Les champignons sont des organismes à part, avec leur morphologie plutôt végétale et leur biologie plutôt animale. Intéressons-nous à ceux qui forment des carpophores, organes de fructification qui sont les parties visibles que nous récoltons. Les champignons adoptent des modes de vie distincts. Les parasites, tels que les armillaires, se développent sur les arbres vivants, entraînant leur affaiblissement voire leur mort ; ils participent à la régulation des peuplements forestiers. Les saprophytes comme les coprins se développent sur la matière organique morte ; ce sont des décomposeurs essentiels dans le cycle forestier, car ils sont seuls capables d’attaquer la lignine. Les mycorhiziens comme les cèpes s’associent aux racines des plantes, dans une relation symbiotique.
Presque toutes les plantes vivent en symbiose avec des champignons, qui s’associent étroitement avec certaines essences : les amanites tue-mouches avec les bouleaux. Un même champignon peut s’associer avec plusieurs arbres : le mycélium constitue un réseau entre les arbres d’un massif, par lequel transitent substances et informations !
Les mycorhizes ont un rôle majeur dans la croissance des arbres. Ils améliorent la nutrition hydrique et minérale de l’arbre, en échange de carbone issu de la photosynthèse. Point majeur sur les sols du Plateau, ils protègent les ligneux contre l’acidité et les éléments toxiques (aluminium)1. Enfin, ils sont quasiment les seuls organismes à pouvoir recycler la matière organique dans de telles conditions de sol. C’est une stratégie écologique : en bloquant les minéraux sous forme d’une litière acidifiante que seul leur cortège mycorhizien peut dégrader, résineux et éricacées (callune, bruyères) s’assurent de l’exclusivité sur les ressources du milieu2.
Les parasites vont poser problème au forestier, d’autant plus dans des futaies mono-spécifiques. L’exportation d’une part croissante de la biomasse réduit les habitats des saprophytes. Les mycorhiziens sont directement influencés par le choix des essences : la plantation massive d’épicéas a permis l’explosion des cèpes sur le Plateau, à l’origine d’une économie importante pour les habitants. Mais le douglas, originaire de l’Oregon, ne forme que peu d’associations avec les souches fongiques locales.
Certains forestiers ont conscience de l’intérêt agronomique des mycorhizes. L’INRA a breveté l’inoculation artificielle des jeunes plants de douglas par une souche sélectionnée de Laccaria bicolor3. L’utilisation d’essences plus locales et de pratiques plus douces (régénération naturelle, mélange d’essences, petite mécanisation) permettrait de valoriser le potentiel mycorhizien naturel des sols du Plateau, et de satisfaire les habitants qui continueront à ramasser des champignons.
Gaël Delacour