
Au lieu de cela, la préfecture de la Creuse a tenté à trois reprises d’expulser chacun de ces jeunes.
La première tentative a eu lieu au mois de février 2018. Sans aucune prise en compte de l’engagement des habitants de Faux-la-Montagne et de leur maire, le préfet ordonnait un premier « transfert » en Italie avec assignation à résidence et pointage régulier à la gendarmerie. Le Tribunal Administratif de Limoges, immédiatement saisi avec l’assistance de Me Toulouse, avocat, prenait alors une décision qui évitera à la préfecture de se fourvoyer plus longtemps et de devoir faire face à une mobilisation citoyenne : par ordonnance du 20 février 2018, il décidait que « le préfet de la Creuse n’a pas, avant d’ordonner le transfert […], procédé à un examen suffisamment circonstancié de la situation […] et a donc commis une erreur de droit ». En conséquence, il annulait les arrêtés préfectoraux et condamnait la préfecture au paiement des frais d’avocat.
Incapable de tirer les leçons de cette première décision, la préfecture a persisté. Arrivée en Creuse au printemps, la nouvelle préfète, Magali Debatte qui, tout au long de son séjour en Creuse s’est acharnée à expulser un maximum de personnes et s’est félicitée de faire « mieux » que les objectifs qui lui étaient assignés par le ministère, a tenté le renvoi d’une deuxième personne, cette fois assorti d’un placement en rétention. Une première convocation en gendarmerie de Royère, accompagnée d’une première mobilisation d’habitants, ne lui a pas permis d’envoyer le jeune en rétention, faute de places disponibles ! Une deuxième convocation en gendarmerie de Felletin deux semaines plus tard, malgré les multiples démarches entreprises entretemps par les habitants de Faux et leur maire auprès de la préfecture, donnait lieu à une forte mobilisation d’habitants tentant de s’opposer au transfert en Centre de Rétention Administrative et aboutissait au gazage général des habitants mobilisés, alors même que, selon l’interprétation de la préfecture, la France allait devenir deux jours plus tard responsable de l’examen de la demande d’asile. Traîné entravé hors de la gendarmerie, frappé par un des gendarmes, le jeune faisait l’objet d’une évacuation rocambolesque et douloureuse vers le CRA du Mesnil Amelot (Cf. IPNS n°65).
La préfète avait alors beau marteler qu’elle appliquait la loi et qu’il était « normal » que le jeune soit renvoyé, elle devait accepter, deux jours plus tard, sa libération par la Police aux Frontières au pied des pistes de Roissy. Et deux semaines plus tard, elle battait piteusement en retraite avant l’audience du 24 juillet 2018 au Tribunal Administratif de Limoges en décidant que l’examen de la demande d’asile relevait désormais de la France !
N’ayant plus lieu à statuer, le Tribunal ne pouvait alors se prononcer sur la légalité des mesures prises. Il l’a fait depuis, par décision du 25 mars 2021 faisant droit à une demande d’indemnisation effectuée par le jeune concerné assisté de son avocat, Me Malabre, en estimant que, dès le 26 mai 2018, la France était devenue responsable de la demande d’asile et que « dès lors, en ne se reconnaissant pas responsable de l’examen de la demande d’asile […] à compter du 26 mai 2018 et, par suite, en prenant le 20 juin 2018 un arrêté prononçant le transfert du requérant aux autorités italiennes, en le convoquant le 9 juillet à la gendarmerie nationale de Felletin en vue de l’exécution de l’arrêté du 20 juin 2018, en ordonnant son placement en rétention […] et, enfin, en le déclarant en fuite, la préfète de la Creuse a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat. »
Ce même tribunal, le même jour, estimait à l’encontre de l’OFII que « alors même que la nouvelle demande d’asile de l’intéressé n’a été enregistrée le 9 novembre 2017 qu’en procédure dite « Dublin » », l’OFII avait « commis une faute en refusant d’accorder les conditions matérielles d’accueil à compter de cette date. » L’OFII était à son tour condamné à verser une indemnité du montant des allocations concernées, complétée par une indemnité au titre du « préjudice moral et des troubles dans ses conditions d’existence ».
N’ayant toujours tiré aucun enseignement, la préfète a tenté deux mois plus tard le renvoi d’une troisième personne, convoquée cette fois à la gendarmerie de Guéret. Même mobilisation de nombreux habitants venus s’opposer au transfert en rétention, même gazage par la gendarmerie, même position intransigeante de la préfète et d’Olivier Maurel, secrétaire général de la préfecture, se sentant obligés de se fendre d’un communiqué de presse comminatoire, indiquant qu’il n’y avait « aucune raison de dispenser ce ressortissant soudanais » de sa « réadmission vers l’Italie » « seule compétente désormais » et qu’un retour sur le territoire après transfert constituait désormais « un délit puni de trois ans d’emprisonnement ». Las, une fois encore, deux jours après son envoi en centre de rétention, la libération était ordonnée par le Juge des Libertés et de la Détention d’Evry et, deux semaines plus tard, le Tribunal Administratif de Limoges jugeait qu’il avait été porté « une atteinte grave et manifestement illégale à son droit, constitutionnellement garanti, de solliciter le statut de réfugié » et enjoignait à la préfète d’enregistrer sa demande d’asile en procédure normale dans un délai de huit jours.
Statuant en référé le 23 septembre 2020, le même tribunal accordait au jeune demandeur d’asile assisté lui aussi de Me Malabre, une provision sur indemnités tant à l’encontre de la Préfecture que de l’OFII.
Puis, le 3 février 2022, il se prononçait sur le fond et rappelait qu’en 2018 « les autorités italiennes, confrontées à un afflux massif et sans précédent de demandeurs d’asile, se trouvaient en grande difficulté pour traiter ces demandes dans des conditions conformes à l’ensemble des garanties exigées par le respect du droit d’asile, situation qui était reconnue et déplorée par ces autorités elles-mêmes » et que dans ces conditions, le jeune demandeur d’asile était « fondé à soutenir qu’en ne procédant pas à l’enregistrement de ses demandes d’asile afin de lui permettre de saisir l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et en décidant son transfert aux autorités italiennes […]sans mettre en œuvre la clause discrétionnaire prévue par l’article 17 précité du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, le préfet de la Creuse a commis une erreur manifeste d’appréciation de sa situation au regard des dispositions de cet article, commettant ainsi une illégalité fautive. Par voie de conséquence, la décision par laquelle le préfet de la Creuse l’a placé en rétention administrative le 17 septembre 2018 est illégale et cette illégalité est fautive et de nature à engager la responsabilité de l’Etat. »
Enfin, et tout récemment, par décision du 13 avril 2022, ce même tribunal décidait que c’était à tort que l’OFII avait refusé d’admettre le jeune demandeur d’asile au bénéfice des CMA (Conditions Matérielles d’Accueil) auxquelles il avait droit dès l’enregistrement de sa demande en mars 2018. Il lui reste encore à se prononcer sur le montant définitif de l’indemnisation due par l’OFII, décision qui devrait intervenir dans les prochains mois. Aucune de ces huit ordonnances du Tribunal Administratif, pourtant réputé pour rendre des décisions particulièrement peu favorables aux personnes exilées qui le saisissent, n’a fait l’objet d’un appel, ni de l’Etat, ni de l’OFII.
Ainsi il s’avère que la « loi », sans cesse invoquée dans ces affaires par la préfecture comme par l’OFII pour justifier des décisions inhumaines, a systématiquement été bafouée alors qu’elle était bien du côté des habitants mobilisés pour la défense des droits et des personnes exilées subissant l’acharnement cruel des représentants de l’Etat.
Depuis, ces personnes accueillies à Faux ont obtenu l’asile. Mais dans le même temps, combien d’autres, qui pouvaient y prétendre tout aussi légitimement, ont été empêchées de le faire, faute de bénéficier de connaissances et d’appuis dans la population et ainsi d’un accompagnement humain et juridique ?
À Peyrat-le-Château la municipalité a toujours été partie prenante du projet de CAO. Les exilés ont ainsi été d’abord hébergés dans les locaux d’un centre de vacances, initialement géré par Adoma « premier opérateur national du logement accompagné », la même structure que celle qui gère le Cada d’Eymoutiers. À l’été 2016, le centre de vacances a retrouvé sa vocation première et les exilés ont dû intégrer un certain nombre de gîtes de la commune. La mairie a pris en charge la gestion du CAO, situation rare, cette mission étant en général confiée à des opérateurs spécialisés, sous le contrôle de l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration) qui oriente les demandeurs d’asile vers les structures d’accueil. L’OFII dépend du ministère de l’Intérieur.En 2020, l’État a fermé les CAO et en a transformé certains en HUDA (Hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile). Les HUDA offrent moins de prestations que les Cada et reçoivent un financement moindre. Outre des demandeurs d’asile, les HUDA hébergent des personnes en procédure Dublin dont certaines sont assignées à résidence. À charge pour les personnels de les accompagner jusqu’à leur expulsion.Les bénévoles des associations locales ont été présents dès le début : cours de français, foot, organisation d’un certain nombre d’activités, transports, rencontres avec les habitants. Un MAS (Montagne accueil solidarité) s’est monté et des liens existent avec la Cimade locale.
En septembre 2022, suite aux déclarations de Macron proposant d’envoyer les demandeurs d’asile à la campagne, le maire de Peyrat déclarait à la presse : « Faire tourner une structure comme ici à Peyrat avec 50 migrants, à une heure de route, au plus proche, de tous les services qui sont nécessaires pour faire tourner le centre : la santé, les documents administratifs, les transports à Bordeaux, les transports à Limoges, c’est très compliqué. » Il estimait que les prix de journée très bas ne tenaient pas compte de ces réalités. En revanche, il affirmait que la présence d’exilés à Peyrat ne posait aucun problème. La mairie a également signalé que les gîtes occupés, prévus initialement pour une occupation intermittente d’été, étaient actuellement en mauvais état après plusieurs années d’occupation permanente.Le bruit d’une fermeture de l’Huda a alors circulé. En fait, c’est la mairie qui se retire de la gestion. La préfecture a donc publié le 26 octobre 2022 un appel à projet pour reprendre la gestion à hauteur de 50 places (hommes isolés) en organisant l’accueil dans d’autres locaux sur la commune, à priori un immeuble actuellement vide nécessitant quelques travaux qui appartient à l’ODHAC. Deux organismes auraient répondu et l’attribution du marché ne devrait pas tarder. Les salariés garderaient leur travail et le déménagement se ferait dans les six premiers mois de 2023.Nous continuerons donc à recueillir les stoppeurs sur les routes de Peyrat et de Limoges.
Abraham, patriarche des religions juive, chrétienne et musulmane, a eu un fils Ismaël avec sa servante égyptienne Agar avant que sa femme Sarah donne naissance à leur fils Isaac. Pour ne pas partager l’héritage d’Isaac, Sarah lui a demandé de bannir Agar et Ismaël. Ceux-ci partiront dans le désert mais Dieu promet à Agar que son fils sera à l’origine d’une grande nation. Certaines sources considèrent Ismaël comme un des pères de l’islam….*
Le bannissement est une décision prise par une autorité religieuse ou administrative qui exclut une personne de la communauté, éventuellement du pays, la privant de tous ses droits et biens, interdisant parfois aux autres membres de la communauté de lui prêter assistance. C’est une mise à mort sociale. C’est aussi une mesure d’infamie : une flétrissure imprimée à l'honneur, à la réputation.
Joséphine a été déboutée de sa demande d’asile. Violée régulièrement en prison, elle en a des séquelles. Elle n’a plus de contact au pays: son compagnon et ses enfants ont disparu. Elle présente un syndrome post traumatique attesté par sa psychiatre mais sa demande de titre de séjour a été rejetée. Depuis que les médecins de l’OFII (sous tutelle du ministère de l’intérieur) évaluent l’état de santé des personnes demandant un titre de séjour pour soins, le taux d’avis favorables s’est effondré tout particulièrement pour les pathologies psychiques. Outre une OQTF (obligation de quitter le territoire) Joséphine a reçu une IRTF (interdiction de retour sur le territoire français) de deux ans. Depuis plusieurs années qu’elle est ici, elle n’a commis aucun délit, hormis exister. Pour elle le retour est inenvisageable.
Admet vient d’avoir 18 ans. Déboutés, ses parents attendent la réponse à leur demande de titre de séjour pour soins. Admet, scolarisé, apprécié de ses professeurs a reçu une OQTF avec IRTF de 2 ans. Même chose pour Jean et Christine dont le titre de séjour pour soins n’a pas été renouvelé, pour Catherine déboutée, en terminale, bonne élève demandeuse d’un titre de séjour étudiant. Etc. etc…
L’IRTF ne prend effet qu’à partir du moment où les personnes ont quitté le territoire et elle est valable sur tout l’espace Schengen. Sa durée varie de 1 à 3 ans et peut être prolongée en cas de maintien sur le territoire. Si les personnes ne partent pas, cela exclut toute possibilité de régularisation même en cas de changement de situation qui ouvrirait des droits au séjour. Alors qu’avec une OQTF cette éventualité était possible au bout d’un certain temps.
La nouvelle loi a considérablement élargi le champ d’application de l’ IRTF qui n’était qu’exceptionnelle auparavant. Les déboutés du droit d’asile la reçoivent systématiquement (sans hésiter à séparer les familles), sauf s’ils ont fait une demande de titre de séjour (sans garantie d’obtention). Certains préfets zélés réussissent à ce que l’IRTF soit notifiée aux déboutés avant qu’ils reçoivent le courrier de la CNDA les informant du rejet de leur demande ! l’IRTF est émise en cas de refus de premier titre de séjour, de refus de renouvellement, si les personnes n’ont pas obtempéré à une OQTF ancienne et en cas d’entrée irrégulière sur le territoire.
Si les personnes partent, qui peut croire qu’à l’issue de cette interdiction, elles pourront revenir légalement, vu, dans de nombreux pays, les difficultés à obtenir un visa.
Qui osera déposer une demande de titre de séjour en préfecture, sachant qu’en cas de refus elle se verra automatiquement mise au ban de la société, sans réel espoir de recours ? Des dizaines de milliers de personnes, si elles décident malgré tout de poursuivre leur vie en France se retrouveront condamnées à vivre dans la clandestinité. Cette mesure, que seul le préfet pourra décider de manière tout à fait discrétionnaire d’abroger ou non, est un formidable outil pour briser des vies, les rendant illégales à jamais.
Bannis à l’extérieur, bannis de l’intérieur.
*Il s’agit là d’une référence “historique“ et non religieuse, en tant qu’illustration de l’ancienneté du phénomène dans nos sociétés périméditerranéennes.
Le CADA de Peyrelevade a ouvert ses portes en 2015 à l’initiative de son maire. L’enthousiasme était au rendez-vous, mais très vite des difficultés ont émergé entre les différents acteurs administratifs et associatifs sur les politiques d’accueil et de suivi à long terme des personnes accueillies. Dans le même temps, des habitants des villages alentours et certaines associations se sont engagés dans l’accueil. Le MAS (Montagne accueil solidarité) et la Cimade de Peyrelevade se sont affirmés dans leur mission de suivre les déboutés du droit d’asile et le réseau associatif local a hébergé d’anciens résidents du CADA dans différents villages du Plateau. Des échanges avec la mairie de Peyrelevade et les gérants du CADA ont été initiés, soit par des résidents du CADA, soit par des bénévoles associatifs, sans succès, pour trouver des solutions aux problématiques soulevées par les résidents (manque de transports ou absence de connexion internet par exemple), tant et si bien que les clivages entre les parties en présence n’ont fait que s’accentuer.
Le 10 Juillet 2019, une lettre des résidents, reprenant des demandes essentielles (plus d’équipement dans les cuisines, le wifi et la mise en place de transports), signée par l’ensemble des résidents (moins une personne), a été adressée à Forum Réfugiés qui gère le CADA, ainsi qu’en copie à la mairie. Une démarche qui a été très mal interprétée par le personnel du CADA. Le MAS et le Syndicat de la Montagne limousine ont eu vent de ce courrier et il en découla des échanges difficiles avec la mairie et la direction de Forum Réfugiés mais sans que le nœud du problème, qui reste la situation que vivent les résidents du CADA, ne soit traité. Si la tension est retombée ensuite, la situation n’a cessé de se dégrader, ce qui n’a pas facilité la tâche à la nouvelle directrice arrivée à cette période. Heureusement, le premier confinement s’est passé sans trop de problèmes. Sauf que cet été, le personnel du CADA, face à une invasion prononcée de cafards, a pris l’initiative de rentrer dans les espaces privés des résidents, en leur absence, pour retirer sans sommation meubles et appareils achetés par leurs propres moyens... pour justement pallier le déficit occasionné par la non prise en compte de leurs demandes. Comme le dit un ancien résident, cela a été « une énième humiliation », si l’on considère les propos désobligeants et intimidants tenus par certains membres du personnel à l’endroit des résidents.
Une deuxième lettre des résidents a été rédigée le 10 novembre 2020 comprenant 12 points pour l’amélioration des conditions de vie dans le centre. Suite à cette lettre, un contact téléphonique et un courrier de Forum Réfugiés démontraient un manque de volonté évident, y compris de reconnaître la situation réelle et de faire ne serait-ce qu’un pas dans le sens des revendications des résidents. Un courrier spécifique a été par ailleurs envoyé aux services de la Préfecture (DDCSPP) et à L’Agence régionale de santé (ARS) afin de signaler la situation alarmante des conditions de vie dans ce centre. Un appel à manifester devant le CADA a été lancé et a mobilisé une centaine de personnes le 21 novembre. Les prises de parole se sont succédées sans se concentrer sur les vrais problèmes. Le plus triste est que les concernés se sont enfermés dans leurs chambres par peur de représailles, même si quelques-uns ont brandi à travers leurs fenêtres des cartons reprenant leurs demandes. Le samedi 28 novembre, une commission de travail entre des membres du groupe exilés du Syndicat de la Montagne limousine, la mairie de Peyrelevade (et prochainement avec la direction de Forum Réfugiés) s’est réunie une première fois afin de tenter une ultime approche pragmatique. Cette commission devrait se réunir régulièrement afin de voir aboutir les demandes des résidents.
“Ce qu'ils font est juste“ (ils mettent la solidarité et l'hospitalité à l'honneur) Editions Don Quichotte, 2017. Une vingtaine de nouvelles, quelques poésies, et même une courte BD d'Enki Bilal. Même si aucun de ces textes n'évoque le plateau, beaucoup de gens ici sont concernés, militants ou simples citoyens. Ceux qui s'intéressent aux migrants, réfugiés, demandeurs d'asile, qu'on peut croiser un peu partout dans nos coins, de Peyrat à Meymac, en passant par Eymoutiers ou Peyrelevade. Il s'agit de dénoncer le tristement célèbre article L 622, qui date de 1938 et permet de condamner, en les mettant dans le même sac, les filières de passeurs et les simples citoyens œuvrant à un accueil digne et de simple humanité.
Cet ouvrage a été présenté durant l'été à la Libraire “Passe-temps“ d'Eymoutiers, à l'initiative d'un des 28 auteurs, écrivain militant (ou l'inverse) Serge Quadruppani, que nous allons évoquer plus bas. Dans cet ouvrage, on trouve de petites histoires qui tournent autour du même pot, dont certaines sont de vrais bijoux. Celle que je préfère utilise un humour décalé : on y parle de la tente qui se déplie en une seconde, mais qu'il faut deux heures pour replier. Tente qui peut amener en taule celui qui en a fait don à un migrant. Surtout celui qui invente une tente plus pratique : “par votre invention vous favorisez leur séjour, vous le rendez plus facile, presqu'agréable... Vous sabotez le travail de la police...
Avant, le temps qu'ils replient leurs tentes, on pouvait les appréhender“. Mais le plus hilarant nous semble “Machin-Chose“ : au fin fond des Corbières, un couple recueille involontairement un migrant … et un ours. Les gendarmes ne réussissant pas à embarquer le premier, emmènent l'ours. Qui sera condamné à un lourde peine de travaux forcés au cirque Gavarnie. Le tout est à lire avec une bonne dose d'auto-dérision.
Pour les étrangers, l’état d’urgence puis le confinement et la fermeture des administrations ont gélifié toutes les démarches en cours avec le prolongement des divers récépissés. Excepté les demandes d’asile, dont les enregistrements ont repris pendant le confinement.
La situation aux frontières et dans les hotspots est catastrophique. Les personnes meurent à nos frontières, noyées ou sous les balles. Les hotspots surpeuplés, manquant de points d’eau et de produits d’hygiène, fermés aux associations, tentent bien que mal d’éviter la contamination.
Une grande partie des personnes enfermées en rétention ne pouvaient plus être expulsées, mais il a fallu des recours aux tribunaux pour les faire libérer. Cependant, il n’a pas été possible de faire fermer tous les centres où des personnes ont continué à être enfermées dans des conditions d’hygiène défectueuses, avec des contaminations à la clef. Des révoltes ont éclaté et ont été réprimées dans certains centres. Comme en prison, les visites sont interdites et les associations n’ont pu intervenir que par téléphone.
Sur la Montagne limousine, les personnes migrantes sont hébergées et leur confinement s’est passé de la même façon que pour les autochtones. Les distributions alimentaires un temps interrompues ont pu reprendre rapidement.
À Limoges, les personnes hébergées au squat (après informations sanitaires des médecins sympathisants et mise à l’abri des plus vulnérables) ont décliné lors d’une réunion (60 personnes dans la cour avec respect des distances sanitaires !) l’invitation de la préfecture d’un hébergement temporaire, ne souhaitant pas revivre les multiples transferts d’un hébergement à l’autre dans des conditions pas forcément correctes au plan sanitaire. Ils ont réclamé des papiers afin de vivre dans les mêmes conditions que les français. Après la mise à la rue par l’ASE d’un jeune isolé en cours d’évaluation, il a fallu faire appel à la Cour européenne des droits de l’homme pour qu’il soit hébergé.
C’est finalement la préfecture qui a assuré l’hébergement ainsi que celui d’autres jeunes dans la même situation. Dans les métropoles, les choses ont parfois été dramatiques. Les chiffres du 93, où vit une population pauvre et mal logée, sont éloquents : la pauvreté, les logements surpeuplés, les mauvaises conditions de santé sont un facteur de contamination et de gravité important. C’est le cas de nombreux étrangers. L’arrêt de l’économie, des missions d’intérim, du travail au noir ont fait plonger une grande partie de ces personnes dans le manque et parfois la faim. Ceux qui ont pu travailler l’ont fait dans des situations à risque. Les sans-papiers se sont retrouvés dans les pires conditions.
C’est à partir de ces constats que quelques pays ont décidé de procéder à des régularisations pour des raisons sanitaires, les personnes précaires étant plus à risque. De plus, la fermeture des frontières empêche les personnes non seulement de sortir mais aussi d’entrer, ce qui est le cas pour de nombreux saisonniers étrangers dont le manque se fait sentir. Un préfet a même proposé d’envoyer des demandeurs d’asile et des réfugies aux champs !
Un important mouvement regroupant associations, certains élus, une centaine de parlementaires, des villes refuges, et de nombreuses personnes a interpellé le gouvernement afin de procéder à la régularisation des sans-papiers.
Il nous appartient que ces régularisations se fassent de façon pérenne et dans le respect de l’égalité et de l’accès aux droits.
Scène insolite à la caisse d’une grande surface. Fathia, demandeuse d’asile, paye avec sa carte de paiement les 40,03 € de courses de monsieur Dupont : une bouteille de whisky, deux tranches de jambon bio, un pain aux céréales et deux yaourts bio – pas vraiment ce que consomme une maman musulmane isolée avec deux enfants ! À la caisse voisine c’est Mamadou, célibataire, lui aussi demandeur d’asile, qui se propose pour régler les courses de madame Dubois : des couches et des petits pots. Une fois leurs achats payés, monsieur Dupont et madame Dubois remboursent en espèces Fathia et Mamadou.
Cette scène est une version bricolée du cash back (rendre de l’argent liquide). Cette pratique, légale depuis août 2018, permet de payer par carte dans un magasin un objet au-delà de son prix et de se faire remettre la différence en espèces. Les décrets parus en décembre 2018 fixent le montant minimum d’achat à 1 €, et le maximum d’espèces rendues à 59 €. Pour Bercy, « cette méthode a pour objectif de faciliter l’accès au retrait dans les zones où les distributeurs sont moins présents ». Remplacer les distributeurs bancaires par les commerçants ? On remarque le faible montant des espèces disponibles, s’agirait-il de limiter les transactions en liquide ? De favoriser les transactions dématérialisées et de contrôler ce que tout un chacun achète ?
L’Allocation pour demandeurs d’asile (ADA) est versée sur un compte. « À partir du 5 novembre 2019, la carte de retrait de l’ADA devient une carte de paiement. À compter de cette même date, la carte ne permet plus d’effectuer des retraits d’argent. Le nombre de transactions mensuelles n’est pas limité : la carte est donc utilisable autant de fois que le demandeur d’asile le souhaite, sous réserve que la somme disponible sur la carte soit suffisante. La carte est créditée au début de chaque mois, du montant de l’allocation à laquelle le demandeur d’asile a droit. Cette carte de paiement est utilisable uniquement en France, auprès de tous les commerçants disposant d’un terminal de paiement électronique.
Elle n’est pas utilisable en mode “sans contact”. Elle ne permet pas les paiements sur Internet et le demandeur d’asile ne peut pas demander le remboursement d’un achat sur la carte »2, ni la mise en place de prélèvements. Cette modification a été adoptée contre l’avis des associations et des organismes gestionnaires des lieux d’hébergement. Les motifs avancés par l’OFII seraient les suivants : cette carte coûterait moins cher que la carte de retrait et cela éviterait les trafics3 (?). En clair, il n’est plus possible au demandeur d’asile de disposer d’espèces sauf en utilisant le système de cash back, système de plus très limitatif au regard des sommes disponibles. Mais comment faire pour payer les quelques euros demandés par le secours populaire, faire ses courses au marché ? Comment vivre sans accès à de l’argent liquide ?
Casino mettrait en place un système de cash back, mais les caissières du Casino d’Eymoutiers n’ont jamais entendu ce mot ! En réalité, cela ne concernait que les caisses automatiques. Dans la région, le seul qui l’a tenté est à Limoges mais il a très vite arrêté l’expérience car il était débordé par les demandes. Ce jour, à notre connaissance, seule la cafétéria du CHU le pratiquerait. Le secours populaire s’est quant à lui équipé d’un terminal… Dans nos campagnes et provinces, le cash back est inconnu, d’où le bricolage décrit au début de cet article.
Éviter les trafics ? Il y a de forts risques d’assister rapidement au développement d’un système de prélèvement sur les sommes remboursées ! Hélas, ce ne sera ni le premier, ni le dernier trafic subi par les migrants suite aux multiples tracasseries et maltraitances de l’administration française.
La population étrangère est bien souvent une population test pour l’État. En ces temps de moralisation et de contrôle des classes dangereuses (les pauvres), est-il irréaliste d’envisager que des mesures similaires se mettent en place pour les bénéficiaires de diverses allocations, ce qui permettrait de contrôler l’utilisation de l’argent perçu ? Cela préfigure-t-il la disparition des distributeurs et la limitation de la circulation de l’argent liquide dans nos campagnes ?
L’empereur Claude II voulait interdire le mariage pour éviter que les hommes restent avec leurs fiancées plutôt que de partir à la guerre. Le moine Valentin de Terni continua de marier des couples. Il fut alors emprisonné. Julia, la fille aveugle de son geôlier, et Valentin tombèrent amoureux et miracle : Julia retrouva la vue ! Claude II qui n’aimait pas les chrétiens condamna Valentin à mort. En 494 le pape Gélase Ier le déclara martyr et fixa sa fête au 14 février...
Marie et Adama s’aiment et se sont mariés ; Adama n’a pas de titre de séjour et est entré sans visa en France, mais le maire qui les connaît bien les a mariés sans problème.
Tout heureux, les nouveaux mariés se précipitent à la préfecture demander un titre de séjour pour Adama. Manque de pot il faut passer par internet. Après moult connections pour trouver une plage horaire libre, ils obtiennent enfin un rendez-vous pour dans trois mois. Ils remettent leur dossier au guichet. Au bout de quatre mois, Adama reçoit une obligation de quitter le territoire. Et c’est à ce moment qu’ils apprennent qu’une personne étrangère entrée illégalement sur le territoire français ne peut pas être régularisée en tant que conjoint de Français. Seule solution : retourner dans son pays d’origine et y demander un visa long séjour.
Théoriquement les conjoints de Français l’obtiennent de plein droit mais dans les faits certains consulats sont très soupçonneux ou très négligents et la séparation peut durer plusieurs années avant que le visa soit délivré. Et pendant ce temps, il faut prouver le maintien des liens entre époux... Certains couples vont jusqu’à enregistrer leurs rendez-vous Skype ! Quant à celles et ceux qui ne peuvent pas retourner dans leur pays parce que leur vie y est en danger mais qui n’ont pas le statut de réfugié, leur situation est inextricable...
Les conjoints étrangers de Français sont suspects de mariage blanc En cas de doute le maire peut signaler les suspects au procureur qui peut interdire ou annuler le mariage. On a vu des fêtes annulées. Les postulants doivent prouver la réalité de leur lien amoureux puis la permanence de leur vie commune. La police peut venir inspecter le domicile et le linge afin de vérifier si le mariage est bien consommé. Il peut y avoir convocation à la police pour des interrogatoires extrêmement intrusifs. Pas question donc de faire lit à part même si monsieur ronfle comme un sonneur. Il faut absolument vivre sous le même toit. Pas question donc que monsieur travaille à Marseille et madame à Lille. À chaque renouvellement, le conjoint français doit se présenter lui aussi en préfecture. La rupture de la vie commune entraîne le non-renouvellement du titre de séjour.
Dans l’hypothèse où Adama serait entré avec un visa (à condition qu’il ait pu en obtenir un, car dans bien des pays les consulats ne les délivrent qu’au compte-goutte : gare au projet migratoire !) il aurait fallu de toute façon attendre 6 mois après le mariage pour demander un titre de séjour. Cela signifie rester en situation irrégulière, à la merci d’une interpellation et d’un arrêté d’expulsion. L’expulsion reste possible pendant 3 ans après le mariage.
La suspicion vis-à-vis des personnes étrangères est devenue une règle qui se traduit par une remise en cause systématique des motifs qui donnent droit au séjour. Les personnes étrangères seraient des fraudeuses jusqu’à ce qu’elles prouvent le contraire. Sur cette base l’administration s’autorise une forte immixtion dans la vie des personnes, tout en imposant un mode de vie très normatif.
Réfugiés ou régularisés, ils ont obtenu des papiers. A partir de ce moment ils existent. Voici quelque unes de leurs histoires.
B, originaire de RDC était couturière au pays. On connaît ces couturiers africains qui ont le don de vous confectionner une tenue en quelques heures. Seule avec ses 5 enfants, déboutée de sa demande d’asile, elle a pu obtenir un titre de séjour. Avant même de recevoir la réponse à cette demande, elle était repérée par un fabricant de costumes opérant sur Limoges et qui fabrique entre autres des costumes pour Disneyland. Les compétences de B sont parfaitement adaptées à ce domaine particulier et son employeur l’a aidée pour un logement.
A avait trouvé une embauche dans une pépinière mais la préfète de la Creuse a refusé un titre de séjour. L’expérience a fini par tourner court. Cependant cette entreprise a toujours besoin de main d’œuvre, c’est finalement W, réfugié soudanais, qui y travaille.
Dès son titre obtenu, C, congolais, dentiste de formation, débouté, travaille dans la restauration rapide (les équivalences de diplôme sont complexes à obtenir). Aux dernières nouvelles il avait le projet de reprendre ses études.
Mr H refugié, vit à Broussas, cherche à faire venir sa nombreuse famille d’Afghanistan et travaille dans un garage du plateau
Les personnes que nous connaissons et qui munies de leur titre de séjour sont parties à Limoges ont trouvé du travail au pire dans des entreprises d’insertion qui les accompagnent pour accéder à des formations qualifiantes.
À Eymoutiers le service d’aide aux personnes âgées cherche toujours du monde et ne demande qu’à faire travailler des personnes pourvu qu’elles aient des papiers. De même que l’EPADH, l’usine de charpente recrute. Le foyer médicalisé de Gentioux cherche des remplaçants toute l’année.
Les facteurs limitants semblent être la maîtrise de la langue, l'aptitude à se créer un réseau relationnel, les capacités de déplacement, la question des jeunes femmes seules avec enfants (non spécifique des migrantes mais l’absence d’aides rend la situation parfois critique), enfin, la précarité des titres de séjour : qui va embaucher une personne détentrice d’un titre de 6 mois sans garantie de renouvellement ?
Il s’agit souvent d’emplois peu qualifiés, mal payés, usants physiquement. Parfois bien en deça des qualifications initiales des personnes (un ingénieur embauché comme homme de peine par une mairie, une institutrice travaillant comme aide de cuisine. La population concernée est le plus souvent jeune et en bonne forme physique mais que va-t-il advenir à terme ? Il n’empêche, ces emplois sont vacants et les migrants sont pour le moment satisfaits de les occuper.
Le 16.07.18 Jacques Chanut, président de la Fédération Française du Bâtiment (FFB) veut proposer 15 000 contrats de travail à des jeunes et demandeurs d’emploi issus des quartiers prioritaires. Il propose aussi d’y ajouter l’intégration de plusieurs centaines de migrants, pour autant qu’ils soient en situation administrative régulière ou en voie de régularisation. Invité à présenter ces mesures sur un certain nombre de radios et notamment chez RMC, ces propositions ont suscité des réactions violentes. Les réactions des auditeurs sélectionnés par l’animateur ont été globalement négatives, voire franchement critiques, pour ne pas dire à la limite de la xénophobie. Pour le journaliste de BATIWEB peu suspect de gauchisme, “il est navrant de constater que des radios de grande écoute colportent ou laissent colporter des propos consternants, du niveau des discussions de comptoir de bistrot. Toutes les études sérieuses montrent que l’immigration est une chance pour l’Europe, dont la population est vieillissante. Et la proposition de la FFB reste quantitativement modeste, à un moment où les entreprises du BTP peinent à recruter, malgré les 423 000 chômeurs inscrits à Pôle Emploi dans les catégories bâtiment. Les vagues successives d’immigration qui ont touché la France (en provenance d’Italie, du Maghreb ou du Portugal …) ont été une opportunité pour la construction.“
Cette prise de position est à mettre en perspective avec une des propositions du plan particulier pour la Creuse : “mettre en place à Felletin, dans le cadre de l’appel à projet national lancé par la ministre du travail, un accueil et des formations, notamment aux métiers du bâtiment, pour 100 réfugiés statutaires par an“. Contrairement à la proposition de la FFB, seuls les réfugiés statutaires seraient concernés.
Discours divergent donc entre le patronat (sachant que les migrants récents ont “vocation“ à occuper les emplois les plus durs et mal payés) et l’État mais qui vient confirmer que la politique restrictive migratoire actuelle mise en œuvre avec zèle par les préfectures répond à des objectfs avant tout politiques et non pas économiques.
« Allo la Cimade : je n’arrive pas à prendre rendez-vous à la préfecture. » Situation banale d’une personne étrangère qui souhaite demander ou renouveler un titre de séjour et n’arrive pas à obtenir un rendez-vous.
De mémoire d’étrangers et de militants les services des étrangers en préfecture ont toujours été surchargés : files d’attente interminables devant les préfectures, parfois avec enfants, parfois depuis la veille au soir, par tous temps et souvent sans certitude d’être reçu dans la journée. Salles d’attente bondées et bruyantes. Fonctionnaires débordés et pas toujours bien aimables, dont parfois l’affectation dans le service des étrangers est une sanction, ce qui ne contribue ni à la qualité de leur accueil ni à leur efficacité.
Désormais les prises de rendez-vous se font par internet. Mais les services des étrangers sont restés sous-dotés et surchargés. Les files d’attente sont devant les écrans, cela fait moins désordre ! Les salles d’attente sont un peu moins bondées mais à 6 guichets dans la même pièce et 10 minutes par rendez-vous, lequel est annulé au moindre retard, cela fait du monde. Pour prendre un rendez-vous il vaut mieux maîtriser internet et avoir une bonne connaissance de la langue et des subtilités des plateformes numériques. Ce n’est pas si simple quand on parle mal la langue, surtout administrative et écrite, qu’on a bien un téléphone qui envoie des photos mais qu’on ne sait pas se servir d’internet et qu’en plus on n’a pas de messagerie.
Tout d’abord il faut accéder au site, prouver qu’on n’est pas un robot : cocher les morceaux d’éléphants, de feux rouges, de motos dans l’image, sans erreur. Savoir quelle plateforme choisir : renouvellement, première demande, malade, changement de statut : guichet F ou E (c’est quoi ce truc ?) ? Cela change tout le temps. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
Après avoir coché l’acceptation des conditions d’utilisation, bien souvent, on accède à « il n’existe plus de plage horaire libre pour votre demande de rendez-vous. Veuillez recommencer ultérieurement »
Cette réponse se renouvellera sur un temps plus ou moins long, variable selon les préfectures. À Limoges, il faut quelques jours de tentatives pour un renouvellement, beaucoup plus pour une première demande de titre. Dans d’autres départements, en particulier en Île-de-France, il arrive qu’il soit impossible de trouver un rendez-vous. Cela se compte en mois. Compliqué quand il faut renouveler ses droits aux allocations, à la PUMA, ou convaincre un employeur... Il arrive souvent que les personnes perdent ainsi leurs droits. À Limoges, il est prudent de s’y prendre à l’avance car les rendez-vous proposés ne sont pas immédiats : les délais peuvent atteindre deux ou trois mois.
Enfin on accède au site et à une proposition de rendez-vous. Il faut remplir le formulaire sans se tromper, maîtriser un clavier. L’état civil c’est relativement simple mais c’est quoi le numéro étranger ? Et le type de titre demandé ? Que donner comme adresse internet si je n’en ai pas ? Et comment la consulter ? Quand enfin on a réussi à remplir le document, s’affiche : « délai expiré » !! Tout est à refaire...
Quand, enfin on arrive à obtenir un rendez-vous , il faut dénicher le document papier ad hoc à télécharger, imprimé à remplir obligatoirement (donc trouver une imprimante), fournir les pièces demandées (et parfois plus mais ceci est une autre histoire). Pour les étudiants la procédure semble encore plus complexe Dans la majorité des préfectures il n’y a personne pour orienter et conseiller les étrangers. Parfois il existait des personnes en service civique qui pouvaient aider. Depuis le covid il n’y a plus rien. Pour le moment le dépôt des dossiers se fait toujours au cours d’un rendez-vous où est vérifiée la conformité du dossier.
Mais que se passera-t-il le jour où le dépôt sera entièrement dématérialisé ?
Enfin les délais de traitement de dossier vont bien au-delà des limites imposées par la loi (4 mois) et les personnes peuvent passer des mois (en province), voire des années (en région parisienne), sous récépissé quand on leur en délivre un. La loi impose aux administrations de prévoir des solutions alternatives à cette dématérialisation.
Le Conseil d’état a confirmé le 27 novembre 2019 que la dématérialisation des procédures ne peut être imposée, et que des modalités alternatives d’accès au service public doivent toujours être proposées. Ce n’est pas le cas du service étranger de bon nombre de préfectures. C’est pourquoi la Cimade et d’autres associations ont décidé d’attaquer les préfectures en justice afin que, conformément à l’arrêt du Conseil d’État, elles offrent des alternatives à la dématérialisation des prises de rendez-vous et abondent en personnel les services concernés. En Limousin il s’agit des préfectures de la Corrèze et la Haute Vienne.
Voici le portait de quelques-unes.
Tania, ukrainienne aisée, polyglotte militante pro-européenne a été enlevée, torturée par les milices russes du Donbas. Elle y a tout perdu, sa maison et son entreprise. Partie seule avec ses deux enfants via un passeur, elle a vécu dans la rue avant d’obtenir l’asile. Maîtresse femme elle a réussi à faire sortir de l’enfer du Donbas ses parents et sa sœur. Aujourd’hui elle travaille dans une administration française.
Ces femmes ont fui les États balkaniques en proie aux mafia: Enkala prostituée par son propre mari a obtenu l’asile de justesse. Mais Adélina, dont le mari a été condamné à perpétuité et qui cherche à protéger son fils de la vengeance des victimes, et Balisha qui a fui un mari hyper violent ont été déboutées. Elles ont obtenu un titre de séjour après plusieurs années en situation irrégulière et beaucoup de précarité, d’exploitation. Leurs enfants excellent au lycée. D’origine musulmane, leur pratique religieuse est similaire à celle de la majorité des catholiques de notre pays.
Claude, Marinette, Josette, Alice, Martine viennent de la république démocratique du Congo et ont qui un mari, qui un père disparu et opposant au régime de Kabila. Certaines ont été battues, emprisonnées, violées par la police et l’armée. Avec leurs enfants, elles sont venues avec des passeports d’emprunt et parfois le soutien des organisations d’opposants. Toutes ont été déboutées. Marinette en dépit d’une grave dépression n’a pas obtenu de titre de séjour et est sous le coup d’une interdiction de territoire. À ce jour nous sommes sans nouvelles d’elle. Les autres ont fini par obtenir des titres de séjour et travaillent mais seule avec plusieurs enfants ce n’est pas facile. Aucune n’a retrouvé ses maris et pères.
Maryam chrétienne Érythréenne a été violée à 15 ans par les soldats. Pour cacher sa honte elle a fui au Soudan où elle a été domestique. Après la Turquie, la Grèce, au bout de 7 ans elle a rejoint Calais. Elle a obtenu l’asile.
Son mari emprisonné par le gouvernement guinéen, ses petites filles en risque d’excision, son aînée menacée de mariage forcé, Kadidja a rejoint la France avec ses 4 enfants. Elle a bagarré pour que tout le monde aie l’asile. Aujourd’hui son ainée est en faculté.
Aminata, ivoirienne, menacée de mariage forcé, et Karima guinéenne ont fait le voyage via la Syrie. Elles ont connu les prisons et les viols, ont traversé la mer sur les bateaux de la mort. Aminata a accouché en prison, Karima a accouché en mer . A ce jour elles sont en situation régulière.
Fatoumata est passée par le Maroc et l’Espagne où elle a été contrainte à la prostitution. Une petite fille et née. En procédure Dublin elle a passé 4 ans en Europe avant de pouvoir enfin déposer une demande d’asile.
Kadidja qui a refusé l’excision est venue seule sans ses enfants pour leur épargner les risques du voyage. Elle a auparavant caché ses filles pour leur épargner l’excision. Elle a eu l’asile mais attend depuis plus de deux ans de pouvoir faire venir ses filles . Elle redoute qu’elles soient excisées.
Yasmina mariée de force à 14 ans qui a fui son mari et ses coépouses est déboutée tout comme Aïssa , Sylvie, Fatima, Paola …
Tant de femmes, tant d’histoires. En dépit des violences subies, des difficultés du chemin, elles sont là debouts, actives pour la plupart. Chapeau les filles !
Si plusieurs de ces jeunes ont pu trouver une solution heureuse avec l’obtention d’un titre de séjour grâce à la solidarité que leur situation a suscitée, ce n’est malheureusement pas le cas de tous. Au-delà de ces cas emblématiques, les jeunes en détresse sont nombreux. Depuis des années, associations, enseignants, éducateurs, chefs d’entreprise, maîtres d’apprentissage, élus sonnent l’alarme et ne sont pas entendus. Les associations de solidarité sont quotidiennement témoins d’un terrible gâchis humain et social : voir des jeunes être menacés d’expulsion, réduits à vivre dans la peur, l’errance et la clandestinité, alors que la France est devenue leur pays, celui de leurs liens, de leurs amitiés, de leurs amours, et qu’ils sont prêts à rendre à la société ce qu’elle a investi dans leur formation !
Pourtant, dès aujourd’hui, il y a des possibilités d’amélioration réelle et immédiate pour au moins réduire l’arbitraire des préfectures. Il suffit de faire cesser la suspicion généralisée qui pèse sur de nombreux jeunes dont les actes d’état-civil sont régulièrement contestés, alors que leur identité a été confirmée par un juge ou par les services consulaires de leurs pays. Il suffit de cesser d’exiger des documents impossibles à présenter pour obtenir un titre de séjour (comme des passeports guinéens par exemple), à plus forte raison lorsque la réglementation prévoit que leur présentation n’est pas obligatoire. Il suffit d’en finir avec le blocage absurde des demandes de rendez-vous en préfecture, qui, sous prétexte de dématérialisation, revient à fermer des voies de régularisation.
Ainsi, des jeunes, que la loi oblige à demander un titre de séjour avant 19 ans, sont mis dans l’impossibilité de le faire... Il faut que ces jeunes puissent avoir accès à des formations ou contrats d’apprentissage, en fonction de leurs niveaux de compétences, qu’ils puissent poursuivre les parcours engagés, et plus largement poursuivre la vie qu’ils ont entamée en obtenant aisément un titre de séjour protecteur et stable. Il faut régulariser de façon large et durable les personnes étrangères présentes depuis plusieurs années sur notre territoire notamment en appliquant la circulaire du 28 novembre 2018 plutôt que de mettre fin à celle-ci sans le dire, de restreindre l’accès aux droits et ainsi multiplier les situations dramatiques.
Ce sont là des mesures de bon sens, qui seraient la preuve que le message de ces jeunes, de leurs éducateurs et enseignants, de leurs employeurs, de leurs formateurs, a été entendu. Mais elles ne nous dispensent pas de réfléchir ensemble à la mise en œuvre de politiques d’accueil et de respect des droits fondées sur l’ouverture des frontières et des cœurs et non plus sur la peur et la fermeture.
En accueillant les 234 migrants secourus en mer et passagers de l’Ocean Viking dans le port de Toulon le 11 novembre dernier, le ministre de l’Intérieur Darmanin a sollicité les autres pays européens pour en accueillir les deux tiers. Bilan numérique : la France accueillera entre 88 et 64 exilés (selon que les mineurs non accompagnés sont inclus ou non dans ce compte). Il en profite pour se défausser de l’accueil des 3 500 exilés qui devaient être transférés de l’Italie vers la France selon les accords de relocalisation européens. Même si les autres pays refusaient de recevoir les passagers de l’Ocean Viking, il reste gagnant.
44 mineurs non accompagnés vont être évalués par l’ASE (Aide sociale à l’enfance). Certains seront déclarés majeurs et rejoindront les adultes. Des députés, des membres de l’ANAFE (Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers) et quelques journalistes ont pu pénétrer dans le centre de vacances qui sert de zone d’attente. Les conditions d’accueil gérées par la Croix rouge seraient correctes (nourriture, hygiène des locaux vêtements pour ceux arrivés torse nu et sans chaussures). Il y a plus de policiers sur les coursives que d’exilés afin d’éviter toute fuite. La vue est belle, mais cela effacera-t-il l’accueil glacial et la fouille au corps à l’arrivée ?
Dans un communiqué, l’ANAFE dénonce les multiples violations du droit d’asile (www.anafe.org). Les personnes doivent porter un bracelet d’identification de différentes couleurs et les contacts avec l’extérieur sont restreints et contrôlés. Les adultes ont déjà débuté les entretiens avec l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) pour évaluer le « caractère manifestement fondé ou non de la demande d’asile. » Entretiens d’une demi-heure à trois quarts d’heure avec traduction téléphonique qui semble défaillante. On s’inquiète des conditions de passation de ces entretiens pour des personnes très vulnérables, traumatisées, sidérées voire confuses suite à leur voyage (certaines ont connu les geôles de Lybie), sans compter les raisons qui les ont poussées à partir. Pas d’aide d’associations pour préparer ces entretiens. Des documents ont bien été remis à l’arrivée mais ont-ils été compris ? Qui va informer ces personnes des possibilités de recours, leur donner les contacts d’avocats ? Qui va assurer les soins physiques et psychiques qui selon l’équipage de l’Ocean Viking sont nécessaires ?
Accueillir correctement 230 personnes est pourtant possible. L’accueil fait à ces personnes est indigne. L’humanité consisterait à leur laisser le temps de récupérer, de penser, de dormir, de s’habituer à un nouvel environnement. Dans sa hâte à se débarrasser des exilés, le ministre impose urgence et précipitation au risque de pertes de chances là où il s’agit d’avenir et pour certains de vie ou de mort. Alors que l’étude d’une demande d’asile est individuelle, certains seraient déjà éliminés d’emblée du fait de leur nationalité alors qu’il est possible qu’ils soient en grand danger dans leur pays. D’expérience nous savons que le prouver prend du temps. Le drame de l’Ocean Viking est de résultat de politiques migratoires basées sur le rejet de l’autre que ce soit vers la misère en Turquie, les tortures libyennes, dans la boue et la neige des campements, des forêts et des marais aux frontières de l’Europe, dans les flots de la Méditerranée, de la Manche ou sur les barbelés de Ceuta et Melilla. Il s’agit de rejet physique avec risque mortel. Les accords Dublin ont pour conséquence de faire porter aux pays frontaliers le poids des arrivées et les politiques de relocalisation ne fonctionnent pas comme s’en plaignent ces pays. L’Italie, Chypre, Malte et la Grèce demandent ainsi à la Commission européenne de tenir une discussion « urgente et nécessaire (…) sur comment mieux coordonner » les opérations humanitaires en Méditerranée.Au final, la quasi-totalité des adultes enfermés a été libérée par les juges du fait de l’impossibilité de statuer dans le temps imparti vu le nombre de dossiers. Tout ça pour ça ! À force de tordre le droit et les droits, le ministre a fini par se prendre les pieds dans le tapis. C’est quoi ce ministère qui ignore les lois qu’il est censé appliquer ? Annulons les accords Dublin et laissons les exilés choisir leur pays d’accueil. Cela nous coûtera bien moins cher et on peut supposer qu’ils se répartiront dans les différents pays pour peu que nous nous donnions la peine de bien les accueillir. Peut-être certains rescapés de l’Ocean Wiking viendront ils s’échouer parmi nous ?
Certes le Pen a été défaite. Mais qu’en est-il de ses idées ? Le dernier quinquennat a abondé en discours nauséabonds en atteintes aux droits et avec maltraitances des exilés. Sur les plans de la loi, des actes et des discours, l’exilé reste un suspect potentiellement fraudeur, une menace et certainement pas une personne en danger.
La loi de 2018 (la 17ème depuis 1980 !) a accéléré les procédures d’asile mais c’est à double tranchant car parfois il faut du temps pour pouvoir restituer de façon cohérente des persécutions subies. Cette loi a certes accordé quelques améliorations en faveur des titulaires de la protection internationale mais a considérablement retardé l’accès aux soins des demandeurs, elle a réduit les délais de recours à la CNDA (Cour nationale du droit d’asile), instauré un traitement parallèle des demandes d’asile et des demandes de titre de séjour avec pour résultat un imbroglio sans nom. Elle a surtout systématisé le prononcé des OQTF (obligation de quitter le territoire français) et parfois IRTF (interdiction de retour sur le territoire français) contre les déboutés du droit d’asile créant ainsi une masse de sans-papiers dans l’impossibilité de régulariser leur situation. Elle a institutionalisé le refoulement aux frontières de internes de l’UE. Elle restreint encore, toujours dans une logique de suspicion, l’accès aux titres de séjour de plein droit : parents d’enfants français, conjoints de Français, étrangers malades. Les mineurs ne sont pas épargnés : leur minorité est contestée, l’accès à un titre de séjour à la majorité n’est pas acquis, il y a maintenant un fichier national.
En 2021 avec 125 450 OQTF (source : Eurostat), la France est largement « championne » d’Europe en termes de nombre d’OQTF prononcées avec un chiffre trois à quatre fois supérieur aux autres pays.
Certes, un grand nombre d’OQTF n’est pas exécuté au grand dam de notre président, mais tout au long du quinquennat (sauf 2020, épidémie oblige) le nombre des renvois n’a cessé d’augmenter : 10 091 retours forcés en 2021 (18 906 en 2019 – 9 111 en 2020).
Pendant la pandémie la France a continué d’enfermer en centre de rétention en dépit de la fermeture des frontières et du risque pour la santé des personnes. La durée possible de rétention a doublé, de façon parfaitement inutile car quand les personnes sont expulsées, elles le sont dans les -10 premiers jours ; cette mesure est une maltraitance de plus des étrangers. La France continue d’enfermer les enfants en rétention en dépit des condamnations de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
La dématérialisation des démarches en préfecture se poursuit, ainsi que la raréfaction des plages de rendez-vous, rendant très difficiles les possibilités d’obtenir renouvellement ou obtention des titres de séjour et occasionnant des pertes de droits.
Les violences contre les exilés ont continué avec des expulsions violentes dans le Calaisis, à Paris place de la Nation et en périphérie, des violences policières ciblant des personnes racisées, en particulier pendant le confinement.
La marche des sans-papiers du 18 février 2020 a rassemblé sans le moindre débordement plusieurs milliers de personnes à Paris et n’a obtenu en réponse que le silence assourdissant et méprisant du gouvernement.
Passons sur les discours assimilant immigration et délinquance, l’islam et le terrorisme (avec la mise en garde à vue, sans leurs parents, d’enfants de 10 ans !), le cynisme du ministre de l’Intérieur (pas de violences policières), l’obsession du ministre de l’Éducation contre l’islam (le refus des petits garçons de donner la main aux filles serait précurseur de radicalisation) etc... Citons, entre autres, le discours de notre président redoutant une vague migratoire lors la chute de Kaboul.
Avec la guerre d’Ukraine nous avons assisté à un vaste effort tant de l’État que de la population pour accueillir les exilés. L’accueil large et inconditionnel devient possible ! Serait-ce que certaines couleurs de peau valent plus que d’autres ?
Avec l’union de la gauche, il semblerait que les propositions de certains candidats en faveur des exilés, particulièrement des sans-papiers, soient passées à la trappe (le PS aux dernières mandatures n’avait pas été particulièrement brillant sur le sujet). Au vu du bilan du gouvernement actuel en la matière on ne peut qu’être très inquiet.
Tunisie, juin 2023. Le discours raciste du président, génère violences et chasse aux migrants sub-sahariens qui seront expulsés et abandonnés en plein désert. Juillet 2023 : signature d’un partenariat Union Européenne Tunisie accordant une aide financière en contrepartie du contrôle des départs de migrants, de la reprise de leurs ressortissants refusés en Europe, ainsi que des personnes d’autres nationalités afin de faciliter leur retour vers leurs pays. Soudan juin 2023 : la guerre civile fait rage au Soudan ; les janjawid 2 massacrent les Darfouri . Ces mêmes janjawid avaient bénéficié de formations et de subventions de l’union européenne dans le cadre du protocole de Khartoum en 2014 pour contrôler les frontières afin de limiter les départs vers l’Europe3. A l’époque Omar el-Béchir, dirigeant du Soudan, était recherché par la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité et génocide. Août 2023 : à la frontière entre Yémen et Arabie saoudite, massacres de centaines de migrants africains venus de l’autre rive de la mer rouge. L'Arabie saoudite tente de s'imposer comme l'une des destinations touristiques les plus avant-gardistes au monde (euronews 01/12/2022). C’est aussi un des premiers clients de la France pour l’achat d’armes.
L’Europe a accordé à la Lybie depuis 2015 455 millions d'euros essentiellement pour la gestion des migrations et des frontières. La Turquie a touché depuis 2016 1,235 milliard d’euros pour garder les exilés dont l’Europe ne veut pas. La commission européenne travaille à une réforme intitulée « pacte européen sur la migration et l‘asile » qui devrait être présenté au parlement européen avant avril 2024. Les mesures proposées mobilisent des moyens colossaux pour établir des barrières physiques, juridiques technologiques et des camps afin de maintenir les exilés hors d’Europe. Des partenariats sur mesure, éventuellement informels et confidentiels sont prévus en se dispensant du contrôle des parlements. Ils prévoient de conditionner l’aide au développement à la gestion des questions migratoires en externalisation cette gestion : formation des gardes-frontières (dans ce contexte quid de l’espace de libre circulation - CDAO - en Afrique de l’ouest ?), débarquement des personnes secourues en mer dans les ports d’Afrique du nord , délivrance des visas fonction de la réadmission des expulsés, murs et camps. Cela concerne tous les pays, de la méditerrannée aux Balkans et l’agence Frontex y joue un rôle majeur. Hot spots aux frontières de l’Europe (centres de tri rapide entre les exilés éligibles à une demande d’asile et ceux qui seront renvoyés). Modification des règles de l’asile (enfermements, délais de recours raccourcis, refoulements aux frontières, fichages encore plus serrés). Mais la migration des personnes hautement qualifiées serait facilitée ! Les entraves à la mobilité et les expulsions se font sans contrôle parlementaire démocratique ou judiciaire. Certains partenaires ne brillent pas par leur respect des droits humains.
Pas grand-chose de neuf dans ce pacte fondé sur une approche toujours plus répressive au service de l’endiguement et de l’expulsion des personnes si ce n’est encore plus de rejets au mépris des droits fondamentaux. L’argument de l’Europe est de protéger les exilés des dangers du voyage et des passeurs, c’est sans doute pour cela que l’Italie entrave les bateaux de secours des ONG. Les personnes exilées mourront encore plus sur des routes toujours plus dangereuses. Les sommes colossales dépensées seraient mieux utilisées pour accueillir et intégrer. L’ingérence de l’Europe au sein des pays de départ est de plus en plus mal vécue par les populations.
Mohamad, Donya et Samir, le jeune frère de Donya, ont fui les talibans avec leurs cinq enfants de 2 à 10 ans. Les passeurs les ont laissés à la frontière de la Lettonie aux portes de l’Europe. Durant près d’un mois, ils ont tenté à maintes reprises de passer la frontière en quémandant l’asile et ont été repoussés extrêmement violement par l’une et l’autre armées dans un jeu de ping-pong (Push back) infernal. Ils ont survécu dans la forêt sous des abris précaires, sans nourriture ni soins, au milieu des marais et des moustiques. Entassés dans des camions tels des bestiaux, frappés à coups de matraques et de tasers, pour être renvoyés de l’autre côté de la frontière où les soldats bélarusses les repoussaient vers la Lettonie. Ils n’ont dû leur passage qu’à la présence de jeunes enfants (Samir, tout juste majeur n’a pas été admis et a disparu) et de l’intervention de la Cour européenne des droits de l’homme, saisie par des migrants victimes du jeu pervers de la Biélorussie qui a envoyé des migrants aux frontières de l’Est en réponse aux sanctions européennes.
Actuellement, de nombreux pays d’Europe pratiquent le pushback. Que ce soit en Méditerranée en renvoyant les exilés à la mer, en Grèce, Croatie, Slovénie, Italie, Bulgarie et plus récemment en Pologne, Lettonie, Lituanie. La Pologne et la Bulgarie ont légalisé cette pratique. Ces personnes s’entassent aux frontières extérieures de l’Europe, dans des abris de fortune, la boue, le froid et des conditions d’hygiènes inexistantes et tentent à maintes reprises le passage. Certaines meurent de froid, de dénutrition, de blessures, de désespoir aussi. Comment survivre dans les forêts par - 20° à 5 ans ? De nombreux pays aux portes de l’Est de l’Europe (sans compter Ceuta et Melilla, enclaves espagnoles au Maroc) ont érigé des barrières monstrueuses, des murs de barbelés et d’acier, équipés de systèmes ultraperfectionnés (caméras infrarouges, détecteurs de pas, de mouvement, surveillance satellitaire) sans compter les patrouilles et les hélicoptères. Ce contrôle s’effectue sous l’égide de l’agence européenne de surveillance des frontières (Frontex) dotée d’un budget colossal de 5,6 milliards d’euros, forte de 10 000 agents, de bateaux, d’hélicoptères et d’un centre de contrôle hypersophistiqué à Varsovie. Frontex est le maître d’œuvre de la gestion des frontières européennes, qu’il s’agisse de bloquer des personnes en migration, de gérer des hot spots ou d’organiser des vols de reconduite vers des pays tiers. Une des caractéristiques principales de Frontex est l’absence de transparence de ses activités.
Les multiples atteintes aux droits de l’homme (dont la remise aux gardes côtes libyens et la participation aux push back en Méditerranée), les falsifications de ces opérations (répertoriées « préventions au départ » alors qu’il s’agit de refoulements), après révélation par de nombreuses ONG et journalistes, ont entraîné une enquête de l’Office de lutte antifraude de l’Union européenne (UE) sur ces cas présumés illégaux de refoulement de migrants. Le directeur de Frontex, Fabrice Leggeri, a démissionné en avril dernier. Cependant, pour l’ONG Front-Lex, qui a initié plusieurs procédures contre Frontex : « Leggeri n’aurait pas dû démissionner. Il aurait dû être licencié. Pas maintenant, mais il y a des années […]. Mais le problème demeure au sein de Frontex, la Commission et les Etats membres. Ce sont eux qui orchestrent les politiques frontalières criminelles à travers l’Union européenne. Leggeri était seulement assez corrompu pour les exécuter. » L’Europe déploie des moyens colossaux dans sa guerre contre un ennemi fantasmé : les personnes en migration, au mépris du texte (en exergue) qu’elle a écrit et voté. Ces moyens rapportent aux grands « groupes industriels » européens présents au niveau international dans les domaines de la sécurité et de la défense, qui bénéficient d’une relation privilégiée avec un ou plusieurs États membres de l’UE. Ainsi, ceux qui arment les belligérants des divers conflits à l’origine des migrations, ceux qui équipent les dictateurs, sont les mêmes qui bloquent les victimes de ces conflits et dictateurs aux frontières. Parmi ces « éléments de sécurité », signalons la mise en place de multiples fichiers biométriques interconnectés dont on peut craindre que l’usage soit un jour étendu à l’ensemble de la population, avec tous les risques pour les libertés publiques que cela implique. Les migrants, peu en mesure de faire valoir leurs droits, servent de cobayes.
Mauricette était une femme exceptionnelle, intelligente, déterminée, puissante. Menant un travail sur le traumatisme de sa jeunesse, elle s’est pourtant ouverte aux autres, leur apportant un soutien considérable ; elle était capable d’un attachement indéfectible poussé jusqu’à la limite du possible.
Originaire des Vosges, les épisodes de sa vie et sa profession d’enseignante l’ont conduite à Paris puis à Bordeaux. De retour à Paris, pendant quatorze ans, elle enseigna le FLE (Français langue étrangère) pour des jeunes migrants. À la retraite, dans cette période heureuse de sa vie, elle vient vivre à Limoges avec son mari. Le hasard lui fit acquérir une maison sur le Plateau, en Creuse, à Lavaud sur la commune de la Nouaille, où elle venait le plus souvent possible avec un plaisir extrême. Cette maison était le lieu où elle réunissait son petit monde, son fils et ses nombreux petits-enfants.
Elle se rapprocha des personnes du Centre d’accueil de demandeurs d’asile d’Eymoutiers. Avec elles, elle poursuivit son travail d’enseignante. Ce fut le cas pour celles qui sont devenues ses amies albanaises. Elle leur apprenait la langue française avec un plaisir tel qu’elle s’engagea à accueillir leurs enfants en cours d’études dans son appartement de Limoges. Elle les accompagnait également dans la rédaction de leurs dossiers de demande de titre de séjour. Partout où elle pouvait, souvent sur la route, elle apporta auprès d’hommes et de femmes une aide efficace et attentive.
Son militantisme auprès des migrants est à l’origine des liens qui nous unissaient. Une amitié forte en découla au-delà des idéaux communs de solidarité et d’engagement. Avec les personnes que nous défendions, nous constituions une sorte de famille sans frontière avec qui nous avons partagé des fêtes pour l’obtention de cartes de séjour, pour des anniversaires ou les fêtes de fin d’année, des moments joyeux l’été au lac de Vassivière. La plupart aujourd’hui, après des années d’attente angoissée et d’endurance, sont régularisés et ont un emploi et un logement à Limoges.
Mauricette allait toujours jusqu’au bout de ce qu’elle entreprenait. C’est ainsi que sur la trace de son jeune oncle Maurice, responsable résistant mort six mois après sa libération du camp d’Ebensee en Autriche, elle fit la connaissance d’Henri Ledroit, rescapé du camp de Mauthausen. Celui-ci consacrait ses dernières années à témoigner auprès des jeunes collégiens et lycéens. Souvent les forces lui manquaient et Mauricette, partageant ses larmes, lui tenait la main pour l’accompagner dans cette difficile mission. Avec la même opiniâtreté, elle l’aida à rédiger son livre de mémoire La graisse pas les os (ce livre est disponible auprès de l’Amicale de Mauthausen dont le président a écrit : « Mauricette a toujours suscité mon admiration et, oui peut-être, mon incrédulité, tant elle empruntait des chemins improbables, avec une incroyable assurance … elle m’apparaissait stupéfiante … »).
Des amitiés, Mauricette en a eu beaucoup, tout au long de sa vie qu’elle a consacrée aux autres. Son courage, sa force, ses ressources, son empathie ont créé autour d’elle de nombreux liens. Mère attentionnée, dans toutes les étapes de sa vie, elle a été proche de son fils et, au fur et à mesure, de ses petits-enfants. L’éclat de son regard, son sourire bienveillant, son goût pour la vie témoignent de son rayonnement. La maladie l’avait considérablement affaiblie mais la pertinence de ses propos et son humour étaient intacts. Nous qui avons eu la chance de bien la connaître, nous pouvons lui reconnaître le qualificatif de « juste ».
À l’automne 2014, nous manifestions afin d’obtenir un logement pour Maria et ses deux enfants déboutés du droit d’asile et contraints de quitter le CADA (Centre d’accueil de demandeurs d’asile) sans solution d’hébergement. L’ouverture du CADA à Eymoutiers quelques mois plus tôt avait suscité un vaste élan de solidarité envers les résidents de la part de particuliers, des associations et des élus, tous désireux d’accueillir dignement ces nouveaux habitants. À l’été 2014 nous hébergions et accompagnions les premiers déboutés. Seule une minorité de demandeurs obtiennent l’asile (avec des taux très variables selon les nationalités). En effet, les critères d’obtention de l’asile sont très restrictifs et ne couvrent pas tous les cas où les personnes sont en danger. Souvent les personnes ont des difficultés à prouver ce qu’elles disent : les persécuteurs ne délivrent pas d’attestations de persécution ! Parfois, elles ont tout simplement du mal à raconter ce qui s’est passé. Se voir refuser l’asile ne signifie pas que l’on n’a pas de droit au séjour à un autre titre, mais il faut quand même quitter le CADA et c’est la fin de l’allocation de demandeur d’asile. C’est le règlement imposé par le ministère. Que deviennent alors les liens créés entre les gens : « Au revoir et merci pour la rencontre ; bon retour chez vous » ? Ou bien… C’est dans ce contexte que fin 2014, nous décidions de créer l’association Le Mas (Montagne Accueil Solidarité) officiellement créée début 2015.
Depuis 7 ans, Le Mas a assuré l’hébergement de 92 personnes (adultes et enfants) dans des appartements mis à disposition gratuitement par des particuliers, la paroisse et la mairie. Nous avons toujours trouvé une solution pour ne pas laisser des personnes à la rue mais cela a parfois tenu du miracle, de même que pour nos finances ! Le Mas a géré les déménagements, l’ameublement et l’entretien des logements (petits travaux), veillé à la scolarisation des enfants, payé les assurances et les fluides, les fournitures scolaires, assuré les covoiturages vers Limoges, prêté les sommes nécessaires au paiement des titres de séjour (à ce jour, parfois jusque
475 € par adulte). Nous avons un temps animé un groupe de parole au CADA. Pour nous financer nous avons organisé et participé à de nombreux événements festifs ou militants en fournissant des repas préparés conjointement par les bénévoles et des personnes étrangères, hébergées ou non, tout en médiatisant nos actions. Cela a aussi permis des rencontres entre hébergés et habitants.
Nous ne mettons pas de limite de temps à notre accueil tant que les personnes ne sont pas régularisées. Certaines sont parties tenter leur chance ailleurs. D’autres ont obtenu des titres de séjour, mais il a fallu du temps. Pour Maria ce fut 6 ans. Elles ont quitté l’association, travaillent et sont à ce jour parfaitement intégrées.
Le Mas compte aujourd’hui une vingtaine de bénévoles actifs et est soutenu par une centaine de sympathisants. L’association s’inscrit dans un vaste réseau créé au fil des années en Limousin autour des CADA de Peyrelevade et d’Eymoutiers, de l’HUDA (Hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile) de Peyrat-le-Château et de diverses associations de soutien aux exilés. Nous avons établi des partenariats avec des acteurs multiples, associatifs, caritatifs, des élus, des mairies, des assistants sociaux de secteur, des enseignants, etc…
Fin 2021, au détour d’une rencontre inter associative sur le Plateau de Millevaches qui a réuni 80 personnes, nous avons fait le constat du manque chronique de solutions d’hébergement et de l’aberration d’interdiction de travailler pour les exilés.
Au fil des différentes réformes (3 depuis 2014) il est devenu de plus en difficile pour les étrangers d’obtenir des papiers. La réforme de 2016, qui a transféré le traitement des demandes de séjour pour soins du ministère de la Santé à celui de l’Intérieur, a considérablement réduit l’octroi de ces titres particulièrement pour celles et ceux qui souffrent de troubles post traumatiques (1). Même avec des promesses fermes d’embauche, y compris dans des métiers en manque de personnel, il est devenu impossible d’obtenir la régularisation nécessaire pour avoir le droit de travailler.
En 2021 nous avons perdu la jouissance de plusieurs logements que les propriétaires ont vendus ou reloués et à l’été 2021 nous avons même dû héberger sous tente et sous une pluie battante une famille de 9 personnes avec plusieurs jeunes enfants avant de trouver une solution...
Durant l’hiver 2022 c’est une famille de 6 avec des enfants en bas âge qui est contrainte de quitter le CADA. Nous n’avions de solution d’hébergement que très temporaire. C’est alors que nous décidons d’occuper un immeuble vacant. Début avril 2022, une occasion fortuite nous permet de visiter un immeuble, propriété de l’ODHAC, 29 rue de la République à Eymoutiers. L’immeuble est vide depuis 6 ans. Il comporte 11 logements T1 et T2. Nous sommes surpris par son bon état et nous décidons de l’occuper le 6 avril 2022. Au départ de l’occupation, la mairie d’Eymoutiers nous a proposé une médiation avec l’ODHAC. De ce rendez-vous est ressorti une menace d’expulsion, mais la porte restait ouverte pour une possible convention (type commodat) entre l’ODHAC et notre association pour pérenniser l’utilisation du lieu et mettre les familles en sécurité. Nous nous engagerions à payer les fluides et les assurances, assurer le petit entretien et le gardiennage. Nous avons le soutien de la fondation Abbé Pierre.
Le 29 avril 2022, nous avons reçu l’assignation au tribunal en vue d’une expulsion. L’ODHAC a expliqué par voie de presse qu’il ne pouvait héberger des sans-papiers (2). Fin mars 2022, le Conseil départemental avait annoncé dans son magazine “La Haute-Vienne terre d’accueil et de solidarité […] pourra mettre une trentaine de logements à disposition. L’ODHAC réserve de son côté des logements qui pourront accueillir une centaine de réfugiés”... ukrainiens. Ironie de l’histoire : la première famille que nous avions accompagnée en 2014 était ukrainienne !
C’est avec un mélange de joie et d’affliction que nous venons d’apprendre que notre préfète, en poste dans notre beau département depuis deux ans, vient d’être nommée dans le vôtre. Joie que nous n’avons pu réprimée et affliction pour vous, chères Charentaises et Charentais, qui allez devoir la supporter pendant quelques années.
Madame Magali Debatte est appelée à représenter l’État dans votre département et à y imprimer la marque de politiques nationales avec lesquelles nous sommes tous, peu ou prou, contraints de faire. En ce sens, ce sera une préfète comme une autre et il n’y aurait certainement pas à faire de sa mutation tout un tintouin. Mais Madame Magali Debatte est aussi une préfète particulièrement zélée, un brin plus royaliste que le roi, qui a un sens exacerbé de sa fonction au point de la concevoir avec un aplomb et une rectitude qui confinent à la condescendance, au mépris et à l’insolence. Présentée comme une « préfète de choc » lorsqu’elle a débarqué sur nos terres, elle s’y est illustrée avec une remarquable persévérance comme une fonctionnaire d’une grande raideur qui n’hésita, ni à braver la légalité lorsqu’elle se mit en tête d’appliquer des mesures contestables, ni à mentir effrontément dans les médias pour défendre ses positions, ni à stigmatiser une partie de la population de son département lorsque celle-ci manifestait vis-à-vis de son action une critique ou une opposition.
À peine arrivée, elle s’est mise à dos une grande partie des élus creusois en laissant entendre qu’ils étaient tous à l’ombre de leur clocher, sans ambition et sans idée, « dépourvus de vision stratégique ». « On n’est pas dans Good-bye Lenine, on doit faire certaines choses contre la tendance naturelle à ne rien toucher. Pour ça, je suis prête à mon serment de Koufra » claironnait-elle un mois après son parachutage, faisant référence au serment du Maréchal Leclerc en 1941 de continuer le combat jusqu’à ce que le drapeau français flotte à nouveau sur la cathédrale de Strasbourg ! Bref la préfète affichait son combat : partir en guerre contre un territoire passif et y imposer sa vision du développement. Dans cette optique elle osait demander à 70 communes du département de fusionner pour n’en plus former que 23. Les communes en question disposaient, généreuse libéralité, de dix jours pour se décider ! Une précipitation qui frisait l’incompétence – et qui au demeurant s’est soldée par une fin de non-recevoir.
Notre héroïque porte-drapeau n’a pas seulement su froisser des élus, mais également des habitantes et habitants engagés dans des actions qu’elle considérait comme contraire à ses vues. L’accueil de migrants, voilà par exemple un sujet sur lequel il ne fallait pas la titiller. Elle était très fière d’avoir, dans un de ses postes précédents, dépassé les quotas d’expulsion qu’on lui avait demandé d’opérer. Elle a sans doute voulu faire de même en Creuse où, avec une persévérance quasi obsessionnelle, elle a tout fait pour reconduire hors de France quelques malheureux rescapés de dictatures africaines, de l’esclavage en Libye et d’une traversée périlleuse de la Méditerranée. Et, malgré de fortes mobilisations populaires et le soutien de nombreuses Creusoises et Creusois, elle a outrepassé ses droits en procédant à des tentatives d’expulsion que la justice a considérées a posteriori comme illégales. C’est du reste la raison pour laquelle Madame Magali Debatte est actuellement en attente d’une convocation devant les juges pour répondre aux demandes de dommages et intérêts qui ont été déposées contre elle par plusieurs jeunes migrants, aujourd’hui titulaires d’un statut officiel de réfugié. Peut-être devra-t-elle s’absenter quelques jours d’Angoulême pour venir répondre de ses actes devant le tribunal de Guéret...
Quand on veut tuer son chien on dit qu’il a la rage. C’est ainsi que, dans cette même affaire, Madame Magali Debatte a agi envers les nombreuses habitantes et habitants qui se sont mobilisés pour soutenir ces jeunes migrants. Puisque ceux-ci s’opposaient à son action, elle les a affublés de quelques noms à ses yeux disqualifiants : ce n’étaient que militants d’ultra-gauche, extrémistes dangereux, anarchistes, zadistes, furieux, violents, infime minorité, etc., toute cette sempiternelle litanie de qualificatifs qui rêvent l’autre comme dangereux pour mieux ignorer ce qu’il dit ou défend. Ceci s’est traduit concrètement vis-à-vis de certaines communes ou associations de notre département par quelques mesures de rétorsions, non officiellement assumées bien sûr (ici une subvention annulée, là la suppression de quelques emplois aidés, ailleurs un acharnement gendarmesque dans les contrôles et la surveillance – y compris par hélicoptère !).
Voilà donc à qui nous avons dû nous confronter durant deux années au cours desquelles le départ de la préfète faisait partie des événements les plus attendus. Nous le lui avions du reste dit clairement quelques mois après son arrivée en organisant un « pot de départ » sur la grande place de Guéret, au cours duquel Magali Debatte et son sinistre secrétaire général (Monsieur Olivier Maurel, aujourd’hui sous-préfet de Riom) ont été expulsés en effigie dans un charter d’Air OQTF*. La plaisanterie ne fut pas de son goût : contre 200 pacifiques et joyeux manifestants qui organisèrent ce charivari bon enfant, elle déploya une centaine de CRS, ferma la préfecture au public et boucla une partie du centre ville !
Aujourd’hui, presque deux ans après ce pot de départ anticipé, Magali s’en va enfin. Nous en sommes très heureux et compatissons sincèrement aux affres que la Charente risque de connaître. Mais chères Charentaises et Charentais, ne désespérez pas ! Dans deux ou trois ans, vous aussi, vous en serez débarrassés !
Avec tous nos encouragements,Des Creusoises et des Creusois outragés, pourchassés, vilipendés, mais aujourd’hui li-bé-rés !
C’est un endroit où l’on m’a ditQue chaque rue est pavée d’or C’est juste de l’autre côté de la frontière
Avant que mon tour soit venuVoici une leçon que je dois retenir Je pourrais perdre bien plus Que ce que j’espérais trouver
Quand j’atteindrai la terre promise Chaque rêve glissera entre mes doigts Alors je saurai qu’il est trop tard pour changer d’avis Parce que j’ai payé un sacré prix pour venir de si loin Pour aboutir là où je suis maintenantToujours juste après la frontière
Après la traversée de la grande bleueJ’ai découvert mille empreintes de pas sur le sable Il me reste un secret auquel personne ne croiraLa mer flue et reflue comme un souffle Entre notre vie et la mort
Dis-moi qui est le prochain à franchir le pas(partie en espagnol)Dans la sinistre obscurité Aujourd’hui il faut y allerVers ce pays qui nous attend plus loin
L’espoir demeure même quand la fierté est perdueEt ça me fait avancer Comme un appel à travers la frontière
Quand j’atteindrai cette foutue terre promise Chaque rêve glissera entre mes mains Et je saurai qu’il est trop tard pour changer d’avis Parce que j’ai payé cher pour venir de si loin Juste pour finir où je suis Toujours juste de l’autre côté de la frontière
Oui je suis toujours juste après la frontière (bis)
Version à écouter, entre autres, Gaby Moreno et Calexico https://www.youtube.com/watch?v=SEasCKrptdo
Après l’élection du nouveau président, la guerre civile a éclaté. Menacé, battu, traqué, sa famille décimée, Gaston, soutien de l’ex-président déchu, a fui et a erré de pays en pays. À la fin de la guerre, Gaston a tenté le retour au pays, mais la guerre civile traverse les familles et son oncle, homme puissant, a remis la police à ses trousses. Il s’est caché et c’est là qu’il a rencontré Mariamne. Ce fut le coup de foudre ! Mais Gaston a dû fuir à nouveau et a demandé asile en France. À ce jour, il est en CADA et attend son recours CNDA. Mariamne et Gaston sont restés en lien. Mais l’oncle de Mariamne a voulu la marier contre son gré à un vieux. Alors Mariamne est partie à son tour, a traversé le désert jusqu’en Lybie où elle a été mise en prison. Une enfant est née suite aux viols subis. Après la naissance, elle a été libérée et c’est à ce moment qu’elle a contacté Gaston, abasourdi de recevoir un appel avec un indicatif inconnu. Mariamne a réussi à traverser l’eau jusqu’à l’Italie puis a rejoint Paris où il l’a récupérée. Gaston a annoncé à tous qu’il avait retrouvé son amoureuse et qu’il allait élever la petite comme sienne. Bien sûr, ils sont allés déclarer Bineta en mairie et elle porte le nom de Gaston. Actuellement quand on le croise il a toujours un vêtement d’enfant ou un jouet en main. Gaston a commencé à recueillir le récit de Mariamne en vue de la demande d’asile. Entre les éléments factuels terribles, des mots d’amour à chaque page.
Hélas la romance a viré au noir quand ils sont allés déposer la demande d’asile de Mariamne en préfecture ! Elle a laissé ses empreintes en Italie et elle a donc été placée en procédure Dublin.
Regain d’espoir : il existe un article qui permet la réunion de demandeurs d’asile d’une même famille au sein du même pays et c’est bien ce qu’ils sont : une famille ! Mariamne fait un courrier à la préfecture expliquant la situation, preuves à l’appui, pour déposer sa demande en France. En attendant, Mariamne, interdite de CADA de par sa situation administrative, est hébergée en centre d’urgence avec sa fille, Gaston vient les voir tous les jours, mais lui est interdit de dormir avec elle. Un mois après, la préfecture répond : arrêté de transfert et assignation à résidence. On découvre que Mariamne avait fait une demande d’asile en Italie, elle ne le savait pas. Effectivement, on lui a pris deux fois ses empreintes: à son arrivée et dans un centre d’hébergement. Quand Gaston lui avait demandé si elle avait fait une demande d’asile là-bas elle disait non : on ne lui a jamais demandé de raconter son histoire. Elle ne parle pas un mot d’italien et n’a rien compris à ce qui se passait. Une demande d’asile à l’insu de son plein grès donc.
48 h pour faire un recours, trouver un avocat. Le juge donne raison à la préfecture, parlant de “reconnaissance de paternité d’opportunité“. Mariamne est enceinte de Gaston, mais la “grossesse est trop récente“, il n’y a “pas de vie commune“, et pour cause, cela leur est interdit. L’avocate a fait appel, pense saisir le conseil d’état. La préfecture, diligente, a remis ses billets d’avion à Mariamne qui a refusé de signer. Moins de quatre mois se sont écoulés entre la réunion des amoureux et la remise des billets d’avion !
Situation inverse pour Aminata et Ahmed, ils ont un fils. Elle est en CADA, qui n’accueille pas de personnes en procédure Dublin. Quand Ahmed a été placé en procédure Dublin, ils ignoraient encore la grossesse. Il n’a fait une reconnaissance par anticipation (avant l’accouchement) que lors du recours, sur conseil de l’avocat. C’est donc “manifestement une reconnaissance frauduleuse“ selon la préfecture. Interdits de vie commune, iI fait les aller- retours pour voir Aminata et son fils. Il est au bout des procédures, à la rue, et n’est pas reparti en Italie.
Sans doute, pour les autorités “compétentes“, les exilés ne connaissent pas l’amour et ne font des enfants que pour les papiers. Pas de procédure dérogatoire donc. Et quel zèle à expulser !
Cimade Eymoutiers : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. - 06 41 45 66 17 MAS Eymoutiers : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. - 06 78 73 53 04 Cimade Peyrelevade : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. - 07 78 54 28 74 MAS Peyrelevade : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Philippe Simon agriculteur installé à Saint-Moreil depuis 17 ans nous fait part de ses commentaires.
Mi-octobre 2001 : 3 associations locales se rencontrent dans une petite ferme creusoise pour organiser une manifestation culturelle sur le thème des chants du monde. Tous les présents sont des “migrants”.
Sur un bout de table, daté du 28 septembre 2001, le journal présent dans quasiment toutes les fermes :
La Creuse agricole et rurale est ouvert à la page : “actualités”. Un article de Philippe Chazette, traite de la crise bovine. Alléchant…
Je jette un œil distrait à cette littérature : ce fameux paragraphe me saute aux yeux… Ambiance xénophobe… sans grand rapport avec le titre.
Le reste est à l’avenant : sans occulter le grave problème voire l’impasse dans lequel est plongée l’agriculture, le discours est corporatiste - représentation agricole oblige - les “bons et vrais” agriculteurs sont face aux multiples méchants, les risques d’une réaction violente incontrôlée sont perceptibles, la faute c’est les autres !...
Article révoltant ? Ecœurant ? Plutôt triste, voire tragique !…
Réagir ? Oui bien sûr!... mais que faire ? Je me sens souvent démuni devant des actes, paroles ou écrits dont j’ai du mal à croire qu’ils peuvent exister tant ils me paraissent étrangers aux valeurs d’une société évoluée.
Tout d’abord résister à la facilité de ne pas vouloir connaître l’autre. L’incompréhension mutuelle amènent ceux qui brûlent des pneus devant des préfectures à dénigrer ceux qui brûlent des voitures en banlieue, elle amène ceux qui n’arrivent plus à vivre des fruits de leur travail à ne pas accepter chez d’autres des aspirations différentes.
Ensuite, comprendre les impasses actuelles et dénoncer leurs solutions dérisoires : pour sauver l’agriculture les consommateurs doivent manger plus et notament de la viande mais aussi plus de vin quand les viticulteurs ont des stocks, plus de tomates avant qu’elles ne finissent sur les autoroutes !… (Extrait de l’article de M. Chazette : “…regagner des volumes de consommation est la solution la plus efficace, la plus indolore et la moins coûteuse pour régler une partie de nos problèmes…”).
Enfin, chez nous en Limousin comprendre notre histoire pour rebondir aujourd’hui :
N’en reste-t-il plus rien ? Le tout économique et la pensée unique ont-ils tout rasé ?
Aujourd’hui, une nouvelle génération de migrants “en retour” vient s’installer sur la montagne limousine et recréer un brassage, un métissage avec les forces vives du pays qui permettront après un combat contre l’inertie ambiante de construire ensemble une nouvelle ruralité.
L’enjeu : “Limousin terre d’accueil” est bien porté :
Alors mettons au placard l’intolérance, le radicalisme et biens d’autres valeurs désuètes et rêvons :
Monsieur Chazette, je vous souhaite bonne route et peut-être qu’un jour, au cours d’une rencontre dans une ferme pour étudier comment sortir de la crise bovine, vous jetterez vous aussi un oeil distrait à la littérature posée au coin de la table, et un paragraphe d’IPNS vous sautera aux yeux : “…amitié, solidarité, responsabilité et réalisme nous permettront de sortir de l’impasse et de progresser ensemble pour gérer notre planète autrement et de manière viable, en nous appuyant sur l’unité qui nous rassemble et la diversité qui nous enrichit. Nous devons apprendre à évoluer et nous organiser dans un cadre complexe. L’enjeu est aujourd’hui de rendre la complexité amicale, de l’apprivoiser avec patience, pas à pas.” (Plate-forme pour un monde solidaire et responsable).
Rien à voir avec les modernes faucheurs solidaires d’OGM, ceux-là étaient faucheurs d’herbe. On connaît cette histoire depuis les travaux de l’universitaire clermontois Marc Prival : Auvergnats et Limousins en migrance . La première originalité est que ces gars-là ne quittaient pas vraiment la région, ils montaient en altitude. Il est très difficile de se documenter sur leur parcours, l’herbe ne laissant pas de trace, contrairement aux ponts de pierre ou aux belles poutres. De plus, cet exil temporaire était très court, deux mois, et a suscité peu de récits. Les petits paysans de l’est corrézien étant aussi fauchés que les maçons creusois, la terre ne nourrissant que les plus « gros » (vieille rengaine), il fallait aller gagner ailleurs – durement – quelques francs. Le deuxième aspect remarquable est qu’il partaient pour faire le même travail que chez eux, à savoir les foins. Comment est-ce possible ? Les prairies de l’est corrézien – d’Eygurande à la Xaintrie – avaient une pousse plus précoce que celles des Monts d’Auvergne (à cause de l’altitude), elles étaient aussi plus vite fauchées, car moins prolifiques. Tout le système était donc tributaire de la maturité de l’herbe.
Au début du mois de juillet, nos faucheurs corréziens partaient donc vers l’est. Entre les Monts Dore et ceux du Cantal, se trouve le plateau du Cézallier, qui était la terre d’élection de ces travailleurs saisonniers. Terre qui, à cause de son abondance en herbe, manquait de bras. Au versant ouest des monts d’Auvergne, les Corréziens, au versant est, les « saugains » de Haute-Loire. Quand ces migrations avaient-elles commencé ? On ne se sait pas. Toujours est-il qu’elles ont duré jusqu’à la 2ème guerre mondiale. La mécanisation les a fait disparaître. On comprendra aisément que le train y a joué un rôle essentiel, un aller-retour à pied pour deux mois n’aurait pas vraiment été rentable. Les grands propriétaires auvergnats, très demandeurs, allaient même jusqu’à payer le billet.
Tout commençait par un dimanche de fête où avaient lieu les « louées ». La plus réputée était celle de Riom-ès-Montage, le 4 juillet. C’était la fête du pays, particulièrement animée. Là se rencontraient les faucheurs – reconnaissables à un petite enclume et un marteau, suspendus à l’épaule - et leurs futurs patrons. A la main, ils tenaient la « dailhe », la faux dans le maniement de laquelle, ils étaient réputés être les meilleurs et les plus rapides. Pour beaucoup c’était une habitude, on allait chez les mêmes d’été en été. Pour d’autres, cela se négociait verbalement. Avec une habitude assez étonnante : dès que l’accord – salaire, hébergement, nourriture – était conclu, on se donnait rendez-vous le lendemain. Comme aux foires de bétail, on tapait dans la main, cela valait pour une semaine, voire 15 jours. Mais le patron emportait les outils, on ne sait jamais ! Pourtant, la valeur de la parole donnée était forte, les anciens parrainant les jeunes.
On aura compris que se documenter sur ce type de migrations est difficile. L’essentiel de la connaissance se transmettait oralement, et nous savons bien que la rupture entre les sociétés paysannes et celles des villes a la plupart du temps interrompu les liens entre générations. A ces hommes durs au mal, on peut attribuer plusieurs caractères sans risque de se tromper. Un fort enracinement dans sa terre, dans la mesure où on ne la quittait pas longtemps. Voilà un sentiment fondamental, qu’on peut comparer à celui des maçons, qui partaient eux au prix d’un effort psychologique énorme, chaque fois un déchirement. On quittait pour des mois femme, enfants, amis, et l’on n’avait souvent qu’un désir : économiser pour revenir s’installer définitivement au pays. Les faucheurs eux n’avaient pas à gérer ce dilemme, ce qui explique leur aptitude à accepter des conditions de vie inconfortables et l’absence de loisirs. Bien sûr il y avait souvent un petit verre au village, mais comme il fallait être debout et dispos à 4 h du matin... On sait, de différentes manières (les courriers notamment), que ces gaillards pouvaient supporter des journées de 14 à 16 heures en plein été, que seule la tombée de la rosée interrompait. C’est ce que Prival appelle le « savoir-peiner », une qualité quasi naturelle, développée très jeune. Les corréziens la possédaient-ils plus que les autres ? Sans doute pas, mais beaucoup de témoignages insistent sur ce point, les conteurs en ont longtemps fait une matière de leurs récits. Il y avait aussi dans toutes les professions une forme d’orgueil assez compréhensible qui visait à prouver que la bonne réputation – au moins professionnelle – n’était pas usurpée.
Cette forme de migration n’est pas aussi spectaculaire que les voyages des maçons. Elle a pourtant beaucoup compté dans la vie rurale de ces montagnes – limousine d’une part, auvergnate de l’autre. Dont les patois se ressemblaient. Qui a dit que les deux régions se tournent le dos ?
Marc Prival évoque dans une étude très riche, bien d’autres formes de travail saisonnier : marchands de toile ou ramoneurs chez nos voisins, et colporteurs de parapluie corréziens, un quasi-monopole. Nous verrons cela une prochaine fois.
A deux reprises déjà IPNS a publié des travaux de Jean-Luc de Ochandiano. Il nous avait donné un aperçu de la place importante laissée à Lyon par les maçons de la montagne limousine dans le bâtiment pendant un siècle.
Jean Luc vient de rassembler le résultat de ses recherches dans un superbe ouvrage de 270 pages : Lyon, un chantier limousin. Les maçons migrants (1848-1940). Dans l'histoire des migrations saisonnières puis définitives il montre comment les Limousins se sont insérés dans la transformation de la ville au moment où elle entre dans l'ère industrielle. Ils ont laissé l'empreinte de leurs savoir faire dans les métiers du bâtiment et notamment dans la maçonnerie. La trace des Limousins dans cette modernisation urbaine est un révélateur des difficultés rencontrées par les migrants de tous les temps dans la transformation des sociétés. Ancrés dans leur solidarité villageoise, les maçons de la montagne limousine se sont retrouvés dans les mêmes quartiers et sur les mêmes chantiers. Ils ont aussi subi les sarcasmes des réactions xénophobes de la population comme des autres corporations du bâtiment. Mais, au fil du temps leur cohésion sociale sera le ferment de l'émergence à partir duquel grandira leur conscience ouvrière. Au basculement des XIXe et XXe siècle ils sont la cheville ouvrière du syndicat général des ouvriers maçons de Lyon et du Rhône.
En 1920 l'effroyable saignée des migrants limousins dans le désastre de la première guerre mondiale affaiblit considérablement la filière limousine dans la corporation des maçons de Lyon. Devenus minoritaires dans la profession, les maçons limousins sont à l'initiative d'une innovation remarquable Trois anciens leaders du syndicat des maçons originaires du Millevaches s'aventurent dans la création d'une coopérative ouvrière l'Avenir. En quelques années avec l'appui du maire de Lyon elle devient une entreprise florissante où les Limousins restent majoritaires.
Ce très beau livre illustré de photos et de dessins remarquables nous aide à comprendre la métamorphose d'une grande métropole pour entrer dans la modernité. Au fil des pages on y retrouve l'empreinte du labeur, de la souffrance et de la créativité de nos ancêtres. Un magnifique cadeau souvenir à offrir dans cette période de fêtes et de rassemblements familiaux.
Le 21 septembre 2018, la préfecture de la Creuse tentait une nouvelle fois d’expulser un jeune Soudanais vivant à Faux-la-Montagne depuis presque un an (voir IPNS n°65). Malgré la mobilisation de nombreux habitants encore une fois obligés de descendre dans la rue pour défendre les valeurs fondamentales de fraternité et de solidarité sans cesse bafouées par la politique migratoire du Gouvernement et appliquée avec une particulière dureté et même cruauté par la préfecture de la Creuse, Abdel était ce jour-là embarqué pour le centre de rétention de Palaiseau, après gazage des citoyens rassemblés autour de la gendarmerie.
La préfecture, au soir du transfert en centre de rétention, se sentait même dans l’obligation de se fendre d’un communiqué de presse comminatoire, indiquant qu’il n’y avait “aucune raison de dispenser ce ressortissant soudanais“ de sa “réadmission vers l’Italie“ “seule compétente désormais“ et qu’un retour sur le territoire après transfert constituait désormais “un délit puni de trois ans d’emprisonnement“. Deux semaines plus tard, le 3 octobre, le tribunal administratif de Limoges opposait un cinglant démenti à la préfète de la Creuse. Il jugeait en effet que “le refus d’enregistrer la demande“ constituait “une atteinte grave et manifestement illégale“ au droit d’Abdel “constitutionnellement garanti de solliciter le statut de réfugié“ et enjoignait à la préfète “d’enregistrer la demande d’asile […] dans un délai de huit jours“. Fin février, épilogue de l'affaire, Abdel a reçu la décision du directeur général de l’OFPRA lui reconnaissant la qualité de réfugié, le plaçant sous la protection juridique et administrative de l’Office et lui donnant accès à un titre de séjour de 10 ans et à l’autorisation de travailler. Cela, il aurait pu en bénéficier dès le mois de mars 2018 si l’administration préfectorale ne s’était pas entêtée dans ses décisions illégales et inhumaines. Ainsi, pendant presque une année supplémentaire, il a vécu dans l’angoisse permanente, sans pouvoir ni se former, ni travailler pour assurer dignement sa subsistance. Ses défenseurs estiment que cette opération illégale a coûté au bas mot 55 000 € au contribuable, sans même prendre en considération le temps consacré par les habitants mobilisés à lutter contre des mesures iniques. Du temps qui aurait été tellement mieux employé à développer le réseau social d’Abdel et des personnes dans la même situation que lui. De l’argent qui, pour un coût bien moindre, aurait permis de financer des cours de français, des formations qualifiantes et tout le soutien nécessaire à des jeunes isolés avant qu’ils puissent trouver leur autonomie.
Après la Première guerre mondiale le nombre d’étrangers décuple en Limousin pour atteindre en 1936 1,19 % de la population. S’il s’agit d’une immigration de travail majoritairement masculine et issue des régions pauvres d’Europe, ces exilés fuient aussi les dictatures naissantes (1922 en Italie, 1926 au Portugual) et les aléas climatiques (inondations catastrophiques de 1925 en Belgique). Les intrications des motifs d’exil ne datent pas d’hier. Ils travaillent dans les mines, (Lavaveix-les-Mines), ardoisières et carrières. Des Italiens s’installent à leur compte comme tailleurs de pierres avec leurs familles dans des conditions extrêmement dures (Sardent).
De 1936 à 1939 les réfugiés de la guerre d’Espagne arrivent par vagues successives, et sont globalement bien accueillis du fait de la solidarité en particulier des communes communistes du Plateau. En 1939 la Haute Vienne accueille les évacués alsaciens (dont Châteauneuf-la-Forêt, Eymoutiers qui double en quelques semaines sa population) dans des conditions éprouvantes. Les évacués seront incités à rentrer en 1940, après l’annexion de l’Alsace par l’Allemagne, mais un nombre important restera (juifs, antinazis, francophiles).
En 1939 le gouvernement réquisitionne les étrangers et réfugiés (dont les Espagnols encore dans les camps) pour les usines d’armement et crée en 1940 des groupements de travailleurs étrangers (GTE). Ces GTE auront différentes spécificités : camps disciplinaires (pour indésirables ou suspects à Saint-Germain-les-Belles) ou de travail (barrages, bucheronnage et autres travaux agricoles, travaux publics). Après l’occupation de la zone libre, beaucoup d’étrangers des GTE, rejoindront la résistance dans les FTP MOI (main d’œuvre immigrée), par conviction antifasciste et pour échapper au service de travail obligatoire (STO) (Barrage de l’Aigle en Corrèze). Les juifs étrangers, puis français, seront regroupés dans des centres spécifiques. Suite aux rafles et déportations de 1942 une partie de la population se mobilisera pour mettre à l’abri enfants et adultes (il y aura aussi des dénonciations). Beaucoup d’habitants des communes du Plateau figurent parmi les “justes“.
Après la guerre et jusqu’en 1973, date de l’arrêt de l’immigration de travail, on assiste à une vague d’immigration dans toute la France. Sur la Montagne limousine, dès les années 1960 (accord franco-turc en 1965) des Turcs arrivent pour travailler dans la filière bois. Ils travailleront dans des conditions de travail et de salaire très dures. On les retrouve à Peyrelevade, Egletons, Mainsat et surtout à Bourganeuf où ils représentent aujourd’hui 15 % de la population (mais un certain nombre des enfants ont la double nationalité). Ils sont d’origine rurale et souvent issus des mêmes villages. À partir des années 1970 les familles viendront rejoindre les hommes via le regroupement familial. Bourganeuf a fait un gros travail d’intégration (cours de français, mise en place de femmes relais). Si initialement ils ont été logés en HLM, beaucoup sont aujourd’hui propriétaires de leur maison. Dans les années 1980, suite aux licenciements, certains s’installent comme entrepreneurs forestiers, reproduisant les conditions de salariat qu’ils avaient eux-mêmes connues mais leur méconnaissance des règles administratives ou comptables, l’irrégularité de paiement des tâches effectuées en ont conduit beaucoup à la liquidation. Les enfants investissent d’autres métiers. Il existe une forte endogamie (conjoints issus des villages d’origine). Cette population garde de fortes attaches avec sa culture d’origine.
Dans les années 1960 des agriculteurs normands, des métayers mayennais et des Hollandais attirés par la disponibilité des terres et les conditions favorables des lois Pisani s’installent sur le Plateau. On citera pour mémoire l’engouement des Hollandais et Anglais dans les années 1980 pour les maisons limousines. De la fin des années 1970 au début des années 1980, alors que l’immigration est stoppée, en pleine crise économique, la France accueille à bras ouverts 128 500 réfugiés vietnamiens et cambodgiens sauvés en mer de Chine… Une quarantaine d’entre eux passeront l’hiver 1984-1985 à Peyrelevade. Quelques années plus tard, en 1989, c’est au tour d’une soixantaine de Kurdes irakiens fuyant les persécutions. Le maire de l’époque parle de redynamisation du village, de maintien de l’école… Les Kurdes, même s’ils ne sont pas restés, gardent un bon souvenir de l’accueil.
Les réfugiés des années 1980 comme les exilés d’aujourd’hui n’ont pas eu le choix de venir dans notre Montagne : ils y ont été placés, mais ils apprécient la qualité de l’accueil par la population. Certains souhaitent rester. La situation aujourd’hui est très différente. Si dans les années 1980, en dépit de la crise économique, ils avaient la quasi-certitude d’être régularisés et de s’intégrer, ce n’est plus le cas. La législation s’est considérablement durcie et l’exilé est avant tout suspect. La majorité n’obtiendra pas l’asile. Nous n’assistons pas aujourd’hui à une crise migratoire mais à une crise du droit à l’asile. Les immigrés finissent au fil des générations par se diluer dans la population. Ils ne figurent plus dans les statistiques car ils deviennent Français. Seuls leurs patronymes, quelques associations culturelles viennent témoigner de leur origine. Ils sont partie prenante de notre histoire.
Omar Benlaâla nous rapporte le récit de la vie de son père, Bouzid Benlaâla, né en kabylie en 1939. Si son grand frère (l’oncle d’Omar) fréquentait l’école coranique, lui ne s’y retrouvait pas. Il n’apprend donc pas à lire et à écrire. À l’âge de huit ans, en 1947, il est embauché comme coursier dans l’épicerie du village créée par son père après plusieurs années de migration saisonnière comme maçon à Paris. À 15 ans, sur un coup de tête il quitte l’échoppe familiale où il a acquis aisance et une forte qualité relationnelle. Laissons-lui la parole pour la suite...
“Me voilà en 1954, pris entre deux feux comme tous les autres. Pendant longtemps, j’ai même été incapable de dater les “événements“ d’Algérie. Il s’agissait alors simplement d’être du bon côté de l’Histoire, pas de l’envisager dans sa complexité. Pas idéologue pour un sou, je ne veux tuer personne, encore moins croiser ma victime. Poussé au crime, qui me dit que c’est le bon ennemi que je supprimerai ? Rejoindre l’armée de libération ? Avec les camarades on a bien essayé, mais où la trouver, cette armée ? Des fantômes. D’eux on entendait tout et son contraire, des ombres en mouvement. Il y avait tant de malheurs des deux côtés que je ne voulais être d’aucun. Et je n’étais pas le seul ! Derrière les hautes palissades, on entendait des cris. D’autres fois, c’étaient des corps mutilés exhibés sur la place publique qui nous rappelaient notre impuissance. Qu’avaient-ils donc fait, ces corps, pour être punis même après la mort ? Finalement l’homme – cet animal – s’habitue à tout. L’indépendance ! Il fallait surtout s’affranchir de la misère, et çà, ce n’était pas affaire de décret. Pour fêter l’armistice, je m’achète un costume, une chemise blanche et une cravate, puis je monte à Alger. Là, je retrouve mon père. Réfugié dans la banlieue d’Alger, car soupçonné de soutenir les fellaghas, il est recherché. Son conseil ? Retourner au village et y prendre femme. Plutôt crever. Je dois partir, au moins pour un temps goûter à autre chose. Comme tout le monde, la seule algérienne que je désirais alors, c’était la pièce d’identité. Simple comme un coup de tampon : qu’il se marie, et il aura ses papiers ? Le 16 juin 1963, le mariage a eu lieu chez nous. Ta mère et moi nous n’avions pas le même âge, ni la même expérience, et je ne me sentais tout simplement pas prêt. Le mariage n’a rien changé à mes projets. Je suis resté vingt-neuf jours avec mon épouse avant de prendre le large“.
“C’est la première fois que je prends l’avion. À Paris , je suis certain d’être bien reçu par la famille, et c’est tout ce qui compte. J’ai 23 ans, et déjà quinze de besogne derrière moi. À peine le pied posé chez les cousins, je suis accueilli à bras ouvert, dans une pièce d’une quinzaine de mètres carrés. Ma première réflexion, en observant la pièce : on va être serrés là-dedans. Pourtant il y avait le minimum vital. Avec les cousins, on discutait de la famille ou de l’Algérie indépendante. Entre nous on se chamaillait peu. Mais dans les bars, au café, la dispute était fréquente. Il y avait trop de ressentiment. Notre émigration puait la haine et la rancune. On polémiquait à en crever. Entre ceux qui reprochaient à la France de les avoir abandonnés et les déçus de l’Algérie qui laissait ses enfants se vendre à l’ennemi, çà n’en finissait jamais. On était sacrément perdus, mon fils. Alors, on s’est concentré sur ce qu’on savait faire le mieux : travailler. On ne cherchait qu’à mettre de l’argent à gauche pour le retour, à remplir la gamelle et les enveloppes à envoyer au village. On calculait en mercenaire et pas en sédentaire. Même si je ne me souciais pas beaucoup de l’avenir, une pensée me projetait loin du chantier : ta mère. L’amener en France ? Matériellement impossible. Moralement impensable : à cette époque, c’est une honte, le pire déshonneur. Mais pour moi c’était très clair : construire un foyer ici et là-bas, ce n’était pas possible. Il fallait choisir. “
“Les offres d’emploi arrivaient de partout ; il fallait juste tendre l’oreille. Dès quatre heures du matin on partait en banlieue, où les entreprises étaient domiciliées. De là, on nous dirigeait vers le chantier d’accueil. Ma première mission comme couvreur, à Courbevoie, je la dois à un cousin. Mon premier poste fixe, c’était en 1966, comme égoutier à la Distribution des eaux de la ville de Paris. J’y suis resté quatre ans, en cuissardes, à visiter la capitale à l’envers. Au début on te met manœuvre parce que tu n’as pas de qualification et que tu es prêt à tout faire. Moi j’aime bricoler le bois ; je trouve çà plus propre. Alors je suis devenu boiseur, même si je faisais toujours beaucoup de maçonnerie. Le maçon-boiseur est très recherché. Ma qualification, je la tiens d’une école du bâtiment, dans le quinzième arrondissement, rue saint Lambert, où l’entreprise m’a envoyé à deux reprises, en 1972, pour me perfectionner. Pendant un mois, on nous apprenait la lecture de plans, le traçage. La première fois, celle où j’ai eu mon diplôme, j’ai aimé çà et j’y allais volontiers. La seconde, c’était comme un mois de vacances ; je ne rendais même pas les devoirs. Il y avait de moins en moins de grands chantiers, alors on faisait de la rénovation et moi, je maîtrisais. Puis je suis allé chez Ronteix. J’ai aussi travaillé dans une entreprise de décolletage avant de reprendre dans le bâtiment. C’était le printemps de l’embauche : on changeait d’entreprise comme de chemise, jusqu’à ce que l’hiver économique arrive, et s’installe pour de bon. À l’entreprise Lefaure et Rigaud je suis resté de 1977 à 1997. Moi qui ai trente-cinq ans de bâtiment, je ne suis jamais devenu chef de chantier. Je crois que j’aurais pu si on m’avait appris, mais on ne nous apprenait qu’à rester à notre place. “
“Un délégué syndical m’a tellement cassé les pieds que j’ai pris ma carte pour le faire taire ! Une fois inscrit, je me suis dit que ce serait bien de l’écouter en détail ; je pensais qu’il comprendrait ma situation, mais les conseillers ne sont pas les payeurs : ma première réunion a été catastrophique. Les syndicalistes, des ouvriers qui passaient le plus clair de leur temps à causer. On les regardait avec curiosité, sans beaucoup d’illusions vu qu’on comprenait walou à leur charabia, quand ils voulaient bien s’adresser à nous. Ils ne pouvaient pas passer leur temps à tout nous expliquer. Pourtant, il y avait de quoi se battre : nous les ouvriers étrangers, on était vraiment considérés comme du bétail. On était baladés comme les pions d’un jeu dont on ne saisissait pas toutes les règles. Sans parler de nos conditions de vie à l’extérieur dont les syndicalistes se foutaient pas mal. Ouvrier du bâtiment travaillant sur le site de Boulogne-Billancourt, je me suis sérieusement intéressé au syndicat. J’ai appris un nouveau métier, avec de nouveaux outils : la langue et la critique. Même si j’étais protégé par la CGT, je marchais sur un fil. “
L’expérience de Riace a été saluée par le Haut-commissaire aux réfugiés de l’ONU, louée par la presse internationale et obtenu plusieurs prix. Elle a inspiré le réseau des Villes et Territoires Accueillants (ANVITA). Une personne a été à l’initiative de cette action depuis 1998 : Domenico, « Mimmo », Lucano qui a été le maire du village de Riace de 2004 à 2018, ce qui montre l’adhésion du village à l’action menée. L’école a été sauvée, des bâtiments vides ont été réhabilités, des artisans locaux ont été formés, la vie de village a repris, un peu plus colorée peut-être… L’accueil des personnes exilées à Riace allait au-delà d’un objectif purement humanitaire. En l’organisant, Domenico Lucano a voulu démontrer qu’il était tout à fait possible de construire un modèle de cohabitation viable dans un contexte socio-économique difficile, à l’opposé de la vision étatique qui ne conçoit cet accueil qu’au prisme de l’assistance et de l’exclusion, minimisant voire ignorant l’autonomie des personnes migrantes.
Cela n’a pas plu à tout le monde : ni à la mafia très présente en Calabre, ni à l’extrême droite. Le 1er octobre 2018, sous le gouvernement de Matéo Salvini, Domenico Lucano est arrêté et inculpé d’ « association de malfaiteurs visant à aider et encourager l’immigration clandestine, escroquerie, détournement de fonds et abus de fonction », et d’irrégularités dans l’octroi des financements pour le ramassage des ordures de son village. Il est également accusé d’avoir organisé des mariages blancs entre des habitants de Riace et des migrants pour leur obtenir un titre de séjour. Le 30 septembre 2021, Domenico Lucano a été condamné à treize ans de prison et à 500 000 euros d’amende, une sentence qui est presque le double des réquisitions demandées par le parquet. Aucune des fautes qu’il a commises n’a pourtant été source d’enrichissement personnel. Elles relèvent exclusivement du droit administratif, comme le fait de ne pas avoir réalisé un appel d’offres public pour la gestion des déchets de la commune... Si le détail de la décision du tribunal n’a pas encore été rendue publique, on sait qu’aucune accusation liée à l’aide à l’immigration irrégulière n’a été retenue comme Mimmo Lucano.
Derrière ce jugement, il faut lire la volonté de faire prévaloir une politique orientée vers la gestion d’urgence, négligeant le parcours d’intégration des personnes migrantes rendu possible avec le modèle alternatif et inclusif que proposait le maire de Riace. Il est possible que Lucano soit responsable de failles dans la gestion administrative du dispositif qu’il a mis en place, en essayant d’adapter les contraintes du système national d’accueil à une réalité locale spécifique dans une situation socio-économique particulière. Mais, lorsque le procureur le traite de « bandit idéaliste de western », allant jusqu’à faire référence à la mafia, non seulement il place ces irrégularités au même plan que de graves infractions criminelles mais, en plus, laisse entendre que le maire de Riace serait un ennemi de l’État, au seul motif qu’il contestait la politique de non-accueil mise en place par les gouvernements italiens successifs. Depuis sa condamnation, les manifestations de soutien en faveur de l’ ancien maire de Riace se multiplient en Italie et ailleurs. Alors que la politique d’accueil menée par « Mimmo » Lucano avait fait de Riace et de son maire les symboles d’un projet de société alternative, fondé sur l’entraide, sa condamnation est largement perçue comme une énième attaque contre la solidarité avec les personnes migrantes.
La condamnation de Mimmo Lucano est bel et bien un jugement politique. Parce qu’elle sanctionne, au-delà de ce qui est imaginable, une expérience alternative de société, de communauté, qui va à l’encontre de celle que voudrait imposer une droite xénophobe et souverainiste et d’une politique européenne qui repousse les migrants hors de ses frontières et criminalise la solidarité.
Face au signal alarmant envoyé par la justice italienne, qui voudrait faire croire qu’on ne peut penser la migration qu’en termes de contrôle et de sécurité, de nombreuses associations invitent à agir auprès des élu.e.s locaux pour poursuivre l’action de Mimmo Lucano afin de créer de véritables « villes accueillantes », remparts contre les politiques d’inhospitalité de l’Union européenne et de ses États membres.
À l’automne 2016, à la suite des démantèlements de la “jungle“ de Calais et de camps parisiens, des demandeurs d’asile sont relocalisés en Haute-Vienne. En complément des CADA (Centres d'accueil pour demandeurs d'asile) et d’un CAO (Centre d'accueil et d'orientation) déjà en place, de nouvelles structures sont ouvertes. Un CAO provisoire est ainsi créé à Saint-Léger-la-Montagne, dans les Monts d’Ambazac, dans un centre de vacances du comité d’entreprise de la SNCF. L’arrivée de ces réfugiés fait grincer des dents : des réfugiés à la télé, oui, mais pas devant sa porte… Un collectif local de solidarité avec les migrants commence à se constituer pour répondre à ces inquiétudes. Quelques semaines plus tard, une quarantaine de personnes arrive sur Limoges dans des locaux de l’Afpa, rue de Babylone, servant également de CAO.
Début novembre 2016, une cinquantaine de personnes, représentant des associations, des syndicats, ou des partis politiques, et quelques électrons libres, décide de mettre en place un collectif de soutien aux migrants. Son nom, Chabatz d’entrar, “finissez d’entrer“, reprend la traditionnelle formule d’accueil occitane. Le collectif tente de prendre contact avec les responsables du CAO de la rue de Babylone, mais il est perçu avec une connotation trop politique et se voit refuser l’entrée du centre. Des réfugiés viennent néanmoins à quelques réunions et manifestent leur besoin de suivre des cours de français, même s’ils bénéficient déjà de cours au CAO. Ce n'est pas assez à leur goût car ils ont soif d’apprendre rapidement la langue pour se débrouiller dans leur quotidien et s’intégrer comme on leur demande si bien… Un groupe se forme pour animer des cours de français et du soutien scolaire, pour jeunes mineurs scolarisés, à la bibliothèque municipale de Limoges. Très vite les membres “réguliers“ du collectif se retrouvent confrontés au problème de l’hébergement. Une première tentative de réponse, avec plus ou moins de succès, se concrétise par des hébergements chez des tiers, des nuits d’hôtels payées grâce au soutien financier de l’association des sans-papiers et de l’argent récolté lors de manifestations organisées par le collectif.
Novembre 2017, l’assemblée générale de Chabatz d’entrar réunit une soixantaine de personnes. Sont dégagées des perspectives, dont la plus urgente est de se faire entendre sur la place publique sur la question de l’hébergement d’urgence. La décision est prise, si rien ne se passe après la trêve hivernale (fin mars), d’ouvrir un lieu pour dénoncer les carences de l’État. Pour préparer cette manifestation et étayer ses demandes, des membres du collectif maraudent dans les rues de Limoges. Il suffira d’une seconde maraude pour rencontrer trois familles avec des enfants dans la rue. Le 115 est contacté : “Désolé, il n’y a pas de place, nous vous mettons sur la liste d’attente“. Les membres du collectif ne peuvent repartir chez eux en laissant ces familles dehors. La raison humaine l'emporte sur la raison politique. Une solution temporaire est trouvée, puis des nuits d’hôtels sont payées, mais le bas de laine s’épuise très vite. Le problème de l’hébergement devient de plus en plus crucial et fragilise le groupe. Si le collectif n’a pas vocation à se substituer aux défaillances des pouvoirs publics, nombre de ses membres sont pris au dépourvu face à la détresse de ces personnes qui dorment à la rue. Diverses possibilités d’ouverture d’un squat sont alors étudiées et un lieu retient particulièrement l’attention : les locaux inoccupés depuis huit ans de l’ancien Centre régional de documentation pédagogique (CRDP), installés sur le campus de la faculté de Lettres. Les locaux sont suffisamment spacieux pour accueillir un nombre important de personnes et pas trop dégradés pour permettre une vie quotidienne presque normale.
Le 11 mai 2018, au nez et à la barbe de voisins bienveillants qui appelleront aussitôt la police, les militants aident les premières familles à s’installer dans ce squat, ce qui leur permet de ne pas dormir dans la rue, à la gare ou dans un jardin public. Tant bien que mal, le lieu a été aménagé pour que les occupants y trouvent un minimum de “confort“ et de repos. Le lieu a été investi progressivement et au bout de quelques temps l’occupation est complète sur trois étages jusqu'à accueillir plus de 70 personnes exilées dont un tiers d’enfants de tous âges.
Le collectif ne se satisfait pas pour autant de cette solution précaire qui n’est pas si simple à vivre pour les habitants. Alors, il continue ses actions : rencontre avec le secrétaire général du préfet qui, droit dans ses bottes, déclare que la préfecture n’a pas pour vocation de reloger des personnes qui sont en situation irrégulière ; conférence de presse ; courrier au doyen de la faculté de Lettres ; rencontre de la région Nouvelle-Aquitaine (propriétaire des locaux). Celle-ci se dit fort embêtée car elle a le projet de réaliser dans ces bâtiments un pôle de formation sanitaire et social et, évidemment, prévoit de commencer les travaux très rapidement. Néanmoins, elle souhaite rassurer le collectif : “Nous ne vous expulserons pas… Nous souhaitons une solution d’hébergement pour tous afin que vous puissiez libérer les lieux. Aussi, il nous est nécessaire de connaître le nombre de familles vivant au squat, etc.“ Le collectif laisse venir et ne fait aucune réponse très précise. De leur côté, les représentants de la région, dont Monsieur Vincent, conseiller régional, tente de rassurer – “La région souhaite une solution humaine à une situation inhumaine.“ – tout en évitant de prendre tout engagement écrit quant à la revendication du collectif : la création d'au moins 200 places d’hébergement en Haute-Vienne.
Le 14 août 2018, la Région dépose finalement une requête en référé auprès du tribunal administratif de Limoges demandant l’expulsion en urgence des occupants (y compris durant la trêve hivernale !) arguant que “l’urgence est constituée par le projet de réhabilitation du bâtiment“, que “le bâtiment est occupé […] dans des conditions particulièrement précaires“ et que “l’occupation est illégale en raison de l’absence de tout titre et droit de ses occupants“. Le 29 août, le tribunal administratif décide que la demande en référé, donc en urgence, ne se justifie pas. Il estime que le projet de pôle de formation sanitaire et social que la région veut implanter dans le bâtiment n’est pas suffisamment avancé pour que l’expulsion des migrants soit ordonnée.
Depuis ce premier procès, le collectif n’a cessé de se mobiliser, invitant le préfet de la Haute-Vienne et ses services, le président de Nouvelle-Aquitaine, le président du conseil départemental, le président de l’agglomération de Limoges, le maire de Limoges et le directeur du SIAO (Service intégré de l'accueil et de l'orientation) à une table ronde “pour discuter de la possibilité qu’un ou des lieux d’hébergement pérennes soient installés, permettant de répondre tout à la fois à la nécessité de l’hébergement inconditionnel, en proposant également l’accompagnement social indispensable“. La seule réponse de ces autorités a été de faire passer une commission de sécurité le 12 octobre 2019...
Ce squat en plus d’être un lieu de vie, a permis de développer de nombreux ateliers et activités. L’association PAN! (Phénomènes Artistiques Non !dentifiés) y organise un café-géo permettant de raconter les trajectoires de vies des migrant.e.s. Des étudiants proposent une cantine collective à prix libre pour les étudiants et militants et gratuite pour les résidents du CRDP. Yamina, une algérienne de 40 ans, témoigne : “C'est trop bien parce que malgré la différence d'âge, on est à l'aise ici. Il y a tout, comme pour les autres. On a des cours de français, des activités sportives et même du théâtre pour les enfants. S'il y a un autre endroit mieux que ça, on ira, mais sinon, on reste ici !“ Un Camerounais complète : “On a trouvé une enceinte familiale. Et un partage pour tous. Nous qui vivons ici depuis un certain temps, c'est comme si on était coupé du monde. C'est comme si la société nous repoussait. Mais des hommes de bonne volonté, de bonne moralité, sont venus ici pour nous aider. Ça nous réconforte.“
Évidemment la région Nouvelle-Aquitaine a de nouveau demandé au tribunal administratif de se prononcer sur l’expulsion des résidents du CRDP. Le procès a eu lieu le 5 avril 2019. Alors que lors du premier procès l’avocat de la Région n’avait pu démontrer l’urgence des travaux projetés, il produit cette fois un dossier de 416 pages pour prouver l’urgence de la rénovation des lieux dans le cadre de “l’université du futur“ pour installer 950 étudiants en septembre 2020. Le tribunal décide le 10 avril que les lieux doivent être libérés sous quinze jours, bien qu'il n'y ait aucune solution de relogement pour les occupants du CRDP. Le collectif tout comme les occupants ont l'impression de s'être faits “balader“ par la région et déplorent l'absence des collectivités locales et de l’État sur le dossier : “Il n'est pas possible de mettre 30 enfants, 60 adultes à la rue tout simplement parce que les collectivités locales et l’État n'assument pas leurs responsabilités. Il y a une mission d'hébergement , et quand on appelle le 115, le 115 est plein !“
La menace d'expulsion n'est pas facile à vivre pour les résidents comme Amelia. Persécutée en Angola, elle est arrivée en France il y a 3 ans et vit au CRDP depuis septembre 2018 avec ses 4 enfants : “On a créé une intimité avec les gens ici, avec cet endroit, avec les étudiants. On sait qu'un jour on va partir d'ici, mais c'est une tristesse, c’est une angoisse qui reste dans nos cœurs. On ne sait pas où on peut aller. Cela fait 9 mois que j’appelle le 115 et qu'ils disent qu'ils n'ont pas de place. La région veut récupérer cet endroit. Où est-ce qu'on va aller ?“ Un sursis d'un mois est généreusement accordé par la Région, ce qui repousse l'expulsion au 25 mai. 75 personnes (dont 25 enfants) allaient se retrouver à la rue. C'était sans compter avec la détermination du collectif Chabatz d'entrar qui vient donc d'installer tout ce monde rue du Pont-Saint-Martial. Mais pour combien de temps ? La question de l'hébergement d'urgence reste toujours posée.
Mimmo Lucano, maire de Riace en Italie, a été condamné à 13 ans de prison pour délit de solidarité. La cause ? Avoir accueilli 200 naufragés kurdes puis avoir fait revivre son village avec la participation des réfugiés (voir IPNS n°77). 38 auteurs et 19 graphistes ont formé un chœur d’artistes pour faire un livre : Terre d’humanité, un chœur pour Mimmo, préfacé par Edwy Plenel et édité par le Merle moqueur et Manifestes ! Un livre de combat avec les armes de la poésie, du récit, de la fiction, du manifeste, des images...