Le point de départ c’est 2018. Nous avions déjà un lieu à Gentioux et une association, la Bête Rave où nous faisions de la culture de légumes et aidions à la mise en place de jardins partagés. Mais nous étions à l’étroit, avec trop peu de terrains. Nous avions également repris une association culturelle « La loutre par les cornes » et nous organisions des concerts, des spectacles, des rencontres, des cantines solidaires.
En 2016-2017, sur la commune de la Villedieu, nous sommes informés d’une coupe rase de résineux, une de plus, une de trop. Cette coupe a eu lieu au village de « La Baraque ». Un village inhabité depuis plusieurs années. Le propriétaire des terres et des bâtiments était CNP Assurances, une compagnie d’assurance. Le terrain devait ensuite être tristement replanté en douglas et le hameau risquait de disparaître.
Après une plantation de résineux, la terre est appauvrie, très acide. Y implanter des cultures paysannes est très difficile mais nous voulions montrer que c’était possible, que l’appauvrissement n’est pas irréversible. Nous avons donc fait une offre d’achat sur cinq hectares avec un projet de culture de légumes et verger. CNP l’a refusée. Les négociations se sont enlisées. Le 13 janvier 2018 une marche de soutien a réuni 60 personnes sur le site. La presse locale a bien relayé l’événement. Rendre vie à ces maisons et à la terre, permettre à des jeunes de s’installer dans le village et l’animer, était un projet positif, soutenu par la mairie de La Villedieu. Une réponse positive de la CNP est arrivée 10 jours plus tard ! La vente du terrain par la CNP à la mairie n’est intervenue que tardivement mais nous avons pu nous installer dans les bâtiments depuis trois ans, et nous sommes en train de chercher des fonds pour devenir propriétaires sous forme associative des terrains et des maisons.
Nous avons refait la toiture d’une grange qui nous permet d’organiser des rencontres, des concerts, de fixer des habitants dans un lieu qui était désert. Aujourd’hui nous sommes cinq habitants permanents. Un lien fluide et intergénérationnel se crée entre les habitants du Bourg et nous. Nous avons construit une serre à tomates et menons une réflexion et des expérimentations sur que faire après une coupe rase. Depuis trois ans, nous subissons des sécheresses, cela rend nos essais pas encore très concluants mais on reste motivé. Une serre bioclimatique est en cours de construction.
Via l’association La Bête rave, nous avons planté près de 150 à 200 arbres fruitiers. Nous comptons en planter d’autres, faire une forêt comestible et des tests en agriculture syntropique. Nous proposons nos tomates, courgettes et pommes de terre sur un petit marché improvisé sur la place du village. Tous nos produits sont à prix libre.
La Loutre par les cornes compte aujourd’hui plus de 800 adhérents dans toute la France. Des centaines de personnes différentes sont passées sur le site. Nous organisons des concerts, des projections de documentaires, des spectacles. Nous proposons régulièrement une cantine végétarienne solidaire. Nos activités se veulent non-marchandes, basés sur le prix libre ou la gratuité. Nous accueillons également des artistes en résidence.
Actuellement nous refaisons toute la charpente et la toiture de notre future grange d’activités. Nous organisons des chantiers participatifs. Nous transformons nous-mêmes les grumes de douglas en solives et planches, en partageant nos savoirs, nos pratiques et en apprenant ensemble.
Lello : Je suis de Limoges. Je suis arrivée ici par l’intermédiaire de copains. Par l’association « La Loutre par les cornes » je venais déjà à Gentioux mais le site a fermé. L’été suivant la fermeture, je suis venue en vacances chez des ami-es qui vivaient en colocation à Bellevue (Faux la Montagne). J’ai appris le déménagement de la Loutre et suis venue pour les concerts. En septembre 2021, je me suis installée d’abord dans un mobil home prêté, puis dans ma caravane. Je ne suis plus repartie !
C’est le projet culturel qui m’a d’abord attirée, puis les liens qui se créent entre les habitants. Les élus nous ont soutenus (l’un d’entre nous fait maintenant partie du conseil municipal). Les anciens sont contents de voir des jeunes arriver à La Villedieu. Après avoir vécu un an à La Baraque une copine habite maintenant dans le bourg, un logement loué par la mairie, à côté de Virginie qui donne des cours de yoga.
En plus des soirées culturelles, je participe au maraîchage, à la construction de la serre et surtout aux chantiers participatifs organisés pour la remise en état du lieu, la restauration de la petite maison et maintenant les travaux de charpente. La vie que nous organisons ici est une manière de mettre en pratique l’écologie, la décroissance.
Nous habitons dans la région et nous sommes venues pour un chantier participatif de deux jours.
Chantier pour construire des murets en pierre afin de faire des espaliers pour y planter de la vigne. Ce chantier est en « non-mixité ». Il s’agit pour nous d’être dans un espace où nous sommes plus à l’aise pour apprendre, pour la transmission des savoirs. Entre femmes, nous sommes plus à l’aise pour utiliser des outils, pour apprendre à faire, sans qu’un homme vienne le faire à notre place. Nous apprenons à sortir des stéréotypes de genre, à faire par nous-mêmes.
Nous sommes venues de Belgique, en résidence artistique arts plastiques. Nous recherchons des lieux de cohabitation, de rencontres entre personnes différentes qui construisent, restaurent. Nous avons trouvé un espace de travail qui correspond tout à fait à ce que nous cherchions. Nous sommes sur un tournage low cost. Nous construisons des récits fictifs de science-fiction en utilisant la géobiologie du lieu. Ainsi, par exemple, nous avons construit des murs en torchis avec du noisetier nous avons pu filmer des rayons lumineux dans la serre, nous imprégner du lieu des rochers de Clamouzat. Ce qui nous a frappés, c’est la quantité de réseaux partout, la connexion entre les gens, entre des jeunes vivant en Belgique, partout en France, et ailleurs.
Propos recueillis par Jeannine Otte