Les espèces généralistes, comme le merle noir et le pinson des arbres, se reproduisent dans un large panel de milieux : forêts, parcs urbains, bocages… Les espèces spécialistes ont, elles, besoin d’un habitat particulier pour se reproduire. C’est le cas du pouillot siffleur, qui sélectionne ses boisements : en Limousin, son habitat principal, noté sur les points d’écoute, est le chêne dans 96 cas, le hêtre 36 cas, les autres feuillus 34 cas, et les résineux seulement 23 cas. Il lui faut un sous-bois clairsemé pour effectuer son chant nuptial en voletant entre les branches basses. La mésange boréale, très présente sur le plateau, peut être observée dans les boisements de saules dans les secteurs humides. Les vieux arbres aux écorces crevassées et aux branches dépérissantes sont le terrain de chasse du pic mar, qui exploite la ressource alimentaire plus haut que le pic épeiche mais moins que l’épeichette qui va jusqu’aux fines branches de la cime.
La diversité des essences au sein d’un peuplement forestier ou de petits massifs juxtaposés est le premier indice d’une richesse ornithologique. Dans le boisement, on regardera s’il y a des habitats variés, susceptibles de répondre aux attentes de diverses espèces : sous bois et clairières, ronciers épars, gros arbres et jeunes arbres, strate herbacée, cavités nombreuses et de dimensions variées… qui sont autant de niches écologiques pour les oiseaux. On jugera de l’abondance de la ressource alimentaire par la présence de bois mort sur pied ou à terre, véritable garde-manger grouillant d’insectes, ou par la production de graines, importantes pour les tarins des aulnes et autres bouvreuils en hiver. Enfin, l’ancienneté de la forêt est un facteur essentiel : écosystème complexe, c’est avec le temps que les êtres vivants la peuplent, s’y adaptent, développent des relations entre eux… La chouette de Tengmalm, petite rareté régionale avec quelques couples sur le plateau, n’a pu s’installer que suite à la colonisation des hêtraies par le pic noir. Mais pour que le pic noir se reproduise avec succès, il doit trouver un hêtre au tronc bien droit, dépourvu de branches en dessous de 10 m et de diamètre suffisamment important pour y forer ses loges. Si les hêtraies avaient disparu dans les années 70, ces deux espèces ne seraient jamais apparues sur le territoire. Qu’en sera-t-il dans 20 ans ?
Une étude statistique sur le suivi STOC-EPS1 du Limousin en 2003 a montré que les forêts semi-naturelles et mixtes obtenaient des indices de richesse, diversité et d’abondance toujours supérieurs à ceux des forêts de conifères. Si les plantations de douglas et d’épicéas, qui couvrent une grande partie du plateau de Millevaches, abritent bien peu d’espèces (mésange noire, pinson, roitelets et quelques bec croisés disparates), c’est bien le mode de gestion qui est en cause et non le résineux en tant que tel. Plantations monospécifiques sur de grandes superficies, travaux d’entretien éliminant toutes repousses spontanées, coupes rases à 40 ans… un écosystème forestier ne peut se former dans de telles conditions. Heureusement, le plateau possède encore de magnifiques hêtraies, de vieux boisements de bouleaux et saules. Le grimpereau des bois y trouve refuge, mais pour combien de temps encore ? Ces forêts doivent absolument être préservées pour que, le jour où les gestionnaires forestiers seront plus raisonnables et responsables et verront la forêt autrement que sous forme d’euros à la place des troncs, gobemouches gris et autres bouvreuils n’aient pas totalement disparu et puissent réinvestir les lieux.
Etienne Dupoux, SEPOL