En Limousin, la tempête a touché 123 000 hectares de forêt (soit 22%). 62 000 hectares ont été détruits à plus de 50%. Tous les chiffres concernant la forêt étant départementaux, il est difficile d’en donner pour le seul plateau. Néanmoins on sait que celui-ci a été des plus touchés....
Régionalement, la tempête a détruit 15 millions de m3, soit 15% du volume de bois sur pied. Les résineux ont plus été touchés (9,3 millions de m³ dont la moitié d’épicéas) que les feuillus (5,7 millions). Logique vu la dominance des résineux sur la zone la plus frappée. Un tel volume de bois représentait environ 7 années de récolte, toutes essences confondues. Si on ne retient que les résineux, ce sont en fait 10 années de récolte tombées en une seule nuit.
Les deux premières années après la tempête, la priorité a été la récolte des bois les plus fragiles, qui pouvaient être attaqués par les insectes et les champignons. Pour le plateau, surtout l’épicéa. L’exploitation du douglas, au contraire, était volontairement repoussée à plus tard, son bois étant naturellement beaucoup plus résistant.
Mais la toute première intervention a concerné l’accès à la forêt : 2300 kms de pistes et routes forestières ont été déblayées. Les propriétaires, les professionnels et les pouvoirs publics s’étaient fixés pour objectif de récupérer en trois ans les deux tiers des bois abattus. Il a été tenu, puisque au 31 décembre 2002, 5,5 millions de m³ de résineux avaient été récoltés (60%) et 4.3 millions de m³ de feuillus (75%). On évalue enfin que 1,8 millions de m³ de feuillus sont partis en bois de feu pour le chauffage domestique. Tout cela a été rendu possible par la mobilisation en trois ans de 56 millions d’euros d’aides publiques.
Fin 2002, quelque 7500 hectares sont en cours de reconstitution, majoritairement en douglas, dont 4500 pour la seule année 2002. Les prévisions pour 2003 sont du même ordre. Le coût moyen du nettoyage et de la reconstitution est d’environ 3400 euros à l’hectare.
Il existe au Ministère de l’Agriculture un ”département de la santé des forêts” qui surveille l’état des forêts françaises. Celui-ci a été particulièrement attentif aux effets sanitaires de la tempête. En effet la masse de bois tombé et laissé à l’abandon représentait un véritable festin pour les insectes sous-corticoles et xylophages. On l’a dit, c’est l’épicéa qui était le plus exposé. Dès 2000, la colonisation était commencée sur cette essence.
Mais contrairement à la Bourgogne, par exemple, le Limousin n’a subi que des attaques de faible intensité. Les scolytes se sont cependant assez développés sur le plateau par rapport au reste de la région. De gros foyers ont été repérés notamment autour du lac de Vassivière.
La Banque de France a mené en 2002 une étude sur les conséquences financières de la tempête sur les entreprises de la filière. Il en ressort que globalement ”la situation des entreprises de la filière bois peut être jugée favorablement ; les conséquences de la tempête ont été bien moindres que ce qui était craint dans les premières semaines de 2000. Il n’en demeure pas moins que des interrogations subsistent pour l’avenir quant à l’écoulement des stocks importants constitués et à leur coût de négociation d’autant plus que les acheteurs étrangers semblent plus actifs actuellement”.
Source : DRAF INFO (janvier 2002), Lettre d’information de la Préfecture de la Région Limousin (avril 2002), Informations techniques du département de la Santé des Forêts-Massif Central n° 49 et 52, Banque de France “La filière bois en Limousin en 1999, 2000 et 2001“
En matière d’environnement on le sait, l’opportunisme du monde industriel est souvent de mise pour faire toujours plus de business. Tel est particulièrement le cas depuis que la question climatique est sur le devant de la scène, notamment à chaque sortie d’un nouveau rapport toujours plus alarmant du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat).
Dans le domaine de la sylviculture et de la gestion forestière, un point est souvent en question chez les propriétaires forestiers et les gestionnaires, celui du seuil à retenir pour l’âge d’exploitabilité des arbres (cas d’un peuplement en futaie régulière) ou pour le diamètre d’exploitabilité (peuplement en futaie irrégulière, i.e. : la forêt pérenne).
Or depuis quelques années, en lien avec la logique de plus forte mobilisation des bois, un discours récurrent et croissant émerge visant à utiliser le prétexte du changement climatique et son cortège de catastrophes - où figurent en bonne place les tempêtes - pour réduire les seuils d’intervention.
La mise en avant du risque tempête, prétendu croissant, est en effet assez pratique pour faire pencher un propriétaire hésitant vers la coupe plutôt que vers la capitalisation du bois sur pieds.
L’argument clé est le suivant : plus on attend plus on risque de voir son peuplement frappé par une tempête dévastatrice, donc il faut couper plus tôt qu’avant.
La filière sait bien aussi que les épisodes des tempêtes Lothar et Martin en 1999 puis de Xynthia en 2010 ont suffisamment marqués les esprits et traumatisé bon nombre de propriétaires forestiers pour s’en servir plus que de raison.
Certes, il est admis que la sensibilité aux tempêtes des peuplements augmente avec leur hauteur. Mais il a aussi été constaté que d’autres facteurs sont très souvent prépondérants : enracinement des arbres favorisé par des éclaircies précoces et régulières, nature du sol, exposition de la parcelle, mélange d’essences améliorant la stabilité des arbres.
En France, le seuil retenu par les assureurs pour indemniser les dégâts dus au vent est de 100 km/h en vitesse de vent instantané. En reprenant des critères voisins de ceux utilisés par les assureurs Dreveton (2002) on a sélectionné 734 épisodes de vent fort en France sur la période 1950-1999, soit une moyenne de 14,7 par an.
L’utilisation d’un seuil de 20% des stations françaises ayant un relevé de vent maximal instantané quotidien supérieur à 100 km/h au cours d’un jour sur une période de trois jours, a permis d’isoler 71 fortes tempêtes sur cette période, soit 1,4 par an en moyenne. Le nombre d’épisodes de vent fort présente une forte variabilité interannuelle (7 en 1968, 26 en 1962), ainsi que celui des fortes tempêtes (0 en 1989, 1993 et 1998, 5 en 1965).
Cette importance et cette variabilité du nombre de tempêtes par an constatées en France sur une assez longue période, montrent bien, sans même intégrer les derniers travaux du GIEC, que faire reposer une stratégie de gestion forestière - nécessairement inscrite dans le temps long - sur le seul argument de la récurrence des tempêtes ne tient pas la route. Mais se focaliser sur les moyens pour accroître la stabilité des peuplements n’est peut-être pas un point qui intéresse spécialement la filière !
De surcroît, sur terrain granitique, plusieurs études ont démontré qu’une récolte trop précoce des peuplements, de douglas notamment, risquait d’appauvrir les sols : l’exportation d’éléments minéraux est, dans ce cas, supérieure aux restitutions. Au-delà de 60-70 ans, exportations et restitutions s’équilibrent préservant donc la fertilité du sol.
Des révolutions courtes répétées entraîneront l’épuisement des sols, donc une baisse de croissance des peuplements futurs, sauf recours à des amendements coûteux.
A bon entendeur ...
Vincent Magnet