Les raisons, puisqu’il faut les chercher, on finit toujours pas les trouver. Dans le dossier qui incrimine Marie-Claire il y en a plusieurs. Exemple ? Grandes randonneuses, Marie-Claire et Anne discutent de leurs marches en Bretagne. De l’une, elles sont revenues en bus, de l’autre en bateau :
Cette conversation anodine et ces rires enregistrés par la police sont aux yeux de la juge une preuve de leur implication dans l’incendie du relais... des Cars !
Autre scène enregistrée. On est en pleine crise du Covid et France Inter est allumé. En plein débat sur le vaccin, il y est question de la dispense de vaccination qui pourrait être accordée aux personnels de la police. On entend Marie-Claire s’étonner : « Ils veulent que tous les flics crèvent du Covid ou quoi ? » Ce que la juge entend comme... un désir de voir « crever » tous les flics !
Et tout à vau l’eau : elle connaît le Circaète Jean-le-Blanc (note relevée chez elle suite à une conférence ornithologique). Le nom de cet oiseau apparaît dans le communiqué de revendication de l’incendie des Cars. Élément évident que c’est bien elle qui a dû l’écrire. D’autant que des éléments d’un texte paru dans la revue Z, revue qu’elle a chez elle, sont également repris dans le communiqué. Ses avocats ont beau jeu de montrer, preuve à l’appui, que ce texte était en accès direct sur internet depuis des mois avant l’incendie et que la revue a quelques milliers de lecteurs, c’est avec ce genre d’arguments qu’on maintient Marie-Claire sous surveillance. Celle-ci ironise : « Dans une fiction, ce scénario serait de suite retoqué pour invraisemblance ! » De même, on a fouillé son ordinateur de fond en comble. L’instruction note qu’il n’avait pas de code, que rien n’était crypté et qu’aucun élément n’intéresse l’enquête... On le garde quand même sous le coude et on refuse de le lui rendre...
Ne soyons pas dupes. Les raisons de cet acharnement judiciaire sont à chercher ailleurs.
En faisant durer les choses, la police et la justice veulent rendre crédibles les accusations qu’elles peinent à prouver. C’est vrai quoi, cela va faire bientôt un an et demi qu’elle est sous contrôle judiciaire, c’est bien qu’il doit y avoir quelque chose. Plus le temps passe, plus les gens oublient. Reste la vague idée qu’une femme a des ennuis avec la justice et que si ça dure c’est que la police a sûrement de bonnes raisons.
C’est aussi le moyen de démoraliser, d’inquiéter, de faire peur à des personnes engagées à qui on fait clairement comprendre qu’ils sont sans doute écoutés et/ou surveillés. L’arrestation en janvier d’un autre habitant de Gentioux, toujours dans la même affaire, en est un exemple supplémentaire. On peut se faire arrêter facilement à la descente du lit un matin tôt, faire trois jours de garde à vue et être relâché, comme lui, sans inculpation – ou avec, si on a employé des mots à double sens dans une conversation comme Marie-Claire. Message passé aux militants : « Tenez-vous à carreau, on vous a à l’oeil ! »
C’est enfin le moyen de glaner de l’information sur ce qui se passe sur le Plateau, ce « chaudron de l’ultra-gauche » que fantasment journalistes parisiens téléguidés (voir IPNS n°79) ou policiers mono-obsessionnels. Écouter untel, ficher unetelle, tisser des liens entre les gens et les initiatives, relier telle association à telle personne, dessiner la carte rêvée de quelque complot contre la sûreté de l’État comme l’on disait autrefois. Message passé à tout le monde : attention à ces gens-là, ils sont dangereux et vous avez intérêt à vous en méfier. Qui, au vu de tous ces éléments, peut avec certitude affirmer : « Je ne crains rien, ils ne pourront rien trouver sur moi » ?
Laissons la parole à Marie-Claire : « Je ne peux rien prévoir pour l’avenir parce que j’ai une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Je ne dors plus, je suis en dépression nerveuse, ma vie a été brisée le 15 juin 2021 à 6h15 du matin et tout ça parce qu’un récit policier ne s’appuyant que sur des impressions et suppositions à partir d’indices très flous, d’orientations politiques et de fréquentations, me condamne à attendre que la justice ait le temps de se pencher sur mon cas. Je connais l’état du service public dans ce pays. J’étais fonctionnaire moi aussi, mais je croyais encore qu’il existait une liberté de penser, d’exprimer ses idées, de chanter ce qu’on voulait et de fréquenter qui on voulait. Je suis victime d’un acharnement qui va totalement à l’encontre des principes démocratiques d’un état de droit. Après la surprise, la terreur, l’abattement, l’écœurement, c’est la colère qui est arrivée face à cette injustice qui me poursuit. En ce qui me concerne, cette affaire est un scandale ! » Le 16 août 2022 elle s’adressait ainsi à la juge : « Cette histoire a assez duré et je vous demande donc de me libérer de ce joug et de mettre fin à ce cauchemar au plus vite ! » La réponse s’est fait attendre dix jours : c’est non, a dit la juge. Qui, en allégeant à la marge le contrôle judiciaire l’a par ailleurs alourdi (ainsi si Marie-Claire peut désormais se rendre en Haute-Vienne, elle ne peut plus sortir du territoire métropolitain national). C’était la troisième fois qu’elle demandait une levée ou un aménagement de son contrôle judiciaire. C’est la troisième fois qu’on le lui refuse.
Michel Lulek