Ce discours débute sur par quelques phrases de remerciements pour « ses » électeurs et d’hommage aux militants creusois. M Moreau dévoile ensuite, avec toute la modestie et la nuance que nous avions appris à lui connaître, son bilan de 5 ans de mandat de député. « Je vous adresse ce dernier mot qui me ressemble sans éléments de language, ni langue de bois mais sorti directement de mon cœur, de mes tripes, de mes convictions. Cela va sans doute choquer mais j’en ai pris l’habitude et c’est moi je ne me referai pas à 45 ans ». Il se lance donc dans une longue diatribe post-factuelle dont il s’est fait une spécialité. La technique est utilisée presque systématiquement: il faut dénoncer une soi-disant vérité cachée, pour avoir l’air d’être courageux et intelligent, mais sans jamais, au grand-jamais ! donner aucun élément factuel vérifiable qui permettrait de fonder les accusations et de pouvoir lui donner la réplique.
Dans son texte, JB Moreau commence par balancer du lourd sur les élus creusois :
« Ces femmes et hommes politiques se foutent du département comme ils s’en sont toujours foutu.( …) Ils n’ont rien foutu pour le département si ce n’est serrer des pognes en racontant n’importe quoi, se remplissant les poches ainsi que celles de leurs affiliés. Ah si il insulte et diffame aussi. »(sic)
L’ex-député accuse publiquement une partie de (toute ?) la classe politique du département de corruption et une personne (« il ») est accusée de diffamation.
L’ex-député Moreau, lanceur d’alerte ? Qui sont-ils ces élus corrompus ? Combien ont-ils touché ? De la part de quelles officines ? Via quels paradis fiscaux ? M Moreau a-t-il contacté la justice ? Médiapart ?
Nous n’en saurons évidemment rien. Aucun nom, aucun fait. Rien. Les journalistes locaux ont ressayé d’en savoir plus sans succès. France 3 Limousin semble même avoir tenté de ramener M Moreau à la raison, sans succès non plus.
Quant à cette affaire de diffamation, difficile également de savoir de qui et de quoi il parle. Il y a du panache à se plaindre d’être diffamé juste après avoir accusé tous les élus de Creuse de corruption. M Moreau a-t-il porté plainte contre ces propos inconnus ? Il a déjà montré qu’il était très sensible sur le sujet. En août 2019 par exemple, il s’inquiétait de la « stigmatisation des élus » qui allait « mal finir », à la suite à quelques affiches collées dans les rues de Guéret. Se sentant diffamé, il annonçait avoir porté plainte …
Il faut dire que l’électeur creusois est vraiment très ingrat et M Moreau n’a pas peur de le dire « La majorité des creusois qui se sont exprimés (l’abstention atteint des niveaux inquiétants et nous avons toutes et tous notre part de responsabilité) ont préféré retourner vers les femmes et hommes politiques classiques et les boutiquiers de la politique qui ont fait que notre département en était là où il en était en 2017 avec leurs deux seules valeurs : clientélisme et démagogie et qu’on se dirige vers des jours bien sombres. »
Ce vote est donc avant tout la preuve que les Creusois préfèrent le clientélisme et la politique de « l’ancien
monde ». Et ce n’est pas très important de rappeler que la nouvelle députée est une parfaite inconnue qui ne s’est (ré)installée en Creuse que depuis trois ans. Il est donc difficile de lui reprocher de la connivence avec les vieux élus creusois ou de la tenir responsable de l’état du département en 2017… « Certains vont penser que c’est de la rancœur ou de l’amertume …» Oh non ! Ça ne nous était même pas venu à l’idée !
« C’est aussi pour cela qu à l’heure de quitter la vie publique et la politique je n’ai aucun regret et que je suis fier de mon bilan. (…) ». Comment faire un bilan ? Le plus simple c’est d’utiliser les chiffres car les chiffres eux ne mentent (presque) pas. Et puis les millions ça en jette. Ainsi M Moreau revendique d’avoir fait évoluer « la dotation d’équipement des territoires ruraux qui permet aux collectivités de mener à bien leur projet en la passant annuellement de 7 millions d’euros à 14 millions d’euros. ». Cette dotation, c’est la « DETR », la grosse enveloppe qui permet chaque année d’aider les collectivités rurales à payer des choses qu’elles ne pourraient pas payer normalement. D’après le député, il a réussi à faire doubler la DETR de Creuse durant son mandat.
Sauf que, en 2018, la DETR pour le département était de 13,1 millions, elle a été de 13,6 millions en 2019, et 13,8 en 2021. Donc soit la DETR a été subitement doublée juste après l’élection de Jean-Baptiste Moreau en 2017, soit elle a seulement augmenté de 700 000 euros et pas de 7 millions d’euros. Mais c’est peut être juste un problème de 0 en trop.
M Moreau revendique aussi les « 94 millions d’euros pour le plan particulier pour la Creuse », le plan inventé après la révolte des ouvriers de GMetS à la Souterraine. Pour ce plan le gouvernement parle lui de 80 millions d’euros. On n’est pas à 14 millions près, même ces 14 millions ressemblent quand même beaucoup aux 14 millions de la DETR qui seraient ainsi, et sûrement par erreur, comptabilisés deux fois dans ce bilan. « Ça c’est du concret et du réel, pas du blabla » précise-t-il.
En commentaires de ce texte publié sur Facebook, tout le monde le remercie pour de tout ce qu’il a fait pour la Creuse. Sur 110 commentaires, que des louanges, des regrets et de la tristesse ! Incroyable... Parmi ces doux messages, celui très affectueux de Véronique Langlais, la pétulante présidente du syndicat des bouchers de Paris. Elle le remercie notamment pour avoir interdit l’appellation
« steak » aux galettes de céréales, un des grands combats du député. C’est vrai que sans cette loi, on aurait continué longtemps à manger du steak haché en pensant manger une galette de quinoa-boulgour.
Le texte s’achève par un peu de mansuétude et un serment: « Je souhaite tout de même bonne chance à la Creuse, aux Creusoises et aux Creusois et à notre pays, parce que l’intérêt général sera toujours et à jamais mon seul guide. J’en tire les conséquences en me retirant de la vie publique et de la politique. »
Il ne faudra que quelques jours à l’ex-député pour revenir sur sa parole. Dès le 30 juin, il poste des photos de lui à une discussion organisée par l’Association Nationale des Industries Alimentaires. Puis il participe à un débat à Paris intitulé « Nourrir la planète : réconcilier les notions de quantité de production et de qualité environnementale”, en partenariat avec La Coopération Agricole (le syndicat des coopératives agricoles), Intercéréales qui rassemble les entreprises céréalières françaises, et puis la célèbre entreprise Bayer spécialisée dans l’agro-chimie. Pas facile de s’arrêter quand on a pris l’habitude de travailler pour l’intérêt général !
Hélène Mathiot