Nous sommes un collectif de personnes composé d’agriculteurs et agricultrices, de futurs.es installé.e.s et de personnes sensibilisées à la question de l’accès au foncier agricole. Les prix exorbitants des terres empêchent de nombreuses personnes de mener à bien leurs projets d’installation agricole au vu des emprunts nécessaires. En plus, si le projet ne rentre pas dans les clous technico-administrativo-économiques exigés aujourd’hui, l’installation devient impossible.
Nous avons profité de l’expérience des GFAM du Béarn et du Pays Basque et nous sommes inspirés de leur idée de mutualisation pour “La Tontinette“. En 2017, notre groupe met sur pied le GFAM “La Tontinette“. Les statuts de cette structure assurent que les terres qu’elle acquiert sont exclusivement à usage agricole, qu'elles resteront la propriété du GFAM et ne seront pas revendues à d’autres fins. Ses terres sont louées par bail à ferme (9 ans reconductibles) ce qui garantit une installation pérenne pour les futur.e.s agricultrices et agriculteurs.
À l’instar de Terres de Liens, “La Tontinette“ est un outil pour faciliter l’accès au foncier agricole et pour le préserver. Notre organisation locale favorise une gestion directe par les associé.e.s du GFAM et les locatrices et locataires des terres. Les réunions sont ouvertes à tou.te.s et les décisions sont prises ensemble sur la base d’une personne une voix et non en fonction du nombre de parts acquises. De plus, nous nous spécifions dans notre refus de soumettre les futur.e.s installé.e.s à une évaluation quelle qu’elle soit : ni étude préalable de dossier, ni contrôle ultérieur de pratique, plutôt une relation de confiance et l’adhésion à la charte qui nous réunit. Nous privilégions les échanges, les discussions et les partages d’expériences pour relier dans une dynamique collective les usagère.er.s des terres et les associé.e.s.
“La Tontinette“ ne se positionne pas comme un simple propriétaire mais comme une ressource de solidarité et d’entraide, à l’image d’un récent chantier collectif pour la construction d’une petite bergerie. Cet outil fonctionne et de nouveaux projets d’installation peuvent se concrétiser si de nouvelles personnes s’associent au GFAM en prenant des parts (de 1 à 40 parts par personne, 50 € la part) et/ou en participant à la dynamique collective autour des installations.
Aujourd’hui, une soixantaine d’associé.e.s ont permis l’installation d’une maraîchère sur la commune du Fossat et de deux éleveuses sur la commune de Madière (voir leurs témoignages en encadré). Nous aimerions inspirer et appuyer d'autres projets afin que se multiplient des structures de mutualisation, pour la reprise de foncier agricole ou pour d’autres activités, ici et ailleurs. Nous avons envie de continuer cette histoire, nous devons la continuer pour sortir plus de terre de la spéculation, pour permettre à de nouveaux projets d’éclore.
À quoi ressemble l'agriculture sur la Montagne limousine ? Loin d'en être le fidèle reflet, l'assemblée réunie autour de ce thème lors de la fête de la Montagne a néanmoins donné quelques réponses à cette question. Peut-être parce que le public était plutôt jeune avec une bonne majorité de trentenaires, plutôt mixte avec une représentation presque paritaire, et regroupait à la fois des paysans ou éleveurs déjà installés et d'autres en phase ou en projet de l'être, le visage qu'ils offraient de l'agriculture locale apparaissait bien peu conventionnel. Étaient interrogés le travail individuel, l'insertion sur le marché et les circuits classiques de commercialisation comme la frontière entre activité économique et nourricière, agriculture productive et vivrière. Comme si le modèle classique était à réinventer, comme si, en définitive, il ne correspondait pas vraiment au territoire sur lequel il se vivait. “Il y a une particularité du plateau de Millevaches“ expliquait cet éleveur de moutons corrézien pour lequel le modèle standardisé n'est pas en adéquation avec un territoire où les terres cultivables sont rares et les parcours nombreux.
Ils sont plusieurs à l'afficher clairement : “J'ai du mal à concevoir l'agriculture comme une activité économique“ explique Félix, récemment installé. “Producteur, c'est moche comme mot“ renchérit franchement une autre. Camille, qui produit et transforme des petits fruits depuis 5 ans à Auriat, enfonce le clou : “Ça ne m'intéresse pas de vendre, pas plus que le rapport avec la mécanisation, même en bio ! “ Travaillant avec un cheval et des ânes et quelques brebis laitières, elle affiche ce qui, au fond, la motive vraiment : “Travailler sur le rapport au vivant animal et végétal et voir comment tout le monde pourrait avoir un lien au vivant“ dans le cadre d'une agriculture plus vivrière et nourricière que marchande et monétaire.
Une autre ne sait comment se définir ou se nommer : “Agriculteurs-agricultrices ? Paysans-paysannes ? Jardiniers-jardinières ?“ Une manière de ramener l'activité productive sur ses fondamentaux : ne s'agit-il pas de nourrir les personnes, de travailler avec le vivant dans une symbiose entre la terre support, le pays environnant, les bêtes et les hommes, dans une relation aux autres qui ne soit pas que celle du producteur au consommateur. Milo, qui fabrique et vend des tourtous sur les marchés de Haute-Corrèze, résume ainsi les choses : “Comment la paysannerie façonne son environnement et quels liens de la graine à la bouche ?“ Loin des questions plus classiques (elles viendront) le débat était d'emblée posé en termes de sens et de finalités. Sens et finalités qui, évidemment, agissent sur le concret des gestes de chacun : quels rapports aux normes (contrôles, contrôles, contrôles...) à la logique économique (grossir, grossir, grossir...) et au temps (70 heures par semaine, 70 heures par semaine, 70 heures par semaine...) ?
“Mon objectif est surtout de ne pas m'agrandir“ explique Sybille qui depuis 11 ans élève sur 100 hectares des ovins et des bovins et qui a installé sur son exploitation un atelier de découpe. “Pas un des agriculteurs que je rencontrais ne travaillait moins de 70 heures par semaine, ils ne faisaient rien d'autre ! Comment partager le travail ?“ s'interroge Hélène qui, avec son compagnon, veut se lancer dans un élevage de vaches laitières. Beaucoup de questions... pour d'incertaines réponses.
“La réalité, assène Denis, éleveur à Peyrelevade et membre de la Confédération paysanne, c'est qu'il y a des gens qui travaillent tous les jours pour que nos modèles alternatifs ne puissent plus fonctionner ! Au niveau politique, on ne souhaite pas notre présence et du jour au lendemain on peut nous rayer de la carte : il suffit de remettre en cause les aides MAE1 par exemple ! On doit faire face à une lame de fond qui nous arrive de toutes parts“, ce qu'il nomme “la céréalisation de l'agriculture“. C'est le modèle productiviste et industriel qui n'a que faire des espaces de moyenne montagne comme le Plateau qui, dans ce scénario, se suffiraient à n'être que des espaces de production forestière ou d'énergie (l'eau et le vent) après s'être débarrassé des opiniâtres qui pensent que l'agriculture a toujours un avenir ici.
Un élu de Lacelle le déplore en regardant la part de la surface forestière : 55% ! Un agriculteur à la retraite pose le dilemme : « Je me suis installé en 1973 vers Meymac et, parce qu'il fallait grossir, j'ai fini avec 250 brebis. L'exploitation a été reprise par un de mes enfants, mais hors ce cas de figure, aujourd'hui il est impossible de s'installer comme je l'ai fait à l'époque ! S'installer d'emblée avec 250 bêtes, qui en est capable ? Du coup se pose vraiment la question du renouvellement des anciens avec un choix de plus en plus réduit : c'est l'agrandissement des exploitations... ou la forêt ! » Pourtant, des jeunes qui veulent s'installer ça existe, reconnaît Tony, éleveur et producteur de petits fruits à Veix depuis trois ans, mais, comme il dit, « on y laisse quand-même des plumes... » Le débat oscille entre micro-démarches plutôt engageantes et optimistes et arrière-plan général plutôt sombre et destructeur. Sur la corde raide le paysan du Plateau ressemble à un funambule qui n'est pas prêt à se laisser aspirer par le vide... Mais pour combien de temps ? “En 2015, pour la première fête de la Montagne limousine, j'avais interviewé les 14 paysans de Tarnac, témoigne Guillaume.
Les deux constats qui sortaient de ces rencontres étaient assez noirs : les agriculteurs avaient très peu de liens entre eux et il y avait une grande souffrance devant la transformation du métier. En gros, ils avaient de moins en moins de marges de manœuvre et leur travail avait de moins en moins de sens.“ C'est dire que le modèle est bien à réinventer. Briser les barrières entre deux visions du métier qui peuvent vite s'ostraciser mutuellement (un modèle ancré dans les circuits classiques et un autre, plus autonome et indépendant, voire hors circuit) apparaît nécessaire. Johanna qui élève 150 brebis depuis 10 ans à Gentioux ne veut pas trancher : “Je me sens entre la ferme vivrière et la ferme professionnelle, et je pense que les solutions sont certainement collectives.“ Sur son exploitation (un autre mot “moche“) elle est submergée par le temps administratif (les normes, les réseaux, la paperasse) et le temps commercial. Elle sent bien qu'il faut aller vers plus de mutualisation dans le travail et ose pousser le bouchon un peu plus loin : “Comment pourrions-nous déconnecter revenu et production ? “
Les consommateurs ramènent leur fraise. Ils sont quelques-uns qui se sentent concernés par ce qui inquiètent les paysans, veulent améliorer leur façon d'acheter et se demandent comment soutenir l'activité agricole. “Le problème, rétorque Jean-Claude, ancien agriculteur installé en 1980 vers Égletons aujourd'hui à la retraite, c'est que le Plateau n'est pas assez dense pour absorber la production locale.“ Sybille confirme : “Il nous faut rechercher plus loin les clients“ et Tony renchérit : “Au-delà de quelques niches, il y a un décalage entre l'offre et la demande locales. Attention à la concurrence qui peut mettre en péril nos structures ! Nous, concrètement on va vendre plus loin, tout seuls.“ La solution ? Les deux sont d'accord pour dire qu'il faut trouver des synergies pour vendre en commun en restant indépendants sur leurs exploitations ou encore qu'il faut rechercher de nouvelles formes d'association. Comme sur le travail, l'aspiration à jouer plus collectif sur la vente apparaît comme une nécessité. Mais à 70 heures par semaine – si on a bien compris – qui peut aujourd'hui prendre le temps de cette construction nécessaire ?
Un petit village entouré de pâturages d’altitude, surplombé par un pic dont il porte le nom : c’est ici que notre groupe logera pour les trois prochaines nuits, chaleureusement accueilli par une famille de paysans vivant en quasi-autonomie sur leur ferme. Nous sommes à quelques kilomètres du siège de la Chambre d’agriculture alternative basque, où nous allons passer la journée.
Nous, ce sont des jeunes porteurs de projet agricole, un agriculteur retraité maire de sa commune, une ex-salariée de l’Adear et un salarié de l’Arban férus de foncier, un éleveur syndiqué à la Confédération paysanne et un membre du groupe « Eau » soucieux du devenir des terres dans la vallée de la Vienne, se reconnaissant du Syndicat de la Montagne limousine. Avec nous, une équipe de 3 membres de Télé Millevaches, caméra au poing, attestera de nos pérégrinations dans le but d’en sortir un documentaire pour faciliter la transmission de notre travail d’enquête.Ce groupe de travail, démarré depuis un an, réfléchit à la création d’une structure pour racheter du foncier agricole sur le plateau de Millevaches. Son premier but serait d’encourager, faciliter et multiplier l’installation de nouveaux paysans sur le territoire. Dans un contexte de départ à la retraite simultané d’une génération d’exploitants, un grand nombre de fermes vont être à reprendre mais leur transmission paraît compromise : la spécialisation dans l’élevage de bovins allaitants, qui représente 60 % des fermes du PNR de Millevaches, a conduit à l’agrandissement des exploitations au cours des dernières décennies. Cette tendance mène aujourd’hui à une impasse en termes de transmission des fermes, équipées de matériel de grande dimension et dépassant bien souvent les 100 hectares, ce qui justifie un prix de revente très élevé. Beaucoup de nouveaux porteurs de projets, ne venant pas de familles d’agriculteurs, doivent donc investir dans leur outil de travail. Enfin, ces élevages surdimensionnés rendent difficile la possibilité d’y projeter d’autres types de production qui permettraient pourtant de tendre vers davantage d’autonomie alimentaire sur le territoire. Dans ce contexte, l’hypothèse de notre groupe est que le rachat collectif de certaines fermes permettrait de faire la transition avec l’agriculteur cédant, le temps de trouver les candidat.es ou groupes candidats à la reprise, ainsi que d’aider à redimensionner les exploitations en lots plus petits adaptés à leur projet.
Nous sommes donc partis pour comprendre en quoi le territoire basque est plus efficace que les autres à installer des paysans, et si ses institutions paysannes alternatives peuvent nous servir de modèle. Nous avons rencontré deux structures : la Chambre d’agriculture alternative Euskal Herriko laborantza Ganbara (EHLG) et la foncière Lurzaindia ainsi que des paysans du syndicat ELB qui nous ont raconté leur histoire. Ces structures constituent le fer de lance de la défense d’une agriculture paysanne au Pays Basque. Là-bas, l’agriculture représente une part non négligeable de l’économie puisque 18 % des actifs sont agriculteurs dans les zones de montagne (contre 3,4 % en moyenne en France). Qui plus est, les fermes paysannes y sont encore nombreuses, en témoigne le syndicat ELB, majoritaire depuis 2001 aux élections de la Chambre d’agriculture officielle dans les cantons basques. De très bonnes terres associées à un climat propice ont permis le développement d’une production spécialisée de fromage de brebis très bien valorisé (AOP Ossau Iraty). Un autre indice de la forte dynamique agricole de la région est la proportion de jeunes paysans repreneurs, plus nombreux à s’installer dans le cadre familial qu’en Limousin. Ainsi, toutes les fermes que nous avons visitées avaient été reprises par les enfants des anciens exploitants. L’identité basque est un ferment de leur engagement en faveur d’une agriculture paysanne. Cette logique semble primer non pas uniquement pour les paysans mais aussi pour le reste de la société civile basque, qui nous a témoigné d’une forte implication dans la défense du maintien d’une agriculture paysanne sur le territoire. Nous avons ainsi rencontré plusieurs citoyens dont une responsable de l’association InterAMAP qui s’est très impliquée dans les instances paysannes en siégeant notamment à la Chambre d’agriculture alternative et en participant à la foncière Lurzaindia.
Suite à ces rencontres riches d’enseignements, il nous apparaît clairement que la question du devenir du foncier agricole sur le Plateau ne pourra pas se poser sans la mobilisation de deux éléments primordiaux : d’une part celle d’une population paysanne locale soucieuse du rôle social qu’elle joue et cherchant à se renforcer, et d’autre part celle d’habitant.es du territoire qui reconnaîtraient la valeur sociale d’une lutte pour le foncier agricole et l’installation de nouveaux paysans. Les paysans basques sont forts certes par leur nombre et leur détermination, mais aussi parce qu’ils ont une partie de la population basque qui se mobilise avec eux. Là-bas, les enjeux agricoles sont des enjeux de société. Travailler notre inscription sur le territoire nous semble donc être une priorité. Une structure foncière n’est qu’un outil, un prétexte à prendre à bras le corps cette question du foncier et de la place de la paysannerie par chez nous. L’aventure ne fait que commencer, et les pistes à mettre en travail sont nombreuses. En voici deux : faire davantage de lien avec les paysans de la Confédération paysanne qui siègent en Safer et gèrent les dossiers de reprise de ferme, et nous appuyer sur les communes pour réaliser des associations de propriétaires de terre comme c’est en préfiguration à La Villedieu.
Les agricultrices de la FDGEDA(fédération départementale des groupes d'études et de développement agricoles) de la Haute Vienne sont toujours en veine de créativité. IPNS dans son numéro n° 6 avait conté l'exceptionnelle aventure de leur atelier d'écriture sous la férule de Claire Sénamaud de l'association Princesse Camion. En 2003 elles ont tracé en mots les tourments et les espérances qu'elles ont éprouvés pendant et après la crise de la vache folle.
Elles publiaient un bel ouvrage, riche d'émotion et de vérité : "De l'encre dans la prairie". Et, toujours avec l'ardent souci d'aller à la rencontre des populations urbaines, elles sont parvenues à séduire les talents de deux artistes volubiles dans l'art de la mise en mots. Ainsi en 2003 Eugène Durif, avec Catherine Beau et sa compagnie l'envers du décor ont mis en scène et en musique le voyage d'un citadin à la campagne dans "le plancher des vaches". La pièce a trouvé un large écho auprès du public limousin et même parisien puisqu'elle a été jouée au théâtre du Rond point des Champs Elysées. En 2004, elles ont confié leurs récits de vie à Pierre Laurent le conteur de la Compagnie de la Grande Ourse. Sous le double signe de la drôlerie et de la tristesse il les a comparés aux personnages des contes et légendes populaires. La "Vie sur terre" c'est grave et grand, mais comme la vie c'est plein d'espoir.
Ce message d'espérance les agricultrices souhaitaient aussi le transmettre aux habitants de Limoges. Elles ont sollicité l'artiste Arnaud Ruiz pour qu'en fresque, il laisse cette trace indélébile sur les murs de la ville. C'est quand même mieux que l'éphémère des placards publicitaires qui encombrent les frontons des carrefours et des places de la cité. Malheureusement la ville de Limoges n'a pas su capter le message des agricultrices. Elle leur a prêté les murs d'un local technique de la compagnie des TCL situé à l'angle de deux artères (Adolphe Mandonaud et Ferdinand Buisson) où le flux de la circulation automobile obstrue quelque peu la lisibilité. De plus, le site a contraint le fresquiste à modifier ses esquisses pour s'adapter à une surface angulaire et par surcroît à raz de terre. Ce choix de l'emplacement a brisé tout le sens de l'allégorie. Pourtant elle nous offre une image forte de la symbolique du don et du contre don dans le rapport que l'humanité entretient avec le vivant. A travers le lent découpage du geste de l'enfant cueillant un épi pour l'offrir à sa mère, l'artiste a traduit toute la vitalité que les agricultrices engagent d'elles mêmes et dans leur métier au service de la gestion du vivant. Pour achever de détruire cette harmonie, dans le dernier geste où l'enfant cueille l'épi, son visage se heurte à un panneau danger de mort. Il est inscrit sur une porte de sécurité de ce poste de transformation électrique. Et comble d'ironie, cette porte métallique s'insère juste en dessous du titre de la fresque : "Agriculture, tu dessines nos paysages, tu nourris les hommes, je crois en ton avenir".
Alors on s'interroge sur l'intention qui a guidé le choix des édiles limougeauds. Il y avait mieux à offrir que ce local technique inapproprié et par surcroît éphémère. C'est d'autant plus étonnant que les limougeauds entretiennent des relations conviviales avec la campagne. Et dans une région où l'agriculture exerce une attraction culturelle non négligeable il est pour le moins surprenant que les élus de la métropole régionale manifestent une telle indifférence à l'initiative des agricultrices.
L'alimentation nous relie les uns aux autres. Mais aussi à la terre. Elle nous rassemble par-delà nos cultures, nos âges, nos sexes, nos religions, nos origines géographiques et sociales, et toutes nos différences.
Nous avons pris conscience de cela il y a quelques années et rapidement, des questions récurrentes sont venues troubler notre petite vie citadine :
D'où viennent nos aliments ? Par qui ont-ils été cultivés, élevés ? Par qui ont-ils été acheminés jusqu'à moi ?
Dans quelles conditions ?
Oui, dans quelles conditions vivent les êtres qui pourvoient à mon plaisir chaque jour. Animaux, végétaux… et humains !
Et puis, est-il obligatoire d'utiliser pour cultiver la vie des produits en "cide" qui la tuent (pesticides, herbicides, fongicides, insecticides, etc.) ?
Donner de la vache en poudre à manger aux vaches, est-ce le "progrès" ou est-ce insensé ?
Pourquoi la fabrication d'un simple biscuit demande-t-elle jusqu'à 12 ingrédients à l'industrie agro-alimentaire, dont certains reconstitués, modifiés, hydrogénés et toxiques, alors que dans ma cuisine 3 suffisent ?
Quelle est l'idéologie qui justifie le progrès par la disparition d'une ferme toutes les 15 minutes en France ?
Pourquoi dit-on d'une agriculture qui brûle plus de 10 calories d'énergie pour produire une seule calorie alimentaire qu'elle est "hautement compétitive" ?
En cherchant les réponses, nous nous sommes très vite heurtés à l'opacité, aux aberrations et aux contresens de l'alimentation dite "moderne".
C'est ainsi que nous sommes partis en quête de notre responsabilité alimentaire, lorsque s'est éveillée la conscience du poids que font peser nos comportements alimentaires sur l'équilibre des écosystèmes, sur la biodiversité, sur l'aménagement du territoire et sur la dignité humaine, au Nord comme au Sud.
Ce sont tous ces contresens qui nous ont fait prendre la route, avec le besoin de rencontrer les humains qui sont à la base de la chaîne alimentaire, femmes et hommes de la terre et de l'assiette, qui ont fait le choix d'autres agricultures, d'autres rapports à la vie.
Nous souhaitions voir s'il était encore possible en 2005 de nourrir des cercles vertueux. Bien vite, nous nous sommes retrouvés sur les routes, de ferme en ferme, d'atelier en étable, à rencontrer des producteurs, plus de 80 en tout, "chemin faisant"… Et bientôt, nous arrivions en Limousin.
Douze jours pour découvrir l'agriculture limousine…
Nous quittons la Touraine le 8 septembre pour nous rendre en Limousin. C'est l'avant dernière étape de notre périple et nous sommes attendus là-bas de pied ferme par Sophie et Pierre de la Confédération Paysanne de la Haute Vienne, qui ont accepté de coordonner notre visite sur place.
Ah ! Le Limousin ! C'est une région qui ne laisse pas indifférent. Les forêts sont magnifiques, mystérieuses et rappellent étrangement les plus beaux endroits de Bretagne, l'écorce moussue, les rochers de granit érodés, les arbres centenaires… Combien de fois avonsnous eu envie de pénétrer dans cette masse végétale avec la certitude d'y découvrir un trésor… Surtout aux premières heures du jour, lorsque la brume matinale semblent dissimuler quelques secrets…
C'est dans ce contexte que nous avons fait de très belles rencontres. D'abord, le GAEC Champs Libres à Saint Julien le Petit, avec Jean-Luc, Corinne, Jean-Michel et Jean-Jacques qui mènent une ferme en polyculture élevage en biodynamie. Ils nous ont fait découvrir une biodynamie vivante et évolutive. La découverte de cette approche de la terre et de cette relation au vivant est toujours magnifique. Pour ces beaux personnages, agriculture rime avec culture. C'est ainsi qu'ils décident en 2000 de mettre en valeur le site magnifique dans lequel ils se trouvent en créant l'association "Contrechamps" dont les objectifs épousent la diffusion artistique dans une très belle grange restaurée ainsi que les animations pédagogiques avec visite de la ferme et accueil de groupes.
Tifenn a joué le spectacle dans la "grange à foin". Une belle soirée de partage, et pour la première fois, grâce à Claude, technicien lumière intermittent du spectacle et bénévole de l'association, des conditions de jeu proche d'un théâtre professionnel.
Comme un heureux hasard, le lendemain se déroulait à la ferme un atelier du Forum Social Limousin, avec comme thématique, l'agriculture durable. Eh bien soit, nous prolongerons notre halte pour suivre ces rencontres.
Bref, le matin nous visitons la ferme sous l'angle "agriculture durable". Nous filmons, et le discours est magnifique, très proche de ce que nous éprouvons à ce stade de notre voyage. A suivre donc dans un prochain document vidéo…
Nous apprenons avec étonnement l'après midi lors de l'atelier FSL que la région Limousin n'est autonome qu'à hauteur de 8 % par rapport à sa consommation alimentaire ! Surprenant pour une région agricole ! D'où viennent donc les 92% autres pourcents ? Que représente donc le poids écologique et social de telles migrations alimentaires ?
C'est sur ces réflexions que nous quittons le GAEC Champs Libres. La route continue et nous faisons connaissance de Dominique et Agnès Diss, restaurateurs à Royère de Vassivière, un petit village étonnant du plateau. Le restaurant " Saveurs Buissonnières " mérite vraiment le détour ! Dominique en cuisine,
Agnès en salle, proposent un menu unique réalisé à partir de produits paysans locaux et pour la plupart biologiques. Dans ce petit écrin qu'ils ont investi et restauré depuis 2001, ils cultivent un certain art de vivre, naturel et savoureux. Si votre chemin vous amène en ces contrées éloignées, ne manquez pas cette petite halte buissonnière…
De là, comme nous avions un peu de mal à nous quitter, nous décidons de dormir sur place et de prendre le café le lendemain matin à "l'Atelier", au bourg de Royère de Vassivière. L'occasion pour nous de reprendre une "claque" tant ce lieu est magique : l'atelier est un bar, épicerie bio-équitable, restaurant, salle de spectacle, conférences, projection, cybercafé. Ce lieu, acheté par des jeunes du pays, partis à la ville, puis revenus à la "maison", montre à quel point la demande est forte pour la rencontre. Du matin au soir, vieux et plus jeunes se côtoient, échangent, se rencontrent autour d'un verre, d'une exposition, d'un spectacle. La vie a repris à Royère depuis que l'Atelier s'est ouvert ! Un bel exemple de dynamique locale autour d'un projet qui créé du lien social et culturel et qui démontre déjà une pérennité économique.
De Royère, nous filons maintenant en Corrèze, direction Vitrac sur Montane, près de Tulle, où Raphaëlle de Seilhac nous attend.
Comme nous n'en avons pas marre de sauter de surprise en surprise, nous débarquons dans une maison bourgeoise du 17ème siècle. Ferme un peu atypique que celle de Raphaëlle qui, suite à un héritage, se voit léguer ce lieu qu'elle réhabilite aussitôt en ferme avec un élevage de moutons et tout ce qui fait qu'une ferme est une ferme : potager, ânes, poules, oies, canards, cochons, chiens, chats, et j'en passe. C'est que la Raphaëlle, toute droit issue de la lignée des Seilhac, n'en est pas moins paysanne jusqu'au bout des ongles. Elle qui a toujours refusé les mirages des rallyes, écoles d'ingénieurs et autres lieux soi-disant destinés à certaines classes sociales, réalise sa passion, son chemin, en devenant paysanne ! Pour mettre en valeur le lieu, elle fait deux ans de travaux, seule, et fait de l'accueil en chambre et table d'hôte. C'est aussi un moyen pour elle de valoriser au maximum les produits de sa ferme qu'elle sert à sa table d'hôtes. Loin de se contenter de ces activités, elle s'engage aussi dans le mouvement des CIVAM et assume la présidence du FRCIVAM
Limousin. Je n'en dis pas plus car la rencontre avec Raphaëlle a été magique et il va se passer pas mal de choses, prochainement, dans cet endroit aux vocations multiples. Affaire à suivre donc…
Nous filons ensuite chez Catherine et Luc Rabuel, éleveurs de porcs cul noir et de moutons au Vigen, à quelques kilomètres au sud de Limoges. Ils ont réhabilité voilà une quinzaine d'année le porc cul noir du Limousin qui était en voie de disparition. Ce porc rustique, vit dehors et se nourrit de ce que la nature peut offrir dans ces contrées de chênes et de châtaigniers. Catherine et Luc complémentent l'alimentation des cochons avec un mélange de céréales qu'ils cultivent eux-mêmes en bio. La viande est goûteuse et le lard épais ! Ils transforment eux-mêmes toute la viande qu'ils élèvent et vendent l'intégralité de leur production à la ferme, en vente directe. Un sacré équilibre qu'ils ont trouvé là !
Le lendemain, nous visitons un magasin de producteurs, au centre de Limoges. Le magasin "Saveurs Fermières", comme les autres magasins de producteurs que nous avons rencontrés, a l'atmosphère chaleureuse et paisible, et l'engagement des producteurs qui y participent n'y est pas pour rien. Les produits répondent à une charte élaborée collectivement par tous les coopérateurs, mettant en avant des pratiques paysannes, équitables et respectueuses de l'environnement. Ces démarches collectives sont étonnantes et nous en avons fait une petite présentation dans les " pratiques agricoles innovantes et durables " sur le site internet Chemin Faisant.
Nous avons découvert de nombreuses pratiques agricoles et organisations sociales innovantes et durables, de l'agriculture biologique et biodynamique à l'agroécologie, en passant par le Bois Raméal Fragmenté (BRF), la permaculture, l'agriculture paysanne, les travaux du réseau agriculture durable, les magasins de producteurs, le commerce équitable, les Associations pour le Maintien de l'Agriculture Paysanne (AMAP), et d'autres encore. Toutes ces alternatives vertueuses sont explicitées dans le détail sur notre site internet. Il y a vraiment de quoi en faire un livre… Et ça tombe assez bien puisque après ces six mois de voyage et plus de 80 rencontres, nous consacrons une année à la valorisation de tout ce que nous avons collecté et vécu. Nous travaillons à la réalisation d'un livre, d'un film, d'un nouveau spectacle théâtral sur la paysannerie que nous avons rencontrée.
Egalement, des projets de malle pédagogique et de livre pour enfant viendront enrichir ces outils et permettre aux plus jeunes d'appréhender de façon conviviale et ludique les enjeux de l'alimentation responsable et de l'agriculture durable. D'ores et déjà, une exposition photo est disponible. "Voix de la Terre" - l'expo - est composée de 24 clichés commentés et illustrés de portraits de producteurs. Elle peut être louée sur demande. Vous pouvez retrouver un dossier de synthèse sur notre voyage dans les numéros de janvier de Biocontact et de Village Magazine. Nous serons également aux Assises du Limousin les 9 et 10 février 2006 à Limoges où nous apporterons un habillage audiovisuel (ambiances sonores, extraits vidéos de portraits de producteurs, etc.).
Et puis les 25 et 26 mars, nous organiserons chez Raphaëlle de Seilhac en Corrèze un colloque sur "l'agriculture durable et les nouveaux outils de régénération", en collaboration avec la FRCIVAM, la Confédération Paysanne et le Réseau Agriculture Durable.
A suivre…
Frédéric Gana et Tifenn HervouetContactsFrédéric GANA et Tifenn HERVOUET. Tél : 06 09 42 49 73 Courriel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.GAEC Champs Libres et Association Contrechamps - Trasrieux - 87460 St Julien le Petit - Tél : 05 55 69 13 18Saveurs Buissonnières - Dominique et Agnès DISS - 23460 Royère de VassivièreL'Atelier - 23460 Royère de Vassivière - Tél : 05 55 64 52 22Raphaëlle de Seilhac - Le Mons - 19800 Vitrac sur Montane - Tél : 05 55 27 60 87Catherine et Luc Rabuel - Le Boudaud - 87110 - Le Vigen - Tél : 05 55 00 41 03Saveurs Fermières - 10, rue de la Céramique - 87100 Limoges - Tél : 05 55 79 88 51
La méthanisation est un procédé qui vise à dégrader de la matière organique en absence d’oxygène afin d’obtenir du « biogaz » (du méthane) pouvant ensuite être utilisé comme énergie. La dégradation n’étant pas complète, le processus permet également de récupérer des résidus de matière organique (le digestat) qui peut ensuite être épandu sur des parcelles agricoles et servir d’engrais.
Les déchets organiques utilisés pour la méthanisation sont d’origine variée : effluents d’élevage (lisier, fumier), déchets issus de l’industrie agro-alimentaire, boues de stations d’épuration, résidus de culture ou déchets verts. Dans la limite de seuils définis par décret et sous certaines conditions, elles peuvent également être approvisionnées par des cultures alimentaires et des cultures intermédiaires à vocation énergétique (Cive). En effet, pour créer du méthane, le lisier ne se suffit pas à lui-même : il faut, pour cela, des substrats végétaux à potentiel méthanogène.
Le développement croissant de ces usines n’est pas sans susciter des critiques voire des résistances. Les odeurs, le trafic routier plus dense, l’impact visuel sur le paysage, les risques de pollution, les accidents industriels, la sécurité alimentaire, la santé, sont autant de problématiques qui sont actuellement portées dans le débat public et que nous résumons ci-dessous1.
Aucun organisme n’a fourni d’étude crédible – méthodologiquement irréprochable – concernant l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre de la filière biométhane. En émet-elle réellement moins que le gaz naturel ?
Nous n’en savons rien.
Ce que l’on sait, c’est que le principal gaz à effet de serre, le gaz carbonique (CO2), est émis lors de la combustion du méthane en vue de la production d’énergie. À ces émissions primaires, il faut encore ajouter les fuites de méthane survenant sur l’unité de méthanisation, ainsi que des émissions de CO2 indirectes survenant au cours du processus de production (travail des tracteurs dans les champs, traitements phytosanitaires, récolte, transport des intrants en amont et du digestat en aval). Dans les études réalisées pour GrDF, sous l’égide de l’ADEME, le « biométhane » apparaît vertueux, de cinq à dix fois moins émetteur que le gaz naturel. Certes, ces installations sont susceptibles d’éviter des émissions qui auraient été faites sans leur adoption. Il n’empêche que ces émissions contribuent aux émissions anthropiques de gaz à effet de serre, dont l’atmosphère ne sera débarrassée que dans des centaines, voire des milliers d’années. Lorsqu’on épand du fumier, on apporte du carbone au sol, lequel reste en terre de 50 à 60 ans, avant d’être transformé en gaz carbonique. C’est en ce sens que le sol constitue un « puits de carbone ». Le même carbone, si on ne le met pas dans le sol, mais plutôt dans le méthaniseur, va se transformer en gaz carbonique en moins d’un an.
Souvent vantés au titre de l’économie circulaire et des circuits courts, les méthaniseurs ne tiennent pas toujours leurs promesses. Ces installations, notamment celles de grande dimension, doivent être alimentées par un important volume de déchets et de cultures dites « à vocation énergétique » pour produire de l’énergie en continu. Cet appétit constant peut inciter à drainer des matières sur plusieurs départements, voire plusieurs régions. Les nombreux transports qu’induisent ces collectes réduisent donc les bénéfices pour le bilan carbone.
L’essor de la filière méthanisation s’accompagne d’une augmentation significative du nombre d’accidents et d’incidents, dont certains ont fait l’objet d’une ample couverture médiatique.
L’Ineris2 identifie deux grands types de risques industriels associés à la méthanisation : les risques de pollution des milieux d’une part, et les risques d’incendies et d’explosion d’autre part.
Le rejet de matières dangereuses ou polluantes est le phénomène principal rencontré dans l’accidentologie liée à la méthanisation. Les risques de pollution des milieux peuvent se traduire par des émissions gazeuses, des rejets de matières liquides ou semi-liquides ou encore des rejets d’eaux pluviales ayant été en contact avec les matières. En août 2020, dans le Finistère, le débordement d’une cuve a privé 180 000 personnes d’eau potable pendant une quinzaine de jours. En mars 2021, dans l’Orne, 2000 m³ de lisier destinés à être utilisés comme intrant se sont écoulés dans un ruisseau. Une catastrophe pour la biodiversité locale.
Des émissions de biogaz dans l’atmosphère peuvent survenir soit à l’occasion d’une fuite, notamment au niveau du système d’épuration ou des canalisations, soit en raison du dysfonctionnement de la torchère. Des émissions diffuses peuvent également intervenir lors du stockage ouvert de lisiers ou de digestats. Le rejet de biogaz dans l’atmosphère constitue un risque important de déséquilibre du bilan climatique global de la méthanisation : le biogaz qui en est issu est en effet majoritairement composé de méthane, dont le potentiel de réchauffement planétaire (contribution à l’effet de serre) est considérable : entre 28 et 34 fois plus élevé que celui du CO2 sur une durée de référence de 100 ans, mais entre 84 et 86 fois plus impactant si on raisonne sur la durée de vie d’une installation, soit 20 ans. Ainsi, seulement 2 % de fuite de biogaz (en supposant une teneur de 50 % en méthane) suffisent pour que la méthanisation ait un impact sur l’effet de serre plus fort que l’utilisation des carburants fossiles. Pour les riverains, des risques sanitaires sont liés à l’émission de gaz toxiques (ammoniac, sulfure d’hydrogène), au développement de micro-organismes potentiellement pathogènes, à la prolifération d’insectes. Des nuisances olfactives sont liées aux déchargements de fumier et de lisier, à l’ensilage des intrants, au stockage et au transport des digestats, et de façon plus générale à la mauvaise gestion des sites (exemple : fosses à ciel ouvert).
Le digestat (comme les boues d’épuration) est sorti officiellement de son statut de déchet en 2018, grâce à la loi Egalim, applicable depuis janvier 2020. Or, pour certains, ce digestat est loin d’être sans danger pour les sols. L’épandage de digestat peut présenter un risque de pollution des sols par des matières telles que les microplastiques, des résidus pharmaceutiques ou des contaminants microbiologiques. Si « l’hygiénisation » est insuffisante, ce mélange peut receler de nombreuses bactéries, potentiellement résistantes, qui vont ensuite s’infiltrer dans les sols, voire les nappes phréatiques. Par ailleurs, son intérêt pour les sols est très contesté : il est avéré qu’il peut entraîner une diminution de l’humus. Enfin, la fertilisation est rendue complexe par la nature ammoniacale de l’azote présent dans le digestat, car la valeur fertilisante du digestat rendu au sol varie en fonction du taux de volatilisation, qui peut être inconnu de l’agriculteur. L’analyse de la teneur en azote du digestat en sortie de cuve n’éclaire pas plus l’agriculteur puisque la volatilisation a lieu ensuite (pendant et après l’épandage).
La volatilisation du gaz ammoniac à l’épandage est responsable de gênes olfactives compte tenu du caractère irritant, hygroscopique et toxique de l’ammoniac. Elle est aussi responsable de la remontée en surface et de la mortalité des vers de terre.
L’attrait de cette nouvelle manne ne risque-t-il pas d’orienter et augmenter les productions au seul profit de la méthanisation ? « Aujourd’hui, cette activité est en passe de fournir aux exploitations agricoles un revenu plus important que l’élevage », alerte le Collectif national vigilance méthanisation, qui craint aussi que la concentration des projets n’entraîne une concurrence d’approvisionnement et une « guerre des intrants » sur certains territoires.
La dérive permettant les agrandissements rapides est constatée partout. Il existe de nombreux exemples de ce dévoiement permettant à de petites ou moyennes exploitations de rapidement doubler voire tripler leur cheptel et leur production. La pratique de certaines exploitations conduit à une intensification de l’élevage qui entraîne une surproduction des déchets destinés à nourrir le méthaniseur alors qu’il faudrait au contraire en produire moins. Le risque est que les agriculteurs deviennent producteurs de fumier et de lisier, ce qui oblige à enfermer les vaches en bâtiment, à faire du maïs pour les nourrir et à équilibrer avec du soja importé, bref consommer beaucoup d’énergie. Ceci s’oppose à l’enjeu de restauration du lien au sol en agriculture et à l’impératif de changement du modèle agricole et agro-alimentaire.
La méthanisation a notamment été vendue dans l’idée de transformer un effluent gênant, le lisier, en énergie. Or, le lisier est très peu méthanogène, et pour que le processus fonctionne de façon optimale, le méthaniseur aura besoin de plantes énergétiques. Autrement dit, des surfaces agricoles doivent être consacrées à la culture de celles-ci. Pour éviter que la ration des méthaniseurs n’entre trop en concurrence avec l’alimentation animale ou humaine, un décret prévoit, pour les cultures alimentaires ou énergétiques, cultivées à titre de culture principale, un plafond maximal de 15% en tonnage brut des intrants pour l’approvisionnement des installations de méthanisation. Or, ne sont pas prises en compte dans cette catégorie les cultures intermédiaires à vocation énergétique (Cive). Implantées entre deux cultures principales, les Cive (seigle, trèfle, avoine, vesce, mais aussi maïs…) servent pourtant également à nourrir le bétail. Sans compter que de nombreuses cultures sont déclarées comme Cive alors qu’il s’agit de cultures principales à vocation énergétique et non pas de cultures intermédiaires...
Les cultures à vocation énergétique peuvent dégrader le bilan carbone de la méthanisation par un changement d’affectation indirect des sols : le remplacement d’une culture alimentaire par une culture énergétique est de nature à entraîner, par rebond, une modification d’affectation du sol dans une autre zone géographique, où une prairie ou une forêt seraient par exemple remplacées par une culture alimentaire. D’autre part, le développement de cultures dédiées contribuerait à accaparer la surface agricole utile française aux dépens des cultures alimentaires, affaiblissant par conséquent notre souveraineté alimentaire.
« Trop de végétaux, qui ne sont pas des déchets, alimentent les méthaniseurs » note la Confédération paysanne. Les élevages, qui ont déjà de plus en plus de difficultés à s’approvisionner en fourrage du fait des sécheresses, entrent en concurrence avec les méthaniseurs. Cela va donc se traduire par des achats d’aliments de remplacement pour le bétail, sachant qu’une grande partie de ces aliments sera importée d’Amérique du Sud (soja) et contribuera à la déforestation et à la détérioration du bilan carbone de chaque exploitant. Des importations de l’autre bout du monde d’aliments pour animaux, justifiées par la transition écologique, un comble !
Le bilan global de la méthanisation concernant les apports en carbone organique constitue un sujet de recherche encore largement ouvert. Le carbone des intrants étant en partie dégradé dans le processus de méthanisation, se pose la question de la capacité du carbone résiduel à entretenir la matière organique du sol, lorsqu’il y est restitué sous forme de digestat. Pour certains scientifiques, la méthanisation et l’épandage des digestats vont ajouter leur contribution à l’ensemble des mécanismes qui concourent déjà depuis plusieurs décennies à la baisse du taux de matière organique des sols. La croissance des plantes peut donc, à terme, être négativement impactée par l’emploi de digestats. Le déséquilibre introduit ne peut que faire craindre l’obtention de sols déstructurés et infertiles sur le moyen-long terme. Toutefois certains experts sont d’un avis contraire : les Cive permettraient de stocker du carbone du fait de la présence des racines et des chaumes, laissés au sol. Davantage de travaux de recherche sont nécessaires pour mieux déterminer les pratiques culturales et agronomiques les plus vertueuses au regard de l’objectif d’accroissement du stockage du carbone dans les sols. Un comparatif entre la contribution sur le long terme, d’un fumier et celui d’un digestat, au stockage de carbone serait pertinent.
La méthanisation est doublement subventionnée. Elle bénéficie d’un tarif de rachat établi selon un arrêté national et de subventions à la construction. Vendu trois à quatre fois au-dessus du marché du gaz naturel, le « biométhane » bénéficie en effet d’une garantie de rachat par la puissance publique pendant 15 ans : c’est l’État qui compense la différence avec le prix du marché. Le rachat du gaz à un tarif très généreux coûte jusqu’à 10 milliards à l’Etat chaque année.
S’agissant des aides à la construction, alors que les subventions à l’agriculture dépassent rarement 50 000 euros, même pour une installation d’un jeune agriculteur, en méthanisation on voit passer des projets qui bénéficient d’un soutien de plusieurs centaines de milliers d’euros. Selon un agriculteur, également ancien conseiller en agriculture d’Emmanuel Macron, le coût public est colossal, avec un total de plus de 16,8 milliards d’euros, qui bénéficie à un petit nombre.
À titre de comparaison, le budget de la PAC pour la France pour la période 2021-2027 est d’environ 62 milliards d’euros, soit 3,5 fois plus important, alors qu’il concerne plus de 300 000 agriculteurs. L’objectif pour les pouvoirs publics est double : réduire les émissions de gaz à effet de serre, et assurer un revenu complémentaire aux agriculteurs. Dans les deux cas, la dépense est disproportionnée par rapport à l’objectif recherché : il existe des énergies renouvelables moins coûteuses et la stabilité des revenus dans le temps, due principalement à l’existence d’un tarif de rachat avantageux, est illusoire car, à terme, les aides publiques seront inévitablement revues à la baisse.
Le fol envol du business des méthaniseurs va étrangement à l’encontre de l’agro-écologie, du retour à la biodiversité, du frein à l’artificialisation des sols, prônés actuellement. Le foncier qui nous nourrit ne doit pas être pris en otage par l’agro-industrie… La FNSEA clame à juste titre que les agriculteurs sont là pour nous nourrir mais, en même temps, incite à la production de méthane et de bio-carburant, deux agro-industries gourmandes en surface agricole.
La seule méthanisation tolérable sera celle qui se fera dans des nos man’s lands, loin de tout point ou cours d’eau, avec des unités extrêmement confinées et protégées pour qu’il n’y ait ni fuites de gaz dans l’atmosphère, ni fuites de jus dans les nappes, des unités surveillées 24 h sur 24. Cette méthanisation tolérable sera celle qui n’utilisera que du déchet vrai. Donc, ni maïs, ni Cive, ni fumier. La notion de
« déchet vrai » c’est simplement ce dont on ne peut pas faire un meilleur usage. Le fumier est mieux sur le champ et le maïs est mieux pour l’alimentation.
IPNS : Dans votre étude et les propositions que vous en tirez, vous considérez la question de l’indépendance alimentaire du Limousin comme un élément clé pour l’avenir d’une région comme la nôtre. Pourquoi ?
Emmanuel Bailly : Un développement économique rationnel et pérenne doit se baser sur la maîtrise préalable de quelques domaines fondamentaux. Nombre de ces fondamentaux se déclinent sous la forme de ressources. Trois d’entre elles sont plus particulièrement vitales : les ressources hydriques (l’eau), les ressources alimentaires (ou agroalimentaires) et les ressources énergétiques. Il peut apparaître surprenant de se préoccuper de ce sujet : la maîtrise de ces ressources, perçues comme abondantes en Limousin, ne fait d’ordinaire guère l’objet de débats ni de doutes. Et quand bien même certaines d’entre elles viennent à ne pas être fournies complètement sur la seule échelle de la région, le fonctionnement en économie ouverte qui s’est mis en place depuis plusieurs décennies à l’échelle européenne, voire mondiale, permet de les obtenir simplement et quasiment en temps réel.
C’est très précisément ici que s’inscrit la spécificité de notre réflexion et de notre contribution : ce contexte d’interdépendance économique, d’interconnexion des réseaux d’approvisionnement en ressources doit faire l’objet d’un réel débat. Il apparaît en effet que la maîtrise effective et durable des ressources alimentaires n’est pas assurée en Limousin. Or certaines fragilités actuelles, certaines menaces à venir semblent suffisamment sérieuses pour devoir être prises en compte dans la stratégie de développement de la région. C’est pourquoi nous proposons d’intégrer un nouveau thème de réflexion stratégique, en plus de ceux déjà identifiés : le thème du rétablissement de la souveraineté alimentaire du Limousin.
IPNS : Qu’en est-il donc de notre souveraineté alimentaire aujourd’hui ?
E B : La situation actuelle de la région est claire. Les chiffres ne laissent guère de doute sur la forte dépendance alimentaire régionale. Ce constat initial est simple à comprendre car il se résume en un chiffre : la souveraineté alimentaire du Limousin n’est aujourd’hui que de 10 %. Dit autrement, seuls 10% des produits alimentaires consommés dans notre région y ont été produits et transformés : pour répondre aux besoins quotidiens des Limousins, c’est donc 90 % de notre alimentation qui est importée d’autres régions ou d’autres pays.
Ainsi la culture de la pomme de terre a complètement été abandonnée pour passer de 7 400 hectares à quelques 300 hectares, soit 0,034 % de la SAU (Surface agricole utile) du Limousin. Si en 1970 la production totale limousine dépassait les 200 000 tonnes, aujourd’hui la quantité produite en pommes de terre (7 000 tonnes) couvre seulement 23,5 % des besoins de la population.
De même, la culture légumière couvrait en 1970 près de 6 300 hectares de surfaces contre 300 hectares en 2000 (6 700 tonnes). La production régionale ne couvre que 8,1 % des besoins en légumes frais de la population.
La conclusion que nous pouvons tirer de ce panorama de l’agriculture limousine est assez claire. En dehors des productions de bovins, de pommes et d’ovins sur lesquelles la région s’est hyperspécialisée, et à l’exception notable du blé tendre, toutes les autres productions agricoles accusent un niveau de dépendance qui se révèle parfois spectaculaire (comme pour la production maraîchère, les pommes de terre, les volailles ou le blé dur). On observe donc un fort déséquilibre des répartitions agricoles qui provoque une grande inadéquation par rapport aux besoins. A cette étape de la filière alimentaire, le niveau de souveraineté alimentaire en terme de production agricole ne dépasse pas 43 %. Or, il ne va cesser de se dégrader étape après étape tout au long de la filière.
IPNS : Alors justement, que se passe-t-il au niveau des industries de transformation agroalimentaires en Limousin ?
E B : C’est ici que se situe une autre faiblesse spécifique à notre région : le tissu industriel et artisanal dans la transformation agroalimentaire est insuffisant. De nombreuses productions agricoles quittent donc la région pour approvisionner des ateliers et des usines qui sont situées ailleurs. L’exemple le plus visible est celui de la production bovine avec l’exportation massive de broutards vers l’Italie. Mais il n’est pas le plus préjudiciable : en effet, au vu d’une indépendance de 680 % pour la production bovine, les installations d’engraissage, d’abattage et de transformation du Limousin suffisent à absorber les besoins théoriques de sa population. Cette situation s’applique également à la production ovine.
Pour le reste, la situation actuelle est beaucoup moins favorable. Seule la filière basée sur le blé tendre (farine, pain et produits céréaliers) arrive à s’en sortir sur le plan de l’autonomie au niveau régional, grâce entre autres à la petite trentaine de meuneries et minoteries présentes en Limousin. Toutes les filières de transformation liées aux légumes, aux pommes de terre, aux fruits (à l’exception de la pomme), aux pâtes alimentaires (fabrication quasi absente pour ce produit de base), à la volaille ou à la pisciculture sont à des niveaux d’autonomie relativement bas, parfois inexistants.
IPNS : Et plus en aval qu’avez-vous constaté en ce qui concerne la distribution et le commerce alimentaire ?
E B : Prendre en compte ce secteur est aussi une nécessité pour prendre la mesure de la souveraineté alimentaire réelle : il n’y a aucune implication directe entre le fait de produire des produits agricoles et de les vendre dans le même périmètre régional.
L’étude de la situation dans la distribution et le commerce alimentaire montre même qu’une déconnexion très nette entre le lieu de production et le lieu de consommation, loin d’être l’exception, est plutôt la norme. Dit autrement, il est traditionnel de trouver dans les magasins des produits alimentaires d’autres régions ou pays, même quand ces produits peuvent être fournis localement. Cette situation n’est pas propre au Limousin, mais reflète à l’échelle nationale une “exception” bien française : l’omniprésence de la grande distribution et la concentration quasi-monopolistique de ce secteur. Le résumé tient en deux chiffres : seulement 5 centrales d’achat se partagent 90 % du commerce de détail en France. Il est donc globalement impossible aux secteurs agricole et agroalimentaire d’échapper, directement ou indirectement, à l’emprise de la grande distribution : c’est elle qui fixe les règles du jeu. Elles n’attachent aucune importance particulière au caractère local des produits proposés dans leurs magasins. Seuls les fournisseurs les plus compétitifs sur les prix ont une chance d’être référencés, mêmes s’ils viennent de l’autre bout du monde et que leurs pratiques sociales et environnementales sont déloyales.
Voilà pourquoi la situation de souveraineté alimentaire du Limousin, initialement peu fringante sur le plan agricole, en arrive à se dégrader fortement jusqu’à atteindre 10 % : c’est le résultat de l’insuffisante densité du tissu industriel agroalimentaire et de la pression incontournable de la grande distribution, étanche au critère régional.
IPNS : Vos constats sont clairs, mais au fond, en quoi cette situation de faible indépendance alimentaire pose-t-elle vraiment problème ? Le Limousin n’est pas la seule région française à faire appel à des produits alimentaires venant d’ailleurs...
E B : Effectivement. Mais si un tel mode de raisonnement est aujourd’hui généralisé, nous ne pouvons pas faire l’impasse sur sa mise en perspective par rapport à certaines problématiques qui nous semblent cruciales. L’évolution observée ces dernières années sur la prise de conscience du phénomène de réchauffement climatique et de dégradation des écosystèmes est spectaculaire, tant sur le plan mondial que national et local. Il n’était que temps : les rapports alarmistes émanant d’institutions internationales ne cessent de se succéder.
Les travaux du GIEC (Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat), regroupant les travaux de milliers de scientifiques de tous les pays sur le réchauffement climatique, font désormais l’unanimité tant dans les milieux scientifiques que politiques internationaux. Ils font état de scénarios climatiques annonçant des températures en hausse de 1,5 à 6°C à l’échelle de ce siècle en fonction de notre capacité à réduire fortement ou pas nos émissions de gaz à effet de serre, ce qui va représenter un choc climatique inédit dans l’histoire humaine. Le dernier rapport du GIEC, approuvé à l’unanimité, est clair : “Seules de très fortes réductions d’émissions seraient susceptibles d’atténuer les dérèglements climatiques à venir”.
Intégrer cette dimension environnementale et climatique à la réflexion stratégique pour le développement du Limousin nous semble une nécessité au regard des menaces potentielles qui se profilent à l’horizon. De manière directe ou indirecte, la région pourrait être amenée à subir les conséquences de crises liées au dérèglement climatique. Ces crises peuvent prendre la forme de “catastrophes sur-naturelles”, mais aussi de ruptures d’approvisionnement en ressources liées au climat ou à l’épuisement des écosystèmes voire même des difficultés dans l’acheminement des marchandises. Dans un cadre futur beaucoup moins sûr, la maîtrise de ces ressources, en particulier alimentaires, peut s’avérer un facteur d’équilibre atténuant les effets de ces crises. Un niveau élevé de souveraineté alimentaire représenterait alors pour le Limousin une précaution appréciable, voire une garantie cruciale pour sa stabilité et son développement.
IPNS : Parmi les phénomènes mondiaux qui auront une incidence sur nos vies de tous les jours, il y a aussi la question de la fin du pétrole et son impact sur les transports.
E B : C'est là aussi une problématique qui ne fait plus guère de doute quant à sa réalité. Il est ici nécessaire de faire preuve d'un comportement lucide : il n'existe pas d'alternative sérieuse pour remplacer le pétrole au regard de notre niveau de consommation actuel. Les biocarburants n'offriront jamais que quelques pour cents de ce niveau : les surfaces agricoles qu'il faudrait leur consacrer sont 2 à 3 fois supérieures à la surface totale du pays, sans compter la nécessité prioritaire de nourrir la population.
Deux secteurs sont plus directement concernés par ce phénomène lié au pétrole. Le premier saute aux yeux, vous l'avez cité : c'est celui des transports. L'ère des déplacements faciles, rapides et sans limites est appelée à prendre fin, et sans doute à brève échéance. La plupart des experts sont formels : l'avenir est clairement à la redécouverte des circuits économiques courts et économes.
Cette logique de relocalisation va permettre de mettre fin à ce gaspillage énergétique confinant à l'absurde qu'on peut observer aujourd'hui dans les transports. Elle doit aussi permettre de sécuriser les approvisionnements vitaux de la région. Cette problématique n'a rien d'une hypothèse d'école, puisque l'actualité récente a fourni un exemple révélateur. Lors du blocus maritime imposé en octobre 2005 par les marins en grève de la SNCM, la Corse s'est retrouvée en rupture d'approvisionnement en légumes et produits frais au bout de... 4 à 5 jours ! Son caractère insulaire en fait peut-être un cas extrême : il n'en reste pas moins que la logique d'interdépendance en ressources alimentaires couplée à celle des flux tendus peut faire perdre très rapidement la maîtrise de son autonomie alimentaire à un territoire fragilisé.
IPNS : Et après les transports quel est le second secteur concerné ?
E B : Le second secteur est moins visible immédiatement : c'est celui de l'agriculture. Sous sa forme intensive (la plus répandue aujourd'hui dans les pays du Nord), ce secteur est particulièrement dépendant des ressources pétrolières. Le niveau de mécanisation ne cesse d'augmenter. La fabrication d'intrants chimiques (engrais, pesticides,...) nécessite de très grandes quantités de pétrole. Certaines pratiques hors sol (serres chauffées au fuel) sont très gaspilleuses en énergie. De manière globale, le modèle agricole actuel est trop dépendant de ressources fossiles et se révèle non soutenable à terme. Anticiper la raréfaction du pétrole revient à privilégier rapidement des formes d'agriculture économes, locales, respectueuses du milieu naturel et de ses ressources. Il ressort de ces éléments que le développement économique exogène et globalisé n'est pas un modèle pérenne pour l'avenir, en Limousin comme ailleurs.
IPNS : Dans le cadre de l'économie mondialisée le Limousin n'est pourtant pas perdant dans tous les secteurs. Nous avons même des filières de référence leaders dans leur domaine comme la filière bovine ou la production de pommes.
E B : Effectivement. La filière bovine et la filière pomme sont devenues des références de niveau européen en terme de qualité et de notoriété, mais au prix d'une hyperspécialisation réalisée au détriment des autres productions et du maintien de la souveraineté alimentaire. Elle s'est aussi faite au prix d'une intensification et d'une productivité qui ont provoqué un laminage spectaculaire des emplois dans le secteur agricole. Toutes exploitations confondues, entre 1970 et 2003, 29 300 exploitants ont jeté l'éponge en Limousin. Ainsi 2,5 exploitations mettent la clef sous la porte chaque jour depuis maintenant près de 32 ans, soit 60 % des exploitations. 74 600 actifs sur exploitation étaient dénombrés lors du recensement de 1970 pour seulement 25 800 en l'année 2000. Ainsi 48 800 emplois agricoles directs ont été perdus sur le Limousin soit une diminution de plus de 65 % des ressources humaines pour ce secteur d'activité. Ramené à l'ensemble de la population régionale, ce prorata d'actifs travaillant dans le secteur agricole est de 3,6 % pour une surface agricole utile de 861 000 hectares.
Cette situation ambivalente est en train d'évoluer de manière plus défavorable encore : l'OMC poursuit son travail d'ouverture tous azimuts des marchés alimentaires mondiaux aux dispositifs de protection et de subventions agricoles, et l'Union Européenne lui emboîte le pas. Il s'agit là d'une menace pour le développement économique du Limousin, une menace non pas émergente mais avérée, puisque ses effets se font déjà sentir sur les filières phares de la région.
Prenons tout d'abord le cas de la filière pomme. La golden du Limousin doit désormais faire face à une nouvelle concurrente redoutable, la golden chinoise. Typiquement montée comme une filière d'exportation (les Chinois sont peu consommateurs de ce fruit), la production de pommes chinoises amène sur le marché mondial des quantités massives de fruits, dans la même saisonnalité que pour le Limousin, à qualité équivalente mais à un tarif environ deux fois moins cher, transport compris !
Considérons également le cas de la filière bovine. Les concurrents les plus sérieux actuellement viennent d'Amérique du Sud (Brésil et Argentine), et la viande en provenance de ces pays commence peu à peu à rentrer sur le marché européen. Là encore, la qualité des produits correspond au standard occidental (voire même supérieure), et à des tarifs imbattables.
La prochaine étape de l'ouverture des marchés agricoles va permettre à ces pays d'exporter non plus de la viande mais du bovin sur pied. Cela signifie que les ateliers d'engraissement et de transformation italiens, clients majoritaires des broutards limousins, vont se tourner vers des fournisseurs argentins ou brésiliens pour approvisionner leurs installations à des tarifs inférieurs au Limousin.
Ces deux exemples illustrent la fragilité dans laquelle peut se retrouver l'agriculture limousine, fragilité d'autant plus grande que l'hyperspécialisation sur quelques productions est accentuée.
IPNS : Alors comment répondre à ces risques que vous dénoncez ?
E B : On peut y répondre de deux manières. On peut choisir d'accentuer encore les démarches de productivité et de concentration pour améliorer sans cesse la compétitivité des productions limousines et "rester dans la course" au niveau mondial. Mais au grand jeu des avantages comparatifs le Limousin part perdant s'il joue dans la cour mondiale, puisqu'il ne dispose pas d'une carte aujourd'hui maîtresse, celle du dumping social. Bien sûr cette carte est truquée, et c'est tout à l'honneur de notre région de refuser de s'en servir. Mais dès l'instant où la règle du jeu mondiale autorise (voire favorise) ce genre de "désorganisation organisée", le Limousin a tout à perdre à s'investir trop fortement à cette échelle.
L'autre manière de répondre à ces menaces est de prendre le contre-pied de cette course en avant débridée : au lieu de tout miser sur quelques productions spécifiques destinées au grand marché mondial, il vaudrait mieux élargir sa palette tout en la remettant en adéquation avec des besoins plus localisés, idéalement à l'échelle régionale. Et de nouveau nous nous retrouvons face au thème stratégique du rétablissement de la souveraineté alimentaire du Limousin, ce qui montre une nouvelle fois sa pertinence.
IPNS : Mais ne pensez-vous pas que cette deuxième manière de répondre au problème sera considérée comme un renfermement sur soi ?
E B : Non ! Cette aptitude à répondre et cette capacité de réaction ne sont pas l'objet de mesures protectionnistes et xénophobes mais sont bel et bien le fruit d'une intelligence collective visant au respect du principe de prévention et du principe de précaution. La recherche d'équilibre et d'autonomie alimentaire et énergétique pour un territoire trouve sa légitimité dans la mise en application de ces principes. La reconstitution du système agro-alimentaire d'une région passe indubitablement par la régénération d'une multitude d'outils de production (maraîchage, arboriculture, pisciculture, apiculture, aviculture, polyculture, élevage) couplée à une dynamique d'actions transversales dans des domaines aussi complémentaires que la transformation, la commercialisation, la formation et la recherche. Les impacts positifs d'une telle dynamique en matière de création d'emplois directs et indirects sont une véritable opportunité pour lutter contre la précarité et l'exclusion sociale pour ne prendre que le seul cas du Limousin.
Le périmètre écorégional de souveraineté (qui ne couvre qu'une petite moitié de la surface agricole utile totale) a besoin d'au minimum 50 000 actifs là où ne demeurent aujourd'hui que 30 000 personnes sur l'ensemble de la SAU.
Le regard que nous portons sur le développement économique du Limousin est, nous le savons, quelque peu différent et original par rapport aux différents acteurs régionaux. Ce regard est aussi, nous en sommes profondément convaincus, un regard novateur, tourné vers l'avenir. Ce n'est pas pour assouvir une quelconque nostalgie passéiste, ni même un réflexe frileux de repli identitaire, que nous mettons ainsi en avant le rétablissement de la souveraineté alimentaire du Limousin. Nous considérons simplement cette démarche de relocalisation des activités agroalimentaires comme une nécessité émergente, comme une forme d'application cohérente du principe de précaution.
A l'échelle d'une région, avoir une meilleure maîtrise de ses approvisionnements en ressources, alimentaires en particulier, va s'avérer un facteur de plus en plus déterminant pour son développement, pour le maintien de sa stabilité face aux profonds changements de ces prochaines décennies, pour la sauvegarde de ses ressources naturelles dans son ensemble.
Le 13 décembre 2019, Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur, a mis en place une cellule spécialisée, baptisée Demeter, entre autres pour « mieux connaître les groupes extrémistes » qui pourraient porter atteinte à l’activité du monde agricole.
Le problème réside dans le périmètre d’action de cette cellule puisque le ministre précise que ceci concerne entre autres « des actions de nature idéologique » ou « de simples actions symboliques de dénigrement du milieu agricole ».
27 associations nationales ont demandé la dissolution de cette cellule qui, à leurs yeux, « criminalise le fait de remettre en question l’agriculture intensive. » France Nature environnement précise : « Il est à craindre que les associations environnementales et leurs dirigeants, peut-être même leurs membres, soient fichés par cette cellule, fiches qui seront à disposition des syndicats agricoles puisqu’ils sont associés à [l’État] dans cette cellule. Cette situation est pour nous inadmissible. »
Sur la Montagne limousine les semis s’effectuent classiquement de mi-mai à mi-juin, et ce que l’on constate c’est que les surfaces, encore modestes, augmentent. Il faut dire qu’on part de loin : quelques dizaines d’hectares à partir des années 1950 en Limousin… sans commune mesure avec le pic de 80 000 ha au XIXe siècle (L’agriculture limousine des origines au milieu du XXe siècle, Roger Pouget, 2008). Une précision avant de rentrer dans des chiffres plus actuels : ceux-ci restent difficiles à trouver pour cette culture encore assez confidentielle, non prise en compte en tant que telle par les statistiques nationales. Et les chiffres qu’on trouve peuvent être très différents d’une source à l’autre, en particulier sur les quantités récoltées et importées. En gros, pour l’alimentation humaine la production en France satisferait au mieux 50 % de la consommation. Pour avoir une idée assez juste et précise de l’évolution des surfaces, on peut se caler sur le Registre Parcellaire Graphique, une base de données géographiques (diffusée par l’IGN) servant de référence à l’instruction des aides de la Politique Agricole Commune. Ainsi, on dénombrait en Limousin 3 254 hectares de sarrasin en 2016, et 112 hectares de plus en 2020. Et sur la Montagne Limousine ? Comme approche, les données des 124 communes du PNR de Millevaches indiquent qu’on comptait (seulement) 243 hectares de sarrasin en 2016 sur 31 fermes. Une particularité : cette surface augmente plus vite que dans le reste du Limousin : 72 hectares de plus en 2020 avec 12 fermes supplémentaires, et nul doute que c’est inférieur aux prévisions de semis 2022. Le territoire se distingue aussi par la proportion cultivée en bio : 71 % en 2020 ! Ce sarrasin apparaît très majoritairement destiné à l’alimentation humaine.
La culture est parfaitement adaptée aux sols pauvres et acides du territoire : elle mobilise peu les éléments fertilisants et est ainsi peu exigeante en azote (et même sensible à son excès qui provoque la verse). Elle possède des propriétés agronomiques à redécouvrir et à promouvoir. Son caractère « nettoyant » vis-à-vis des adventices, son cycle rapide (100 à 120 jours), l’absence de ravageurs et maladies en font une bonne « tête de rotation ». En système herbager, le blé noir (autre nom du sarrasin) est généralement cultivé derrière une prairie à renouveler ou une friche pour une mise en culture. Ses propriétés mellifères et sa floraison tardive constituent une ressource de nectar et de pollen attirante pour les abeilles et autres pollinisateurs. Peu exigeante en temps de travail, avec peu de charges et une valorisation intéressante surtout en bio pour l’alimentation humaine, la culture a donc aussi un vrai intérêt économique et est une piste intéressante de diversification au sein des fermes.
Le blé noir a beau être adapté aux sols du Plateau, il conserve quand même ses « exigences ». Ainsi, la plante est sensible au gel en début de cycle, sa floraison longue et échelonnée a pour conséquence une maturité des grains peu homogène qui complique le choix de la date de moisson d’autant plus que celle-ci est tardive et qu’il faut composer avec les pluies possibles.
Autre singularité, la capacité du « sarrasin de Tartarie », la variété historiquement présente sur le Plateau, à réapparaître et à jouer les « trouble-fête ». Effectivement, les grains de cette variété fourragère ne figurent pas parmi les attentes des acheteurs professionnels pour l’alimentation humaine.
La variété la plus prisée, donc la plus cultivée y compris sur le territoire ces dernières années, est « La harpe », une variété à petits grains (il existe des variétés dites « à gros grains ») qui est d’ailleurs la variété exclusive de « La farine de blé noir de Bretagne IGP ». Toutefois, sur le Plateau la variété rustique « Petit gris » séduit de plus en plus ; elle est par exemple utilisée (non maltée) pour les 2 bières à base de sarrasin du Plateau de la « Brasserie des Anges ». Bref, ces éléments ont amené un groupe d’une dizaine de producteurs de blé noir en bio sur la Montagne limousine a travaillé sur les modalités de culture depuis 2016. Avec l’appui de différents partenaires (Parc, Creuse Grand Sud, Fédération des Civam en Limousin, Chambres d’agriculture 19 et 23), ont été organisés des temps d’échanges sur les parcelles, du suivi de parcelles, une fiche itinéraire cultural, des commandes groupées de semences. Des essais en plein champ ont également été conduits : 4 modalités de travail du sol (2017), 5 modalités de densité de semis (2018), test de 3 variétés (2019), 3 modalités de dates de semis (2021). Aujourd’hui, les aspects techniques de la production et de la récolte sont plutôt bien maîtrisés même si les rendements sont très dépendants des conditions climatiques (ainsi 10 à 15 quintaux / ha en bio apparaît comme un rendement moyen).
À la question posée « Vous avez de la farine locale ? », on est bien obligé de répondre « très peu en fait », surtout pour le particulier… en tous cas pour le moment. Ceci dit, on trouve sur les marchés, à la ferme ou encore dans les épiceries, des produits à base de blé noir cultivé et transformé sur la Montagne limousine comme des galettes, bières, biscuits sucrés ou salés. Le principal facteur limitant du développement d’une filière locale concerne l’accès facile pour les producteurs (souvent de surfaces limitées) à des outils performants de transformation bien sûr, mais aussi de séchage, triage, stockage des grains. Aujourd’hui, l’essentiel de la production est vendu en grains séchés-triés sur des circuits longs. La récolte tardive sur le Plateau (de septembre à novembre) rend quasi-indispensable le séchage rapide après moisson.
Au-delà de 16 % de taux d’humidité, la récolte peut moisir et rancir en quelques jours et donc être invendable : l’objectif est de ramener ce taux à 11-12 %. Le tri fin pour écarter les autres graines (comme les grains de blé restés dans les moissonneuses) est aussi une étape nécessaire pour répondre aux exigences des moulins et consommateurs sans gluten. Quelques fermes ou autres structures, sur le territoire ou à proximité, disposent d’équipements, mais le dimensionnement, l’efficacité des outils ou encore leur non-agrément en bio, ne permettent pas d’envisager un accès plus large et une plus grande diversité de produits.
Les choses sont en train de changer. Ainsi, en Corrèze une ferme de Peyrelevade va disposer au sein de son moulin d’une ligne dédiée au sarrasin pour produire de la farine bio locale qui permettra de proposer du pain. En Creuse, dans la continuité du travail avec le groupe de producteurs déjà cité, une unité agréée en bio de séchage, triage, stockage, transformation se met en place sur une ferme à La Nouaille. Cet outil sera accessible aux producteurs qui le désirent. L’idée est de proposer un maximum de la récolte plus localement en allant jusqu’à la farine et aux grains décortiqués. Une étude de marché réalisée fin 2021- début 2022 dans un rayon de 2 heures de route autour de La Nouaille confirme l’intérêt des acheteurs professionnels, avec un point de vigilance : celui d’assurer la logistique de livraison (un sujet qui ici n’est d’ailleurs pas l’apanage du sarrasin). La mise en place de ce type d’outil est un engagement fort pour les agriculteurs portant les projets, et pas uniquement financièrement (en dépit d’aides financières publiques, pas si simple à obtenir d’ailleurs). À La Nouaille, l’outil est conçu pour pouvoir travailler d’autres graines en bio, assez peu cultivées sur le territoire jusqu’à présent (chanvre, cameline, lentille par exemple). Au-delà de contribuer à la viabilité économique de l’outil, il s’agit de favoriser une diversification sur les exploitations agricoles bio en phase avec les attentes environnementales et les celles des mangeurs.
Dès le Moyen Âge, l’usage collectif de certaines terres permettait de faire paître gratuitement son bétail en dehors de ses terres, dans les landes et les tourbières souvent communales. Pendant des siècles, les dents des brebis ont ainsi façonné les paysages en une mosaïque de milieux agropastoraux typiques abritant leurs cortèges d’espèces inféodées. Cependant, considérés comme un frein à l’entreprise individuelle et au progrès agricole, ces droits d’usage sont progressivement limités puis supprimés dès 1889. La notion de propriété individuelle s’impose.
La suppression des parcours affecte les paysans les plus pauvres accentuant l’exode rural des terres du Plateau. Au cours du XXe siècle, la modernisation de l’agriculture favorise l’abandon des pratiques agricoles traditionnelles. Les systèmes d’élevage reposent de plus en plus sur la culture fourragère et les vaches remplacent progressivement les brebis. L’exploitation pastorale disparaît peu à peu. Les landes et les tourbières considérées comme des milieux peu productifs, et peu mécanisables pour ces dernières, sont délaissées. Or en l’absence de pâturage, ces milieux semi naturels vont se fermer, s’envahir d’espèces colonisatrices telles que la molinie pour les zones humides ou de ligneux, comme le genêt et le bouleau sur les zones plus sèches, et le cortège animal et végétal va perdre en diversité. La remise en pâturage de ces milieux représente donc une priorité pour le Conservatoire d’espaces naturels du Limousin (CENL). Ce mode de gestion, intégré au circuit économique local, permet non seulement aux agriculteurs d’être acteurs de la conservation de ces milieux mais également de pérenniser les pratiques adéquates grâce notamment à la signature de baux ruraux à clauses environnementales et de mesures agro-environnementales.
En 2017, avec la création de 3 groupements pastoraux sur le Plateau, un nouveau type de partenariat émerge entre le CENL et des éleveurs ovins en brebis limousines. L’idée de départ est d’entretenir et de valoriser les milieux naturels du Plateau en mettant en œuvre un pâturage itinérant 6 mois par an. Pour les espaces naturels, c’est le mode de gestion pastorale idéal puisque, outre le fait de ne pas clôturer toutes les parcelles, ce qui peut représenter un énorme investissement, la conduite de troupeau par un berger permet une gestion très fine du chargement et une adaptation de la pression pastorale au gré des besoins des milieux. Pour les éleveurs, il y a aussi de nombreux avantages : le regroupement des troupeaux, l’augmentation de la surface de fauche, la diminution de la quantité de travail par le partage, l’augmentation de la rentabilité des exploitations et, peut-être à la clé, la création d’emplois (sur 6 ans de gardiennage, 4 bergers installés sur le secteur). Les groupements pastoraux peuvent permettre des installations agricoles avec moins de surface tout en gardant une autonomie alimentaire, ils sont un outil pour rouvrir des surfaces et les réintégrer à la surface agricole. Ils doivent également permettre une meilleure rémunération du travail avec le développement de la vente directe.
Lise et Fabrice récemment installés et riches d’expériences pastorales vécues dans plusieurs coins de la France, ont décidé de créer un groupement pastoral (voir l’encadré) avec Pascal, éleveur à Millevaches. Le GP des Mille Sonnailles est créé en avril 2017. L’idée est de mélanger les troupeaux des deux exploitations, pour les mener en estive sur deux sites du CENL : la tourbière du Longeyroux et les sources de la Vienne. Préalablement, un important travail de concertation portant sur la rédaction d’une convention pluriannuelle de pâturage reproductible a eu lieu.
Sur la plus vaste tourbière du Limousin, certaines parcelles privées étaient à l’abandon depuis une trentaine d’années, et d’autres, dont la gestion est confiée au CENL, en défaut de pâturage depuis 2012, faute de clôtures et de financement pour les poser. La tourbière avait déjà fait l’objet dès 2007 de la mise en œuvre d’un pâturage ovin itinérant grâce à un contrat Natura 2000. Près de 40 hectares de landes et tourbières avaient ainsi pu être restaurés et pâturés pendant 5 ans. Cependant, malgré les efforts du CENL pour le renouveler, le pâturage itinérant n’avait pu être reconduit entre 2012 et 2016, faute de financement en période de transition entre deux programmes européens. Les efforts de restauration ont alors rapidement été effacés avec une recolonisation rapide par la molinie.
Avec la création du GP des Mille Sonnailles et la nécessité d’avoir accès à des parcours cohérents, des recherches foncières sur le site ont eu lieu et plusieurs conventions entre le CENL et des propriétaires ont été signées. Au total, 60 hectares ont pu bénéficier dès 2017 de l’entretien pastoral du GP. En 2018, le troupeau s’est agrandi avec l’adhésion d’un nouvel éleveur. Le GP des Mille Sonnailles a pu contractualiser des mesures agro-environnementales climatiques sur des parcelles du CENL, de la commune de Meymac, de l’ONF et de plusieurs propriétaires privés. Ces aides ont permis de financer un poste de berger à temps partiel à partir de 2018. Issues de la politique agricole commune, elles sont versées annuellement et pour une période de 5 ans en contrepartie du respect et de l’application d’un cahier des charges pastoral adapté aux milieux naturels du Plateau.
Sur le site des sources de la Vienne, également géré par le CENL, un peu moins de 20 hectares sont mis à disposition du groupement pastoral. Une cinquantaine d’hectares supplémentaires en cours d’acquisition par le CENL viendront s’ajouter aux surfaces à entretenir dès la saison prochaine.
Les deux premières années de partenariat avec le GP sont une réussite aussi bien pour les éleveurs que pour le CENL. Les résultats sont déjà visibles et sont plus qu’encourageants. Les brebis sortent en bonne condition de l’estive et l’état de conservation et la diversité des milieux naturels s’améliorent. Certains aménagements sont prévus dès cet hiver pour améliorer le pâturage et les conditions de travail des bergers, comme par exemple la réalisation d’un parc de contention supplémentaire sur les landes d’A la Vue, derrière le parking du Longeyroux, ou encore la réparation d’une passerelle sur la Vézère en attendant le retour des brebis l’été prochain pour une troisième saison pastorale.
Sur Peyrelevade, la même forme de partenariat est mise en œuvre entre le groupement pastoral de Peyrelevade, la commune, le CENL et plusieurs propriétaires privés pour la gestion pastorale de plus de 34 hectares. Nul doute que d’autres GP verront le jour dans un avenir proche, pour plus de liens, plus de vie et une meilleure prise en compte de la biodiversité et des paysages de notre territoire.
Cela fait désormais une quinzaine d'années que les agriculteurs du plateau de Millevaches bénéficient de mesures agro-environnementales sur des milieux spécifiques comme les tourbières et les landes sèches.
Des outils, tels que l'OGAF Environnement du Plateau de Millevaches datant de 1992, les Contrats Territoriaux d'Exploitation de 2000 ou plus récemment les Contrats d'Agriculture Durable, eurent beaucoup de succès. En effet, ces initiatives correspondaient à une attente des agriculteurs, elles les ont notamment sensibilisés à l'immense patrimoine écologique sur lequel ils exercent leurs activités.
Ainsi, toutes ces mesures furent bénéfiques : plusieurs milliers d'hectares abandonnés furent réintégrés au sein d’exploitations agricoles de ce territoire.
De telle sorte que ces bonnes pratiques agricoles furent valorisées et reconnues par le réseau européen Natura 2000, ce qui prouve bien que l'on peut allier production et environnement.
Pour exemple, le site Natura 2000 de la Vallée de la Gioune avec ses 972 hectares dont 80 % font partie de la surface agricole. A noter au passage, une première en France, que les Jeunes Agriculteurs de Creuse ont été nommés après avoir réalisé le document d'objectifs, comme structure animatrice pour ce site.
Il convient de souligner qu'un nombre important des agriculteurs du site avaient souscrit à ces démarches agro-environnementales.
Le résultat est pertinent : le site Natura 2000 est l'un des plus riches du Limousin avec la présence de 15 habitats d'intérêt communautaire, on y trouve également une eau de très bonne qualité (les notes IBGN sur 20 oscillent entre 17 et 19). La population de truites fario de souches sauvages en fait également l'un des ruisseaux référence en Limousin.
Dans ce sens, il est indéniable de constater que l'agriculture peut aussi être créatrice et conservatrice de biodiversité !
Il faut, dans le même sens, noter que d'autres avantages découlent de la remise en pâture des tourbières : c'est en pâturant ces milieux que les vaches et les brebis limousines ont redonné vie aux tourbières. En effet, ces dernières sont redevenues ces formidables éponges naturelles qui stockent, filtrent et relâchent d'énormes quantités d'eau. Celles-ci accueillent également bon nombre d'espèces rares ou d'intérêt communautaire (la drosera : plante carnivore, …).
Sous l'impulsion des Jeunes Agriculteurs de Creuse, des extensions de périmètre ont été demandées et obtenues.
Cela montre la réelle attente des agriculteurs, notamment vis-à-vis de la mise en place des nouvelles mesures agro-environnementales territorialisées.
Malheureusement, au jour d'aujourd'hui la seule proposition faite correspond à un retour de quinze années en arrière !
En effet, le budget ridicule prévu pour ces nouvelles mesures signifie une baisse des aides financières et techniques pour gérer ces milieux difficiles et fragiles. En ajoutant une notion de surfaces peu productives pour les prairies naturelles, les tourbières et les landes sèches, on obtient une diminution importante des surfaces engagées par les agriculteurs au niveau des MAE (mesures agri-environnementales) territorialisées en site Natura 2000. De ce fait, l'Etat français pourrait se retrouver en porte à faux vis-à-vis de l'Union
Européenne pour non respect de la directive habitats (non maintien de la biodiversité) entraînant de lourdes sanctions financières.
La zone d'élevage du Massif Central joue un rôle primordial contre le réchauffement climatique : elle stocke une grande partie du carbone français dans ses sols riches en matière organique.
Il est bon de souligner que les tourbières, qui représentent 0,8 % de la surface de la terre, stockent entre 30 et 50 % du carbone mondial.
Ainsi, les tourbières, les zones humides et les prairies naturelles représentent une capacité de stockage de plusieurs centaines de milliers d'hectares pour le carbone dans le Massif Central (cf. rapport Greengrass).
Les agriculteurs doivent donc se trouver au centre d'un projet de société alliant production et environnement car les deux vont de paire : nous devons mettre en place le fameux concept "Gagnant-Gagnant" à l'échelle de notre territoire.
En effet, la société est gagnante car l'agriculteur, tout en produisant une viande et des produits de qualité sur ces terroirs, garantit une eau de qualité, une biodiversité remarquable, un stockage de carbone accru.
L'agriculteur est lui aussi gagnant car la société rémunère son travail à sa juste valeur.
Les agriculteurs de nos territoires ont ici et maintenant une chance unique de se retrouver en phase avec les attentes de la société. Pour cela il est primordial de poursuivre cette démarche agro-environnementale. Ils ne doivent pas être les laissés pour compte d'une agriculture qui se veut être durable mais au contraire être aidés au même titre que les agriculteurs qui produisent les matières premières pour les biocarburants.
Il serait dangereux de laisser mourir les éleveurs du Massif Central car c'est l'équilibre écologique qui en subirait les premiers impacts néfastes.
Pour que le Massif Central ne meurt pas, a deux solutions s'offrent à nous : obtenir une reconnaissance, qu'elle soit financière mais aussi morale, du travail fourni par les agriculteurs ; ou bien, solution plus radicale, sortir les pelleteuses et les sacs d'azote afin d'intensifier la production pour pallier à ce manque d'aides !
Maintenant, si l'Etat Français, les régions, les parcs naturels régionaux et les agences de l'eau concernées (solidarité aval-amont notamment en matière de ressources en eau) ne sont pas capables de mettre en place une politique valorisante de l'herbe, les éleveurs n'auront en dernier recours que la possibilité de se retourner vers les grandes multinationales qui investissent des millions notamment en matière de stockage du carbone (crédits carbone) afin de trouver une caution pour continuer leurs activités.
Les agriculteurs ont eux aussi le droit à une rémunération équitable lorsqu'ils stockent du carbone, lorsqu'ils maintiennent de la biodiversité, lorsqu'ils transmettent une bonne qualité d'eau et lorsqu'ils fournissent des produits de qualité.
Alors réfléchissons ensemble davantage : pelleteuse et azote dans les tourbières ou rémunération équitable ?
Installée depuis plusieurs générations sur la commune de Royère-de-Vassivière, au lieu-dit le Villard, la famille Vialatoux possède actuellement une exploitation de 120 vaches allaitantes sur 200 hectares et prévoit la création d’un atelier d’engraissement porcin pour 2025. Cyril et Alexandre, les deux plus jeunes, ont rejoint leur père et leur oncle au sein du GAEC il y a environ un an. Après avoir travaillé comme salarié dans plusieurs élevages de porcs, Cyril a pris goût à l’élevage porcin, et souhaite aujourd’hui lancer cette activité. Dans la crainte de manquer de fourrage dans les années à venir pour leur élevage bovin, les deux frères ont préféré diversifier l’activité de la ferme et s’orienter vers ce projet sur lequel ils travaillent depuis plus de deux ans.
Le projet nécessite la construction d’un bâtiment de 1000 m² sur caillebotis, un sol en plastique ajouré, permettant l’évacuation des déjections animales et l’eau de lavage du sol, dans une fosse d’1,5 m de profondeur sous le bâtiment. Celle-ci permettrait de stocker jusqu’à 9 mois de lisier en attendant les périodes d’épandage dont le renouvellement se fera en moyenne tous les deux ou trois ans sur chaque parcelle, au printemps ou à l’automne, et soi-disant de limiter les odeurs au quotidien. Après étude réalisée par un cabinet privé pour établir le plan d’épandage, ce sont 266 hectares qui sont prévus sur les communes de Royère-de-Vassivière, Gentioux et Faux-la-Montagne, sur leurs propres terres, mais aussi chez d’autres agriculteur.rice.s à qui la prestation d’épandage de lisier sera vendue.
La structure pourrait ainsi accueillir 1200 porcs au total dont 400 porcelets en post-sevrage (8 à 25kg) et 800 porcs en engraissage (25 à 110kg). Basée à Montluçon et présente sur plus d’une trentaine de départements, la coopérative Cyrhio vend le projet (un investissement d’environ 550 000 euros), conseille, approvisionne, gère les débouchés et le transport des animaux, qui dit mieux ? Elle compte déjà plus d’une quinzaine d’élevages porcins ayant déjà été autorisés en Creuse2. Et elle a accompagné récemment les membres du GAEC sur le terrain afin de présenter le projet à différents acteurs locaux tels que le Parc naturel régional de Millevaches ou encore les élu.e.s des communes concernées par le plan d’épandage.
Une installation comme celle-ci fait partie des Installations Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE), c’est-à-dire, qui sont susceptibles de présenter des dangers ou des inconvénients pour l’humain, son environnement ou la nature3. Un dossier avec notamment le plan d’épandage a donc été déposé à la préfecture auprès de la DDPP(Direction Départementale de la Protection des Populations) pour contrôler l’absence de risques sanitaires et environnementaux, il est actuellement en cours d’instruction administrative pour vérifier la conformité aux réglementations en vigueur4.Une fois le dossier admis, ce qui pourrait très rapidement être le cas, il sera accessible en ligne et fera l’objet d’une consultation du public sur le site de la préfecture et en mairie. C’est au préfet que revient en dernier lieu la décision d’autoriser ou de refuser le projet par arrêté préfectoral, une procédure qui peut prendre entre 6 et 12 mois. Autant dire demain, d’autant que la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) a demandé, le 24 janvier 2024, à « limiter les recours » des associations de protection de l’environnement et la durée de l’instruction des projets en préfecture5 (notamment en raison des nombreux recours effectués à l’encontre de projets de mégabassines). Une demande entendue par Gabriel Attal qui a annoncé peu de temps après un ensemble de mesures dont celle de passer de quatre à deux mois le délai permettant de formuler un recours contre une installation agricole (le délai était d’un an jusqu’en 2017)6, un décret qui pourrait être publié dès le mois d’avril prochain. Une dérégulation qui se fera à terme et sans aucun doute au détriment de notre santé et de l’environnement.
Au niveau environnemental, impossible de ne pas craindre l’impact des intrants chimiques (dont les traitements antibiotiques) sur les sols et l’eau en particulier, le lisier étant, entre autres, une source d’émissions d’ammoniac importante et préjudiciable à la santé et à l’environnement. Quid de la pollution des eaux souterraines et du Lac de Vassivière en cas de lessivage des sols ? Qu’en pense le Parc naturel régional de Millevaches ? Et pour l’instant le projet prévoit 1200 bêtes, mais s’il venait à s’agrandir (déjà entre 2000 et 2010, le nombre de porcins par exploitation avait triplé7), les risques de pollution iraient croissant par la même occasion !En ce qui concerne la consommation en eau, ce sont 2900 m3 d’eau potable qui seraient prélevés annuellement sur le réseau public, de l’eau nécessaire aux abreuvoirs mais aussi au nettoyage régulier du bâtiment.Un plan d’intégration paysagère est également prévu pour rendre le bâtiment moins visible depuis la D8 au bord de laquelle il est prévu, mais qu’en est-il des odeurs ? Même s’il est positionné en dehors des vents dominants, quel sera le degré des nuisances olfactives ? Que ce soit pour les voisin.ne.s les plus proches du Villard qui comptent à la fois des habitant.e.s et l’association des Plateaux Limousins qui accueille toute l’année des activités d’animation jeunesse, des hébergements en gîtes et évènements accueillant du public, ou bien les voisin.e.s des 266 hectares de parcelles concernées par le plan d’épandage.
En France, trois types d’élevage cohabitent : en bâtiment sur caillebotis, en bâtiment sur paille et en plein air. Grâce au caillebotis, un maximum d’animaux peuvent « grandir » sur un minimum de surface (la norme étant à 0,8m²/animal soit 20 porcs pour 16m²), sur un minimum de temps, avec un minimum de temps de travail. Il est de notoriété public que l’élevage conduit de manière industrielle repose sur des conditions de vie qui devraient questionner les citoyen.ne.s, qu’ils.elles soient consommateur.rice.s ou non, sur la notion de bien-être animal. En 2020, des images choquantes avaient été tournées dans un élevage appartenant justement à l’ancien président de Cyrhio sur la commune de Barrais-sur-Busseroles dans l’Allier ! Elles avaient été révélées par l’association L214, le jour même où une proposition de loi sur la condition animale devait être examinée8. De quoi porter un autre regard sur l’élevage intensif et choisir de cautionner ou non les pratiques qu’il induit.
Un élevage sous contrat ou comment le fait d’intégrer la coopérative Cyrhio revient à se retrouver dans une dépendance multiple : aux cours du porc, aux cours des céréales et aux cours du pétrole ! En effet, c’est l’activité tout entière qui dépendra du suivi, des conseils techniques et des directives de la coopérative. Le projet devrait engendrer un trafic routier incluant l’arrivage des porcelets et leur départ pour l’abattage, mais aussi le transport pour l’alimentation dont la provenance sera entièrement extérieure à l’exploitation. Une alimentation qui serait constituée pour 75 à 80% de céréales et pour 15% de résidus de produits végétaux.Plus globalement et sans chercher à incriminer les porteurs de ce projet, il paraît nécessaire d’élargir le débat. Ne pas se focaliser sur l’installation d’un projet agricole individuel, mais s’intéresser à l’agriculture que nous pouvons réellement aujourd’hui espérer et choisir de soutenir et maintenir sur nos territoires ou non, dans la diversité des pratiques possibles, en vertu de l’état actuel de la planète et des ressources naturelles encore disponibles compte tenu des diverses pressions exercées par l’agro-industrie entre autres.Comment faire pour éviter la perte de souveraineté liée à l’industrialisation de l’élevage à l’heure d’une dérégulation progressive du marché et d’une concurrence internationale de plus en plus rude ? La question de l’autonomie est cruciale, qu’elle soit technique, financière ou décisionnelle. Mais pour y travailler, ne devrions-nous pas nous réinterroger collectivement sur les moyens de coopération et d’entraide possibles à différentes échelles à commencer par le plus local possible ? Des expériences ailleurs pourraient éventuellement donner matière à y réfléchir...
Une mobilisation contre ce projet est-elle souhaitable ? Sous quelles formes ? Peut-on espérer de la part de nos élu.e.s, du Parc naturel régional de Millevaches, du Syndicat du Lac, d’associations, qu’ils et elles prennent collectivement position, arguments à l’appui, auprès de la préfecture pour dénoncer les impacts potentiels de ce projet et demander son interdiction ?Si cet article a pour objet premier d’informer sur ce projet, peut-être pourrait-il par la même occasion vous inviter à vous regrouper pour en discuter, à solliciter vos élu.e.s et autres acteurs concernés. Gare à la dématérialisation des consultations du public et au temps qui file à toute allure, n’attendons pas pour nous rassembler, en discuter et nous mobiliser !
Samedi matin 22 avril, il est 9 heures et il pleut. Les voitures arrivent sur la place de la bibliothèque à Nedde. Combien sommes-nous pour faire cette visite dans le Puy de Dôme ? Sept personnes, ça va, nous allons pouvoir faire le voyage avec deux véhicules. Les techniciens de Télé Millevaches sont là, ils prennent déjà des images, nous expliquent un peu le déroulement : ils veulent monter ce reportage un peu comme une enquête alors ils nous installent des micros et nous annoncent qu’ils vont tourner dans la voiture pendant le voyage. 9 h 15 : Nous partons, nous passons par la Courtine. C’est le plus court, mais la route est un peu plus sinueuse. Télé Millevaches prend des images des paysages que nous traversons et nous interviewe, Vincent et moi. 11 h : Nous arrivons à Tortebesse. J’appelle Laurent Mège pour qu’il m’indique la route pour aller chez lui au village des Plaines. Il est en train de changer un troupeau de vaches et j’entends son chien aboyer. Ce n’est pas compliqué, c’est tout droit, me dit-il. Nous continuons, voyons le panneau « les Plaines », puis une ferme. Nous sommes arrivés.
Depuis le témoignage de Laurent Mège lors de la réunion publique du 29 octobre 2022 à Nedde, j’appréhendais un peu cette visite. Qu’allons-nous découvrir ? J’aperçois une femme et un homme derrière une baie vitrée, je m’approche, c’est Mme Mège et le voisin M. Morge qui est aussi éleveur, ils nous attendent. Laurent Mège arrive, toujours aussi dynamique. Ils nous invitent à nous installer autour de la grande table, Télé Millevaches filme toujours mais nous finissons par les oublier. Laurent Mège nous montre des plans et divers documents, c’est une ferme familiale depuis trois générations où ils produisent du lait pour une coopérative qui fabrique divers bleus d’Auvergne et des tommes. Son troupeau est constitué d’environ 70 vaches montbéliardes qui produisent une moyenne de 7 500 litres de lait par an. Ils ont deux bâtiments : un pour les génisses qu’ils gardent, et un autre où sont les laitières avec la salle de traite attenante. En 2014, Laurent Mège décide de rénover une grange en maison d’habitation et comme il n’y a pas de possibilité d’internet par ligne téléphonique, il fait une installation par parabole type Nornet afin de faciliter ses démarches administratives, notamment ses déclarations. Pour son voisin M. Morge qui est à 900 m du parc éolien mais de l’autre côté, c’est un peu la même situation et les mêmes problèmes. Son épouse est vétérinaire salariée dans un cabinet et fait tout pour les aider mais elle subit des pressions de l’ordre des vétérinaires. Pour cette raison, elle n’a pas voulu témoigner car elle a peur de perdre sa place. En 2018, un parc de 6 éoliennes de 90 m de haut, relativement petites comparativement à d’autres, s’implante sur la commune voisine à 900 m de leur village. Ils n’ont a priori rien contre les éoliennes mais à partir de là, les ennuis commencent : tout d’abord, plus d’internet ! Ils changent la box, puis l’ordinateur mais rien n’y fait. Les diverses déclarations se font en retard, ce qui leur vaut des réprimandes. Évidemment sans internet, c’est moins facile. Un jour un technicien un peu plus perspicace que les autres demande : « Quel changement y a-t-il eu depuis que vous avez la parabole ? » - Nous avons un parc éolien en face de chez nous ! En fait, comme les éoliennes sont situées en face de la parabole, les pales coupent le faisceau.
Puis ça commence avec le troupeau de laitières : la production de lait baisse, les vaches sont bizarres, elles se regroupent dans une partie de la stabulation et restent comme un troupeau de moutons collées les unes aux autres. Soit elles ne boivent plus du tout, soit elles boivent beaucoup à la fois. Elles refusent de rentrer dans la salle de traite, se couchent et finissent par mourir. M. Mège perd jusqu’à neuf ou dix vaches par semaine soit environ 50 à 60 animaux par an. Les vétérinaires viennent, sept se succèdent mais ne comprennent pas ce qui se passe. Ils font des analyses qui ne donnent rien, certains finissent même par penser qu’il ne soigne pas bien ses animaux. Dépité, M. Mège fait faire des analyses toxicologiques à base de poils de ses vaches et là sont détectés des taux anormalement élevés de fer, zinc, cuivre, plomb, cadmium. Il effectue les mêmes analyses sur sa famille à partir de leurs cheveux et le résultat est le même que sur leurs vaches. C’est un peu normal, ils vivent en complète autarcie. Potager, volailles, charcuterie, viandes, lait, œufs, tout est produit sur la ferme. Ils se tournent vers des géobiologues qui commencent à parler de champs magnétiques dus au parc éolien installé sur une immense nappe phréatique. À ce moment-là, nous décidons de sortir de la maison pour aller voir les bâtiments et les animaux. Nous n’avons toujours pas vus les éoliennes. Nous commençons par le bâtiment des génisses, et là c’est le choc ! Un premier box de 6 ou 7 petites vaches bizarres avec des têtes d’adultes mais avec des petits corps et des gros ventres. Il nous lance : « Quel âge ont-elles à votre avis ? » Comme il y a des agriculteurs dans le groupe, certains disent 5 mois, 8 mois… Et bien non, elles ont 12 mois. De toute façon il n’a plus de problèmes avec les mâles, les vaches ne font plus que des femelles. C’est stupéfiant ! Dans un autre box, une quinzaine de jeunes génisses : certaines sont plutôt jolies et d’autres un peu mieux que celles du premier box, mais quand même avec un problème. Les plus jolies ne sont pas nées ici, car voyant que tout s’effondrait, en 2021, il décide d’aller dans un autre bâtiment situé à 8 km qu’il loue pour l’hiver. Il déménage les vaches et là, quelle stupeur, les animaux rentrent dans le bâtiment comme si elles l’avaient toujours connu, il décide d’utiliser la salle de traite sans faire de frais et là aussi les vaches rentrent pour se faire traire sans aucune difficulté. En trois semaines la production de lait remonte, les vaches vont mieux et le moral remonte également. Il reste dans ce bâtiment pendant cinq mois, refait des analyses toxicologiques et tout est redevenu normal.
Ensuite, nous allons voir les laitières dans l’autre stabulation. Là on aperçoit enfin les éoliennes, il y en a six, elles sont dans la brume et ne sont effectivement pas immenses. Dans un pré attenant, on voit des pierres genre menhirs installées par M. Mege. Elles sont pointées au-dessus des veines d’eau qui traversent le bâtiment pour en atténuer les effets. Pouvant peser jusqu’à 2 tonnes, certaines se sont fendues. Cela prouve bien la force qui se dégage de la terre. Ensuite, nous rentrons dans le bâtiment par la salle de traite, là il nous montre avec une baguette le champ magnétique présent à l’entrée du passage des vaches. La baguette se met à tourner. C’est la raison qui empêche les vaches de rentrer dans la salle de traite. Les vaches sont plutôt tranquilles, certaines sont couchées et en bon état de santé, mais toujours un peu sur le qui-vive. Nous avions complètement oublié Télé Millevaches qui ne filme plus, plus de batterie, mais juste le temps de revenir à la voiture et c’est reparti pour la conclusion. Nous décidons de rejoindre la maison et conclure un peu cette matinée de visite. Laurent nous explique pourquoi il met autant d’énergie dans ce combat : il ne veut pas que ce qu’ils vivent avec son épouse et son voisin M. Morge ne se reproduise ailleurs. Plusieurs fois dans la matinée, il nous a lancé : « Maintenant, je ne veux plus fermer ma gueule, je n’ai plus rien à perdre ! ». Depuis deux semaines, Laurent Mège travaille comme ripeur pour une entreprise de ramassage d’ordures ménagères. Ne pouvant plus rembourser les prêts de l’exploitation, il décide de passer ses permis poids lourds afin de devenir salarié. Son épouse va rester sur l’exploitation pour continuer la production de lait. Tandis que nous les remercions pour leur disponibilité et leurs témoignages, ils nous encouragent fortement à tout faire pour empêcher l’implantation de ce parc éolien chez nous à Nedde. L’agence immobilière qui souhaitait témoigner finalement se défile, elle a trop peur de perdre des clients. Le représentant de la chambre d’agriculture ne vient pas au rendez-vous. Télé Millevaches enregistre son témoignage par téléphone, il dit soutenir les agriculteurs en difficulté et comprend leur détresse. Florent Tillon de Télé Millevaches commence à comprendre pourquoi les témoignages sont difficiles à obtenir : tout le monde subit des pressions. C’est l’omerta. Il y a beaucoup de projets en cours dans les communes avoisinantes, dans des forêts domaniales et à terme, ce sera près de 240 éoliennes qui seront installées sur les montagnes tout autour de chez eux…
Depuis 1979, on observe un déclin de l'activité agricole ; selon les chiffres des recensements de la DDAF1, l'activité agricole du plateau de Millevaches s'est significativement réduite depuis quelques dizaines d'années. Le nombre de paysans a fortement chuté et la surface agricole utilisée (SAU) a beaucoup diminué, essentiellement au profit des plantations de conifères. De 1988 à 2000, alors que sur le département de la Creuse, la surface agricole a diminué de 2,4 %, sur le canton de Royère elle a reculé de 11 % (et 22 % entre 1979 et 2000). La diminution du nombre d'exploitation est encore plus flagrante : il y avait 206 exploitations en 1979, 144 en 1988 et 99 en 2000, soit une diminution de 32 % en 21 ans !
Sous le joug du contexte politique agricole (très "encadrant") depuis la première PAC (Politique agricole commune), l'agriculture du plateau de Millevaches a beaucoup changé.
Dans un contexte de baisse permanente des prix agricoles, la faible qualité des terres du plateau a provoqué l'abandon des cultures et une extensification des systèmes de production. Cette extensification a logiquement entraîné un fort agrandissement des surfaces moyennes et une spécialisation dans l'élevage bovin et caprin. En 1979, l'agriculture du canton de Royère était relativement diversifiée et la taille moyenne des fermes était seulement de 28 Ha. 1213 Ha de terres étaient destinées aux cultures pour nourrir autant de vaches que de volailles, de moutons ou de porcs. En 2000, la spécialisation est flagrante : on compte 2 fois moins de terres cultivées, 4 fois moins de volailles de moutons et de porcs. Seuls le nombre de bovins et de caprins a augmenté. Les systèmes de production agricole s'appuient presque uniquement sur l'élevage de bovins en extensif avec d'importantes surfaces de prairies permanentes. La taille des exploitations professionnelles2 a logiquement augmenté en passant de 46 Ha en moyenne en 1979 contre plus de 90 Ha aujourd'hui.
Afin de souligner les particularités actuelles du territoire de Millevaches, je me suis appuyé sur un état des lieux des transactions foncières (achat-vente) des cantons de Royère et Gentioux, du mois d'avril 2004 au mois de février 20053. Ces transactions concernent aussi bien le bâti que des terres seules.
Les chiffres sont très parlants et montrent sans grande surprise que l'agriculture n'est plus l'activité rurale principale : une petite moitié seulement des surfaces non bâties ont été échangées dans le milieu paysan et durant la période étudiée, 14 % des surfaces échangées sont sorties de l'activité agricole. Une autre donnée importante nous indique qu'aucun agriculteur n'a acheté de foncier bâti, ce qui nous permet de supposer que les transactions foncières continuent d'alimenter l'agrandissement des fermes décrit précédemment.
Cette petite étude fait surtout ressortir un élément relativement nouveau qui marque particulièrement les problématiques territoriales du plateau aujourd'hui : sur la période étudiée, 20 % des transactions ont bénéficié à des personnes extérieures au monde paysan et domiciliées à l'étranger. Cette nouvelle concurrence apparaît uniquement sur le foncier bâti, puisque 7 habitations (sur 11 vendues au total) ont été acquises par des anglais. Cette nouvelle donnée a un impact non négligeable sur le prix des bâtiments et participe fortement à la spéculation du foncier. La hausse des prix touche particulièrement les maisons mais s'étend plus largement aux (anciens) bâtiments agricoles et aux terres en général.
La spéculation des bâtiments limite fortement les installations. Leur prix rend les fermes presque inaccessibles aux jeunes porteurs de projets agricoles qui doivent soutenir un budget d'installation de plus en plus colossal. Et lorsque le bâti est séparé d'une ancienne ferme, le reste des terres est vendu plus facilement à l'agrandissement. Sans bâti, il reste encore la solution de construire ses propres bâtiments, mais il est aussi difficile d'obtenir quelques hectares pour s'installer face aux personnes extérieures à l'agriculture ou à des voisins paysans "hectarivores", malheureusement très soutenus par le contexte politique départemental.
Et si toutes ces barrières sont franchies, il reste au jeune installé à faire le pari de pratiquer une agriculture moins gourmande en surface mais rentable, à "contre courant" de la PAC.
Il existe pourtant des outils étatiques, mis en place pour contrôler les transactions foncières. Les SAFER sont des sociétés anonymes à but non lucratif destinées au contrôle des transactions foncières. Chaque transaction foncière est étudiée par un comité technique pluri-représentatif chargé de donner un avis sur chaque dossier. La SAFER a pour mission d'éviter que les terres sortent abusivement du domaine agricole. Elle possède pour cela un droit de préemption qui lui permet de devenir automatiquement acquéreur de terre pour la redistribuer à un paysan qui en fait la demande.
Chaque transaction foncière donne lieu à une notification notariale de vente qui doit être diffusée pendant deux mois avant la signature définitive de la transaction pour permettre à un tiers de se porter concurrent à l'acquisition.
C'est malheureusement à cette étape qu'apparaissent les lacunes du système car force est de constater que la diffusion de ces informations est objectivement insuffisante (quand elle n'est pas inexistante).
Les locations sont quant à elles contrôlées par la Commission départementale d'orientation agricole (CDOA). Créées en 1995, elles se réunissent tous les mois à la DDAF. Elles ont pour rôle de donner un avis sur chaque location de terre agricole faisant passer une exploitation à plus de 90 Ha de surface. Les CDOA réunissent des représentants de l'Etat, des représentants du monde agricole et des représentants d'associations. Chaque demande de location concernée donne lieu à une demande préalable d'exploiter (DPE), qui doit être diffusée pour permettre à une tierce personne de poser une éventuelle candidature concurrente.
Une fois de plus, on ne peut que regretter le manque d'effort de communication sur ces DPE qui limite fortement la concurrence.
La Confédération Paysanne de la Creuse s'intéresse depuis toujours au problème de la distribution des terres entre les paysans et avec le monde rural. Militant pour que chacun puisse accéder équitablement au foncier, elle souhaite aujourd'hui être plus efficace au sein des organisations départementales de gestion des structures. Il semble important de pallier les lacunes du système au niveau de la distribution des informations. Le travail syndical a débuté par la mise en place d'un réseau départemental de paysans et paysannes chargé de diffuser les informations sur les transactions foncières. Ce réseau d'interlocuteurs permet de diffuser les notifications notariales de vente et les DPE mais aussi de recueillir les informations de terrain afin de défendre au mieux les projets considérés comme intéressants dans les comités techniques SAFER et en CDOA. Si ce réseau fonctionne actuellement à l'échelle cantonale, il semble intéressant aujourd'hui de créer un maillage d'interlocuteurs locaux plus dense et particulièrement sensibilisés aux problèmes du foncier.
Une première réunion sur le plateau devrait réunir beaucoup de forces rurales sensibilisées aux problèmes d'accession à la terre et au bâti afin de partager les différentes visions du territoire. Il s'agit de créer un réseau de diffusion d'information et de créer un éventuel groupe de pression capable de faire pencher la balance en faveur des projets que chacun souhaite voir se développer sur son territoire. A n'en point douter, d'autres perspectives seront envisagées mais cela dépendra de la dynamique dont ce travail fera écho.
Cette plante fournie une graine oléagineuse et sa tige est composée de fibre et d’une partie ligneuse appelée chénevotte.
Connue et utilisée depuis 8000 ans en Asie centrale puis en Europe pour son huile et sa fibre textile, elle tombe en désuétude avec la concurrence du coton puis des fibres synthétiques.
Mais depuis les années 1980 Cannabis Sativa connaît un regain d’intérêt avec la découverte de ses usages possibles dans la construction.
Deux bonnes raisons de redonner à cette plante la place qu’elle a eu dans les fermes du plateau.
Cette expression agricole est de moins en moins utilisée dans les pratiques nouvelles de mono production. Pourtant cette notion est primordiale en agriculture paysanne où la rotation des cultures et leur diversité sont essentielles pour exprimer rationnellement le potentiel agronomique des sols. L’alternance des cultures limite en particulier le développement des adventices et des parasites spécifiques.
Le chanvre, plante annuelle, se sème en mai et se récolte en septembre. Sa rapidité de croissance en fait un excellent désherbant naturel qui étouffe les plantes vivaces concurrentielles. Elle n’est pas sensible aux maladies et son système racinaire puissant lui permet de puiser l’eau en profondeur tout en améliorant la structure du sol.
C’est donc un plante qui précède favorablement une culture de céréale.
L’ engouement pour l’auto construction avec des matériaux non polluants est tout à fait de circonstance pour répondre aux défis environnementaux d’aujourd’hui. C’est aussi une réponse possible à la demande de logement pour les migrants du plateau face à la récente et injustifiée spéculation foncière sur le bâti ancien. De tout temps les hommes ont puisé dans leur proche environnement pour élaborer leur lieu de vie, en utilisant des matériaux esthétiquement intégrés dans le paysage. Se réapproprier l’usage des minéraux et des végétaux qui nous entourent avec toutes les innovations des nouvelles techniques va permettre de donner vie à de réels projets locaux. Bois, paille, terre aux nombreux filons, puis chanvre vont permettre d’innover, sans transports de matériaux coûteux et polluants. La construction de bâtiments à usage professionnel pourrait profiter encore plus de ces matériaux nobles inépuisables.
La chenevotte donc, en mélange avec divers types de chaux (aérienne ou hydraulique) permet d’effectuer des bétons de chanvre en se passant des sables extraits des carrières ou rivières et permet à la déconstruction de réintégrer de simples aires de compostage.
Les réalisations les plus courantes sont les enduits, les murs banchés avec ossatures bois noyées ou apparentes, des dallages sur terre-plein, elles nécessitent l’application rigoureuse de techniques appropriées aux différents choix.
Un groupe engagé dans une démarche d’agriculture durable, travaille depuis quatre ans pour affiner cette filière afin de proposer localement huile et chénevotte sous la marque «Lo Sanabao». La culture du chanvre est effectuée sans apport de produits chimiques de synthèse. Bien que ce ne soit pas un produit normalisé, les producteurs s’engagent néanmoins à fournir une chénevotte exempte de moisissures et sans trop d’impuretés.
Les huiles sont analysées régulièrement.
L’objectif est la valorisation des produits en circuits courts.
Difficile de choisir un autre titre pour faire un article sur la Via Campesina. C’est le slogan du mouvement, connu dans toutes les langues de la planète, et cri de ralliement pour nombre de familles paysannes à travers le monde.
La Via Campesina est un mouvement international qui regroupe de part le monde environ 150 organisations paysannes dans près de 60 pays d’Asie, d’ Afrique, d’Europe, d’Amérique du Nord, d’Amérique Centrale et d’Amérique latine. Il a été fondé en 1993 et oeuvre depuis lors pour améliorer les conditions de vie des familles paysannes, renforcer la production locale d’aliments pour la consommation locale et ouvrir des espaces démocratiques pour permettre aux agriculteurs de faire entendre leur voix. En effet, la plupart des organisations internationales telles que l’OMC, la Banque Mondiale, le FMI mettent en oeuvre des politiques de libéralisation des échanges qui ont un impact direct sur les familles paysannes. Mais, elles ne consultent jamais évidement ceux qui sont les premières victimes et les plus concernés par ces soi-disantes politiques de développement. Lassés de n’être n’y entendus, n’y consultés, les leaders de plusieurs organisations paysannes ont décidé de s’unir pour porter et défendre à tous les niveaux leurs propositions pour un autre développement, pour une agriculture respectueuse des hommes et des territoires.
Pour se faire, en 1996, lors de sa deuxième assemblée internationale, La Via Campesina a proposé pour la première fois l’idée de la souveraineté alimentaire. Pour le mouvement, la souveraineté alimentaire est un droit. C’est le droit des peuples et des pays à définir leurs propres systèmes alimentaires et agricoles ainsi que leurs propres politiques agricoles. C’est le droit des peuples à produire leurs propres aliments et à organiser la production alimentaire et la consommation dans le respect de la culture de chacun et selon les besoins des communautés locales. Or ce droit est aujourd’hui bafoué puisque les pays ou les Unions de pays édictent bien souvent leurs politiques agricoles en fonction des principes de l’OMC ou des accords de libre échange et non en fonction de l’intérêt de leur population.
La Via Campesina et ses organisations membres s’attachent donc à faire reconnaître ce droit en travaillant au niveau national auprès des gouvernements les moins libéraux et avec les institutions internationales les moins “idéologiquement contaminées” par les théories du libre échange (la FAO, la CNUCED1, la Commission des Nations Unies pour les Droits de l’Homme etc...). Certains pays, conscients des dégâts engendrés sur leur secteur agricole par des décennies d’ouverture des marchés, ont fait le pas d’inscrire dans leur constitution ce droit. C’est le cas du Népal, de la Bolivie et du Mali par exemple. Mais la généralisation et la mise en application de la reconnaissance de ce droit reste encore à acquérir.
Elle passe par des luttes concrètes sur de nombreux sujets (semences, accès à la terre, biodiversité, migrants, participation des femmes, violation des droits de l’homme, etc). Comme les organisations françaises qui font partie de la Via Campesina, tous les autres membres du mouvement résistent à la diffusion des semences génétiquement modifiées. Ils mènent aussi des luttes pour obtenir des réformes agraires, rappeler que les sols ne doivent pas devenir des objets spéculatifs pour la production d’agrocarburants. Ainsi sur cet exemple de l’accès à la terre, à nouveau les niveaux international et local se font écho. Il s’agit bien de l’illustration du slogan de la Via Campesina : «Globalisons les luttes pour globaliser l’espoir !»
À la fin du XIXe siècle, la Haute-Vienne produisait 35 745 hectolitres de sarrasin (1 hl = 1 quintal / 10 hl = 1 tonne), soit 20 % du total céréalier départemental (175 100 hl). Ce pourcentage devait être sensiblement identique pour la Creuse, mais un peu plus élevé pour le Plateau de Millevaches. La culture du sarrasin, ou « blé noir », était la troisième en quantité, loin derrière le seigle (68 400 hl) et le froment (49 875 hl). Environ 2 000 hectares lui étaient consacrés. Depuis cette époque, le sarrasin n’a cessé de décliner, les surfaces consacrées étant divisées par 20 en un siècle. Cette céréale (ou plutôt pseudo-céréale, car sans gluten) avait pratiquement disparu après les années 1960, hormis en Bretagne. Aujourd’hui, on ne publie même plus de chiffres, on classe le sarrasin dans « autres ». En 2020, il représentait moins de 1 % de la production française. Cependant, depuis quelques années, il connaît un nouvel et rapide essor. Pour un aperçu, lire et écouter le reportage de France Bleu Creuse1 et lire page 17.
C’est une plante délicate qui craint les gelées tardives au printemps, les fortes chaleurs en été et les longues sécheresses. Dans l’assolement, on cultivait plus fréquemment le sarrasin après une autre céréale, froment ou seigle. Cependant, une autre qualité était appréciée : elle convenait très bien comme première culture, après un défrichage ou un labour de prairie naturelle.
Son système radiculaire peu développé nécessitant un sous-sol riche en azote et potasse, les amendements calcaires et les fumures phosphatées étaient donc spécialement recommandés dans notre région granitique. Semé de mi-mai à mi-juin, dans un sol très ameubli, soit à la volée, soit en lignes, il germait et végétait rapidement. En Limousin, on pouvait commencer à le récolter en septembre, quand les graines mûres étaient les plus nombreuses, la floraison s’étalant sur une période plus longue que pour les autres céréales. On choisissait donc le moment où les tiges deviennent rougeâtres et où les grains, devenus bruns, se laissent couper aisément par l’ongle.
On préférait ne pas moissonner pendant les heures les plus chaudes de la journée pour éviter une chute trop importante des grains. Les tiges et les feuilles (encore vertes pour la plupart), longues à sécher, étaient liées en petites gerbes appelées javelles, dressées en faisceaux. Après quelques jours de séchage en plein air, elles étaient liées en gerbes, puis engrangées.
D’abord coupé à la faux, le « blé noir », fut – le progrès aidant – moissonné à la machine. Dans la région, on utilisait fréquemment une faucheuse, avec une adaptation autorisant la coupe des céréales. Cette adaptation consistait principalement en l’adjonction d’un « râteau » pour empêcher que les tiges de sarrasin, une fois coupées, ne tombent à terre. Au contraire, elles pouvaient ainsi être récupérées pour confectionner les javelles. Ces techniques permettaient une économie importante en main d’œuvre : une personne assise sur la machine confectionnait les javelles, une autre écartait ces dernières du passage suivant de l’attelage, enfin un conducteur, soit d’un tracteur (engin longtemps très rare dans notre région), soit d’un attelage.
Postérieurement à cette adaptation, on utilisa des moissonneuses-javeleuses, puis des moissonneuses-lieuses. Le progrès était en marche, mais il avait un prix. Aussi, dans une région pauvre comme la nôtre, il semble qu’on ait privilégié encore quelques temps des emplois plus économiques : faucheuse adaptée pour la moisson (Cf. dessin) et attelages de vaches ou bœufs limousins, plutôt que le tracteur agricole.
Ces engins possédaient deux roues, dont une – motrice – actionnait le système de coupe. Une scie composée de petites lames triangulaires rivées sur une tringle plate se déplaçait dans le porte-lame. Chaque extrémité de ce dernier se terminait par des sabots séparateurs qui guidaient les tiges des céréales à l’intérieur de la moissonneuse. Il existait aussi un système permettant de régler la hauteur de coupe.
Immédiatement après la récolte avait lieu le battage. Une fois les gerbes de blé noir rentrées, on battait au fléau ou à la machine. Les grains étaient disposés ensuite en couches très minces dans le grenier et remués fréquemment à la pelle pour achever leur séchage. Ces grains étaient sensiblement aussi nutritifs que ceux du froment. On les destinait à la consommation humaine, mais on les donnait aussi aux chevaux, bovins et porcs, en faible quantité cependant. La farine de blé noir servait – encore aujourd’hui – à fabriquer les fameux galetous limousins, mais aussi des bouillies qui devaient vraisemblablement « tenir au corps ». La paille de sarrasin ne servait guère qu’à la litière des bêtes à l’étable.
Sur une vieille carte postale, on peut découvrir une illustration parfaite des lignes précédentes. On peut y distinguer nettement la faucheuse-moissonneuse, un attelage de vaches limousines, le travailleur assis sur le siège de la machine et un autre personnage s’occupant des javelles tombées au sol. Il s’agissait d’éviter que l’engin ne roule sur les épis lors de son prochain passage. Le conducteur de l’attelage tient « l’agulha », un long bâton permettant de conduire les bêtes.
La photographie a été prise entre le bourg d’Auriat et le village de la Baconaille, à peu près en face de celui de La Vallade. La colline que l’on voit derrière l’église est le Puy d’Auriat. Evidemment, aujourd’hui, même s’il demeure encore quelques prairies, la plus grande partie du paysage est boisée de résineux. Le plus étonnant, quand on considère l’âge vénérable de ce cliché, qu’on peut dater avec quasi certitude des années 1930, est que nous avons réussi à identifier le conducteur de l’attelage. Il devait s’agir de Jean-Baptiste Jacquet, né le 12 juillet 1891 à Auriat, au village du Menudier, où son père Louis exerçait la profession de cultivateur, comme on disait alors. Jean-Baptiste vivait alors au village de La Vallade. Il est décédé en 1969 au Châtenet-en-Dognon.
Qui va aujourd’hui à Auriat aurait du mal à imaginer que ces villages ont été longtemps entourés de terres cultivées, sur lesquelles naissaient, vivaient et travaillaient de nombreux Limousins.
La diversité des points de vue doit être respectée et développée
Le Ministère de l’agriculture a entrepris, depuis le début de l’année 2007, de rénover le parcours à l’installation, officiellement pour le personnaliser et tenir compte de la diversité des projets et des profils des candidats, en créant le Plan de Professionnalisation Personnalisé (PPP). Ce nouveau dispositif sera notamment nécessaire pour l’accès aux aides nationales à l’installation (dotations jeunes agriculteurs, prêts bonifiés…). Les enjeux sont importants car actuellement seul un paysan sur deux qui arrête son activité est remplacé et sur les 16 000 installations nationales annuelles, moins de 6 000 sont aidées par l’Etat.
Le budget public alloué à l’installation et à la formation ne doit pas être revu à la baisse, bien au contraire. Les installations agricoles sont garantes de la vitalité des territoires ruraux et le développement de notre région ne peut s’envisager sans la diversité actuelle des idées et des projets dans le monde de l’installation. C’est d’ailleurs dans cet esprit que le Conseil régional du Limousin a mis en place le réseau DIVA qui reconnaît et soutien la diversification des projets agricoles et ruraux.
Il est vrai que la politique agricole et l’accompagnement actuel excluent et découragent de nombreux porteurs de projet. Afin d’augmenter le nombre d’installation, redéfinir ce parcours est en soi une idée intéressante mais nous ne sommes pas dupes des discours “officiels“ et nous alertons les pouvoirs publics pour qu’ils veillent à respecter certains points fondamentaux :
Nous espérons que les pouvoirs publics sauront saisir les enjeux de l’installation et refuseront donc la gestion de son parcours au syndicat majoritaire qui, depuis plus de 20 ans, nous donne la preuve, chiffres à l’appui, de sa partialité et de son absence de volonté sur le sujet. La formation agricole et l’installation en agriculture sont l’affaire de tous les acteurs impliqués sur le sujet, nous allons continuer à nous mobiliser pour que cela reste une réalité.
L'agriculture biologique en Limousin, ce sont près de 320 producteurs en 2007, contre moins de 50 en 1995. 18000 ha sont ainsi cultivés selon un mode de production biologique, soit environ 2,2% de la Surface Agricole Utile, ce qui correspond à la moyenne nationale.
Concernant les productions végétales, ce sont bien sûr les prairies qui dominent dans la région en terme de surface. A l'exception d'une production céréalière légèrement plus marquée en Haute-Vienne, toutes les cultures sont relativement bien représentées dans les trois départements : oléagineux, protéagineux, fruits et légumes, ou encore PPAM (plantes à parfums aromatiques et médicales)
Pour ce qui est des productions animales, elles représentent plus de 70% de l'activité agricole limousine, avec une nette domination des bovins viande. On peut néanmoins noter que les cheptels ovins et caprins sont plus développés en Haute-Vienne et que la Creuse se distingue par une production de volailles qui représente plus de 90% de la production régionale.
Cependant, alors que la demande des consommateurs en produits bio augmente de plus de 15% par an, on constate comme partout en France une stagnation du nombre d'agriculteurs et des surfaces cultivées. Même si ce constat est à relativiser en comparaison des 24 000 agriculteurs conventionnels qui disparaissent chaque année en France, il est évident que des efforts considérables sont à réaliser pour permettre à la production agricole biologique française et limousine de répondre, par des productions locales à des exigences de plus en plus forte des citoyens en terme de préservation de l'environnement et de santé alimentaire.
GABLIM, c'est le groupement des Agrobiologistes du Limousin, association créée en 1990. 55% des agriculteurs bio ou en conversion y adhère, 6 salariés y travaillent.
Les deux missions principales de GABLIM sont :
Le groupement intervient donc à tous les niveaux de la production agricole, son amont et son aval, notamment à travers :
Les actions de GABLIM en cours se distinguent à travers deux approches majeures : l'animation du réseau des producteurs bio et la sensibilisation des consommateurs.
Pour la première, nous intervenons par de l'information, du conseil et de la formation, principalement dans le domaine de l'élevage, mais également et de plus en plus dans d'autres secteurs de production en fort développement, tels que le maraîchage, les grandes cultures, l'arboriculture ou les PPAM. Nous nous appuyons pour cela sur les compétences d'un vétérinaire, de conseillers techniques spécialisés et d'un réseau de fermes de référence animé en partenariat avec les chambres d'agriculture.
GABLIM accompagne également de nombreux candidats à l'installation individuels ou collectifs, en partenariat avec le Réseau Agriculture Durable du Limousin, sur la définition de projet, et la recherche de foncier .
Plus en aval, nous travaillons également à la structuration des filières de commercialisation, afin de développer et consolider les débouchés régionaux des agriculteurs. C'est ainsi qu'ont récemment vu le jour deux nouvelles associations de producteurs, Manger Bio Limousin pour l'approvisionnement de produits bio et locaux en restauration collective (voir page 13) et Les Moissons du Limousin dont l'objectif est de valoriser localement leurs productions céréalières, à travers une filière pain et farine bio régionale.
Le second domaine d'intervention de GABLIM est à destination du grand public. Deux foires régionales sont ainsi organisées chaque année, "Coccinelles et Compagnie" au lac d'Uzurat à Limoges au mois de juin, et la foire de Beaulieu sur Dordogne au début du mois d'août. Nous participons par ailleurs à de nombreux événements locaux (comices, marchés…) et organisons plusieurs journées "Portes Ouvertes" dans l'année grâce à notre réseau de fermes de découverte.
GABLIM propose également un catalogue d'animation pédagogique qui offre toute une gamme d'interventions à destination des petits et des grands, à consommer sans modération dans les écoles ou à l'occasion de conférences-débats par exemple.
Enfin, deux outils de communication désormais incontournables que sont la Feuille Bio du Limousin, bulletin de liaison de l'association que chaque membre de l'association reçoit tous les mois et dont le dernier numéro est téléchargeable sur notre site Internet, et "Suivez le guide bio", livret édité tous les deux ans qui recense tous les producteurs bio en vente directe de la région, ainsi que les foires, marchés ou encore magasins de proximité dans chaque département. Vous pouvez le commander auprès de GABLIM.
Sur le territoire du PNR de Millevaches en Limousin, on compte pas moins de 44 agriculteurs bio certifiés ce qui représente environ 2500 ha. Viande bovine, ovine, fromage, pommes, truites, confitures, miel, plantes médicinales. On trouve une grande diversité de productions bio sur le plateau ! Vous habitez peutêtre juste à côté sans le savoir. N'hésitez pas à allez à leur rencontre, leur poser des questions. C'est la meilleure manière de comprendre leur travail et leur engagement pour un environnement préservé et une alimentation saine.
Pour connaître leurs coordonnées, vous pouvez demander le Guide Bio (gratuit sur demande à GABLIM). Vous pouvez aussi les rencontrer sur les marchés : Eymoutiers, Peyrat le Château, Meymac, Felletin, Royère de Vassivière, Faux la Montagne.
Depuis quelques décennies, agronomes, anthropologues et historiens défrichent et livrent peu à peu “L’histoire des agricultures du monde depuis le néolithique jusqu’à la crise contemporaine“ pour reprendre le titre de l’ouvrage de référence en la matière. Un corrézien, Roger Pouget, lui aussi agronome et directeur de recherches à l’Institut National de Recherche Agronomique se propose de retracer l’histoire de l’agriculture et des paysans limousins depuis 10 000 ans.
À partir des sources scientifiques et techniques de la recherche contemporaine Roger Pouget nous rappelle la longue durée de la grande misère des paysans limousins luttant sur des sols pauvres aux rendements faibles et aléatoires. Soulignant ainsi que jusqu’au XIXe siècle une très forte proportion de la population de la province se livre à l’agriculture pour retirer de cette terre rude et maigre la nourriture indispensable à sa survie. Cette longue stagnation de l’agriculture est à quelques rares exceptions près le lot de toute la paysannerie française même si le Limousin figure parmi les provinces les moins favorisées en raison de ses sols peu fertiles et de son isolement dû à l’absence de moyens de communication. À ces conditions difficiles s’ajoute la lourde charge des impositions, redevances et autres corvées que leur infligent la noblesse, la bourgeoisie et le clergé. Cette pression financière demeure un frein à la pénétration de l’innovation et du progrès dans les campagnes. Le chapitre sur l’introduction de la pomme de terre en Limousin au milieu du XVIIIe siècle illustre cette résistance que l’on retrouve constamment dans la lente évolution de notre agriculture. Elle explique aussi l’arrivée tardive du développement des cultures fourragères et de l’introduction des engrais qui favoriseront la naissance de l’élevage bovin limousin dans la seconde moitié du XIXe siècle. C’est toujours avec un certain retard que l’agriculture limousine rejoint le progrès technique. Et lorsque survient la grande mutation de l’agriculture française dans les années 1950 l’agriculture limousine peine à s’y engager tant elle ressent encore les effets de l’émigration de sa population rurale vers les villes depuis plus d’un siècle.
Tout au long de son argumentation, l’auteur s’efforce de nous défaire des clichés d’une agriculture “archaïque et rétrograde“ pour nous aider à mieux comprendre les difficultés que les paysans limousins ont surmontées pour accumuler connaissance et savoir-faire. Deux chapitres l’un sur le châtaignier, base de l’agriculture limousine et l’autre sur la vigne, principale culture de la basse Corrèze, apportent un éclairage singulier sur leur capacité d’adaptation face aux aléas auxquels ils ont été confrontés. Sans oublier de rapporter l’utilisation astucieuse des rigoles pour l’irrigation fertilisante des prairies, une maîtrise de l’eau datant peut-être de l’époque gallo-romaine. L’ouvrage est agrémenté d’une illustration abondante en planches de dessins et photographies remarquables.
Spécialiste de la vigne, Roger Pouget a dirigé la station de recherches sur la viticulture à Bordeaux. En clôturant son chapitre sur la vigne, il fait remarquer la renaissance du vignoble de Branceilles en 1990, l’arrivée en 2000 du vin paillé de Queyssac-les-vignes et plus récemment encore en 2007 Les coteaux de la Vézère à Voutezac et Allassac. Un petit clin d’oeil à la capacité d’innovation des agriculteurs d’aujourd’hui pour diversifier leur source de revenus et développer un tourisme rural.
Une double approche scientifique nous est proposée par deux universitaires de Limoges pour nous conter l'aventure "patrimoniale" de "la belle limousine". Celle de l'histoire que nous rapporte Philippe Grandcoing. Docteur en histoire contemporaine, il enseigne en classes préparatoires au lycée Gay-Lussac. La seconde, "la révolution génomique", est toute contemporaine. Elle a débuté il y a tout juste 20 ans et n'est pas encore à son terme. Elle est aussi plus ardue parce qu'elle touche à la science du vivant. Raymond Julien, spécialiste de biochimie et de génétique, et directeur de "l'institut des sciences de la vie et de la santé" à l'université de Limoges nous introduit dans les arcanes de la sélection par la génétique. En même temps qu'il rejoint les interrogations des éleveurs limousins sur "la part respective des gènes et de l'environnement dans la construction du vivant".
Leur double démarche démontre l'originalité de la "construction" de l'hérédité patrimoniale de notre vache limousine à la robe "froment", "à la tête courte" "aux cornes luisantes, grosses de moyenne longueur et un peu relevées". La construction de ces caractères visuels et morphologiques (le phénotype) de la race limousine est le résultat d'un savoir faire humain et non pas d'une sélection naturelle. Dès le XVIIIème siècle la race bovine limousine est remarquée dans les grands marchés urbains par sa robe rouge claire ou froment et ses qualités bouchères. Son terroir s'étend du Lot à la Vienne et de la Charente à la Creuse. Au début du XIXème siècle pour l'amélioration des races bovines la mode est au croisement des races à partir des critères les plus productifs pour obtenir un animal de rente fournissant lait et/ou viande.
Dans cette compétition le Limousin se singularise en privilégiant la sélection au sein même de son troupeau. On abandonne la production d'animaux gras au profit de jeunes bêtes de travail et de boucherie. Mais sélectionner c'est choisir. C'est donc introduire un savoir faire humain où se combinent de multiples critères : la conduite de l'écosystème par la maîtrise de l'eau avec l'irrigation et le drainage pour l'entretien des prairies naturelles, l'introduction de plantes fourragères, l'attention au bien être animal par l'amélioration de son alimentation et de son abri tout en lui épargnant les travaux pénibles. Une telle sélection ne pouvait provenir de petits éleveurs vivant durement et chichement sur de petites surfaces. Elle sera le fruit de l'observation d'un petit groupe de pionniers parmi les notables et riches propriétaires ruraux du Limousin. Ils auront à coeur d'expérimenter cette sélection sur leurs vastes propriétés en choisissant les meilleurs éléments de leur troupeau avec l'étroite collaboration du savoir faire de leurs métayers. Ils organiseront concours et comices agricoles dans une aire géographique restreinte pour établir progressivement le phénotype de la vache limousine. Ce sera chose faite avec la création du herd-book - le livre généalogique - de la race limousine en 1866.
Après les concours agricoles plus réservés à l'élite des éleveurs viendra le temps des foires. Elles fleuriront dans les communes surtout dans le dernier quart du XIXème siècle. Elles assureront la diffusion de cette innovation chez tous les paysans limousins. Pour ne retenir que le département de la Haute Vienne, berceau de la race, en 1819 il y avait des foires dans 53 communes on en compte 130 en 1914. La sélection par les hobereaux s'harmonisera avec les pratiques populaires pour fixer le particularisme d'une polyculture vivrière où la vache limousine tient une place essentielle. Elle assure les travaux de labour et de charroi tout en produisant des jeunes bovins à la qualité reconnue sur les grands marchés tels que Lyon ou Saint Etienne pour la consommation bouchère en extension.
La révolution agricole de la seconde moitié du vingtième siècle rattrape l'économie de l'élevage en Limousin à la fin des trente glorieuses. Le productivisme et la mécanisation d'une part, mais aussi l'attente des consommateurs et l'organisation des marchés conditionnent les modes de reproduction de la race. Les éleveurs s'organisent en diverses formes de groupement pour préserver l'héritage de la limousine sélectionnée par les générations successives. Comment maintenir ses qualités maternelles et ses aptitudes bouchères sans recourir aux progrès de la génétique ? Pour construire ces programmes de sélection les éleveurs doivent coopérer étroitement avec les chercheurs et les techniciens.
Les progrès fulgurants de la biologie moléculaire depuis la découverte de l'ADN en 1953 et la course au décryptage du génome bovin introduisent une nouvelle révolution dans le savoir faire phénotypique des éleveurs limousins. Avec toutes ses qualités didactiques Raymond Julien donne au lecteur les premiers linéaments de la connaissance génétique. Dans la sélection génétique comment allier les performances de l'éleveur avec les informations touchant à l'origine et à la généalogie de l'animal ? Aussi pour assurer la maîtrise de l'avenir du phénotype bovin limousin les responsables du herd-book ont créé en 1984 la station nationale de Lanaud. Derrière la façade emblématique de son architecture moderne, le pôle de Lanaud à quelques kilomètres de Limoges rassemble tous les organismes professionnels qui agissent pour le développement et la promotion de la race. Au cœur d'une ferme expérimentale ils élèvent, ou plus exactement contrôlent et suivent les 700 meilleurs mâles de l'année sélectionnés chez les éleveurs performants de toute la France.
En conclusion les auteurs s'interrogent sur la place de la vache limousine dans l'identité régionale d'hier et d'aujourd'hui. Dans les missions du pôle de Lanaud quel peut être encore le rôle des éleveurs du terroir limousin ? Devant l'expansion nationale et internationale de la belle limousine que reste-t-il du savoir faire et de la mémoire des hommes du Limousin ? Face à une trop grande rigueur des techniciens du génome que restera-t-il du berceau de la belle limousine ? Le terroir n'est-il pas le plus sûr garant pour la production de vaches fécondes et en bonne santé en même temps qu'il est le gage de la biodiversité ?
Fidèle à la renommée de cette jeune collection l'ouvrage est abondamment illustré par une prodigieuse iconographie, originale et souvent inédite. Ne trahit-elle pas un peu la critique des auteurs sur la reconnaissance tardive de l'identité régionale de la belle limousine ? De nombreux encadrés ou hors textes apportent des éclairages complémentaires, tel par exemple l'extinction de la race marchoise. N'expliquerait-elle pas aujourd'hui le partage charolaise/limousine, notamment dans les terroirs de la Marche creusoise ?
Illustration Idelette Plazanet
Le gigantisme de certaines installations d’élevage a fait naître des formules où l’on peut lire à la fois la marque d’une course au gigantisme et une certaine ironie. Ainsi la « ferme des 1000 vaches » à Drucat dans la Somme, créée en 2017 et heureusement fermée depuis le 1er janvier 2021. Sur le Plateau, nous avons eu aussi droit à notre « ferme des 1000 Veaux », à Saint Martial le Vieux (23), exemple limousin de ces regroupements de plusieurs exploitations en une seule et même entité. Le titre de l’article pré-cité, sous la plume de Thomas Le Roux, fait penser au nom de notre terroir : « Millevaches », dans lequel on le sait les vaches ne sont pour rien. Ce titre mérite d’être complété, nous avons un peu triché pour attirer votre curiosité : les 5000 vaches en question étaient laitières et parisiennes. Vous avez bien lu, voici l’histoire.
Avant la Révolution Française, quelques centaines de vaches laitières étaient présentes dans les faubourgs de Paris. Mais, elles se comptent par milliers en 1800, environ 5 000, et ont « envahi » le tissu urbain en une décennie. Elles sont regroupées dans des étables-laiteries dispersées, appelées communément « vacheries », comprenant au maximum dix têtes. Avec la progression de la consommation de lait à la fin du 18e siècle, la capitale est devenue soudainement le lieu d’un élevage urbain, autant inédit que singulier. « À partir de 1791, l’abolition des enquêtes préventives des nuisances autant que la liberté d’entreprendre concourent, avec l’irrésistible augmentation de la consommation de lait, à rendre durable cette présence » écrit l’auteur. Néanmoins, ces vacheries ne sont qu’une petite pièce attenante à l’étable, où les femmes et les enfants jouent un rôle central. Elles sont exploitées par des nourrisseurs très liés au monde agricole, au maraîchage, ou au transport des denrées. En quelque sorte les ancêtres des modernes capitalistes de l’agro-alimentaire. La distribution, elle, est réalisée sur place. Le Roux évoque ces « nébuleuses de vacheries » et présente la ville et ses consommations construites « avec un des symboles de la ruralité, tout en le dévoyant ». En comparaison avec le gigantisme des années 2000 on peut remarquer à Paris l’absence de concentration et la continuité des « circuits-courts » campagnards. Enfin, les stabulations étaient fixes, très loin des laitières normandes d’alors, mais pas très différentes de nos brunes limousines de Saint Martial le Vieux. Dès 1802, en raison des risques d’épizooties et du facteur d’insalubrité, les autorités s’attachent à dégager le centre-ville de ces étables. Tous ces facteurs sont très bien expliqués dans l’article, ainsi que les évolutions ultérieures.
Nous, ruraux d’aujourd’hui , que pouvons nous penser de cette histoire ? D’abord qu’elle n’est pas sans rappeler les conditions de production de nos campagnes, ou petits bourgs, il n’y a pas si longtemps, hormis la stabulation fixe. Les citadins de 2021 en seront encore plus surpris que nous sans doute. Tous, nous avons pris l’habitude de consommer du lait en pack - merci la grande distribution - sans savoir vraiment d’où provient le lait. Donc, un autre monde. Revenons sur la question du gigantisme. On aura bien compris que l’expression « ferme des 5000 vaches » n’a rien à voir avec nos modernes usines à lait, ou viande, tant décriées. Par contre, elles étaient une préfiguration évidente de cette course à la concentration, à l’élevage intensif, que bien des gens montrent du doigt aujourd’hui. Vous pourrez toujours lire l’article, 30 pages tout de même : https://www.cairn.info/revue-etudes-rurales-2021-1.htm
Le secteur d’abattage en France est en constante évolution et caractérisé par la concentration, la spécialisation de l’activité par catégorie d’espèce animale : bovine, ovine, porcine et volailles, et la privatisation. Les abattoirs de proximité non spécialisés ferment les uns après les autres. En 1990 le tonnage moyen annuel par abattoir était de 6 800 tonnes il est à plus de 12 000 tonnes/an aujourd’hui. Il y a désormais plus d’abattoirs privés que de publics. En 1994 les abattoirs publics réalisaient 35 % du tonnage total, ils atteignent 13 % en 2006. Le secteur privé n’a d’autre ambition que sa rentabilité économique et la réduction de ses coûts de production.
La restructuration du secteur d’abattage est liée à l’évolution et au durcissement des réglementations sanitaires. En 1965 la loi de modernisation du marché de la viande a créé le service d’Etat d’hygiène alimentaire dans «l’intérêt de la protection de la santé publique». La mise aux normes sanitaires entraîne des investissements importants. Dans les années 1970-1990 l’obligation d’agrément aux normes communautaires conduit à la fermeture de trois abattoirs sur cinq. Il s’agit surtout d’établissements modestes et souvent publics.
Nul doute que la concentration du secteur d’abattage est en lien direct avec la concentration, l’intensification et la spécialisation de l’élevage à l’échelle régionale comme par exemple pour la Bretagne qui à elle seule produit deux tiers du cheptel porcin, avec l’impact désastreux sur la qualité de l’environnement.
La disparition des abattoirs de proximité, le plus souvent gérés en partenariat avec les collectivités territoriales porte atteinte aux acteurs du territoire. Aux éleveurs en premier lieu lorsqu’ils développent des filières courtes pour la valorisation de leur production et le maintien de structures d’exploitations à l’échelle humaine. Aux artisans bouchers qui abattent leur marchandise en lien avec une clientèle d’éleveurs pour ne pas être à la merci des grossistes. Aux consommateurs habitants du territoires qui sont assurés d’un produit de qualité à un plus juste prix et dont ils peuvent mesurer la traçabilité tant du côté du bien-être de l’animal que pour leur garantie sanitaire.
La disparition de ce service de proximité a aussi de graves répercussions sur notre sécurité sanitaire. Un rapport de la Commission économique du Sénat en 2002 a montré combien l’allongement des trajets entre les exploitations et les abattoirs avait de graves répercussions sur les animaux qui perdent du poids et de la qualité par le stress des conditions de transport. Il souligne en outre que l’épidémie de fièvre aphteuse avec la limitation des mouvements d’animaux a montré la nécessité d’établir un réseau d’abattoirs plus conséquent. La rapidité avec laquelle s’est propagée l’épidémie de fièvre aphteuse au Royaume-Uni a montré que le transport des animaux vivants multipliaient les risques de transmission d’épizooties. Plus récemment encore un avis de la Commission de l’agriculture et du développement rural de 2003 a signalé que les règles d’hygiène n’ont pas pu nous protéger de la crise de la vache folle et de la fièvre aphteuse. Et de conclure que pour éviter les épizooties des petites structures, voire des abattoirs mobiles, répondaient mieux aux règles d’hygiène.
L’agriculture limousine est caractérisée par la production de viande bovine et ovine. Les éleveurs privilégient de plus en plus les conditions naturelles de production, la qualité et la traçabilité des produits. Entre 2000 et 2005 la part des exploitations engagées dans un Signe Officiel de Qualité (Label et autres) est passée de 40 à 48 % toutes productions confondues. La filière ovine du Limousin représente le quart des agneaux français vendus sous signe officiel de qualité. Outre le marché, forme traditionnelle du rapport entre producteurs et consommateurs, de nombreuses formes de circuits courts se sont développées depuis quelques années dans les zones périurbaines et même plus éloignées. Elles ouvrent à de nouveaux échanges entre milieu rural et milieu urbain.
La perte des abattoirs de Guéret et Eymoutiers pénalise entre autres les éleveurs locaux écoulant toute ou partie de leur production en vente directe. Ils sont alors obligés d’amener leurs animaux dans des abattoirs plus éloignés ce qui a des conséquences négatives sur l’activité : l’augmentation des coûts de transport et du temps passé sur les routes et par conséquent une perte de valeur ajoutée.
Ensuite les éleveurs amenant un nombre restreint d’animaux ont parfois eu la mauvaise surprise de ne pas récupérer leur carcasse. Dans de grands abattoirs il est plus difficile de surveiller les mouvements de carcasse. Il arrive qu’elles disparaissent.
Ensuite, une des bases de la vente directe est la confiance qui s’instaure entre l’éleveur et le consommateur. L’éleveur s’engage à lui vendre des produits de sa ferme. Il n’est donc pas acceptable pour les éleveurs de ne pas récupérer les abats de leurs animaux. Or sur de grande chaînes d’abattage il est impossible d’assurer la traçabilité des abats. De plus les grandes chaînes d’abattage ne permettent pas de récupérer les sous produits très bien valorisés en vente directe tels que le sang, la crépine ou encore les testicules d’agneaux...
A terme la fermeture de l’abattoir peut aboutir à l’arrêt de la vente directe par certains éleveurs, ainsi que la disparition d’ateliers comme les veaux de lait qui sont des animaux fragiles ne supportant pas les transports trop longs. Tout ceci aboutissant à la perte de valeur ajoutée pour les producteurs anciens utilisateurs de ces abattoirs et l’impossibilité pour les consommateurs d’avoir accès à des produits locaux de qualité.
A la suite d’une enquête auprès de trente quatre éleveurs, les demandes suivantes ont été définies :
Le collectif avec l’appui de l’A.R.D.E.A.R, (en partenariat avec le PNR Millevaches) des organismes agricoles et des collectivités locales, souhaite continuer l’étude sur tout le territoire pour recenser les besoins et les attentes de tous les producteurs et acteurs de la filière afin de proposer des solutions pour la création d’un outil de proximité pour l’abattage, la découpe et la transformation. Réponses dans quelques mois.
L’utilisation du lait dans la société traditionnelle de la Montagne limousine.
Nous sommes dans un territoire qui connaît deux mots pour traire : justar à l’Ouest et mólzer à l’Est.
Oh, nous ne sommes pas sur les riches planèzes auvergnates ni dans les gais bocages normands. Les troupeaux de vaches du pays n’étaient pas uniformes comme aujourd’hui : ferrandaises, marchoises, limousines, charolaises, et quelques brettes (normandes) chez les mieux lotis, sans parler de ces vaches à la robe disparate, le tout dans un même troupeau. Toutes étaient traites, sans distinction de race.Revenons à notre préoccupation du jour : le lait et comment il était transformé et consommé. Le lait une fois trait était passé dans lo colador, « le couladou » / passoire pour filtrer le lait, et mis à reposer pour permettre à la crème de monter à la surface. Cette crama / crème régulièrement collectée allait dans lo topin cramier, « lou toupi cramier » / le pot à crème (ça ressemble à un vinaigrier) avec son petit robinet au bas du récipient pour vider le lait.Lorsqu’il y avait assez de matière on faisait le beurre. Beurre fait à la baratte (allez visiter le musée d’Ussel ou le domaine de Banizette si vous voulez voir la diversité de ces engins) ou à la main. Bien brassé – il faut extraire au maximum l’eau du beurre – pour avoir un bon produit.
Nous n’en avons pas encore fini avec le beurre. L’eau du beurre, la gaspa, le rier-burre / le babeurre était réchauffé et égoutté dans una fata / une toile pendue sous l’escalier pour faire un excellent fromage : lo matau, le gaspier. Après séchage, on avait un fromage blanc consommé salé ou sucré (un pauc de matau, dau vin e dau miau... comme dit la chanson) ou additionné de poivre et de fines herbes, affiné dans le foin : lo copin, « lou coupi ». Ce fromage en boule (séchage dans une toile oblige) n’est qu’un proche parent du Gaperon, ce fromage au poivre et à l’ail des Limagnes d’Auvergne (Je lance un appel aux producteurs laitiers du pays pour refaire ce petit fromage!).
Le lait, écrémé, réchauffé, recevait un petit morceau de presor / présure (caillette de veau séchée) pour permettre la prise du lait. Devenu « dur » le caillé était coupé au couteau pour une séparation plus rapide du petit lait / lo mesgin, « lou mégi ». Ce caillé était mis dans un moule, salé et retourné plusieurs fois pour un meilleur égouttage.Le lendemain, la calhada / le caillé était posée sur un plateau en bois couvert de paille, la calhadiera, la seita, la chesta. Une fois sec, le fromage allait à la cave dans une maie pour terminer son affinage caractérisé par l’apparition sur la croûte, de fleurs rouges ou jaunes et l’arrivée daus artisons, daus clissons / des acariens, tous signes prometteurs d’un bon formatge.Et le petit lait alors ? Le petit lait servait à faire las crespas de blat negre, était parfois bu et bien souvent utilisé dans la bachada daus ganhons / la pâtée des porcs.Et le lait tout seul ? Il allait dans la plupart des plats : soupe, pommes de terre, châtaignes, et même pour la blanchida / lait froid avec du pain l’été (consommé pendant les foins).
Cette reconquête pastorale fait suite à un abandon généralisé de ces surfaces au cours des sept dernières décennies et implique de nombreuses modifications des systèmes d’élevage et un renouveau de certaines pratiques, comme la garde des troupeaux par un berger. En proposant une nouvelle logique de fonctionnement, basée sur la valorisation d’écosystèmes spécifiques à forte valeur environnementale et paysagère et sur la maximisation de la part du pâturage dans l’alimentation des troupeaux, ce collectif d’éleveurs propose une alternative au développement agricole majoritaire de la Montagne limousine.
Si aujourd’hui plus de 60 % de la surface de la Montagne est recouverte de forêts (dont plus de 50 % sont des plantations de résineux), il n’en a pas toujours été ainsi. Jusque dans les années 1950, ce petit massif granitique était en effet dominé par les landes à bruyères qui recouvraient 70 % du territoire. Avec plus de 15 % en zones humides, les surfaces pastorales représentaient donc plus de 85 % de la totalité des surfaces disponibles à l’échelle de la Montagne, parfois surnommée la « petite Écosse ».
Évolution de la surface des landes à bruyère sur la partie centrale de la Montagne limousine entre les communes de Royère-de-Vassivière (Creuse) au nord et de Chaumeil et Saint-Yrieix-le-Déjalat (Corrèze) au sud.
Évolution des surfaces boisées sur la même zone que le graphique 1
Les landes et les tourbières avaient un rôle prédominant dans l’économie agricole de l’époque. Les landes étaient pâturées toute l’année par les troupeaux ovins, systématiquement sous la surveillance d’un berger, du fait de l’absence de clôtures et du statut communal de ces espaces. Les tourbières étaient pâturées par les bovins de la fin du printemps au début de l’automne, également sous la surveillance d’un membre de la famille. Les prairies étaient inexistantes (tout comme la forêt) et les rares prés, irrigués par des rigoles, réservés pour la fauche. Les troupeaux étaient ramenés tous les soirs en bâtiment, afin de recueillir les déjections des animaux et de fertiliser les rares terres labourables.
Les surfaces pastorales étaient donc la base de l’alimentation des troupeaux de l’époque, et la source de la fertilité des terres céréalières. Autrefois essentiellement communales, elles furent partagés entre agriculteurs au cours de la première moitié du XXe siècle.
À partir des années 1950-1960 s’est enclenchée sur la Montagne limousine, comme partout en France, la révolution agricole du XXe siècle. Basée sur la moto-mécanisation et les intrants issus de la pétrochimie, elle visait à augmenter la productivité physique du travail, c’est à dire à ce qu’un actif agricole puisse exploiter un nombre croissant d’hectares et élever un nombre croissant d’animaux. La révolution agricole du XXe siècle, si elle a permis de spectaculaires gains de productivité, a été à l’origine d’un exode rural massif. Sur la Montagne, elle a conduit à une modification complète de l’utilisation des différents écosystèmes, et donc des paysages.
Les landes à bruyères furent à partir des années 1950 massivement enrésinées par tous les agriculteurs qui quittaient la région pour aller travailler dans les grandes villes. Les agriculteurs qui restaient en activité n’étaient en effet pas assez nombreux et n’avaient pas les moyens de reprendre toutes les terres laissées vacantes. De plus, le fonds forestier national, créé en 1946, subventionnait massivement les plantations de résineux (à l’époque surtout des épicéas) et les agriculteurs en partance pour les villes y voyaient un moyen de faire fructifier des terrains qui, autrement, auraient été abandonnés.
À partir des années 1970, les landes qui avaient échappé à la plantation furent en grande partie défrichées et mises en prairies. Les cultures céréalières ne purent résister aux importations massives de céréales et de paille des régions de grandes plaines, facilitées par la révolution des transports. Elles n’ont cessé de régresser depuis les années 1960, et les terres céréalières furent elles aussi mises en prairies.
En l’espace de quelques décennies, la Montagne limousine, autrefois terre de landes à bruyère, fut donc massivement enrésinée, défrichée et mise en herbe. La fertilisation des surfaces labourables, qui dépendaient auparavant uniquement des déjections animales, est depuis cette période largement tributaire des engrais de synthèse. Cette évolution paysagère (voir graphiques 1 et 2) alla de paire avec une modification complète des systèmes d’élevages.
Suite à l’exode rural massif, et donc à la diminution du nombre d’actifs par ferme, les pâturages furent peu à peu clôturés. Les clôtures à moutons étant plus chères, cet élevage disparut de la plupart des exploitations où il ne restait plus qu’un actif. Jusque dans les années 1970, l’élevage bovin était centré sur l’élevage de veaux sous la mère, qui restaient en permanence dans l’étable. Du fait de l’astreinte de la tétée deux à trois fois par jour, les troupeaux bovins ne pouvaient s’éloigner des exploitations. Du fait d’un élevage très intensif en travail, le nombre de vaches que pouvait gérer un agriculteur était donc limité.
Au cours de cette période se met donc en place une nouvelle filière : celle des broutards, à l’époque essentiellement à destination de l’Italie. Ces veaux, nés au printemps pour la plupart, sont vendus non engraissés à 8-9 mois. Ils suivent au pâturage leur mère et demandent bien moins de soins que les veaux sous la mère. Cette nouvelle production a donc permis la mise en place d’un élevage extensif de plein air où les troupeaux peuvent rester bien plus loin des exploitations qu’auparavant (il n’est plus besoin de les ramener tous les soirs à l’étable). Un actif agricole a donc pu élever plus de vaches qu’en système veau sous la mère, et d’autant plus que du matériel de plus en plus puissant a permis de faucher des surfaces de plus en plus importantes, et donc de nourrir de plus en plus de bêtes.
L’élevage de broutards est donc très consommateur de surfaces et a permis un agrandissement sans précédent des exploitations : alors que les plus grosses exploitations des années 1950 élevaient une grosse vingtaine de vaches sur une centaine d’hectares, les plus grandes excèdent aujourd’hui les 400 hectares pour des troupeaux allant jusqu’à 250 vaches. L’élevage ovin, autrefois majoritaire sur la Montagne, a également connu de profondes transformations. Jusque dans les années 1970, les agneaux naissaient à la fin de l’hiver, suivaient leur mère au pâturage et étaient vendus à la fin de l’été sur les foires. Avec un accès désormais facilité aux intrants, les exploitations qui ont conservé des ovins (en général celles avec 2-3 actifs agricoles) se sont tournées vers l’engraissement en bergerie avec agnelage en automne de manière à vendre des agneaux pour Pâques. Les troupeaux ovins ont donc cessé de sortir en hiver, les brebis ayant des agneaux à allaiter à cette période, ce qui accroît les besoins en fourrages, en plus des achats d’aliments pour engraisser les agneaux.
À chaque fois que les exploitations se sont agrandies au cours des dernières décennies, elles se sont avant tout concentrées sur les terres mécanisables, ce qui fait que de très nombreux secteurs de tourbières et de landes ont été abandonnés et se sont enfrichés. Lorsque les agriculteurs en ont encore sur leurs exploitations, l’usage de ces surfaces pastorales reste limité : elles ne sont pâturées que de manière marginale, un à deux mois par an. Cette tendance a été accentuée par la sélection génétique : les bovins de race limousine ont pratiquement doublé de poids en 70 ans et s’enfoncent bien plus dans les tourbières qu’auparavant. Les ovins, de plus en plus croisés avec des races de plaine peu rustiques comme la Suffolk, ont également de plus en plus de mal à tirer parti de ces écosystèmes. Soixante dix ans de développement agricole ont donc conduit à l’abandon massif des surfaces pastorales, en parallèle à une très forte diminution du nombre d’exploitations. Celles qui restent en activité sont aujourd’hui pour la plupart de très grande taille, entre 100 et 200 hectares par actif agricole. Cela implique du matériel de très grande dimension (et donc coûteux), une grande dépendance aux achats d’intrants (aliments pour le bétail, carburant, paille...). Ces structures sont aujourd’hui très difficilement re-prenables, dans un contexte où le prix des produits agricoles stagne et celui des charges augmente. L’impasse est aussi bien économique et sociale qu’environnementale.
À partir de la fin des années 1990 et du début des années 2000 est apparue la nécessité de préserver les écosystèmes typiques de la Montagne limousine, les landes et les tourbières, menacées d’enfrichement, et donc de limiter la fermeture des paysages. Cet enjeu était et est toujours porté par le Parc naturel régional de Millevaches, créé en 2004, et par le Conservatoire des espaces naturels en Limousin, la majeure partie de la Montagne ayant été classée en zone Natura 2000.
Mais si certains secteurs ont pu être clôturés en fixe et mis à disposition d’éleveurs volontaires, une bonne partie des sites reste difficilement accessible et, de par l’éclatement de la propriété foncière, non clôturable. En réponse à ces différentes contraintes, est organisée à l’été 2007 une première estive avec la garde d’un troupeau de plusieurs centaines de brebis par un berger salarié sur la tourbière du Longeyroux.
Si l’objectif était initialement la préservation de milieux remarquables, la pratique de l’estive est rapidement devenue la garante de l’autonomie alimentaire des exploitations qui en bénéficient. En effet, depuis plusieurs années, les sécheresses sont de plus en plus fréquentes. Elles font sécher les prairies en été et contraignent de plus en plus d’éleveurs à affourager en été, les obligeant à acheter du foin pour l’hiver (ou bien à faire du maïs ensilage), les stocks fourragers ayant été entamés bien plus tôt que prévu.
Depuis la première estive de 2007, six estives supplémentaires ont été créées sur différents secteurs de la Montagne. Sur les sept, six accueillent des troupeaux ovins originaires de la Montagne mais aussi d’autres départements, et un troupeau mixte laitier ovin caprin. Les troupeaux sont gardés par des bergers salariés pendant l’été, entre 3 et 5 mois par an. L’essentiel de l’alimentation est assurée par le pâturage des tourbières, milieux humides moins affectés par les sécheresses, mais aussi par les sous-bois attenants. La pratique de la transhumance s’inscrit pour certains éleveurs dans le prolongement d’une réflexion plus globale sur le rôle de ces surfaces pastorales tout au long de l’année.
Depuis 2007, plusieurs nouveaux éleveurs (certains étant d’anciens bergers) se sont installés sur la Montagne, reprenant généralement des fermes avec très peu de surface de terres mécanisables et de nombreuses surfaces pastorales à différents stades d’enfrichement. Ne voulant pas mettre en place le même type de système que celui couramment pratiqué en élevage ovin (agnelage d’automne avec engraissement en bergerie avec de gros besoins en stocks fourragers) et ne souhaitant pas investir dans du matériel coûteux, ils ont progressivement mis en place des systèmes d’élevage bas intrants où la base de l’alimentation est le pâturage. Afin de nourrir des animaux le plus longtemps possible au pâturage, ils se basent sur la saisonnalité des différents écosystèmes, c’est à dire leur capacité à fournir des ressources à pâturer à différentes périodes clés de l’année :
De manière à limiter la distribution d’aliments concentrés (céréales...) et dans l’optique de produire de la viande de qualité, les agnelages sont plutôt calés au printemps, période à laquelle la végétation est la plus nutritive. Les agneaux nés à cette période sont engraissés à l’herbe, sans distribution de céréales. Généralement abattus plus âgés que leurs congénères de bergerie, et avec une viande à typicité plus marquée, ce type d’agneau est souvent dévalorisé en filière longue. Pour cette raison, la plupart des éleveurs qui engraissent à l’herbe des agneaux commercialisent ces derniers en circuits courts.
Grâce à une meilleure valorisation de la production et à une réduction des charges (moins d’intrants du fait de l’engraissement au pâturage, moins de charges de mécanisation du fait de la réduction des besoins en foin...), les éleveurs qui mettent en place des systèmes bas intrants permettent donc de maintenir et de créer des emplois (par exemple ceux des bergers salariés) sur des surfaces largement abandonnées au cours des dernières décennies et souvent considérées comme peu productives par les autres agriculteurs.
Du fait d’une moindre dépendance aux achats d’intrants, dont les prix ne cessent d’augmenter, et du pâturage d’écosystèmes diversifiés plus résistants aux effets du changement climatique, ces éleveurs ont mis en place des systèmes d’élevage bien plus résilients d’un point de vue économique. En permettant la préservation de la biodiversité locale tout en produisant des produits de qualité en lien avec la spécificité du territoire, ce petit groupe d’éleveurs est porteur d’une alternative concrète à l’impasse dans laquelle s’est engagée l’agriculture locale au cours des dernières décennies.
Le titre et le logo de la page de couverture de ce petit ouvrage nous arrive opportunément, à l'heure où nos élus nationaux débattent d'un projet de " loi sur les territoires ruraux ". L'auteur, François Plassard, est ingénieur agricole. Il a travaillé en région de montagne comme agent de développement territorial. Bardé d'un doctorat en économie il fréquente les groupes de prospective du ministère de la Recherche. Dans les années 90 il met en place une formation d'acteurs de territoires en prospective ou de porteurs de projets en milieu rural. Après trente ans d'expérience professionnelle, c'est en "citoyen philosophe" qu'il nous propose son plaidoyer pour la vie rurale .
La question agricole est au coeur de son projet. Il nous livre une description chronologique de la naissance de l'agriculture industrielle dans la seconde moitié du vingtième siècle à partir du concept de développement. Il montre tous les effets pervers que ce mode de développement introduit dans les équilibres écologiques en France et dans la PAC (Politique Agricole Commune) d'abord. Puis bien sûr les dégâts sociaux et culturels qu'il provoque dans les agricultures paysannes de la planète. Ce constat posé, il propose des alternatives à cette industrialisation de l'agriculture.
Il en appelle à la citoyenneté pour exclure l'agriculture de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Pour sortir de la logique d'une marchandisation de la nourriture il convient de faire de l'exception agricole le postulat d'une économie solidaire. Par exemple en Europe proposer une nouvelle PAC au moment de l'élargissement à 25 nations. Mais aussi appeler les citoyens à modifier leur comportement de consommateur servile, c'est le clin d'oeil du logo de la couverture. L'intuition forte de sa démarche c'est de "faire de la ruralité le laboratoire d'une économie plurielle solidaire et de la démocratie participative". Se fondant sur "les désirs de villes et envies de campagnes" qui traversent les attentes des citadins il avance quelques propositions "pour un autre monde possible". En plaçant la vie associative au centre de l'économie solidaire il invite tout citoyen à participer à un vivre ensemble où la priorité n'est plus la relation des hommes aux choses mais la relation entre les hommes.
Mettre les débats au cœur de la fête était cette année un choix délibéré des participants. Cette fête se veut en effet autant studieuse que plaisante, autant politique que ludique. Débattre des enjeux du territoire est en effet la raison première de cette fête. Cette année quatre fils rouges étaient tirés : l’agriculture (voir page 9), la forêt, l’accueil, en particulier des réfugiés, et la manière dont chacun, au niveau de sa commune ou plus globalement de l’ensemble de la Montagne, pouvait devenir partie prenante des décisions qui la et les concernent. La plénière de fin a débouché en ce sens sur un projet de “Syndicat de la Montagne“ sur lequel planchent depuis quelques mois une douzaine de personnes. Pour celles et ceux qui l’ont ratée, elle est visionnable intégralement sur le site de Télé Millevaches (http://telemillevaches.net/videos/vers-une-libre-administration-de-la-montagne-limousine).
Un des mots qui pourrait le mieux résumer cette fête, c’est Viviane Dantony, la maire de Lacelle, qui l’a trouvé : “biodiversité“. “À titre personnel et en tant qu’élue, je tiens à vous dire combien je suis sensible à votre enthousiasme à vivre ici pleinement et en conscience, solidaire de votre infatigable questionnement sur la préservation de notre biodiversité dont l’homme est au cœur, interrogative sur vos débats lorsqu’ils font la part trop belle à la polémique et à la violence, respectueuse de ceux-ci lorsqu’ils mettent toute votre intelligence, et il y en a, au service du mieux vivre ensemble et du bien commun. Vous nous avez généreusement donné lors de ce week-end de fête un bel exemple d’espérance collective.“ C’est bien cela que tente depuis quatre ans cette fête : construire collectivement l’avenir d’une Montagne limousine soucieuse de préserver ses ressources, soucieuse de solidarité et à la recherche de biens qui soient communs à tous les habitants de la Montagne. Ce n’est évidemment pas un chemin facile et toujours consensuel (on le voit bien avec l’exemple du projet discuté de l’usine CIBV à Viam), même si sur certains sujets l’attitude est plus homogène. L’accueil de nouveaux habitants (quels que soient la couleur de leur peau, leur itinéraire antérieur ou leur situation actuelle) fait ainsi l’objet d’une position plutôt bienveillante, renouant du reste avec des épisodes antérieurs de l’histoire de la Montagne. Le réalisateur Martial Roche qui promenait sa caméra sur la fête reliait tout cela avec un “esprit de résistance“ que beaucoup, ici, ne renieraient pas (voir son article page 10).
Plus de 80 stands et discussions, 30 événements, 11 concerts, des ateliers, deux balades, etc. ont complété ce week-end ensoleillé. Et puis, peut-être le plus important : les rencontres. “On ne se voit qu’une fois par an, raconte cette agricultrice creusoise en retrouvant un ami : c’est pendant la fête de la Montagne !“ Enfin, n’était-ce pas la première fois qu’on pouvait rejoindre la fête de la Montagne avec un train qui débarquait ses voyageurs au cœur même de celle-ci ? Pour combien de temps encore ? Image paradoxale de l’avenir de la Montagne : une ligne SNCF en sursis qui croise un rassemblement festif renaissant chaque année. Tout un symbole !
Si il fallait une confrontation entre les partisans d’une remise à plat de nos modes de vie et ceux dont les intérêts économiques ne souffrent pas de nouvelles contraintes, la rencontre régionale du Grenelle de l’environnement à Périgueux a joué son rôle.
Chacun des participants a réaffirmé avec plus ou moins de véhémence ses convictions sans donner l’impression de vouloir comprendre les arguments de l’autre pour aller vers des propositions constructives.
Le fait est que le problème de l’environnement dans l’agriculture ne peut se résumer en quelques solutions techniques. Le monde agricole agit sur la nature ou se développe en synergie avec elle selon qu’il se donne pour objectif de nourrir sainement les hommes ou de produire des matières premières au meilleur coût économique.
Lorsque l’on nous propose de labelliser les pratiques de « l’agriculture durable » sans s’être mis d’accord sur le sens de ce terme, on est dans la communication médiatique.
Lorsque l’industrie chimique parle de remplacer les molécules les plus toxiques seulement si elle trouve des produits de substitution, on refuse de sortir de cette dépendance à la chimie et ses effets destructeurs.
Lorsque les semenciers promeuvent les OGM, il résument l’agriculture à un vaste chantier d’investigation technologique, au seul profit de leurs entreprises.
Répondre au défi énergétique par la production industrielle d’agro carburants par les mêmes méthodes sur-intensives, ne va pas dans le sens de l’autonomie, détourne la terre de sa fonction nourricière et renouvelle un nouveau pillage des pays pauvres.
On aurait pu espérer que le Grenelle soit consensuel sur le fait que c’est bien notre mode de développement gargantuesque qui est la cause de la destruction de la planète.
Ce sont des solutions collectives qui doivent s’opposer à l’appétit individualiste de notre société libérale. La réorientation des fonctions de l’agriculture avec la priorité à l’alimentation des populations de proximité pourrait être un préalable au contrôle citoyen de ses pratiques.
Le Panier Paysan est un système de distribution solidaire de produits paysans et artisanaux locaux de qualité, s'adressant à une clientèle recherchant une alimentation saine et désirant participer à un développement durable de nos compagnes. Soucieux de développer leurs relations, consommateurs et producteurs se sont constitués en association loi 1901, adhérant à Ia FRCIVAM Limousin.
Tous les quinze jours, les consommateurs commandent les produits directement aux producteurs. Un système d'abonnement avec une commande fixe est possible. Les livraisons ont lieu un vendredi sur deux selon un calendrier préétabli. Elles sont assurées par les producteurs, chez un consommateur relais, dons le respect des règles sanitaires. Choque consommateur vient ensuite chercher ses produits chez son relais. Des informations sont régulièrement communiquées aux consommateurs par les "brèves de panier".
Chaque producteur s'engage en particulier dons une démarche de transparence :
La zone géographique sur laquelle des consommateurs relais peuvent être livrés s'étend entre Meymac, Vitrac, Marcillac, Lapleau, Neuvic et Ussel. Si des consommateurs et des producteurs plus éloignés souhaitent s'engager dans cette démarche, il est envisageable de les aider à créer un outre groupe, sur Tulle ou Brive par exemple.
L'idée a démarré d'un groupe de producteurs fermiers, situés en Haute-Corrèze, vendant leurs produits en direct sur les marchés locaux. Ce sont des producteurs qui valorisent de petites surfaces souvent jugées difficiles. Leur problématique était d'arriver à écouler davantage de produits sons augmenter leurs coûts et leur temps de travail, tout en maintenant Io qualité du rapport social existant dans Io commercialisation des produits fermiers. Les livraisons ont débuté en 2002 et l'association a été créée en 2003.
Le groupe a bénéficié d'un appui du Conseil Régional du Limousin dons le cadre de l'appel à projets innovants et diversifiants. Une étude a été financée pour analyser le fonctionnement du Panier Paysan et préparer des pistes d'amélioration afin d'élargir Io clientèle.
Dons un souci d'efficacité le groupe travaille maintenant :
Roger Bichard est né à Hérisson (Allier) en 1937, où ses parents se sont mariés en 1935. Son père, Octave Bichard, est né à Saint-Aubin-le-Monéal en 1896 dans une famille d'agriculteurs et il est puisatier. Son épouse, Louise Cognet, naît à Hérisson en 1908. Son père est entrepreneur de maçonnerie, elle est couturière.
C'est à Louroux-Bourbonnais, une petite commune rurale du Bourbonnais (aujourd'hui 230 habitants), que le couple s'établit, dans le hameau des Moullières où Octave acquiert une carrière créée en 1900 qu'il exploite comme artisan carrier-puisatier. Au pied de cette carrière, il construit au fil des ans une demeure atypique et hors du commun. Comme d'autres habitants de la commune et des environs, il est membre du parti communiste et sûrement militant, comme il le manifeste jusque dans la construction de sa maison. Celle-ci est entourée d'un muret en pierre qu'il surmonte d'une frise où il sculpte les emblèmes du marxisme-léninisme : la faucille et le marteau et l'étoile à cinq branches. Pour les habitants du village et pour ses clients, c'est le « petit Kremlin » ou « radio Moscou ». On est au cœur du Bourbonnais, ce territoire rural que le parti communiste a investi depuis 1925 jusqu'à aujourd'hui.
C'est dans ce cadre singulier que grandit Roger, entouré de l'affection de ses parents, diligence d'autant plus pressante qu'à sa naissance Roger est frappé par un grave handicap. Un bec-de-lièvre et un trou dans le palais le privent de moyen d'élocution et d'échange. L'attention prévenante et permanente de sa mère lui permet de cependant de prendre sa place dans la vie sociale du village. Il fréquentera un peu l'école mais, comme il est de constitution robuste, son père l'engage avec lui dans les travaux de sa carrière, dans ses activités de puisatier et sur divers chantiers sollicitant les engins mécaniques de la carrière.
Avec sa mère, Bibiche, tel était son surnom, fréquente aussi les très nombreuses manifestations communales : les innombrables fêtes, les meetings du parti, les voyages organisés par l'amicale laïque, etc. Lorsque son père prend sa retraite, il a le souci d'assurer la sécurité de Robert et fait toutes les démarches pour obtenir sa reconnaissance, en 1965, comme entrepreneur individuel et propriétaire du patrimoine de sa carrière de pierres ornementales pour la construction. Malgré son handicap, après la mort de son père, il sera fréquemment sollicité par les uns ou les autres pour divers dépannages avec les moyens de traction et de transport de son entreprise, des engins mécaniques qui le fascinent et qu'il manie avec compétence. En 1992, sa mère âgée est contrainte de trouver refuge à l'EHPAD de Cosne-d'Allier. Tributaire des dépendances de son infirmité, Roger est contraint de l'y rejoindre. Il bénéficie dans cet établissement d'un statut particulier, y contribue aux tâches quotidiennes et consacre le reste de son temps à ses talents de dessinateur. La directrice de l'établissement a su reconnaître cette aptitude artistique et l'incite à la développer en décorant le hall de la maison de retraite. C'est la seule reconnaissance publique de son exceptionnel talent.
L'année précédant son décès en 2006, François et Elisabeth Boissière, artistes parisiens, prennent possession de sa maison qu'ils lui ont achetée en 2005 sur un coup de cœur pour cette bâtisse hors du commun. Dans le désordre d'une propriété inhabitée depuis quinze ans, ils font la découverte exceptionnelle d'un nombre inimaginable de dessins rassemblés dans des « carnets de dessins Lavis » ou dans des cahiers ordinaires, voire sur des feuilles volantes, le tout entassé dans des coffres. Bon nombre d'entre eux sont datés et titrés, relatant quelque événement marquant de sa vie et de ses relations à partir d'un événement de la sociabilité villageoise à laquelle il a participé. Par l'étonnante qualité et précision de son dessin, il compense son infirmité et développe une stupéfiante capacité d'observation et de mémoire. Il y a les découvertes faites au cours des voyages organisés où, par exemple, il recopie des œuvres d'art d'un musée visité. Mais les plus intéressants relatent les différentes phases de l'exercice de son métier d'exploitant de carrière et ceux qui se rapportent à tel ou tel chantier pour lequel on sollicite ses moyens de traction et de transport, notamment chez ses voisins agriculteurs. Tant et si bien que l'on peut suivre à travers ses dessins les étapes de la mécanisation des travaux agricoles pendant les trente glorieuses.
L'engagement militant d'Octave et de sa famille au parti communiste se retrouve dans de nombreux dessins attestant du rôle prépondérant du parti communiste dans la sociabilité bourbonnaise. Cette trace aujourd'hui oubliée nous est rappelée dans un numéro des études Rurales paru en 2006 où Rose-Marie Lagrave, directrice d'études à l'école des hautes études en sciences sociales, avec une cohorte d'historiens, sociologues et économistes, a présenté ce qu'étaient « les petites Russies dans les campagnes françaises » durant le XXe siècle. Le département de l'Allier y tient une place importante en raison du croisement de courants socialistes, tant chez les paysans que dans le monde ouvrier, dès les dernières décennies du XIXe siècle. C'est émile Guillaumin, le paysan écrivain, qui apporta son talent et son expérience à la révolte des petits métayers contre les grands propriétaires fonciers. En 1923, à la naissance du parti socialiste départemental, les trois-quarts des militants étaient des paysans. Pour la classe ouvrière en 1880, la ville de Commentry est la première ville européenne gérée par les socialistes. En 1885, Jean Dormoy le maire de Montluçon, la seconde ville industrielle du Bourbonnais, crée la fête chômée du premier mai pour célébrer le travail ouvrier. Pour autant, la revue présente aussi les nombreuses formes de ce communisme rural dans de nombreux cantons des trois départements du Limousin, en Dordogne et dans quelques départements de l'arrière pays méditerranéen.
"Notre planète et nos sociétés ne survivront que dans la diversité. Celle-ci ne peut pas venir du modèle industriel et libéral qui homogénéise la vie et les relations humaines. La diversité se trouve principalement dans le monde rural en raison de la très grande variété d'écosystèmes et d'organisations sociales qui y existent encore. Les modes de construction des maisons, les types de vêtements, les coutumes, les façons de préparer les aliments sont très diversifiées selon les environnements. A-t-on par exemple pensé à comparer la cuisson sur une cuisinière à gaz avec la multiplicité des modes de cuisson qui existent dans le monde : sur des branches, sous la pierre, dans les feuilles de bananier, dans des récipients en terre… Les relations sociales sont aussi très variées et l'anthropologie nous en donne chaque jour des exemples intéressants. Faut-il vraiment les détruire ? Il ne s'agit pas ici d'avoir une position de conservation, il s'agit de laisser vivre des sociétés différentes des nôtres parce qu'elles ont beaucoup à nous apporter. Le modèle occidental qui rase tout sur son passage ne cesse de s'appauvrir. Cet appauvrissement s'accroît quand nous détruisons des paysanneries, qu'elles soient de Chine, d'Afrique ou d'Océanie. Nous devenons plus pauvres quand disparaissent des connaissances et des savoir-faire. Cet appauvrissement est invisible mais n'en est pas moins réel. Nous devons apprendre à respecter les autres comme nous devons apprendre à respecter la nature. Cela passe par la nécessité de redonner un espace et une place aux paysans. C'est pour nos sociétés une question de survie.
(…) Or s'il est aujourd'hui une nouveauté, c'est précisément ce "retour des paysans". Ils ont toujours été là mais, silencieux ces dernières années, ils veulent aujourd'hui se faire entendre. Ils agissent à tous les échelons. Au niveau international, ils protestent contre l'OMC et la libéralisation des échanges, contre les politiques agricoles communes qui ne sont là que pour accompagner ce mouvement. Il se battent un peu partout contre les multinationales : celles des semences bien sûr mais aussi celles du secteur chimique et de l'alimentation. Ils cultivent en préservant les équilibres naturels. Ils demandent des terres, et au besoin les prennent, ainsi que des moyens pour les travailler. Pour cela ils donnent de leur temps, de leurs moyens, parfois ils donnent leur vie.
En fait, ce qui se pose à nous est sans doute un véritable problème de civilisation. La nôtre est mortifère. Face aux "nécrotechnologies" dont parle Jean Pierre Berlan - détruisant la terre, les semences et les hommes tout en employant du travail mort et en épuisant les énergies fossiles - les valeurs du monde paysan sont du côté de la vie : régénération de la nature, utilisation de travail vivant, développement des semences, articulation des tous les systèmes vivants pour assurer la production d'aliments et emploi d'énergies renouvelables.
La société industrielle a mené un combat sans merci contre la paysannerie, que ce soit sur le plan économique, social ou culturel. Il semble aujourd'hui urgent d'appuyer au contraire tout ce qui peut permettre à la paysannerie de survivre et de se développer. Bien des citoyens, hors du monde paysan proprement dit, commencent à comprendre l'importance de ce combat. Les appuis aux luttes pour la terre, aux arrachages d'OGM, au maintien des prix agricoles et d'une agriculture de qualité en témoignent. Mais il faut sans doute aller plus loin et lutter contre tout ce qui contribue à faire disparaître les paysans. Il faut l'avoir en tête, le penser sans cesse comme un "agenda caché" de l'action politique, se donner cette "grille de lecture". Par exemple, les raisons de s'opposer à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne ne devraient pas être politico-culturelles. L'argument principal devrait être que ce pays compte encore 30 % de paysans qui disparaîtraient dans leur très grande majorité si l'intégration se faisait. Autre exemple, lors de la mise en place d'un programme économique et social, à quelque niveau que ce soit, pourquoi ne pas se demander si cela va permettre l'installation de davantage de paysans, l'instauration d'une agriculture paysanne, l'accroissement de l'autonomie alimentaire de la région, etc. ?
De fait, nous sommes tous concernés par la question paysanne. D'elle dépend notre alimentation et une grande partie de notre environnement, d'elle dépendra dans un futur proche notre mode de vie, notre culture même. Peut-être ne redeviendrons nous pas tous paysans, mais il est peu probable que nos sociétés aient un avenir sans une paysannerie nombreuse et forte. "
C'est le titre du second ouvrage de la collection Patrimoine en poche. Sa parution est annoncée pour le début de 2004. JI retracera l'histoire de Djem, prince déchu par son frère Bajazet, plus connu sous le nom de prince Zizim, dont la tour est le symbole emblématique de la ville de Bourganeuf. li s'intéressera surtout aux quatre années de la période limousine de sa captivité. Pour son illustration l'auteur, ingénieur au service archéologique de la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles), a rassemblé de très belles miniatures en couleurs et gravures sur bois des peintures des XV et XVIème siècle de la Bibliothèque Nationale de France. En attendant de nous approprier très bientôt cet épisode de notre histoire, l'auteur et son éditeur ont permis à IPNS de publier quelques bonnes feuilles.
Les mois d'errance de ce petit groupe de Turcs au cœur du pays limousin sont l'occasion pour les orientaux de découvrir une contrée aux coutumes et aux paysages exotiques. Deux mentions de la chronique des Vâki'at-i Sultân Cern comportent en effet des observations sur les pratiques agraires locales, du plus grand intérêt puisque nous n'en avons pas connaissance par les sources latines. Nous disposons ainsi d'un témoignage unique d'un compagnon de Djem Sultan sur la pisciculture et la culture des prairies dans la région de Bourganeuf à la fin du XVème siècle !
Le premier extrait concerne des pratiques relatives au creusement, à l'empoissonnement et à la pêche des étangs. On y apprend également les modalités de transport par charroi des poissons : "Voici l'origine de ce que nous appelons "lacs artificiels". Ils dressent un barrage entre deux collines. Dans la fosse ainsi formée ils font couler l'eau jusqu'à ce qu'elle l'ait remplie. Après quoi ils font venir par charges entières des poissons d'eau douce depuis des lieux distants de cinq à dix jours de route. Ils étendent dans des corbeilles successivement une couche de paille et une couche de poissons. Une fois les corbeilles remplies, ils les chargent sur les bêtes de somme de cette manière. Ils marchent du soir au matin, et s'arrêtant dans la journée, ils replacent les poissons dans l'eau. Puis à la nuit ils chargent de nouveau les poissons de cette manière et repartent. Ainsi se fait le voyage, jusqu'à ce qu'ils jettent ces poissons dans notre lac artificiel".
On constate que le commerce du poisson, aliment fondamental des jours maigres, est une activité très organisée, et source de profits notables : " .. . ils vident le lac de son eau une fois tous les quatre ou cinq ans ; .. .ils peuvent se saisir des poissons qui y ont proliféré, et vendre pour plusieurs milliers de pièces d'or de poisson. Cependant ils en gardent quelques uns qu'ils replacent dans l'eau pour la reproduction. Puis ils remettent le lac en eau. C'est ainsi qu'ils élèvent le poisson. Chaque fois qu'ils s'apprêtent à organiser un marché, ils l'annoncent aux pays alentours.
Une foule innombrable vient acheter du poisson de plusieurs jours de route à la ronde, car dans toutes les villes il y a dans les marchés des bassins et des petits récipients où ils engraissent pendant plusieurs mois les poissons vivants. Le chaland regarde, et on lui donne ce qui lui convient".
Le second extrait, plus court, concerne la mise en place des prairies ensemencées, qui semblent pouvoir être identifiées avec les prairies de fauche, semées d'un mélange de graminées et de légumineuses, qu'évoque Olivier de Serres à la fin du XVIème siècle. Cette technique agricole ne semblait pas aller de soi aux yeux de notre observateur turc : "Quant aux "prairies semées", voici leur origine : ils labourent les pentes des montagnes et les plaines, et y sèment des graines de prairie. Pendant trois ou quatre ans ils n'y font pas de façon, et l'arrosent comme on arrose le trèfle. Cette prairie prend tant de force, et de ce fait pousse si loin ses racines, que la charrue ne peut l'arracher. Après cela on obtient une prairie à qui on ne fait subir aucun dommage en y menant les bêtes ou en la fauchant".
Philippe Simon agriculteur installé à Saint-Moreil depuis 17 ans nous fait part de ses commentaires.
Mi-octobre 2001 : 3 associations locales se rencontrent dans une petite ferme creusoise pour organiser une manifestation culturelle sur le thème des chants du monde. Tous les présents sont des “migrants”.
Sur un bout de table, daté du 28 septembre 2001, le journal présent dans quasiment toutes les fermes :
La Creuse agricole et rurale est ouvert à la page : “actualités”. Un article de Philippe Chazette, traite de la crise bovine. Alléchant…
Je jette un œil distrait à cette littérature : ce fameux paragraphe me saute aux yeux… Ambiance xénophobe… sans grand rapport avec le titre.
Le reste est à l’avenant : sans occulter le grave problème voire l’impasse dans lequel est plongée l’agriculture, le discours est corporatiste - représentation agricole oblige - les “bons et vrais” agriculteurs sont face aux multiples méchants, les risques d’une réaction violente incontrôlée sont perceptibles, la faute c’est les autres !...
Article révoltant ? Ecœurant ? Plutôt triste, voire tragique !…
Réagir ? Oui bien sûr!... mais que faire ? Je me sens souvent démuni devant des actes, paroles ou écrits dont j’ai du mal à croire qu’ils peuvent exister tant ils me paraissent étrangers aux valeurs d’une société évoluée.
Tout d’abord résister à la facilité de ne pas vouloir connaître l’autre. L’incompréhension mutuelle amènent ceux qui brûlent des pneus devant des préfectures à dénigrer ceux qui brûlent des voitures en banlieue, elle amène ceux qui n’arrivent plus à vivre des fruits de leur travail à ne pas accepter chez d’autres des aspirations différentes.
Ensuite, comprendre les impasses actuelles et dénoncer leurs solutions dérisoires : pour sauver l’agriculture les consommateurs doivent manger plus et notament de la viande mais aussi plus de vin quand les viticulteurs ont des stocks, plus de tomates avant qu’elles ne finissent sur les autoroutes !… (Extrait de l’article de M. Chazette : “…regagner des volumes de consommation est la solution la plus efficace, la plus indolore et la moins coûteuse pour régler une partie de nos problèmes…”).
Enfin, chez nous en Limousin comprendre notre histoire pour rebondir aujourd’hui :
N’en reste-t-il plus rien ? Le tout économique et la pensée unique ont-ils tout rasé ?
Aujourd’hui, une nouvelle génération de migrants “en retour” vient s’installer sur la montagne limousine et recréer un brassage, un métissage avec les forces vives du pays qui permettront après un combat contre l’inertie ambiante de construire ensemble une nouvelle ruralité.
L’enjeu : “Limousin terre d’accueil” est bien porté :
Alors mettons au placard l’intolérance, le radicalisme et biens d’autres valeurs désuètes et rêvons :
Monsieur Chazette, je vous souhaite bonne route et peut-être qu’un jour, au cours d’une rencontre dans une ferme pour étudier comment sortir de la crise bovine, vous jetterez vous aussi un oeil distrait à la littérature posée au coin de la table, et un paragraphe d’IPNS vous sautera aux yeux : “…amitié, solidarité, responsabilité et réalisme nous permettront de sortir de l’impasse et de progresser ensemble pour gérer notre planète autrement et de manière viable, en nous appuyant sur l’unité qui nous rassemble et la diversité qui nous enrichit. Nous devons apprendre à évoluer et nous organiser dans un cadre complexe. L’enjeu est aujourd’hui de rendre la complexité amicale, de l’apprivoiser avec patience, pas à pas.” (Plate-forme pour un monde solidaire et responsable).
Si le projet de Royère est effectivement celui d'une porcherie de type industriel, il faut relativiser sa taille qui n'est pas non plus démentielle. Il s'agit d'un bâtiment de 1000 m² accueillant à un instant t 1200 porcs avec trois bandes de 400 sans compter le vide sanitaire nécessaire. Certes c'est de l'élevage hors sol, mais qui, à mes yeux, n'est pas si énorme que cela et n'est en rien comparable avec la ferme des 1200 taurillons. La question la plus problématique me semble être celle de son emplacement à proximité des gîtes collectifs de l'association Les Plateaux limousins, ce qui n'est pas sans poser quelques soucis, en été notamment.
Il faut d'abord corriger quelques arguments qu'on entend ça et là. « Moins de 1m² par porc » : c'est vrai. Mais c'est oublier que pour le bien-être du porc en post-sevrage, il ne faut pas qu'il soit perdu dans un espace et qu'il a besoin de proximité donc surtout pas un 1 m² par porcelet... En élevage porcin en particulier comme dans tout autre élevage, ramener la surface totale au nombre de bêtes n'est pas forcement pertinent.« Les consommateurs n'aspirent plus à ce type d'élevage » : alors à quoi aspirent-ils ? La bio et la vente directe ont traversé ces deux dernières années une crise sans précèdent. Dans cette crise, l'élevage qui a le plus trinqué, avec un nombre important de faillites, c'est l'élevage de porcs en bio. Une des raisons est qu'entre le porc bio et le porc conventionnel, normalement le différentiel de prix est important. Or, comme les porcs en bio ne trouvaient plus preneurs, ils ont été vendus en conventionnel et ça a été la cata ! Comment peut-on continuer à dire que les consommateurs plébiscitent la vente directe et le bio ? Certes l’inflation est passée par là, mais où sont les choix si clairement énoncés ?En réalité, la France manque de porc « bas de gamme » pour répondre à la demande des consommateurs de plus en plus nombreux qui n'ont pas le budget pour acheter du « haut de gamme »... On doit donc importer du porc des élevages industriels, entre autres d'Europe de l'Est dont un certain nombre sont de capitaux allemands ou français. C'est ça et uniquement ça la réflexion de Cyrhio : répondre à la demande. Mais en faisant cela, Cyrhio met des éleveurs dans la panade car le cycle du porc est connu depuis des décennies. Le coût du porc fait le yoyo en permanence car, quand il y a de la demande on installe à tout va, on est alors rapidement en excédent, les prix chutent, les élevages ne font plus face aux charges, on arrose avec des millions d'euros... Et c'est reparti pour un tour ! Dans ce modèle les paysans n'ont aucune autonomie et ils seront pris à la gorge quand ça ira mal.Autre argument à relativiser : « Le plein air est le top ». Je ne me prétends pas être éleveur de porcs. Je n'en ai que cinq, élevés en plein air avec comme principal objectif de valoriser le petit lait. Élever des porcs en plein air quand depuis octobre il pleut, sans avoir de bâtiment pour les mettre à l'abri... Je ne me sens pas toujours fier. Pourtant, oui, le porc est avant tout un animal « fouineur » qui aime se souiller dans la boue quand il a chaud... mais qui, pas plus que nous, aime patouiller dès qu'il sort de sa cabane. Un éleveur de porc me disait : « Quand je suis passé du plein air à l'élevage en bâtiment, quelle qualité de vie ! » Bien être animal et bien être des éleveurs et éleveuses : tout est lié ! Par ailleurs, élever les porcs en plein air à l'aube de l'arrivée de la peste porcine africaine qui est aux portes de la France, avec une réglementation de plus en plus démentielle et une épée de Damoclès au-dessus de la tête identique à celle que subissent les éleveurs de volaille en plein air à l'heure de la grippe aviaire : l'extermination de tous les porcs dès qu'un cas se présentera dans un rayon de x km... Ça donne vachement envie ! Et pourtant, oui, le porc en plein air est une viande de qualité.
Le problème central de l'élevage, quel qu'il soit, est le revenu... Certes il peut se dégager de différentes manières, notamment par un engraissement plus autonome et plus économe, ou par la vente directe. Mais cela reste des solutions de niche. Dénoncer tel ou tel mode d’élevage sans prendre en compte l’économie libérale « quoi qu’il en coûte » voulue par l’Etat et l’Europe, les accords de libre échange signés, le refus d’instaurer réellement des prix planchers accompagnés de prix minimum d’entrée et de closes miroirs, c’est un peu dire comme Molière « Cachez-moi ce sein que je ne saurais voir ». Alors, que faire ? Quoi dire ?J'ai le sentiment qu'on réagit de la même façon que les éleveurs traditionnels creusois qui ne connaissent que les vaches et qui prennent pour farfelu tout ce qui n'entre pas dans leur schéma et qu'ils ne connaissent pas. Ne risque-t-on pas en dénonçant frontalement un tel projet de jeter les agriculteurs dans les bras de syndicats agricoles qui disent « laissez-nous travailler » en creusant eux-mêmes leurs propres tombes également creusées par les décisions de l’État : libéraliser à tout va, limiter au maximum la réglementation et courir vers l'industrialisation au nom d'une soi-disante souveraineté alimentaire. Ne ferait-on pas mieux de travailler à un dialogue avec les agriculteurs et de pointer où sont les vrais responsabilités ?Il faut refaire rêver en tentant de reprendre son destin en main. Mais ça ne peut pas se faire du jour au lendemain. Ça ne peut pas se faire qu'avec des solutions de niches. Ça ne peut pas se faire en opposant consommateurs (et encore, pas tous !) et paysan-nes. Ça ne peut pas se faire sans avoir une réflexion de fonds pour que tous et toutes aient droit à une alimentation de qualité. Comment faire avancer tout ça ? Certainement pas en montrant du doigt les paysans et paysannes qui ne savent plus où aller pour vivre dignement.
Pour revenir au projet de porcherie de Royère, peut être que la réflexion initiale est bonne - vivre ici pour travailler au pays au sein du Gaec familial et diversifier pour installer une nouvelle personne plutôt que de reprendre des hectares et des hectares ce qui aboutirait in fine à créer une structure agricole intransmissible... Sauf à la vendre aux entreprises de la grande distribution, à l'industrie agro-alimentaire ou à des coopératives qui n'auront de coopératif que le nom. Faire un élevage hors-sol clef en main grâce à une coopérative, est ce la solution ? Pourquoi pas ? Tenter de répondre à un problème d' effluents par une fosse qui permettrait de stocker pendant un an et n'épandre que lorsque ça gênera le moins, est plutôt une bonne intention.N'est t-il pas possible cependant de faire autrement avec, par exemple, un élevage sur aire paillée plutôt que sur caillebotis - ce qui permet d'avoir du fumier et non du lisier ? L'élevage sur aire paillée, sans être en bio, prend davantage en compte le bien-être animal et le fumier a beaucoup moins de conséquences négatives que le lisier. Il soulève aussi d’autres questions, telles que le marché, l’approvisionnement en paille. Mais est-ce une voix de discussion possible ? L'emplacement de la porcherie est il vraiment adéquat ? Où la positionner pour qu'elle ait le moins de conséquences négatives, tant pour les Plateaux Limousins que pour d'autres activités touristiques, car oui, les odeurs peuvent avoir des conséquences très négatives.Est-ce que tout cela est possible ? Comment nouer un dialogue avec les personnes concernées par ce projet ? Comment impliquer d'autres éleveurs de porcs qui connaissent leur métier ? Comment, à défaut de fosses en béton, ne pas faire des murs en béton pour réinventer un vivre ensemble autrement?
Je rêve, depuis quelques années maintenant, d’une reconnaissance spécifique du soutien à l’élevage de montagne. Une reconnaissance par paiement pour services environnementaux, reconnaissance du temps de travail (en heures par jour, mais aussi 7 jours sur 7 soit 365 jours par an), de l’entretien et de l'ouverture de nos paysages, de notre alimentation. Connaissez-vous beaucoup de métiers où la présence est quotidienne ? Où, quand les éleveurs partent en vacances, ils payent d’une part leurs vacances (comme tout un chacun), mais financent aussi leur remplacement ?Les coopératives ont déconnecté les éleveurs de la vente de leur animaux. Il faut donc quelqu’un d'autre pour s’en occuper. Au fur et à mesure des années, la perte de ce savoir-faire paysan a disparu. Il est donc tentant de s’appuyer sur quelqu’un qui s’y connaît. Où avons-nous échoué (nous, en tant que défenseurs et porteurs de l'agriculture paysanne) dans le fait de donner envie à des agriculteurs de transformer leur ferme d'une manière qui fasse sens à nos yeux et non de se mettre pieds et poings liés au service ou d’un modèle agricole comme Cyrhio ?
Nous n’avons pas totalement échoué car il y a plein de projets qui marchent, qui donnent du sens, qui emploient et qui ne courent pas après les hectares. Je ne dis pas que ça va bien économiquement car la réalité est la même pour tous, mais le fait de trouver du sens permet de dire que ça existe. Ceux qui ont compris ces phénomènes s’installent en vente directe, élèvent, produisent, transforment, vendent et surtout consomment : ils ont le retour direct du goût de ce qu’ils produisent et du sourire du convive, et ça, ça n’a pas de prix !
Aujourd’hui, les projets d'engraissements portés par des coopératives comme Cirhyo sont obsolètes. Mais les systèmes de remplacement, à la même échelle, n’existent pas. On le voit avec le projet de Pôle viande de Bourganeuf : les éleveurs ont créé un outil spécifique pour la vente directe et locale, un outil non délocalisable... mais qui n’a pas trouvé son modèle. Il était trop gros pour un ou quelques éleveurs, il était trop petit pour un industriel de la viande. Pourtant, il était adapté aux besoins des éleveurs qui valorisent leur travail du champ à l’assiette. Nous devons inventer ces modèles.
Le projet d'extension de la porcherie de Bujaleuf (Haute-Vienne) avec construction d'un méthaniseur est toujours en cours de demande d'autorisation. Dans un premier temps, début 2022, au vu du dossier présenté par le Gaec demandeur, la préfecture avait jugée suffisante une procédure d'agrément avec simple consultation publique sans obligation pour l'État d'en tenir compte. Et l'autorisation était quasiment accordée dans le courant 2022.
Un collectif d'habitants s'étant dans le même temps informé a demandé le soutien de Sources et Rivières du Limousin et de son avocat qui a engagé un recours auprès du tribunal administratif, estimant que l'envergure du projet méritait une procédure d'autorisation à un niveau plus exigeant (ce recours devait être formé avant le 18 novembre 2022 et porté par une association reconnue pour la protection de l'environnement et âgée de 4 ans minimum, d'où la délégation donnée (avec assurance de financement) à Sources et Rivières par le collectif qui s'est constitué dans le même temps en association « De terre et d'eau : Vienne, Maulde, Combade ». L'affaire suit son cours au tribunal administratif. Le temps judiciaire est long. Si le tribunal déboute l'association de sa demande, le projet pourra démarrer. S'il accède à la demande d'une procédure plus exigeante, ce sur quoi l'association compte bien, on garde l'espoir d'un abandon.
La création d'un élevage de porcs au lieu dit les Pradelles, dans la commune d'Augne (Haute-Vienne), implique la construction d'une porcherie de 800 places de porcs à l'engrais et 400 places de porcelets en post-sevrage. Le bâtiment sera aménagé sur caillebotis sur une superficie de 997 m². L'élevage comprendra 880 animaux-équivalents après projet. Le besoin de financement s’élève à près d’un demi-million d’euros. Cirhyo (la même coopérative que pour le projet du Villard à Royère-de-Vassivière) apporte son appui technique. Ce projet est actuellement en stand-by étant lié à celui de Bujaleuf, une partie des petits cochons naissant à Bujaleuf devant partir à Augne pour se faire engraisser.
Le projet de construction d'une porcherie abritant 1008 porcs à Tercillat (Creuse) est officiellement abandonné. La Préfète de la Creuse avait autorisé l'exploitation de cette porcherie par un arrêté du 15 janvier 2021, mais la mobilisation exceptionnelle - 217 avis défavorables - avait contribué à retarder sa décision de six mois environ. Ce délai, combiné à la forte opposition au projet, a sans doute offert aux exploitants l'occasion de sérieusement réévaluer la pertinence de leur projet. Il semble qu'ils l'aient finalement abandonné depuis déjà un certain temps.
À ce jour, il semblerait que le projet de porcherie Gayet sur la commune d'Évaux-les-Bains (Creuse) ne va pas se faire, tout du moins à cet endroit. Le panneau de permis de construire a été remplacé par un permis de construire d'une maison d'habitation et d'un bâtiment agricole avec toiture photovoltaïque. En espérant que le projet de porcherie passera bien aux oubliettes...
Le préfet du Puy-de-Dôme accorde l'autorisation, assortie de plusieurs réserves dont une seule aurait dû le conduire à …ne pas accorder d'autorisation. Entre autres, surconsommation d'eau. L'épandage se fait sur plus de 400 ha en Creuse. Une association s'est montée (Association de défense et de protection des Combrailles et Millevaches) et a porté l'affaire en justice. Un habitant dont les étangs sont situés sous les zones d'épandage a saisi le tribunal administratif de Clermont-Ferrand. C'est la première fois qu'un projet Cirhyo (encore la même coopérative) est contesté. Depuis, le dossier est en cours, avec des contre-attaques furieuses de Cirhyo, des menaces des agriculteurs environnants d'empoisonner les étangs (des silures ont même été introduits), mais le projet n'est toujours pas fait.
Le journal La Montagne publiait le 19 octobre 2023 sur son site un article qui indiquait : « Ahun. Conduite d’un élevage porcin. Le Certificat de spécialisation (CS) en élevage porcin vient de débuter au CFPPA de la Creuse au lycée agricole. Cette année, il y a des stagiaires provenant des élevages de la Creuse, de l’Allier, et de la Haute-Vienne. Ce sont principalement des élevages d’adhérents du groupement Cirhyo, partenaires de la formation. En effet, les techniciens interviennent en formation sur l’alimentation, la conception des bâtiments, les soins des animaux avec le cabinet vétérinaire de Marcillat-en-Combrailles. »Alors quoi de mieux pour se développer que de profiter des subsides de l’État qui assure la formation de ses futurs exploitants tout en bénéficiant de la maîtrise complète de la filière ? Pour la coopérative Cyrhio l'installation des jeunes demeure en effet le nerf de la filière. Comme l'indiquait en avril dernier Philippe Chanteloube, directeur de la coopérative, dans Réussir Porc, un site professionnel : « La pyramide des âges baisse, mais moins qu’en Bretagne. Beaucoup de petits naisseurs ont arrêté il y a une quinzaine d’années. » Sur le même site, Edgar Basset, le responsable technique de la coopérative explique : « En Creuse, à Ahun, nous avons six à sept élèves par an, mais c’est insuffisant. Nous pouvons fournir du travail pour 16 élèves par an dans notre zone. Nous avons du mal à recruter des salariés qualifiés. »Aussi le nombre d’installations de porcheries industrielles Cirhyo risque d’augmenter dans les années à venir, au titre – pourquoi pas ? – de « l’adaptation au changement climatique ». Est-il complètement chimérique d’imaginer qu’un jour la Creuse pourrait détenir le record du nombre de cochons par habitant, sous les coups conjugués de l'érosion démographique et du réchauffement climatique, lequel pénalise l’élevage bovin traditionnel ?
Si l’on n’y prend garde, la Creuse, avec sa démographie flageolante, pourrait rejoindre l’Aragon dans le peloton des territoires qui comptent le plus de cochons par habitant. Dans la communauté espagnole susmentionnée1, on compte 8 millions de cochons pour 1,3 million d’habitants, soit plus de 6 cochons par habitant, ce qui constitue un record au niveau européen.Le département de la Creuse, quant à lui, est en tête du classement français pour le nombre de bovins par habitant : plus de 3 pour 1 (3,45 pour 1 exactement). On espère que la situation infecte comme en Espagne où les macro-fermes (des exploitations de plus de 8000 cochons2) « se développent à une vitesse folle », constituera un repoussoir…
1 https://www.3trois3.com/derniere_heure/espagne-1%E80%99aragon-premier-producteur-de-porcs-pour-la-premiere-fois2 https://tf1info.fr/international/video-elevage-intensif-la-ferme-aux-8000-cochons-en-espagne-2221979.html
Si le décret est validé en l'état, les seuils d'évaluations systématiques passeront :de 40 000 à 85 000 volailles (plus du double !),de 2 000 à 3 000 porcs en engraissement,de 750 à 900 truies.Le décret prévoit également de faciliter les aménagements fonciers agricoles et forestiers, ici encore au détriment de l'environnement.Sous prétexte de « simplification », ce décret vise en réalité à faciliter la course en avant vers le gigantisme, au détriment à la fois de l'environnement et de la sécurité des éleveurs. Faute d'une évaluation solide préalable, des éleveurs dont les exploitations provoqueront une pollution industrielle pourront toujours être poursuivis et sanctionnés, mais ce sera trop tard pour les écosystèmes. Il est préférable, aussi bien pour les éleveurs que pour les écosystèmes, que les risques soient sérieusement évalués en amont, plutôt que niés dans une perspective électoraliste ou économique à courte vue.
En savoir plus sur la consultation publique concernant ce décret :https://www.consultations-publiques.developpement-durable.gouv.fr/projet-de-decret-portant-diverses-dispositions-a2984.html
J’habite un lieu-dit de la commune de Saint-Frion, Varinas. À quelques centaines de mètres d’un élevage industriel de porcs, d’un « centre d’engraissement », comme ils disent. Plus petit que certaines porcheries déjà implantées en Creuse, plus petit que d’autres en projet, il n’en est pas moins affligeant. Tous les étés, les jours de canicule, les bêtes hurlent, du matin au soir. Beaucoup meurent. On voit en tout cas souvent passer le camion de l’équarrisseur. Quand la température est déjà insupportable en plein air, combien fait-il dans le bâtiment où s’entassent ces animaux réputés sensibles à la chaleur ? Ces derniers mois, s’est ajoutée la puanteur. Il semble que les cochons, censés être élevés dans la paille, n’en aient pas, n’en aient plus, et vivent dans leurs excréments. Les habitants, au gré du vent, respirent des jours durant des effluves fétides. Ceux qui ont protesté se sont entendu répondre qu’ils ne connaissaient pas la campagne. L’entreprise qui gère l’établissement ne voit-elle rien, ne sent-elle rien ? Pourquoi continue-t-on à parquer des porcs dans un endroit pareil ? Lorsque j’entends le camion qui vient les chercher pour l’abattoir, au petit matin, après des mois de riant séjour dans leur merde, j’ai le cœur serré. Tant de misère, du début à la fin.
Dans le numéro d'automne d'IPNS, Elisabeth Henry avait présenté le travail réalisé par un groupe d'agricultrices de Creuse. A partir des photos qu'elles ont prises et de textes qu'elles ont écrits sur leur vie en Creuse elles ont monté une exposition. Elle rencontre un très grand intérêt auprès du public dans tout le département. Elles ont aussi rassemblé toute cette richesse créative dans un magnifique recueil "ENTRE TERRE ET ELLES… La Creuse au féminin pluriel". En voici un extrait. Ce livre est disponible au GRAF de Combrailles et dans quelques librairies.
Il a connu des mains de femmeMarbrées de terre comme celles du potier,Retournant l'argile du sillon.Des mains inspirées comme celles de l'artiste,Semant la graine porteuse de paysage.
Il a connu des mains de femmeFines et longues comme celles du pianiste,Arc-boutées sur les poignées d'une brouetteDes mains inondées de sueur comme celles de l'ouvrierEssuyant tendrement les larmes d'un enfant.
Il a connu des mains de femmeNoires de cambouis comme celles du mécanicien,Se bagarrant avec un dernier graisseur inaccessible.Des mains enfarinées comme celles du boulanger,Pétrissant la pâte pour la tarte aux pommes.
Il a connu des mains de femmeBardées de diplômes comme celles d'un ministre,Trayant pourtant de vraies vaches à lait.Des mains rassurantes comme celles d'une mère,Caressant la vache prête à mettre bas.
Il a connu des milliers de mains.Au travail, au repos, à la fête.Mais les siennesIl les a reconnues entre toutes !Des mains de femme,Douces ou crevassées selon les saisons.Plus à l'aise à la plume qu'à la fourche.Des mains de femmeParcourant son corps jusqu'à offrir la volupté.Des mains de femmeAyant accepté de faire alliance avec ce paysPuis avec lui simple paysan creusois !
C’est un lundi, milieu de matinée. Le camion du Magasin Général de Tarnac entre dans Le Rat, l’un des 21 hameaux qui parsèment le territoire que dessert l'épicerie ambulante. Après un coup de klaxon au son bien caractéristique, il s’arrête devant une bâtisse agrémentée d’une petite cour. Arrive alors Madame Rebière, l’une des clientes de cette tournée en campagne du véhicule « épicerie ». À 82 ans, alerte et tout sourire, sa petite liste de courses en main, son allant semble faire peu de cas de sa date de naissance.Un jour, nous avons fait plus ample connaissance autour d’un café, dans sa petite cuisine chauffée par un poêle… imposant. « Un cadeau de mon fils, précise-t-elle, l’hiver le thermomètre posé sur la cheminée indique 30°. »
Née Micheline Lacroix, elle a vu le jour en juillet 1942 à Chavigny-Bailleul, dans une petite ferme de l’Eure, que ses parents exploitaient à bail. Le foyer comptait alors quatre membres, Liliane, la sœur aînée, arborant fièrement ses six ans. Trois années plus tard, en 1945, la famille de cultivateurs abandonne les vaches normandes pour adopter leurs consœurs limousines au terme d’un long voyage qui les conduit en terre corrézienne à Chouzioux, sur la commune de Peyrelevade, à la tête d’une exploitation également louée à bail. Un itinéraire qui n'est pas unique, ces années-là et jusqu'aux années 1960, voyant l'arrivée sur le Plateau d'agriculteurs venus de régions plus peuplées comme la Normandie, les Pays de la Loire et même les Pays-Bas. De Chavigny-Bailleul, Micheline garde quelques souvenirs qui ont marqué ses trois ans : « C’était la guerre. On a reçu des Américains chez nous. Ils nous ont donné une belle couverture, bien chaude, et des bonbons… Mais je n’ai aucun souvenir de la maison ! » Elle se rappelle néanmoins « le grand-père sur la huche et… l’absence de la grand-mère ! » Mais aussi la visite du cimetière américain de Colleville-sur-Mer : « Ah ! Toutes ces croix blanches et cette paire de gros souliers qui dépassaient d’une toile recouvrant sans doute un corps… »
Pour exploiter l’outil de travail qui s’est agrandi, trente vaches sont achetées ainsi qu’une centaine de moutons. « Mon père était revenu désespéré de la foire, se remémore sa fille. Les gens ne parlaient qu’en patois… Mais sur quoi est-ce qu’on est tombés ? » Et il a fallu se mettre à défricher une bonne partie de la surface acquise, peu entretenue jusqu’alors, avec deux vaches et une chaîne en utilisant un Bec de Corbin, afin d’arracher les racines des genêts.« Je gardais les vaches, Liliane les moutons. On faisait le travail de la ferme. Je tassais la charrette en vrac et Liliane râtelait avec les parents. André, le petit frère venu compléter la fratrie en 1948, jouait. C’était de son âge. On se retrouvait avec les copines qui faisaient comme nous. On pêchait à la rivière à la bouteille. C’est qu’on en attrapait des vairons, à l’époque ! Et quand on n’était pas au bord de l’eau, on était dans les arbres ! Une période vraiment heureuse. »Le début des années 50 va apporter un grand changement. Les fermiers deviennent propriétaires en achetant une ferme à Chamboux, à six kilomètres de Peyrelevade, avec une maison en dehors du village, « Ce que voulaient nos parents. » Avec sa sœur, Micheline continue à « garder les bêtes, il n’y avait pas de barbelés, et on tricotait des pulls et des chaussettes, on reprisait aussi. Et le dimanche, on avait le droit de lire La Vie en Fleurs », une revue de l’époque à connotation sentimentale. C’est alors, qu’âgée d’une dizaine d’années, une scène va mettre à mal sa sensibilité et lui faire découvrir un trait de sa personnalité : « Un jour, une vache a dû partir pour l’abattoir. Je la revois à genoux, elle pleurait à grosses larmes, et ils lui tapaient dessus pour qu’elle se relève. Je ne l’ai pas supporté, et je n’ai jamais oublié. » Tristesse encore lorsqu’il a fallu se séparer de Bill et Buffalo, deux bœufs attelés pour acheter un… premier tracteur : « On a beaucoup travaillé, mais on les a aussi fait marner, ces braves bestiaux. »« Le jeudi, jour sans école, je nettoyais la porcherie et cuisais les pommes de terre dans la chaudière pour la semaine. Je ramassais des betteraves et des rutabagas pour les bovins… et pour le pot au feu, qu’on ne fait surtout pas sans mettre des « rutas » dedans, tandis que Liliane coupait des topinambours en petits morceaux destinés aux agneaux. Notre père avait aussi un concasseur pour faire sa farine. »
C’est en 1960, alors âgée de 17 ans et demi, que notre agricultrice se marie, avec Pierre Rebière : « Il faut croire que les pommes de terre m’ont poursuivie, explique Micheline. On s’est rencontrés dans un champ de tubercules… Le lendemain du mariage, sur incitation de ma belle-mère, j’ai aidé à faire la vaisselle de la fête, et le surlendemain, je suis allée avec Pierre planter des… pommes de terre ! C’était notre voyage de noces. » Ils s’installent dans la maison des parents du marié, au Rat. « La fille, elle allait chez le mari, avec ses beaux-parents. »De leur union, naîtront deux enfants, Christiane et Gilles. Perdant successivement son beau-père devenu aveugle, sa belle-mère puis son mari, Micheline a pris sa retraite en 2002, non sans avoir exercé, après une formation adéquate, le métier d’assistante maternelle en plus du travail de la ferme, puis occupé un poste à la maison de retraite de Peyrelevade durant une dizaine d’années à partir de 1981, et enfin à la crèche du même lieu durant deux ans.
À l’évocation de sa scolarité, l’ombre d’un regret se fait jour dans les yeux de notre agricultrice. « J’aimais l’école et j’aurais voulu être institutrice. Je suis allée passer mon certificat d’études à Sornac avec les copines dans la bétaillère du boucher. Mais ma famille n’avait pas les moyens de me laisser partir au collège. » Cependant, lorsque le domicile de Chamboux est de nouveau évoqué, les souvenirs reviennent en force : « Elle symbolise mon enfance, ma jeunesse. On ne se rend pas compte des bruits d’une ferme. Dans mon cœur, même si je l’ai quittée à 17 ans et demi, c’est toujours ma maison. »Du Rat toutefois, elle gardera les images du tournage du film Mademoiselle avec Jeanne Moreau en 1965, l’actrice jouant le rôle… d’une institutrice qui met le feu aux maisons et empoisonne les abreuvoirs : « Les décors qu’ils ont installés étaient incroyables, et puis mon mari a pu être figurant. » Conservées également en mémoire, les Fêtes de la Saint-Roch où le prêtre baptisait les chiens.Quant à l’évolution du monde agricole qui a été le sien durant plus de trois quarts de siècle, Madame Rebière l’observe avec une certaine nostalgie : « Il n’a rien à voir avec ce que j’ai vécu. De mon temps, les paysans étaient beaucoup plus nombreux et ils échangeaient des coups de main réciproques. On faisait de tout, on n’achetait pas. L’hiver, on allait aux veillées d’un village à l’autre, toujours à pied avec la lanterne. Les gosses nous suivaient partout… Maintenant, ils ont du matériel, c’est la course au plus gros tracteur, mais ils n’ont plus le temps de rien. Finalement, ils ne sont pas plus libres que nous. »
À l’heure où un drone sait repérer la moindre adventice dans un champ de céréales, et transmettre ses informations à un tracteur qui peut, sans chauffeur, aller la traiter avec une précision millimétrique, effectivement, c’est un écart abyssal avec le monde ci-dessus décrit, à la fois si loin… et si proche.
Aussi étrange que cela puisse paraître, un certain nombre de personnes interpellent et tentent de discuter avec le député Moreau sur Twitter. Ce que ce dernier fait bien volontiers. Pourquoi ? Parce que la discussion, c’est la démocratie, et que comme il est député, la démocratie ça le connaît.
Le débat oui ! L’invective non ! Prenons donc exemple sur le député pour mener un bon débat démocratique. Commençons par son sujet de prédilection : l’agriculture française. Sur son compte, le député se présente comme « paysan-député ». Il poste des photos des paysages creusois et de son troupeau. Il est en effet éleveur de bovins, et il était avant son élection, président de la Celmar, la coopérative du nord de la Creuse qui commercialise 40 000 bovins et 20 000 moutons chaque année. L’agriculture, c’est donc sa spécialité, et il réagit très vite sur le sujet. Ainsi, le 22 juin dernier, les médias relaient une étude du CNRS qui estime que « le bio pourrait nourrir toute l’Europe à condition de diminuer la consommation de viande ». Réactions, tout en mesure.
A quelqu’un qui, en commentaire, soutient les conclusions du rapport du CNRS, le député répond: « Non c’est scientifiquement inexact tel quel désolé. Même si votre dogme le dit. ». Il précise ailleurs sa pensée sur le sujet: « Je conçois parfaitement qu’on ne souhaite pas manger de viande, mais ce qui me pose problème, ce sont les campagnes véganes qui dénigrent pour étendre un mode de vie. Je ne vois pas en quoi ils l’imposeraient aux autres, je n’impose pas moi-même aux autres de manger de la viande ». Le CNRS, infiltré par des végétariens totalitaristes, participerait-il à une vaste campagne de déstabilisation de la consommation de viande en France, campagne qui serait financée par l’étranger? Le député ne le dit pas mais certains tweets sèment le doute : « Oui je préfère défendre les emplois dans notre pays plutôt que de prêter main forte à des multinationales étrangères pour déstabiliser notre modèle agricole par le biais de campagnes anti viande ». Les détails sur cette opération des multinationales sont probablement classés « secret défense » car il n’en dit pas plus.
Tout comme les chercheurs du CNRS, ceux qui ne partagent pas les convictions du député sur l’agriculture française ont tous l’étrange point commun de ne rien comprendre à l’agriculture. Souvent c’est parce qu’ils sont enfermés dans ce que le député appelle des « dogmes » (bios, végétarien, ou végan). A un de ses collègues, éleveur lui aussi, mais bio, il explique : « vous racontez n’importe quoi ce qui prouve que vous ne connaissez absolument rien à l’agriculture ». À quelqu’un qui se lance sur les algues vertes en Bretagne et qui lui conseille de lire les rapports de l’INRA sur le sujet, il répond, curieux: « pas la peine, j’y lirai que vous racontez n’importe quoi ». A quelqu’un qui commente un article sur les maladies professionnelles des agriculteurs liées à l’exposition aux pesticides, il répond catégorique: « article partisan qui n’a rien de scientifique ». Et même à un collègue député (Les Républicains et avocat de profession) qui l’accuse d’être influencé par les lobbys agroalimentaires :
Le député s’empare aussi d’autres sujets d’actualité comme la vaccination ou le pass sanitaire, faisant valoir en toute modestie qu’il est « juste ingénieur agronome …. » et qu’il a donc fait « juste des études poussées en sciences naturelles et biologie et notamment bio maths sup et bio maths spé ». Aussi, il avoue sa « stupéfaction devant tant d’ignorance scientifique face aux vaccins ARNm ». Et il est tout aussi stupéfait par le niveau d’orthographe de ceux qui s’adressent à lui. Il n’hésite pas à rabrouer sèchement ceux qui abandonnent un participe passé raté. Les fautes d’orthographe l’énervent tellement qu’il peut même laisser échapper lui-même une coquille par ci, par là.
Même intransigeance sur l’usage de certains mots. Par exemple, hors de question de discuter avec des gens qui se permettent de parler du « peuple » ou « des Creusois ». Le député ne laisse rien passer. Il faut, semble-t-il, un mandat pour écrire ces mots là.
Et ce mandat, si on veut l’avoir, il n’y a probablement qu’une solution : « Présentez-vous la prochaine fois et on en reparle. Ces gens qui commentent depuis le fond de leur canapé sans lever le petit doigt m’amusent ou m’affligent c’est selon… » confie le député.
Mais les choses peuvent se compliquer quand justement on perd une élection. Ça lui est arrivé aux municipales : il a été élu conseiller mais la liste sur laquelle il se présentait s’est retrouvée minoritaire. S’en est suivi une saga qui a amené à la démission du nouveau maire et à l’élection de la candidate soutenue par le député. Rebelote aux élections départementales en juin dernier : il arrive troisième du premier tour sur le canton de Guéret 2 et réagit « J’assume cette défaite. Mais (il y a toujours un « mais » ndlr) au vu du fort taux d’abstention, nous devons réfléchir à plusieurs pistes pour y faire face et revoir notre système électoral. La règle imposant 12,5% pour les élections départementales était justifiée quand il y avait de fortes participations mais elle n’a, aujourd’hui plus aucun sens ». De là à penser qu’avec une majorité d’abstentionnistes, certaines élections n’auraient plus aucun sens, il n’y a qu’un pas …qu’un bon démocrate ne franchit pas.
« Je suivais les réseaux sociaux de la Coordination Rurale (CR), et j'ai vu qu’un convoi partait d’Agen pour rejoindre Paris et paraissait particulièrement motivé. Il passait par l'A20, et je me suis dit que je pourrais le rejoindre à Limoges. Parties d'une revendication sur la hausse du GNR (Gazole Non Routier), les revendications s'étendaient et me rappelaient le début du mouvement des Gilets Jaunes. J’attends au Burger King de Feytiat, et c’est là que je croise un convoi de tracteurs qui allait bloquer à Boisseuil. Je passe l'après-midi sur le blocage et je récupère les informations qu’il me fallait : le convoi de la Coordination Rurale s'arrêtera à Panazol pour la nuit. Le départ est prévu à 5h du matin. Je m'y rends à pied depuis le centre-ville de Limoges. J'arrive à Panazol et demande si je peux monter dans le convoi. Au début le responsable syndical refuse car je ne suis pas agriculteur. Je m'invente une activité de maraîcher, ça passe et je monte dans une voiture.
Début de matinée, un blocage de blindés sur l'autoroute. J’entends quelqu’un dire : « Y’a des flics ici mais pas dans les cités ». Des tracteurs équipés de pique-botte se positionnent devant. Je commence à entendre des vieux qui disent qu'ils vont aller au contact. Une glissière de sécurité est cassée, tous les véhicules sortent de l'autoroute sauf les 7 tracteurs de tête où se trouvent les responsables syndicaux. Ils restent pour négocier. Un peu plus tard, les blindés se retirent et on se remet à avancer sur l'autoroute. Je monte dans un tracteur de tête.A midi, on s'arrête sur l'autoroute et on commence à pique-niquer avec les 300 personnes du convoi. 95% d'hommes, tous âges mélangés. L'organisation est un peu chaotique, j'essaie de faire des sandwichs pour tout le monde mais chacun se sert en pâté avec son couteau perso sans trop se préoccuper des autres. Il y a beaucoup de céréaliers, quelques gros maraîchers, peu d’éleveurs, tous surendettés. Ce qui ne les empêche pas de me conseiller de voir plus gros pour chopper plus de subventions.Ravitaillement en GNR, puis on repart vers 14h. A 16h, on sort de l'A20 et on va sur la départementale. Les gendarmes essaient de remonter le cortège, mais les tracteurs les en empêchent en occupant toute la voie. À chaque traversée de village, ambiance Tour de France, avec acclamations, klaxons, messages au bord de la route. En discutant avec les personnes dans les villages, les gens parlent de leurs situations de merde. On fait halte le soir dans un grand corps de ferme. On est maintenant 500 personnes. Barbecue, picole, ambiance tranquille. Ça discute vite fait. Tout le monde s’accorde pour dire que les politiques actuelles sont favorables aux écolos. On nous annonce au mégaphone que le départ est prévu à 7h demain. Certains dorment dans leurs tracteurs, d'autres dans leur camionnette. Je me couche tôt cette fois-ci parce que je suis vanné.
Matin. Quelqu'un allume le groupe électrogène vers 5h30 pour lancer le perco. Le chef de la Coordination Rurale du Lot-et-Garonne (CR47) donne un point de rendez-vous aux véhicules hors tracteurs, à Étampes dans une concession de tracteurs New Holland. On arrive sur place vers 10h du matin. Le reste du convoi de tracteurs se fait bloquer et disperser. Nous n'avons plus de contact avec eux. Quelques flics finissent par arriver à la concession. Le groupe de véhicules se sépare encore en deux, certains ont pour consigne d'aller à Rungis, au Castorama, sans former de convoi. Une fois là-bas, on apprend que Karine Duc (co-présidente de la CR47) qui était dans le convoi, est allée jusqu'à Matignon pour être reçue par le Premier Ministre. Elle finit par revenir au parking de Castorama. Nous sommes 70. Elle annonce que le gouvernement va mettre en place des prêts à taux zéro, que Attal et ses conseillers ne connaissent pas les problèmes de l'agriculture, et qu'il faut leur expliquer. Certains semblent satisfaits, d'autres plus circonspects. À quelques-uns, on se dit que c'est un peu nul d'attendre sur ce parking, alors qu'on pourrait aller plus près de l'entrée de Rungis et faire quelque chose. On discute en petit groupe, je dis qu'on pourrait aller ailleurs à Paris, dans d'autres lieux symboliques. Un vieil agriculteur du 47 qui m’entend parler m'interpelle un peu brutalement et me demande qui je suis. Je refuse de lui répondre. Des flics en civil me sortent du cercle et veulent me contrôler. Je refuse. Un des agriculteurs avec qui j'avais sympathisé vient me défendre et dit qu'il me connaît. Les flics renoncent. Je finis par quitter le rassemblement. Je prends le bus, offert par le conducteur de la RATP avec qui je discute du convoi et des prochaines grèves à venir, des JO... Lui aussi, partage l'idée que ça serait bien qu'il y ait un retour des Gilets Jaunes, et une petite révolution. »
Pas farouches, les brebis cheminent sagement en troupeau dans les rues de Limoges, ce jeudi 4 septembre 2008, suivies d’une centaine de militants de la Confédération Paysanne. Les badauds sourient devant ce cortège improbable. Mais la situation n’invite pas franchement à la rigolade. C’est qu’il y a urgence : les moutonniers sont en train de crever. “Aujourd’hui, je n’arrive plus à faire face aux investissements que j’ai engagés lors de mon installation ni à faire vivre ma famille. Pourtant, mon exploitation a techniquement des résultats très corrects“ s’alarme Dominique Bouzage, 32 ans, dans Campagnes Solidaires, le mensuel de la Conf’. “Aucun salaire dégagé, des factures qui s’accumulent : la vie au jour le jour devient un casse-tête. Depuis longtemps les vêtements sont d’occasion. Beaucoup de choses sont à bout de souffle et nous aussi“ témoignent Marie-Pierre et Philippe Camus, éleveurs dans la Nièvre. Sur France 3 Limousin, un éleveur à Janailhac explique qu’il dégage 260 € de salaire mensuel en travaillant de 7h à 21h !
Certes, la hausse du prix des carburants et des céréales fourragères, ou l’épidémie de la fièvre catarrhale n’ont pas arrangé les choses. Mais la crise ovine est avant-tout la conséquence de la libéralisation du marché, entamée dans les années 80. Les frontières se sont ouvertes à la Nouvelle Zélande et à l’Australie, qui ont des coûts de production bien moindres. Résultat : 60% de notre consommation de mouton est importée de l’autre bout du monde. Une invasion de gigot pas cher, qui a décimé les moutonniers français : la moitié d’entre eux a disparu en 15 ans. Aujourd’hui, les agneaux sont payés moins cher aux éleveurs qu’il y a 20 ans et le revenu moyen d’un moutonnier s’élève à 700 €... “La filière ovine a été littéralement sacrifiée, cela a commencé à se voir sur la laine, puis sur la viande. Par contre, on a misé sur le bœuf : contingents d’importation, soutien technique, subventions...“ explique Guillaume Challet, permanent de la Confédération Paysanne Limousin. En terme d’aides, il faut 7 brebis pour faire une vache !
Pour assurer la survie immédiate des éleveurs, la Confédération Paysanne a réclamé fin août une aide d’urgence de 35 € par brebis (soit 150 millions d’euros), une cellule de crise nationale et un rééquilibrage des aides au profit des éleveurs, en prélevant par exemple une partie aux céréaliers, toujours bien garnis. Michel Barnier ne s’étant pas engagé sur ces revendications, le syndicat paysan a appelé à perturber la conférence de Limoges. Le 4 septembre, les CRS étaient sur le pied de guerre. Une protection policière qui “frisait l’état de siège“1 pour une centaine d’éleveurs et une trentaine de brebis dans la rue. Le lendemain, ils étaient 400 paysans, dont plusieurs syndicalistes espagnols, à s’être rassemblés autour du site hyper protégé où les ministres européens (Irlande, Roumanie, Angleterre et Espagne) tenaient conférence. Tandis que le gros des troupes est parvenu à bloquer une demi-heure l’autoroute A20, une vingtaine de militants s’est infiltrée jusqu’à la conférence pour interpeller Michel Barnier. Il s’est engagé à demander un plan de soutien immédiat à Bruxelles. Reste à savoir quelle somme en sortira. Car, comme le dit très justement Marjolaine Maurette, présidente de Solidarité Paysans Limousin2 “Si l’Europe n’accorde pas 35 € par brebis, alors nos moutonniers se mettront au Rmi. Et là, ça coûtera beaucoup plus cher à la collectivité ! La moitié des moutonniers aura disparu quand les aides d’urgence dont nous parlons aujourd’hui seront enfin mises en place !“.
“A long terme, le but n’est bien-sûr pas de vivre des aides, mais de nos productions. Pour cela, il faut remettre une autre politique en marche, celle de la souveraineté alimentaire. Malheureusement, Mariann Fischer Boal (commissaire européenne à l’agriculture, absente à la conférence de Limoges) ne nous donne pas beaucoup de signes dans ce sens-là“ déplore Philippe Revel, porte parole de la Confédération Paysanne Corrèze. Contre toute attente, certains paysans expérimentent des alternatives. Ainsi le Gaec Alys, à Eymoutiers (87), qui a créé sa propre marque et vend directement aux bouchers et aux restaurateurs. D’autres investissent dans un atelier de découpe pour fournir les consommateurs sans intermédiaires. Pour Anne Lacroix, éleveuse et productrice de fromage de chèvre, “la vente directe peut être une piste qui valorise davantage l'agneau. Mais pour réussir il faut un rayon d'action très important et passer outre les nombreux obstacles comme la disparition des abattoirs de proximité ou la nécessité de vendre sous deux jours car la viande est fragile. Ce n'est donc pas une solution généralisable“. Mi-novembre, le gouvernement a dévoilé son plan d'urgence pour sauver les éleveurs : largement insuffisant selon la Conf'. Quant au compromis sur la réforme de la PAC, annoncé le 20 novembre, il s'obstine dans la dérégulation des marchés. La suite dans les urnes, pour les élections européennes...
Que ne faut-il pas faire pour arriver à obtenir de la MSA ce qu’elle vous doit ? Ce jeune agriculteur du Plateau sait de quoi il parle. En couple et père d’un enfant, l’ensemble de ses prestations sociales transite comme il se doit par la mutualité sociale agricole : sa prime d’activités, le RSA de sa conjointe, la Paje (prestation d’accueil du jeune enfant) et bien sûr tous les remboursements de ses dépenses de santé.
Le problème est que la MSA s’est fait une spécialité des retards de paiement, des clôtures intempestives de dossiers, des formulaires inadaptés et que tout cela ne fait qu’en rajouter à l’exaspération d’agriculteurs qui sont souvent dépendants d’aides agricoles (PAC, Mesures agri-environnementales MAE) qui, elles-mêmes, ne sont payées qu’avec plusieurs années de retard. Dans le cas présent, notre jeune agriculteur attend encore en 2020 des aides MAE de... 2017 ! « Il faut se démerder pour vivre sans argent pendant plusieurs mois » ironise-t-il. Il égrène les situations kafkaïennes auxquelles il a été confrontées : suite à un accident, la MSA l’a un jour décrété « guéri » alors que l’avis du chirurgien était contraire ; sa compagne est radiée sans raison du RSA, il reçoit un courrier de la MSA qui lui dit de ne pas tenir compte de ce courrier, que c’est une erreur... mais il est obligé d’appeler et de rappeler de nombreuses fois pour obtenir la réouverture de ses droits ; ses prestations s’arrêtent et reprennent alors que ses revenus n’ont pas changé ; et évidemment il ne tombe jamais sur la même personne à chacun de ses appels, ce qui oblige à tout réexpliquer sans garantie de ne pas devoir recommencer la semaine suivante avec un nouvel interlocuteur. « Il faut toujours quémander l’argent qui nous est dû et en plus, on subit une forme de culpabilisation comme si on était des assistés... » s’indigne-t-il, lui qui produit des tonnes de céréales et de viande chaque année et dont ses banquiers le félicitent pour la situation saine de son exploitation !
Des prestations de septembre à décembre 2018, toujours non versées au milieu de 2019 malgré plusieurs appels et relances, le poussent à jouer le grand jeu : « J’suis au bout du rouleau, je vais me suicider, c’est pas possible... » Le versement tant attendu est alors aussitôt viré !
Rebelote fin 2019. Cette fois ce sont 9 mois de paiements qui sont en attente qui, cumulés, avoisinent les 6 000 euros ! Après moult coups de téléphone infructueux, il est obligé de menacer à nouveau : « Très bien, demain je viens devant le siège de la MSA et je m’immole par le feu ! » Le lendemain, les 6 000 euros sont virés sur son compte !
Parmi les interlocuteurs qu’il réussit à avoir, il tombe un jour sur une opératrice qui lui explique que son cas est loin d’être isolé : « Mes parents sont agriculteurs et ma sœur est agricultrice, alors je connais bien la situation et je suis bien d’accord avec vous ! » N’empêche les demandes traînent toujours : un mail est traité en 4 à 6 semaines, il faut 15 jours de délai pour un courrier, mais il manque un document, ce n’est pas le bon, il faut le renvoyer, et quand au final le dossier est complet, il y a un papier qui n’est plus à jour et il faut recommencer !
Pourtant, surprise, au moment de la crise du coronavirus, l’aide exceptionnelle (malgré un lien internet qui renvoyait sur une page qui elle-même renvoyait en boucle sur la page précédente...) a été versée très rapidement après la demande ! Alors ? Incompétence ou mauvaise volonté ? Qu’est-ce qui fait que la MSA semble faire tout son possible pour rendre la vie des paysans impossible ?
Nous avons essayé de comprendre pourquoi il avait fallu à cet agriculteur d’en arriver à la menace de suicide pour obtenir l’argent qui lui était dû, en partant de l’idée que les employés de la MSA ne doivent être, en moyenne, ni meilleurs ni plus mauvais que le commun des mortels. Le délégué CGT des salariés de la MSA au niveau national, Christophe Cziz, qui travaille dans la Drôme, explique tout de suite au téléphone que oui, « [ils] le [savent], le suicide est la première cause de décès chez les agriculteurs ». En Limousin, la permanente CGT des organismes sociaux, employée dans une caisse de retraite explique que c’est à la MSA à peu près comme dans les autres organismes sociaux (Caf, Carsat, Pôle emploi, etc.) : « On remplace seulement un agent qui part à la retraite sur cinq. Ceux qui restent ne sont pas assez nombreux pour gérer la demande. Les directions ferment les accueils “physiques”. Les usagers sont mécontents. » Quiconque a dû contacter par mail, téléphone ou en se déplaçant, un organisme social lui devant des aides le sait. Tout semble fait pour vous décourager d’obtenir ce à quoi vous avez droit. Un cap a d’ailleurs été franchi en Creuse pour le RSA, lors de l’annonce début 2020 par Patrice Morançais, du conseil départemental de Creuse, de l’embauche d’inspecteurs chargés de traquer « la fraude » alors qu’une très grande partie des personnes ayant droit à cette allocation ne la demande pas et que le RSA « coûte » donc au département bien moins que ce qu’il devrait si ce dernier versait correctement cette aide.
Retraité de l’agriculture, infatigable soutien des paysans qui « terminent » au tribunal pour redressement ou liquidation judiciaire, Gilles Roy, bénévole de l’association Solidarité paysans, suit depuis vingt ans les déboires financiers des paysans creusois. Il estime que la MSA a la spécificité de vous balader d’un interlocuteur à l’autre (À voir comment répondent les plate-formes téléphoniques de la Caf ou de Pôle emploi, on peut dire que cette spécificité est partagée par bien d’autres « guichets ») : « Quand il ne peut plus payer ses cotisations MSA, un agriculteur peut avoir au téléphone quelqu’un qui lui assure que c’est bon, un échéancier des dettes va être mis en place, et recevoir quand même trois jours plus tard un courrier d’un autre agent de la même MSA, le mettant en demeure de payer tout de suite. » Cette horreur bureaucratique, qui peut rendre fou, semble atteindre de très hauts niveaux à la MSA. Pour Gilles Roy et les paysans en détresse financière qu’il accompagne au tribunal pour faire face à la MSA lors de « conciliations à l’amiable », le manque de communication entre les services est LA marque de fabrique de la MSA. Pour lui, il est par exemple capital de savoir si les échéanciers de dettes conclus dans ce cadre peuvent s’étaler sur deux ans comme il entend une représentante de la MSA le dire au tribunal ou sur trois ans comme le dit le code rural. Il a posé la question à Guy Faugeron, président de la MSA du Limousin, par courrier début octobre 2019. Il n’a toujours pas obtenu la réponse.
Le système MSA est théoriquement représentatif, avec des personnes élues dans chaque canton par les agriculteurs, les entreprises agroalimentaires et les salariés, collèges qui élisent à leur tour des administrateurs régionaux. En pratique, « ces élus cantonaux, la MSA les invite à deux réunions par an et sinon ils ne sont au courant de rien », schématise Gilles Roy. De même que l’Assemblée nationale représente assez mal les gens qui vivent en France, les administrateurs de la MSA semblent représenter assez peu les gens qui travaillent la terre. Pour la branche agroalimentaire et forestière de la CGT, la MSA est « la “vache à lait” du pouvoir et du grand patronat agricole pour gérer un vaste plan social accompagnant la disparition de petites et moyennes exploitations venant conforter la concentration agraire ».
La Cour des comptes vient de publier un rapport sur la MSA. Sa logique comptable consiste naturellement à constater que la MSA coûte trop cher pour ce qu’elle fait. Le rapport conseille le « rapprochement» de la MSA avec le régime général de la Sécurité sociale. Tout semble se dérouler comme pour d’autres services qui, avant, fonctionnaient mieux, par exemple les trains régionaux : on les rend inefficaces pour les discréditer, et les supprimer peu à peu.
En tant qu’élu d’un territoire rural dont l’une des activités majeures est l’agriculture (1 actif sur 4 est lié à cette activité en Creuse), en tant qu’agriculteur en activité, président du groupement de développement agricole (GDA) d’Aubusson, je me dois de vous faire part d’une autre vision, qui n’est pas uniquement la mienne, mais celle d’une grande majorité au sein de la profession. Ces projets de centrales au sol font débat sur le territoire national. La revue La France agricole a ainsi titré un article sur ce sujet : « Les panneaux de la discorde ! »
L’agriculture française est sans doute la plus diversifiée au monde et ses productions reconnues comme les plus sûres, les meilleures en matière de qualité et de traçabilité. La mission de l’agriculture est de nourrir la population. En France, pendant le confinement, aucun produit de base n’a manqué pour les consommateurs ou pour fournir l’industrie agroalimentaire. Malgré ses atouts, la production agricole nationale baisse tous les ans (de la troisième place mondiale en 2005, nous sommes aujourd’hui à la sixième en exportations de produits agricoles), et, d’après les experts, à partir de 2023 on importera plus qu’on exportera ! L’agriculture française est en souffrance depuis des décennies malgré sa modernisation à la pointe de la technologie et son adaptation constante. Cela reste un métier difficile et peu rémunérateur. Nous sommes de moins en moins nombreux (environ 400 000 aujourd’hui, contre 500 000 il y a 10 ans) et une projection annonce le chiffre de 200 000 pour les années 2030. Les raisons de cette hémorragie sont multiples... Finalement peu nombreux, donc peu représentés, peu défendus et surtout peu entendus, les agriculteurs sont critiqués. L’agriculture serait responsable de tous les maux : pollution, réchauffement climatique, manque d’eau, etc. Nos détracteurs sont nombreux et cet agribashing est croissant. Certes nos pratiques sont perfectibles et bien évidemment nous devons encore travailler pour les améliorer. Une seconde hémorragie lente et incessante est celle de la SAU (Surface agricole utile) : 76 000 hectares disparaissent tous les ans en France, grignotés en partie par l’urbanisation (routes, zones industrielles, artisanales, commerciales...). Par comparaison, cette surface est plus importante que la superficie de notre communauté de communes Creuse Grand Sud. Ce déclin du nombre d’exploitants et de leur outil de travail est une réalité presque invisible, mais c’est la vérité.
Que dire du projet du Marchedieu dans ce contexte ? Il occuperait une vingtaine d’hectares. C’est peu... ou immense, car cela représente environ 30 terrains de foot ! Ce plateau du Marchedieu est magnifique, plat, sans obstacles, ni haie, ni talus, ni partie humide. Il est aujourd’hui cultivé de prairie, luzerne, blé ou maïs. C’est une terre labourable à fort potentiel, une richesse pour la production agricole, une richesse de notre patrimoine, que bon nombre d’agriculteurs creusois rêveraient d’avoir sur leur exploitation ! Le secteur agricole n’est pas opposé à la transition énergétique, au contraire. Le photovoltaïque utilisé sur des toitures a justement permis la modernisation des exploitations par la construction de bâtiments modernes. En revanche, les installations de panneaux photovoltaïques au sol doivent être réservées à des terres non productives, des pentes, des friches industrielles, militaires, des parkings....
Nos dirigeants politiques ont d’ailleurs très tôt interdit ces installations sur des terres classées agricoles par une circulaire du 18 décembre 2009, signée du ministre de l’Écologie. La réglementation de ce type d’installation est également prévue par la loi du 12 juillet 2012, dite Grenelle 2. C’est une évidence, une terre couverte de panneaux, même qu’à 45 %, n’a plus sa capacité de production, plus la possibilité d’être labourée et semée. On nous demande de modifier la classification de ce terrain aujourd’hui classé A (agricole) pour le passer en zone N (naturelle : zone qui tend à préserver un caractère naturel à un site, donc qui préserve les sols agricoles et forestiers). Mais dans une zone N, par dérogation, des constructions « temporaires » ou « démontables » sont possibles ! Ce qui est le cas des panneaux photovoltaïques.
Ceux qui partagent mon point de vue ne sont pas contre le développement économique de notre territoire. Des projets de ce type bien situés ne nous posent aucun problème ! Le poste source EDF situé à proximité du projet est également très proche de la zone industrielle du Mont, environ à 800m. Pourquoi ne pas faire un projet collectif sur cette zone en utilisant toutes les toitures des bâtiments et tous les parkings pour faire des ombrières solaires ? De telles réalisations existent et n’ont aucun impact sur les espaces agricoles. Il y a vingt ans, voire seulement dix ans, personne ne pensait que l’on pourrait manquer d’eau en Creuse. Personne. De la même façon, dans dix ans, nous ne serons plus autosuffisants pour manger. Cette dépendance alimentaire (une de plus !) nous obligera à faire venir des produits, sans traçabilité, avec des transports multiples et donc un impact carbone très négatif. Où sera le bénéfice écologique ?
Ne tombons pas dans le panneau, faisons preuve de bon sens, ne sacrifions pas, au nom de la transition énergétique, des terres à fort potentiel agricole pour produire de l’électricité (et faire de l’argent). Préservons notre sécurité alimentaire et notre agriculture. Réservons ces installations à des zones adaptées, restons cohérents avec notre projet de territoire. Cette période de pandémie devrait être le moment de prioriser les choses indispensables à la vie.
Jacques Tournier1 Compte-rendu intégral du conseil communautaire du 28 juillet 2020 de Creuse Grand Sud : https://frama.link/9vyYePCG
C'est d'abord un très beau livre. Richement illustré, maquetté avec soin, sobre et distingué. Un "beau livre" pour Noël ? Oui, bien sûr. Mais pas seulement. Cet ouvrage est d'abord un voyage dans la France paysanne à la rencontre de 25 fermes qui, au-delà de leurs différences d'implantation, de production ou d'histoire, défendent toutes une conception de l'agriculture que les auteurs nomment "durable". De l'association Parlez Villages dans l'Aisne, où la fabrication du pain focalise toute une dynamique de réappropriation de son alimentation jusqu'à Thierry Filippi, producteur de fruits et confiturier dans le Loiret, c'est toute la palette de notre alimentation qui défile sous nos yeux, de la semence aux petits plats mijotés par Bernard et Dominique Charret dans leur restaurant de Larçay (Indre et Loire). On y découvrira aussi une "paysanne de la mer", pêcheuse et algocultrice du Finistère, un paludier, des éleveurs laitiers, des céréaliers, un viticulteur ou un artisan chocolatier. C'est dire que les paysans qu'ont rencontrés Frédéric Gana et Tifenn Hervouët sont aussi divers et succulents que les mets qu'ils nous permettent ensuite de mettre dans nos assiettes.
Le périple se termine en Limousin, sur le plateau, au GAEC Champs Libres, et dans les Monédières chez Raphaëlle de Seilhac, éleveuse d'agneaux, chez laquelle nos deux auteurs voyageurs ont décidé de poser leur baluchon : "C'est une nouvelle aventure qui commence pour nous, sédentaire et terrienne cette fois, alors que notre tour de France des producteurs s'achève (...) Nous vivons ces instants comme une continuité de notre chemin, heureux d'avoir été choisis et accueillis par un lieu plutôt que mus par notre seule volonté". Bref ce "tour de France de deux jeunes citadins" est en fait le début d'une nouvelle histoire. Ce livre, le spectacle que Tifenn Hervouët en a tiré (Les Souverains), n'auront été que des étapes dans un parcours qui se poursuit. "A l'avenir, expliquent les auteurs, nous souhaitons nous inscrire dans une réflexion sur le développement d'une alimentation de qualité en posant le nécessaire débat sur notre rapport au vivant". Pour cela ils ont créé l'association L'eau à la bouche, destinée à pratiquer et à promouvoir une gastronomie responsable.
Nous sommes à la fin du mois de janvier 2024. Depuis quelques jours, le monde agricole se révolte. De nombreuses autoroutes sont bloquées, des préfectures sont aspergées de fumier. Si les panneaux retournés par les FDSEA et les JA locaux indiquaient depuis quelques mois que « le monde marche sur la tête », les agriculteurs entendent passer à la vitesse supérieure. Depuis ces quelques jours, nous sommes quelques un.es à nous demander comment rejoindre ce mouvement. Avant que la Confédération Paysanne ne se positionne pour appeler à des blocages et des manifestations, nous avons voulu aller voir ce mouvement naissant d'un peu plus près, et le prendre au sérieux. Son étiquetage syndical ne nous satisfaisait pas, parce que derrière les manœuvres politiques de la FNSEA, les agriculteur.ices ont l'air bien bavards et sacrément en colère. Peut-être que les revendications de la base pourraient aller plus loin que les éléments de langage des délégués syndicaux. En tout cas on l'espère...Ce vendredi 26 janvier en fin d'après-midi, Gabriel Attal a prévu de faire des annonces visant à répondre aux revendications des agriculteur.ices. Ça sent la fin dès le début, nous avons peur de passer complètement à côté du mouvement. Nous nous retrouvons tôt dans la matinée et nous chargeons le coffre de la voiture : soupe, billigs et confitures. C'est parti pour le blocage d'autoroute le plus proche direction Limoges avec l'intention de faire une cantine sur place pour faciliter la discussion. Arrivé.es dans le nord de la banlieue commerciale, pas de tracteur en vue, juste du lisier, des pneus sur les ronds-points et une voiture de la gendarmerie qui bloque l'accès. Nous abandonnons le véhicule pour marcher jusqu'au blocage. Nous progressons sur une nationale déserte jusqu'à distinguer un énorme panache de fumée noire, nous sommes visiblement au bon endroit !
Nous finissons par rencontrer quelques agriculteurs, des hommes en grande majorité. Ils ont passé la nuit sur le blocage. Ils nous invitent à rejoindre le gros de la troupe un peu plus loin. Nous les suivons en regardant autour de nous, sidéré.es par la capacité de nuisances sur la circulation que permettent les machines agricoles. La bretelle d'autoroute ne ressemble plus à rien, un énorme tas de pneus brûle sur le rond-point et noircit les branches des peupliers décoratifs. Il n'y a pas grand monde. Nous sommes les seuls à ne pas être agriculteurs.Nous nous présentons comme des « soutiens du mouvement » venant faire à manger. Nous sommes bien accueillis. Un représentant FDSEA et un second agriculteur nous accompagnent pour aller chercher notre voiture et négocier notre passage avec les gendarmes. Les pourparlers ne durent pas longtemps, les flics sont conciliants, presque sympathiques, et nous avons même le privilège de serrer la pince du brigadier-chef. C'est déconcertant ! Les années Macron nous avait habitués à autre chose. Ça nous rappelle un peu le début des gilets jaunes.Nous rejoignons le blocage avec le matériel pour la cantine que nous installons sous un pont pour rester à l'abri de la pluie. Nous sommes sur l'autoroute A20. Elle est complètement désertée par les voitures qui la parcourent habituellement à 130km/h. Tout est interrompu, ça donne une sensation de fin du monde. Le long plateau accroché à un tracteur nous sert de grande table collective. On y trouve du pain, de la charcuterie, du pâté, du fromage. Nous démarrons nos brûleurs pour réchauffer la soupe. Si nous avons le droit de rester c'est bien grâce au délégué de la FDSEA qui nous l'a permis implicitement. Nous comprenons rapidement que beaucoup de choses passent par lui, même l'annonce du repas. Nous commençons à être de plus en plus nombreux sous le pont. Notre soupe est un peu boudée. Une femme d'agriculteur nous encourage et appelle tout le monde à venir la goûter. Les gens arrivent et on se fait oublier, et c'est le moment idéal pour commencer à rencontrer du monde. Nous prenons le temps de discuter pendant plusieurs heures entre la soupe et le café. Dans un premier temps, ce sont plutôt les rares agricultrices et les compagnes des agriculteurs qui discutent avec nous.
Ce qui ressort de nos discussions, c’est le sentiment général et partagé d’être étouffés par la charge de travail sur leurs exploitations, dépassant pour la plupart les 100 hectares. Un schéma revient régulièrement : pour s'en sortir, les agriculteurs diversifient leurs activités en dehors de la ferme (par exemple, en réalisant des prestations de moissonnage pour d'autres agriculteurs) et leurs compagnes, en plus de leur aide régulière aux activités de la ferme, ont un emploi salarié à l'extérieur de l'exploitation familiale.Échanger avec des compagnes d'agriculteurs nous rappelle que leur rôle dans la ferme est invisibilisé et non rémunéré mais nécessaire. Dans un contexte où les normes et contrôles s’accentuent et s’imposent, la gestion administrative quotidienne est souvent prise en charge par ces femmes. Elles nous témoignent aussi des amendes qui pleuvent régulièrement et qui viennent peser sur l'équilibre financier précaire des exploitations. Il en ressort un sentiment d'injustice pour ces agriculteurs qui ont l'impression d'être vulnérables face à de nombreux aléas (sanitaires, environnementaux, économiques) aussi bien que face à l'État qui se montre intransigeant.Autant de causes qui les poussent à penser que la reprise de leur ferme familiale est irréaliste et non souhaitable pour leurs enfants. Malgré l'amour de leur métier, nos interlocuteur.ices nous confient essayer de dissuader leurs enfants de continuer dans un secteur agricole plein d'incertitudes.
Notre point de blocage est organisé et tenu par la FNSEA et les JA (Jeunes Agriculteurs) de la Haute Vienne. De nombreux drapeaux et vestes à leur effigie peuplent le décor. Ces deux syndicats sont majoritaires dans les chambres d'agriculture à l'échelle nationale mais minoritaires à celle de la Haute-Vienne, aux mains de la Coordination Rurale. Pour les représentants syndicaux et les agriculteurs présents, pas de convergence envisageable sur cette mobilisation avec d'autres syndicats, notamment la Coordination Rurale, présente sur un barrage plus au Nord sur l'autoroute et qu'ils présentent comme peu fréquentable.Même si les agriculteurs présents ne se revendiquent pas frontalement de ces syndicats, les représentants chapotent le point de blocage. La discussion autour de la poursuite de la mobilisation est initiée par le représentant FNSEA et tout semble décidé à l'avance. Il explique que le blocage sera levé pour le week-end et la décision de poursuite du mouvement et de la montée éventuelle à Paris est déléguée au national. Ce qui ressemblait à un début d'AG ne sera finalement qu'un tour d'inscription pour un éventuel convoi pour Paris qui sera transmis au national à qui revient le pouvoir de décider de la poursuite du mouvement.Le point de blocage est aussi marqué par la présence de groupes de jeunes. Souvent, ce sont des enfants d'agriculteurs qui se lancent dans la tâche périlleuse de la reprise de l'exploitation. En revanche, difficile de les approcher et d'avoir des discussions avec eux, notamment avec nos micros. Ces derniers ne semblent pas pris au sérieux par leurs pairs car « ils ne savent pas bien s'exprimer ». Au-delà d'une condescendance bienveillante, nous y voyons là l'absence de travail politique de conscientisation et de formation au sein de leur syndicat qui pourrait leur donner la confiance de s'exprimer publiquement sur leurs propres conditions d'agriculteur. Le rôle du syndicat n'est pas de former et de réfléchir ensemble aux solutions qui les sortiraient de leur désœuvrement. Le syndicat est vécu comme une délégation d'une parole qu'ils et elles se sentent incapables de porter. « Ils sont là pour ça », autrement dit, pour dire à notre place. « Nous, la politique ce n’est pas notre truc », faisons confiance aux cadres. On nous indique que c'est à eux qu'il faut parler pour connaître « les revendications ».
À qui la faute ? Les agriculteurs le disent à demi-mot : ils subissent une double peine. Celle des normes sanitaires et environnementales contraignantes. Beaucoup d'entre eux se plaignent de l'imposition par l'Europe d'avoir à conserver 4% de leurs terres cultivables en jachère les mettant, dans leur cas précis, en difficulté pour produire assez de foins et nourrir leurs bêtes. Les impératifs écologiques pourraient conduire à encore augmenter cette surface, empirant ces difficultés. De l'autre, des produits en provenance d'autres pays inondent le marché sans être soumis aux mêmes normes que l'agriculture française. Comment concurrencer le blé ukrainien, les légumes espagnols ou la viande d'Amérique latine ? Ce dont les agriculteurs parlent sans le nommer, c'est la question du libre-échange qui les empêche de tirer un revenu digne de leur travail, car la concurrence leur impose de produire plus, à moindre coût. En plus, les écologistes y ajoutent leurs contraintes, risquant à leur tour de sonner la fin des paysans ! Cette double contrainte n'est pas tenable, mais les représentants syndicaux font bien le choix de ne citer qu'un seul volet du programme, celui qui sert les gros de l'agro-business. Ils disent « finalement, nous voulons bien jouer le jeu de la concurrence ! Pour ça, il faut éliminer les contraintes. S'il faut investir, construire des méga-bassines et des fermes usines, alors nous le ferons, et nous demandons à l'État d'arrêter de nous mettre des bâtons dans les roues, ou de la jachère dans les champs ! » Les colères des agriculteurs concernent des difficultés bien réelles qui sont dues à la libéralisation incessante des produits agricoles, cette même libéralisation que leur syndicat appelle de ses vœux. Pourtant, ces colères se mêlent aux voix des cadres du syndicat qui finissent d'enterrer le peu de perspectives que pourraient avoir les agriculteurs, désirant se protéger des lois du marché. La base du syndicat est prise en étau. Y'a-t-il une chance que les trahisons successives de la FNSEA finissent de briser leur syndrome de Stockholm ?Les annonces de Gabriel Attal ont confirmé l'intuition que nous avons eue cet après-midi sur l'A20. Toutes les annonces du Premier Ministre encouragent les gros à s'agrandir, et pour ceux qui ne tiendraient pas la concurrence, tant pis. Sous ce pont de l'A20, il n'y avait quasiment que des éleveurs bovins. Ces propositions ne permettront pas de sortir de la logique productiviste qui fait peser une charge de travail incompatible avec des conditions de vie plus dignes pour les éleveurs et leurs animaux.
Cette réalité d'un mouvement qui peine à déborder le cadre imposé par les représentants des syndicats, nous l'avons observée sur le point de blocage de Limoges. Mais de partout, nous sont parvenus des récits décrivant des convergences inattendues, des revendications partant des conditions vécues des agriculteurs et qui se sont traduits en actions visant les privilégiés du système agro-industriel.À Aubusson, les agriculteurs creusois s'en sont pris ensemble aux produits d'origine étrangère, indépendamment d'un appel syndical à se rassembler. Ils se sont décidés sur leur lieu de blocage à arrêter les camions frigorifiques et à examiner la provenance des marchandises.À Toulouse, le 16 janvier, aux premiers jours de la contestation, Phillipe Jougla, le président de la FRSEA a été hué par sa propre base syndicale, quand il a demandé que les agriculteurs rentrent chez eux calmement.Dans la région de Lyon, une amie d'IPNS nous a décrit l'ambiance d'une semaine de blocage du péage à Saint-Quentin-Fallavier en Isère, tenu par la Confédération Paysanne. Là-bas, l'heure était à la convergence entre agriculteurs, étudiants luttant pour sortir de la précarité alimentaire et travailleurs concernés par la justice sociale. Cette rencontre à partir du point de blocage s'est traduite par de véritables discussions et constructions d'actions qui ont visé ensuite des supermarchés et des centrales d'achat.Ensemble, depuis les lieux de luttes, les débats politiques abondent, les cibles se clarifient, le mouvement des agriculteurs s'organise depuis la base, et n'a plus peur des alliances. Au contraire, il les encourage.
L’épisode qui nous intéresse a commencé au début de l’été 2007. Stéphane Rozet habite à Saint-Vaury en Creuse. Il possède actuellement 1 Ha de terrain sur lequel il a planté quelques arbres fruitiers, un bâtiment et du matériel d’arboriculture. Diplômes en poche, son objectif est de s’installer progressivement en arboriculture afin de pouvoir à terme vivre pleinement de son activité agricole.
Sa situation est relativement classique, nombre de jeunes intéressés par l’agriculture sont aujourd’hui dans une démarche d’installation progressive. Faute de capitaux de départ, il s’agit de limiter l’investissement et de développer l’activité agricole petit à petit avec souvent, dans un premier temps, des compléments de revenus extérieurs. Mais le problème en agriculture reste de trouver des outils de production et plus particulièrement des terres cultivables. La chose n’est pas toujours aisée, loin de là. Que la pression foncière fasse monter les prix, on s’en était presque fait une raison, mais qu’un jeune en quête d’installation ne puisse même pas acheter au prix fort 3 Ha de terres médiocres sur un lot de 50 Ha… Cela devient particulièrement indigne ! C’est pourtant la mésaventure qui est arrivée à Stéphane.
Nous pourrions nous rassurer en nous disant qu’il existe un organisme semi-public, d’intérêt général, en charge de ces affaires de foncier : la SAFER (Société d’Aménagement Foncier et d’Etablissement Rural). Mais pour qui roule-t-elle exactement ?
Acte I : Le premier Comité Technique SAFER
Au début de l’été 2007, le domaine de Lorcivaud à Saint Vaury est en vente. Il s’agit d’un lot de terres d’une cinquantaine d’hectares qui touche le bâtiment et les terres de Stéphane. C’est une occasion rêvée pour conforter son installation par l’acquisition de quelques hectares supplémentaires. Sur un lot de 50 Ha, il devrait pouvoir négocier l’acquisition de 3 ha, de qualité moyenne, situés en bout de domaine. Le concurrent est un GAEC bovins-porcins, de taille déjà confortable, dont la situation est également contiguë au domaine de Lorcivaud. A défaut d’accord amiable entre les deux postulants, ce sera la SAFER qui tranchera pour les fameux 3 Ha. Le résultat du vote du comité technique de la SAFER (instance décisionnelle départementale) est sans appel et le refus des terres pour Stéphane est justifié… par la mauvaise qualité des terres. En résumé, lui laisser ces 3 Ha ne serait vraiment pas un cadeau à lui faire et malgré l’appui technique de GABLIM (Groupement des Agrobiologistes du Limousin) le projet n’est pas considéré comme «viable»…
En juillet, la réaction est citoyenne, une centaine de personnes se réunissent à Saint Vaury pour affirmer son soutien au projet de Stéphane et pour demander que la décision de la SAFER soit revue et corrigée. Les médias ayant relayé l’affaire, le dossier est sûrement considéré comme «délicat» puisqu’il passe d’instances en instances pendant tout l’été sans que d’autres décisions officielles ne soient prises. Pendant ce temps, Stéphane travaille et peaufine son projet en fonction de la «viabilité» et avec l’aide de GABLIM, il reconsidère sa demande. Finalement, il obtient une dérogation auprès du préfet pour refaire une demande de concurrence sur la totalité du domaine, étude technico-économique à l’appui.
Acte II : Le deuxième Comité Technique SAFER
Septembre, le Comité Technique SAFER Creuse se réunit de nouveau et étudie la situation du domaine de Lorcivaud. Il fut bien surprenant pour les participants, dont le représentant de la Confédération Paysanne, de ne pas entendre parler de la demande de Stéphane. Par contre la SAFER propose une solution sortie du chapeau : elle présente une promesse de vente du GAEC concurrent sur une parcelle de 5,8 Ha. Pris de cours devant une proposition qui semble honnête (et qui de toute façon est invérifiable à la table de réunion), le Comité Technique l’accepte à sa grande majorité. La proposition est faite à Stéphane qui refuse car les terres proposées n’appartiennent pas au domaine de Lorcivaud, elles sont distantes de 10 km (elles sont à l’autre bout de la commune), ce qui nécessite la construction d’un nouveau bâtiment (hors de prix).
Acte III : Le Conseil d’Administration SAFER
Traditionnellement, les décisions de la SAFER doivent être actées par les commissaires au gouvernement qui sont en Limousin le DRAF et le TPG (Trésorier Payeur Général). Face à leur perplexité, le dossier «Lorcivaud» passe alors en Conseil d’Administration de la SAFER (la plus importante instance décisionnelle régionale). En accord avec les officiels, le dossier doit être traité en fonction de 4 axes :
Celui-ci ne tarde pas à se réunir, la demande de Stéphane n’est toujours pas présentée mais une nouvelle solution miraculeuse et opportune est alors proposée. C’est par communiqué de presse qu’on apprend que la SAFER propose 14 Ha de bonnes terres du domaine de Lorcivaud avec accès à l’eau et tout le toutim. Sauf qu’après enquête sur place, seuls 2,5 Ha sont directement cultivables, le reste étant des landes et mouillères pas même exploitable pour le bois. Aucun chemin ne permet d’accéder à ces 14 Ha… qui ne sont par ailleurs pas regroupés. Quant à l’accès à l’eau, il y a bien des ruisseaux mais aucune assurance légale pour la construction d’une réserve collinaire. Enfin, ce lot est proposé pour la modique somme de 20 000 euros, auxquels il aurait fallu ajouter le prix de la construction d’une éventuelle réserve collinaire.
Ces arguments ont suffit à Stéphane pour refuser cette nouvelle et dernière offre, non sans se justifier auprès des personnes concernées. Une nouvelle mobilisation citoyenne et associative devant le siège de la SAFER en Haute-Vienne ne changera rien et malheureusement l’affaire se terminera sur cette fausse note, laissant en suspens de multiples questions, notamment par rapport aux motivations réelles de la SAFER dans cette histoire.
Le résultat n’est absolument pas satisfaisant, et particulièrement pour Stéphane qui aura pourtant su regrouper beaucoup de gens autour de lui et porter le dossier devant les plus hautes autorités. Beaucoup de questions semblent sans réponse et il est tentant d’essayer des interprétations car il est difficile de croire que la SAFER a vraiment mis de la bonne volonté pour « régler » ce conflit de manière neutre, telle que ses missions théoriques le prescrivent.
Ne faut-il pas chercher une explication sur la parcelle cadastrée AV4, qui fait partie des 3 Ha demandés initialement par Stéphane et sur laquelle se trouve un étang ? Selon certaines sources, il peut sembler crédible qu’un simple point d’eau ait pu envenimer la situation de la sorte. Il faut préciser, pour mieux comprendre les enjeux, que le GAEC concurrent est principalement producteur de porcins. Une telle production nécessite une certaine surface, ne serait-ce que pour l’épandage de lisier. Or, une nouvelle loi a défrayée la chronique ces derniers temps, interdisant l’épandage des lisiers à moins de 500 mètres des étangs classés d’intérêt piscicoles (*). Cela représente concrètement une superficie de 78,5 ha. Le risque pour le GAEC était donc de voir cet étang obtenir ce classement et de fait, de ne plus pouvoir épandre son lisier sur toutes les parcelles avoisinantes. L’argument s’entend parfaitement mais Stéphane avait dit, redit et re-redit qu’il n’avait aucunement l’intention de changer la classification de cet étang.
Dans cette histoire, chacun semble en avoir fait une affaire personnelle, les membres du GAEC se sentant probablement entravés et attaqués dans leur projet d’agrandissement, et Stéphane privé d’une opportunité de vivre son métier et sa passion. Le résultat est en tous cas parfaitement regrettable et aurait sûrement nécessité un arbitre digne de ce titre.
Conscient que la SAFER soit un outil indispensable au contrôle et à la maîtrise des transactions foncières, son rôle dans cette histoire aura pourtant été parfaitement obscur. Pourquoi n’a-t-elle pas soumis au vote les différents projets présentés par Stéphane ? Pourquoi n’a-t-elle pas fait de propositions réellement concertées (elle n’est jamais venue négocier avec Stéphane) ? Quid de la politique nationale en matière d’installation, de la sauvegarde des exploitations agricoles à taille humaine, de tous les discours partagés pourtant par le Conseil Régional, la DRAF, la DDA de la Creuse, la SAFER et même tous les syndicats agricoles… Le rouleau compresseur est en marche et sera difficile à arrêter. Le sujet dépasse pourtant les seuls enjeux agricolo-agricoles car il s’agit directement de la vitalité de nos campagnes en terme de tissu social, de gestion des paysages et d’alimentation locale.
Au fil des ans, depuis 1970, on assiste à un recul permanent des ressources alimentaires en Limousin. Les chiffres sont affolants. Le Limousin terre agricole par tradition est devenu une région de totale dépendance alimentaire, cela se résume en un chiffre : la souveraineté alimentaire du Limousin n'est aujourd'hui que de 10%. Dit autrement, seuls 10% des produits alimentaires consommés dans notre Région y ont été produits et transformés, c'est donc 90% de notre alimentation qui est importée d'autres régions ou d'autres pays (voir IPNS n°14). La culture légumière a été quasiment abandonnée (la surface cultivée a été divisée par 25 en Limousin, elle couvre aujourd'hui 23% des besoins , les légumes frais 8%, les œufs 24%, la culture du blé dur 0%...) La production de volaille, de porcins qui dans les années 70 alimentait chaque maison limousine, s'est transformée pour l'essentiel en un élevage intensif hors-sol. Paradoxalement les effectifs de la production hors sol censés nourrir le monde entier ont chuté pour toutes les productions spécialisées hors bovin et ne peuvent répondre aux besoins de la population limousine ! La filière porcine a divisé par 2,2 son cheptel. La filière avicole quant à elle s'est totalement effondrée.
Il existe trois explications majeures à cette situation Il y a tout d'abord l'inadéquation de la production agricole par rapport aux besoins alimentaires standards de la population. La Politique agricole commune voulue par l'Europe et, ici, appuyée par la Chambre agricole et la FNSEA, a spécialisé la production du Limousin sur trois secteurs (bovins, ovins, pommes golden pour l'essentiel) abandonnant la production maraîchère et alimentaire aux seuls aléas du "Marché".
Il y a aussi la présence insuffisante des filières de transformation dans la Région. Le tissu artisanal ou industriel de la transformation agroalimentaire est très insuffisant, aujourd'hui de nombreuses productions agricoles quittent donc la région pour approvisionner des ateliers et des usines qui sont situés ailleurs. La fermeture des abattoirs de proximité aggrave la situation, obligeant les agriculteurs à rejoindre les filières de la grande industrie de l'agroalimentaire (sur la question des abattoirs, voir dans ce numéro d'IPNS, page 14). Il y a enfin l'emprise forte de la grande distribution. Tous les produits vendus en grande surface sont fournis par leurs centrales d'achat qui n'attachent aucune importance particulière au caractère local des produits proposés dans leurs magasins. Seul acheter " le moins cher possible " les guide, n'hésitant pas à mettre en concurrence la production d'une région contre une autre pour faire chuter les prix. Cette situation n'est pas propre au Limousin, mais reflète à l'échelle nationale une " exception " bien française : l'omniprésence de la grande distribution. Le résumé tient en deux chiffres : 5 centrales d'achat seulement se partagent 90% du commerce de détail en France. Il est impossible aux secteurs agricole et agroalimentaire d'échapper, directement ou indirectement, à l'emprise de la grande distribution : c'est elle qui fixe les règles du jeu. La taille gigantesque des centrales d'achat et leur connivence quant aux pratiques commerciales (derrière une concurrence de façade) mettent n'importe quel fournisseur dans une situation de soumission face au seul critère qui compte à leurs yeux : le prix, même si, bien souvent, c'est au détriment de la qualité (voir les légumes : tomates sans goût, salades d'un jour, ou viande ionisée d'Argentine ou du Brésil). Les productions limousines ne font pas exception à la règle : seules les plus concurrentielles sont encore présentes, spécialisées et concentrées sur quelques produits agricoles ou agroalimentaires… qui seront alors diffusées dans toute la France, voire à l'exportation.
Les possibilités de distribution en dehors du circuit de la grande distribution sont marginales, et c'est encore plus vrai en Limousin, car les surfaces commerciales par habitant en hyper- et supermarchés sont près de deux fois supérieures à la moyenne nationale.
En quoi cette situation de faible autonomie alimentaire pose-t-elle problème ? Cette mécanique économique permet de pouvoir vendre et exporter les productions phares du Limousin que sont bovins, pommes et ovins : c'est une conséquence logique d'un fonctionnement en économie ouverte de marché, chaque partenaire territorial se connectant aux autres dans une dynamique d'interdépendance, valorisant ses points forts et profitant en retour de ceux des autres. Ce mode de raisonnement est aujourd'hui généralisé par les tenants de l'économie de marché. Je voudrais en souligner les conséquences négatives en matière environnementale, sociale ou économique.
Ce qui était le cri d'un petit nombre il y a quelques années encore, après le "Grenelle de l'environnement" est admis par tous : du fait de l'activité humaine on va vers un réchauffement climatique dont personne ne peut prévoir le niveau de déréglementation. Une telle situation va réclamer la mise en oeuvre rapide d'actions d'une ampleur inédite. Or faire circuler 90% de nos besoins alimentaires sur souvent des milliers de kilomètres, faire transporter sur ces mêmes distances des produits agricoles pour les transformer (un pot de yaourt parcourt environ 2500 km avant d'arriver dans le rayon de l'hypermarché), est un non sens écologique. C'est une des sources importantes de l'émission des gaz à effet de serre. L'ère des déplacements bon marché, faciles, rapides et sans limites est appelée à prendre fin. De plus, l'agriculture, sous sa forme intensive : mécanisation, engrais, culture hors sol est devenue un secteur dépendant des ressources pétrolières. La politique agricole actuelle, en plus d'être particulièrement énergivore, est grande consommatrice d'intrants agrochimiques particulièrement nocifs pour l'environnement Une catastrophe sociale L'Union Européenne a pris en compte depuis longtemps l'ouverture des marchés, et sa mise en oeuvre en matière agricole, la PAC (Politique Agricole Commune) a provoqué des résultats contradictoires. Elle a renforcé la logique concurrentielle poussant à la spécialisation sur quelques productions et à une productivité agricole à marche forcée. A l'échelle du Limousin, (les éléments présentés plus haut en témoignent) la filière bovine et la filière pomme sont devenues des références de niveau européen en terme de qualité et de notoriété, mais au prix d'une hyper-spécialisation réalisée au détriment des autres productions et du maintien de la souveraineté alimentaire.
Mais c'est aussi un immense gâchis social !
Cette agriculture intensive a provoqué un laminage spectaculaire des emplois dans le secteur agricole. C'est vrai au niveau national, cela est vrai en Limousin : toutes exploitations confondues, entre 1970 et 2003, 29 300 exploitants ont jeté l'éponge. Ainsi 2,5 exploitations mettent la clef sous la porte chaque jour depuis maintenant près de 32 ans, soit 60 % des exploitations. 74 600 actifs sur exploitation étaient dénombrés lors du recensement de 1970 pour seulement 25 800 en l'année 2000. Ainsi 48 800 emplois agricoles directs ont été perdus sur le Limousin Demain une nouvelle catastrophe économique La prochaine étape est l'ouverture des marchés mondiaux voulue par l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce ). Cela va encore accentuer l'impact de cette carte truquée "du marché libre et non faussé": les filières exportatrices vont se trouver en concurrence avec la pomme Golden de Chine et les bovins et ovins du Limousin en concurrence avec les grands troupeaux d'Amérique su Sud. Mais au grand jeu des avantages comparatifs dont dispose chacun des concurrents, le Limousin part perdant s'il joue dans la cour mondiale, puisqu'il ne dispose pas d'une carte aujourd'hui maîtresse, celle du dumping social.
D'autre part, les orientations actuelles du gouvernement au nom de la défense "du panier de la ménagère" vont aggraver la main mise de la grande distribution leur permettant de fixer leurs prix et d'avoir les mains totalement libres pour choisir les lieux et les méthodes de production. De même chaque fois qu'un maire autorise ou se bat pour implanter une grande surface sur sa commune (comme c'est le cas à Limoges et à Tulle) c'est un coup de plus porté à l 'agriculture et aux industries de transformations locales. L'autre manière de répondre à ces menaces est de prendre le contre-pied de cette course en avant dévastatrice.
Consommer une alimentation achetée ou transformée au plus près de son lieu de production est une simple règle de bon sens mais aussi une priorité vis-à-vis de la problématique du réchauffement climatique.
La reconstitution du système agro-alimentaire d'une région est un pari très compliqué qui devrait être l'objectif n°1 des chambres d'agriculture et des élus régionaux, car cela devra mettre en oeuvre une multitude d'outils de production (maraîchage, arboriculture, pisciculture, apiculture, aviculture, polyculture, élevage...) couplés à une dynamique d'actions dans des domaines aussi complémentaires que la transformation, la commercialisation, la formation et la recherche.
Relancer, ou relocaliser une partie de la production agricole, et de la transformation des produits, revoir le système de commercialisation, cela demande une volonté politique forte mais c'est pourtant la seule réponse qui existe aux problèmes que je viens de soulever et qui sont devant nous.
De plus cette démarche est créatrice d'emplois à l'opposé de la l'agriculture intensive et spécialisée actuelle.
La culture bio, La culture maraîchère, les ateliers de transformation demandent des agriculteurs, des ouvriers, des techniciens. Une étude faite dans le cadre du Schéma d'aménagement de la Région par un atelier du Forum Social Limousin et transmise au Conseil Régional, avait montré que des milliers d'emplois pouvaient être créés dans cette démarche (par exemple le GAEC "Champs libres" à St-Julien-e-Petit a transformé une ferme spécialisée en élevage bovin sur environ 40 ha en une ferme de maraîchage : les emplois sont passés de 1 à 7). Ce qui est un exemple devrait pouvoir se multiplier à condition de bien aborder les trois facteurs : production, transformation, commercialisation.
En attendant cette prise de conscience des décideurs, toutes les initiatives, les actions, comme le développement de la culture bio ou de la culture paysanne, les AMAP (Aide au Maintien de l'Agriculture Paysanne), les coopératives de production ou de transformation, les ventes directes sont autant de germes pour l'avenir.
Mai 1752 : la paroisse de Saint-Hilaire-les-Courbes était en émoi. Ou plutôt son curé, l’abbé Salaignac. Ce dernier voulait rentabiliser la place de l’église. Pour cela, il en fit murer une partie censée devenir une chènevière, nom qui désignait un champ de chanvre. On allait donc semer là des « chènevis », les graines de la plante.
Des tiges du chanvre, on tirait la filasse, on appelait cette technique : carder, comme pour la laine. Tout le monde ou presque dans les campagnes savait carder, avec une sorte d’énorme peigne métallique, ou même à la main. Avec les fils ainsi obtenus, on fabriquait la plupart des vêtements, les draps, des sacs, et des cordes. Si le curé avait choisi de sacrifier une partie de son parvis, il devait bien y avoir une augmentation des besoins.
Ce que ne nous dit pas le texte concerne une autre utilisation. On gardait une partie des graines pour les faire griller, comme le café, dans une poêle, puis on les mangeait. Vous comprendrez pourquoi quand vous connaîtrez le nom latin de la plante : cannabis sativa. Les gens de Saint-Hilaire – et d’ailleurs – avaient donc découvert les vertus du cannabis thérapeutique, bien avant certains. Car il ne fait aucun doute que ces graines soignaient bien des maux. Cette année-là, les braves gens n’étaient pas au bout de leurs surprises. Durant les travaux, il fallut déplacer deux croix. En creusant, on trouva quantité de tombes, dont « sept à huit servaient de fondement aux croix ». Les pierres servirent pour les murs.
On s’aperçut aussi qu’il y avait là des crânes et un …cadavre ! Ce qui dénotait – dit le curé – « qu’anciennement sétait le cimetière ». De temps immémoriaux sans doute, puisque tout le monde l’avait oublié. Mais le « cadavre », était-il là depuis longtemps lui aussi ?
Depuis plusieurs années le GMHL (groupement mammologique et herpétologique du Limousin) organise des conférences pour aider les différents acteurs du territoire à anticiper le retour du loup gris. Son animateur, Julien Jemin, a eu du mérite pour mener les débats de façon non polémique en respectant tous les présents et tous les points de vue. Aux agriculteurs qui lui jetaient « on ne veut pas de votre loup », il expliquait que le loup n’appartient à personne et ne demande aucune autorisation pour venir dans nos contrées. Plusieurs attaques ont eu lieu sur des troupeaux ovins en décembre et janvier à Pérols-sur-Vézère, Féniers, Gentioux. Chargé de les authentifier, l’OFB (Office français de la biodiversité qui réunit l’Agence française de la biodiversité et l’Office national de la chasse et de la faune sauvage) a prudemment affirmé que « la responsabilité du loup n’est pas écartée ». Des attaques qui confirment les déclarations de Marie Abel, chargée de la cellule loup au GMHL : « Le Limousin est un bon corridor pour les individus seuls, mais il n’y a pas de fixation pour l’instant. » Autrement dit : pas de meutes.
Ces attaques ont suscité la colère des représentants agricoles. Des réunions ont eu lieu dans les 3 préfectures du Limousin dont ils n’ont pas été satisfaits car ils n’ont pas obtenu le classement des départements en « zone difficilement protégeable » (ZDP) qui leur aurait permis de pratiquer des tirs de défense et de prélèvement. Néanmoins, chaque préfecture a classé en « cercle 3 » (zones éligibles aux mesures de protection des élevages face au loup) la totalité de son département. Ce qui permet de subventionner des moyens de protection (clôtures et parcs électrifiés), l’achat de chiens et des accompagnements techniques. Les communes qui ont subi des attaques ont même été classées en « cercle 2 » (financement renforcé). Les 3 chambres d’agriculture réclament cependant le classement en ZDP et leurs présidents ont même écrit au Président de la République pour cela !
La Confédération paysanne du Limousin exprime une position plus nuancée. Si elle salue comme « une première avancée » le classement en cercles 3 et 2, elle rappelle que « ce sont les éleveurs qui sont menacés par la présence du loup et non l’inverse » : « Les éleveurs, obligés de modifier leurs pratiques et d’investir dans des moyens de protection n’ont pas à gérer les effectifs des espèces protégées ni à protéger les promeneurs, touristes ou animaux de compagnie face aux mesures de protection des troupeaux. La mise en place rapide du Plan national loup sur l’ensemble du Limousin est urgente et indispensable. C’est à l’État et aux collectivités territoriales de mettre en œuvre toutes les mesures de régulation, d’indemnisation et de protection nécessaires pour préserver l’élevage paysan. »
Quant à la Coordination rurale, elle se distingue par ses positions extrémistes : « En Haute-Vienne, nous avons du plomb et du poison et nous régulerons par nous-mêmes. » Son représentant creusois a été encore plus explicite : « On invite les agriculteurs à prendre leur fusil de chasse et à tirer le loup sans rien dire. Il faut faire cela discrètement pour faire disparaître les cadavres. La Coordination rurale remboursera le plomb et le sac de chaux. » Des propos qui ont déclenché un dépôt de plainte de trois associations de défense animale.
Le GMHL pense qu’il ne faut pas se laisser aveugler par ce genre de positions et que beaucoup d’éleveurs sont prêts, avec l’aide des pouvoirs publics, des associations et des scientifiques, à adopter des mesures de protection des troupeaux pour poursuivre leur activité en sécurité. Le GMHL défend la place du loup gris en Limousin mais aussi le maintien d’un élevage ovin extensif participant tant au maintien de la biodiversité qu’à la possibilité de vivre et travailler sur le territoire. Il reconnaît également le droit des éleveurs à défendre leurs troupeaux (tirs de défense par exemple). Il préconise l’utilisation du triptyque classique : gardiennage, chiens et regroupement nocturne et recommande d’en adapter les règles aux spécificités du Limousin. Si le GMHL est opposé à la création d’une ZDP et aux tirs de prélèvement, il mise sur un travail de médiation et d’accompagnement auprès des éleveurs pour trouver des solutions concrètes en collaboration avec des associations telles l’association pastorale de la Montagne limousine ou l’association corrézienne des utilisateurs de chiens. Certaines pratiques d’élevage devront forcément évoluer. Ainsi, un éleveur qui a l’habitude de ne visiter qu’une fois par semaine un troupeau éloigné de 30 km de son domicile, devra, avec la présence du loup, abandonner cette pratique. Cela pose aussi des questions plus larges concernant le foncier, la structuration des exploitations et la course à l’agrandissement.
C'est la proximité de vie qui les rapproche, avant le métier. Elles souhaitent démontrer que l'image donnée de soi est avant tout celle que l'on se construit. Elles sont parfois atterrées par des articles qui circulent et donnent un relief peu flatteur et passéiste de notre département.
Elles revendiquent le fait que l'on puisse choisir de vivre en Creuse.
Pour trouver sa place au sein de la vie de ce département, il faut rompre avec son isolement, se mettre à l'écoute des besoins, faire preuve d'initiatives et ne pas avoir peur d'ouvrir quelques portes pour donner un écho favorable à ses projets. Il y a toujours un interlocuteur quelque part si on exprime une volonté forte de donner des ailes à ses idées.
Ce groupe de femmes essaie d'appliquer cette philosophie depuis longtemps, elles ont bénéficié de formations innovantes pour mieux appréhender leur territoire, le patrimoine local, les réalités sociologiques.
Fortes de ces nouvelles connaissances, elles ont décidé de les faire partager à tous, tout en évoquant leur parcours de vie de femmes aujourd'hui en Creuse.
Elles ne sont ni artistes, ni journalistes encore moins écrivains, plus simplement agricultrices ou rurales impliquées dans le tissu associatif. Ce qui leur parait primordial est d'exprimer elles-mêmes leur ressenti, elles ont choisi la photographie et l'écriture comme modes d'expression.
Pour donner vie à leur projet, elles ont fait appel une nouvelle fois à de la formation en ouvrant deux ateliers encadrés par des professionnels de l'écriture et de la photographie.
Ces deux ateliers se sont réunis régulièrement pendant le premier semestre 2006. Elles ont sillonné la campagne, armées de leurs appareils photographiques. Les petites choses du quotidien sont devenues source d'inspiration, de réflexion. Elles ont appris à poser un regard à proximité et à distance sur leur environnement. Cette quête photographique d'amatrices a fait l'objet de nombreuses réunions, rencontres diverses sur le terrain puis en salle.
Il a fallu se mettre d'accord et choisir une cinquantaine de photographies pour illustrer cette campagne creusoise où cohabitent harmonieusement tradition et modernité. C'est toute leur sensibilité qui s'exprime au travers d'une exposition photographique inaugurée en juillet à Chambon sur Voueize et qui circule maintenant dans le département. Leur travail a été parrainé par Michelle André, vice-présidente du Sénat qui a souhaité mettre en avant cette initiative qu'elle voudrait reproductible dans d'autres départements français. Ce vernissage a réuni 250 invités et a été particulièrement apprécié.
La présentation photographique était illustrée par une lecture publique de textes écrits par les femmes qui ont du surmonter leur appréhension pour s'exprimer en public devant un parterre d'invités, exercice nouveau pour elles. De nombreux partenaires qui ont soutenu le projet étaient présents : le programme européen LEADER+, le Conseil régional, le Conseil général, la MSA du Limousin, la délégation aux droits des femmes et à l'égalité, la direction départementale de Jeunesse et sports, la chambre d'agriculture.
Cette exposition d'amatrices rencontre un bel intérêt de la part du public, plusieurs bibliothèques, offices de tourisme l'ont déjà accueillie, elle est à la disposition gratuite de tout collectif qui en ferait la demande au GRAF de Combraille ( Contact : 05 55 82 38 37).
Cette première action de communication sera bientôt complétée par l'édition d'un recueil sur lequel s'active désormais ce groupe de femmes. Elles souhaitent rassembler les écrits réalisés dans le cadre de l'atelier d'écriture et quelques photographies dans un document qui sera proposé au public au cours de l'année 2007. Elles insisteront sur leur place de femmes dans la société creusoise.
Elles rappellent que leur contribution est modeste, elle n'est pas l'affaire de professionnelles de l'écriture. C'est un bout d'itinéraire que vous partagerez avec elles, ce travail est avant tout un espace de solidarité qu'elles ont crée entre elles et qui les nourrit. Puissent-elles nous interpeller aussi et donner envie à d'autres de s'exprimer !
Nous sommes un petit groupe d’habitant·es de lieux en lutte, paysan·es, chercheur·euses, militant·es, proches de la revue d’écologie politique Terrestres1, aspirant à donner sens et forme à ce que l’on appelle des reprises de terres.
Notre exploration commune émerge d’un constat fondamental : la déliquescence accélérée du foncier agricole et naturel en France. Durant la prochaine décennie, c’est la moitié des agriculteurs français qui vont partir à la retraite, laissant un tiers des terres agricoles à un sort incertain. Les usages qui seront faits de ces terres et les soins qui y seront apportés façonneront fortement le paysage socio-politique et écologique des décennies à venir. L’enjeu qui se profile alors est le suivant : Comment inventer des tactiques foncières, politiques et juridiques pour contrer l’accaparement des terres par le productivisme et organiser la vie autour de communs qui prennent en compte tous les êtres qui habitent un lieu ?
Pour répondre à ce casse-tête, nous nous sommes mis·es au travail : depuis juin 2019, nous avons commencé un travail d’enquêtes participantes. Ces enquêtes partent d’exemples concrets de reprises de terres ou de dispositifs pour les protéger (luttes institutionnelles, occupations, achats collectifs, installations paysannes). Elles ont d’une part un rôle éducatif, en permettant de mieux comprendre le fonctionnement des institutions et des organismes en charge de la gestion foncière en France et d’interroger la diversité des milieux concernés et leurs enjeux écologiques propres. D’autre part elles répondent à un besoin stratégique : elles outillent dans le but de cerner l’évolution de l’accaparement des terres par et pour le productivisme, ainsi que les moyens à déployer pour y faire face.
Nos enquêtes s’élaborent autour de trois axes principaux :
Cette série d’enquêtes-action est le préalable à l’organisation de rencontres nationales qui se tiendront à la Zad de Notre-Dame-des-Landes du 20 au 24 août 2021. Ces cinq jours seront rythmés par des plénières, des ateliers participatifs, des sessions de travail, des formations, la restitution de certaines enquêtes en cours ainsi que d’autres moments de partage.
Inspiré-es par la pensée de l’éducation populaire, nous nous attachons tout particulièrement à élaborer des formats d’ateliers qui faciliteront l’émulation collective, plutôt que des séminaires descendants et non-inclusifs. Nous entendons ainsi créer un espace privilégié de transmission et d’élaboration d’une culture commune autour du foncier, pour faciliter à long terme la réappropriation de terres par des collectifs (au sens large) qui désirent en prendre soin.
Notre intention est également de mettre en résonance différents horizons, regards, savoirs, pratiques, sensibilités et cultures politiques. Il s’agit ainsi de contribuer à la construction de fronts et de modes d’attentions communs en déstabilisant des catégories, en dénouant des oppositions souvent trop binaires et figées, et concevoir plutôt des complémentarités tactiques et stratégiques.
Les dynamiques en cours sur le plateau de Millevaches entrent en résonnance de façon singulière avec nos réflexions, à l’interface entre la réappropriation des communs, l’enjeu de préserver les fermes paysannes et la protection des milieux vivants.
Depuis le lancement de nos enquêtes, plusieurs d’entres nous se sont joint-es aux travaux et aux projets en cours dans différents groupes du Syndicat de la Montagne limousine. Nous pensons qu’il existe de nombreux points de rencontre et d’accroche entre notre parcours collectif de groupe d’enquêtes et les questionnements et mises en application locales, notamment – mais pas que – ceux émergeant au sein du Syndicat. De fait, ce qui se vit et s’expérimente ici, croise déjà nos cheminements, qu’il ne manque pas d’enrichir, tout comme il affine notre lecture des enjeux écologiques et politiques.
Enquêter sur les fonds de dotation et autres structures juridiques permettant d’acquérir collectivement du foncier agricole ou forestier ; s’embarquer dans une réflexion stratégique sur l’installation de nouveaux paysans et la reprise des fermes ; penser les coopérations possibles entre luttes pour le droit au logement et le droit à la terre ; participer à l’investigation sur la réappropriation des communs (communaux, sectionnaux) et la reconnaissance de nouveaux droits coutumiers ; se réapproprier l’idée de « bassin versant » pour penser les enjeux écologiques propres à un territoire, depuis les sources d’une rivière jusqu’aux confluences avec d’autres cours d’eau2 ; découvrir des modes de conservation basées sur les communautés habitant-es (par opposition aux outils de protection institutionnels) et affûter notre regard sur l’idée de “libre évolution”.
Nous serons présent·es sur le plateau de Millevaches du 11 au 14 juin 2021, afin de finir la préparation de nos rencontres de l’été. Mais il n’est pas question de passer par là sans venir à votre rencontre ! Nous serions ravi·es d’avoir un temps consacré avec le Syndicat de la Montagne limousine, à l’issue de sa plénière mensuelle, à Gentioux le vendredi 11 juin 2021. Nous serons aussi pour partie à la plénière de fin de la fête du bassin versant de la Vienne le samedi 12 juin 2021 après-midi à Nedde. C’est avec plaisir que nous vous croiserons lors de notre passage dans le coin ! Si vous souhaitez prendre contact avec nous, il est possible de nous écrire un mail à l’adresse suivante : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Le vendredi 30 avril 2004 les agriculteurs creusois étaient nombreux à se rassembler à Gioux au village de Teiffoux. Ils répondaient à l'invitation de MC PORC (Coopérative des producteurs de porcs du grand Massif Central et de Rhône-Alpes) pour une journée portes ouvertes sur l'installation porcine du GAEC de Pierre Pointe (Composé du couple Bonifas et d'un salarié). A partir de quelques schémas, de vidéos et d'un circuit plongeant sur les bâtiments que l'on ne visitait pas, le but de l'opération était de démontrer les performances de l'exploitation. Les chiffres présentaient davantage les coûts d'investissement que les résultats financiers ! En première page l'historique de l'exploitation ne manquait pas de surprendre. En 1990 M Bonifas reprend l'exploitation de son beau père avec 47 Ha, 80 brebis et 23 vaches allaitantes. En 2004 le Gaec de Pierre Pointe c'est 220 Ha, 100 vaches allaitantes et un atelier porcs naisseur-engraisseur avec 120 truies, pour trois travailleurs.
Après l'installation de l'atelier naisseur "plein air" en 1999 pour 100 truies, le Gaec sollicitait en 2001 l'installation d'un atelier d'engraissement complémentaire. Une enquête publique est alors diligentée et donne lieu à une réunion d'information à la mairie de Gioux. A quelques exceptions près, les participants, agriculteurs, citoyens et riverains, démontraient l'aberration du projet. Il obtenait toutefois l'autorisation préfectorale malgré toute la fragilité de son argumentaire économique. Sans compter le danger pour l'environnement, bien que sur litière paille et sciure de bois. Il a donné lieu à un vote négatif du conseil municipal de Felletin soucieux de préserver la qualité de ses captages proches de la porcherie.
En 2004, les bâtiments terminés on est rendu à 120 truies ! Une belle illustration de la triste constatation "il n'y a pas trop d'éleveurs de porcs, mais trop de porcs dans certains élevages" . A combien sera-t-on en 2006 ? Le Gaec deTeiffoux est situé sur le périmètre du PNR de Millevaches, dont la charte s'est donnée pour objectifs d'accueillir de nouveaux agriculteurs et de les encourager à une production porcine de terroir ! Avec cet agrandissement en douceur, on mesure toute la fragilité de la charte du PNR. Elle n'est pas suffisamment claire sur ses objectifs (1 ). Tout est laissé à la trop libre interprétation des industriels de la filière porcine, même et peut-être plus encore quand ceux-ci revendiquent une démarche de qualité pour "un cochon bien élevé".
Sournoisement mais sûrement les 4 centrales d'achat et les 4 salaisoniers qui font la loi sur le marché porcin français transfèrent le "modèle breton" vers les terres du Massif central et du Limousin. On connaît trop bien ses dégâts en matière d'environnement, de pollution des eaux, de bien-être animal, etc. et surtout d'éliminations d'éleveurs : 5 % par an depuis les années 1990 en Bretagne ! Et comme ils ne manquent pas de sel, ils présentent leur pénétration insidieuse dans l'espace vert du Massif central comme une "alternative au modèle breton".
Une preuve supplémentaire de ce harcèlement des industriels de la filière porcine nous est fournie par l'ADESE (Association de Défense Environnementale, Sociale et Economique de Saint Hilaire les Courbes en Corrèze, Viam et des Environs). Le 4 mai 2004 était le jour de clôture d'une enquête publique pour l'installation d'une nouvelle porcherie naisseur-engraisseur de pJus de 100 _ truies sur la commune de St Hilaire. Voyons, juste quatorze jours avant la promulgation du décret fixant la création du PNR de Millevaches ! Et on voudrait nous faire croire qu'il n'y a pas connivence entre tous les promoteurs de la filière porcine, y compris malheureusement les agriculteurs piégés par les organisations professionnelles dominantes, pour imposer les normes de la charte Porlim sur le périmètre du PNR ! Avec cette nouvelle installation, St Hilaire les Courbes deviendra la commune limousine la plus "encochonaillée".
Avec quatre élevages porcins dont trois porcheries industrielles, elle s'engage allègrement sur le chemin de sa vassalité bretonne. Et pour achever d'exterminer les éleveurs bretons, puis limousins, nos bons salaisonniers industriels, acoquinés sinon frères jumeaux de la grande distribution, poursuivront leurs importations de viande de porcs en provenance du Brésil et de la Chine.
A la réunion de Gioux en 2001 les professionnels de la filière porcine estimaient le prix de revient du kilo de porc à 1,22 Euro à la production. Aujourd'hui l'estimation tourne autour de 1,35 Euro. Or depuis le mois de novembre 2003 le cycle du porc est entré dans une énième crise. De novembre 2003 à ce jour le prix du kilo de porc payé à l'agriculteur au marché oscille entre 0,85 et 1 Euro. Les spécialistes annoncent déjà une prolongation en profondeur de cette crise en France et en Europe. La consommation de viande de porc stagne après la croissance de la période de la vache folle. On est en surproduction et les lobbies industriels du porc font pression sur l'Espagne et la Pologne où les coûts de production sont moins élevés pour développer de nouvelles formes de concentration. Une firme nord-américaine a racheté une vingtaine d'anciennes fermes d'Etat en Pologne pour produire plusieurs centaines de milliers de porcs, à des prix défiant toute concurrence, même espagnole. Avec des dégâts environnementaux alarmants elle élimine petits abattoirs, petits producteurs et marchés locaux. Et pour comble, avec les soutiens financiers de la BERD (la banque européenne pour la reconstruction et le développement) !
L'association Carpelle a réimprimé Sans fumier !
Manuel de maraîchage biologique sans intrant d'élevage pour un futur soutenable. Il s'agit de la traduction de l'ouvrage de référence Growing green, de Iain Tolhurst et Jenny Hall, réalisée par des personnes militantes bénévoles basées un peu partout en France, et notamment dans le Lot.
L’un des grands défis de l’agriculture contemporaine est sa dépendance à des apports extérieurs pour maintenir la fertilité des sols. Rompre avec cette dépendance, c’est déjà construire une agriculture soutenable. Comment abandonner les produits chimiques et les OGM, mais aussi les sous-produits d’abattoirs et de fumier ? Comment réaliser des composts répondant aux besoins des cultures maraîchères ? Comment favoriser la faune et la flore sauvages ? Comment réduire l’empreinte écologique de son activité maraîchère ? Comment cultiver, récolter et conserver une soixantaine de légumes en prenant en compte ces questions ? Voilà les problèmes abordés dans ce livre.
Il existe peu d'ouvrages en langue française sur ce sujet. Basé sur l'expérience de maraîchères et maraîchers biologiques britanniques se passant de fumier et autres produits d'élevage, le livre présente des méthodes de production de légumes à différentes échelles, vivrières et professionnelles, en mettant notamment en place des rotations longues, des techniques de compostage et l’utilisation d’engrais verts. L'agriculture biologique sans intrant d'élevage entend aussi laisser des espaces à la faune et la flore sauvages, afin de préserver la biodiversité. Le manuel aborde ainsi des questions techniques, mais aussi économiques, et contribue au débat plus global de l'avenir de l'élevage dans notre société de consommation.
Elle essaya de garer la voiture assez près du poulailler, tout en évitant les plus grosses flaques. Ce genre de manœuvre commençait à être difficile : il pleuvait sans discontinuer depuis onze jours et la cour de la ferme ressemblait de plus en plus à une bauge à cochons. Elle descendit, et en posant le pied par terre, elle enfonça sa botte de plusieurs centimètres dans la boue. Une fois redressée, elle dût tirer la jambe d'un coup sec pour décoller le caoutchouc du sol. Les semelles alourdies, elle marcha jusqu'au coffre qui s'ouvrit en grinçant, et sortit la caisse pour la poser à proximité de la porte grillagée.
Accroupie, elle regarda entre les lattes de bois pour apercevoir les deux grosses boules duveteuses qui se tenaient recroquevillées dans un coin. Elle resta là quelques minutes à les observer en se disant que, décidément, c'était beau des poules avec des plumes !
Des mois qu'elle en cherchait, et il avait fallu qu'elle aille jusque dans la Creuse, à plus de cent cinquante kilomètres de là, pour enfin trouver de vraies poules avec de vraies plumes. Rien à voir avec ces espèces de cadavres sur pattes, inventés par de grands généticiens, dont la peau complètement nue faisait penser à un bout de viande qui se serait échappé d'un rayon de grande surface.
Tout en imaginant la volaille déchirant elle-même le film plastique pour sortir de sa barquette en polystyrène et courir dans les allées au milieu des caddies, elle était entrée dans le poulailler et avait libéré les deux belles. Les gouttes de pluie glissaient sur leur plumage brillant, et elle trouva cet instant particulièrement magique.
Pourtant, elle aurait bien dû savoir que ça ne servait plus à rien... Quel intérêt pour un animal d'être beau de son vivant, alors qu'il sera vendu mort et emballé ? Pour tellement de gens, il ne s'agissait que d'un produit comme un autre, sur lequel planchent les ingénieurs pour le rendre plus performant, et les commerciaux pour le rendre attrayant. Est-ce qu'on demande à un écrou d'être beau ? Est-ce qu'un ouvrier a du temps à perdre au point de regarder ses écrous et de les trouver beaux ? Parfois, elle aurait aimé se faire une raison, mais elle s'en savait incapable. Impossible de ne pas s'attacher à ses bêtes : c'était une habitude prise une fois pour toutes, dont elle n'arriverait plus à se défaire. Sinon, à quoi bon faire ce métier ?
Autant aller bosser à l'usine et ne plus se poser de questions.
En fait, il n'avait pas fallu bien longtemps pour voir disparaître les plumes des volailles. Les variétés transgéniques, tellement plus rentables pour les industriels - combien de millions d'heures de travail par an économisées sur le plumage ? Combien d'emplois, c'est-à-dire de grévistes potentiels, supprimés ? - avaient très vite remplacé les espèces classiques. Les croisements entre poules technologiques et poules passéistes se multiplièrent et, pour finir, une épidémie particulièrement meurtrière à laquelle les bêtes génétiquement modifiées furent moins sensibles permit de simplifier radicalement le choix des éleveurs. Des bruits avaient couru que cette maladie en arrangeait bien certains, qu'elle n'était peut-être pas tout à fait due à la malchance. Mais comme toujours, pas la moindre preuve. Et puis de toute façon, il était beaucoup trop tard : c'est bien avant qu'il aurait fallu se battre. Elle était là depuis plusieurs minutes, immobile sous la pluie, à réfléchir en regardant ses poules claquer du bec.
Le froid et l'humidité commençaient à pénétrer ses vêtements. Elle décida qu'il était grand temps de rentrer au sec. A l'intérieur, le feu était sur le point de s'éteindre. Il restait juste assez de braises pour recharger la cheminée et rêvasser en regardant les flammes grimper. Petit à petit, ses pensées se perdirent dans des souvenirs lointains et vagues, sans consistance, sans contours précis. Elle s'y enfonçait comme on se coule sous une couette en hiver et elle s'y sentit bien malgré tout le reste. La chaleur dégagée par la flambée commençait à l'imprégner.
Elle somnolait presque et souriait. C'est seulement au bout d'une longue période qu'elle reprit ses esprits, comme si ses neurones, encore éparpillés quelques secondes avant, se remettaient dans un ordre bien défini. L'ordre dans lequel il faut ranger ses neurones pour affronter la réalité. Elle se dirigea lentement vers le bureau, tira la chaise sur le parquet, et s'assit pour ouvrir son agenda. Demain mardi, 14h15, visite de la D.S.I.V. : Direction des services d'inspections végétales. Dans le meilleur des cas, elle en aurait pour trois heures. Les contrôles avaient tendance à devenir de plus en plus stricts : inspection détaillée de la comptabilité, vérification des semences, tests génétiques sur les plantes cultivées, validation des attestations de passage pour les produits de traitement. Elle était toujours en règle, mais elle se méfiait. Il n'y avait pas plus pinailleurs que ces gens-là, et les non-conformités coûtaient une fortune.
Tout ce cirque avait démarré il y a presque huit ans, quand les deux principales transnationales positionnées sur le marché avaient fusionné. Genotechs, le géant ainsi créé, devenait purement et simplement incontournable : une sorte de Microsoft de l'agroalimentaire qui tenait sous sa coupe tout ce qui se cultive dans tous les champs de la planète. "Le progrès scientifique au service de votre alimentation", comme dit leur publicité !
En fait, le slogan le plus juste aurait été : "Des OGM brevetés au service de nos intérêts financiers !".
La véritable catastrophe est arrivée l'année suivante, au moment des contractualisations avec l'Etat. En échange d'une rallonge de subventions - une de plus ! - les agriculteurs s'engageaient pour cinq ans à acheter des semences transgéniques à très haut rendement, évidemment vendues par Genotechs. A partir de là, le ministère imposait à chaque contractant les surfaces à ensemencer, pour chaque production. La seule initiative que conservait l'agriculteur était le choix des parcelles ! Pour tout le reste, il suffisait de se reporter à la documentation technique et aux directives ministérielles. C'était presque amusant de voir comment un gouvernement libéral mettait en place des politiques quasi soviétiques, tout en prônant la compétitivité ! Amusant aussi qu'une idéologie basée sur la concurrence amène au monopole, ou que la théorie de la liberté d'entreprendre aboutisse à l'asservissement des paysans.
En fait, la seule chose qu'on ne pouvait pas enlever à ces gens-là, c'était cet immense talent à nous faire gober tout et n'importe quoi.
Ça, elle l'avait compris depuis longtemps. Alors, quand ils avaient pondu cette saloperie, elle s'était bien juré de ne jamais signer. Pas question de se vendre. Pas question de devenir un ouvrier spécialisé, ni de laisser leurs plantes pourries envahir ses champs. Si elle avait choisi ce métier, c'était pour être libre, maître de ses décisions, et pas pour obéir à un technicien en costume, effrayé à l'idée de salir ses chaussures en marchant dans la boue. Elle croyait possible de résister au moins quelques années : jusqu'à ce qu'elle puisse passer la main à des jeunes, moins fatigués qu'elle, et mieux disposés à lutter. En tout et pour tout, elle avait tenu six mois.
A la page du mercredi, un cercle rouge entourait 21 heures, et son écriture soignée indiquait : "réu. syndicat ".
Elle eût un léger haussement d'épaules, presque rien, mais qui voulait dire : "Est-ce que ça sert encore à quelque chose, tout çà ?". Elle repensait à l'époque où ils pouvaient s'opposer, agir. Aujourd'hui, s'il fallait détruire ne serait-ce que les plantes transgéniques - sans parler des animaux -, non seulement il faudrait le concours de l'armée, mais en prime on ne trouverait quasiment plus rien à manger dans le pays ! La France irait rivaliser avec la Zambie et l'Angola en matière de pénurie alimentaire ! Pourtant, leur combat avait bien démarré : "l'opinion publique", comme disent les journalistes, était longtemps restée hostile aux manipulations.
Même les transnationales renonçaient à s'implanter en Europe de peur d'y perdre du temps et de l'argent. Il a suffi de quelques procès pour tout foutre en l'air. Dès qu'il a été question d'envoyer des militants en prison pour des actions de destructions, les radicaux - dont elle faisait partie - et les modérés s'empaillèrent allègrement. Elle se rappelait avec quel malin plaisir les médias firent leurs choux gras de ces engueulades. Rapidement, leurs grands discours sur la solidarité internationale furent occultés par les conflits de personnes, et le public les lâcha. En y repensant, elle avait l'impression d'un immense gâchis. Elle ne savait pas exactement quand les choses avaient dérapé, mais elle était persuadée qu'ils auraient pu l'éviter. Qu'ils auraient dû tout faire pour l'éviter !
A présent, c'était foutu : les autres avaient gagné, si tant est qu'il puisse y avoir des gagnants à ce jeu de cinglés. Une seule chose était sûre : il n'y avait plus d'alternative en face. Les manipulateurs de génome avaient mis tout le monde K.-O. : l'agriculture conventionnelle, les paysans, la bio. La bio ! Ça lui semblait appartenir à une autre vie, une autre époque qui remontait tellement loin.
Une époque où les gens s'arrachaient littéralement ses produits. Une époque pleine des yeux grands ouverts d'enfants de la ville qui venaient chaque mois visiter sa ferme. C'est justement cet aspect des choses qu'ils n'ont pas supporté : qu'on ait pu prouver qu'un autre modèle était possible ! Un modèle sans les centaines d'hectares de primes à perte de vue, sans les hectolitres de produits chimiques, sans les machines énormes et impossibles à rembourser. Mais un modèle qui faisait rêver les enfants.
Et ça, il fallait forcément qu'ils le détruisent.
"Soyez réaliste, vous comprenez bien que le risque zéro n'existe pas !".
"On ne peut rien contre la dispersion du pollen : c'est la nature !".
"Et puis, ne vous inquiétez pas : même avec quelques traces d'OGM, la bio restera la bio".
Quand elle y repense, elle se demande comment ils ont été assez faibles pour se laisser faire. C'était tellement évident ! On acceptait 1%, puis 2, puis 5, et c'en était fini. Bien sûr, de la bio aux OGM, ça faisait hurler tout le monde : les convaincus la boycottaient et les autres continuaient d'acheter au moins cher. Pour tomber définitivement dans le ridicule, on a changé de logo et d'appellation : l'agriculture biologique est devenue la "qualité environnement".
Au bout de six mois le marché était mort et enterré.
Elle aurait voulu pouvoir tout recommencer, comme dans un jeu de cour d'école : dire "pouce”, reprendre au début et faire autrement. Cette fois, elle y aurait consacré toute son énergie. Avec les autres, ils se seraient démenés pour harceler les politiques, pour dénoncer les pratiques des industriels, la complicité des scientifiques, pour convaincre le public dans la rue ou à l'entrée des supermarchés !
Le bruit sec d'une larme tombant sur la page de l'agenda la fit sursauter. Elle enrageait tellement qu'elle ne s'était même pas aperçue qu'elle pleurait. La boule qui lui agrippait la gorge venait aussi bien de sa haine envers les vrais responsables - actionnaires, décideurs, élus et chercheurs collabos - que du dégoût de sa propre passivité.
Elle raya brutalement la ligne qui annonçait sa réunion mensuelle pour écrire dessous, en lettres majuscules :
"TROP TARD !".
Installée dans le vieux canapé une revue à la main, elle alluma machinalement son poste de télévision. Elle tomba en plein milieu de Transgénial !, la nouvelle émission entièrement consacrée aux biotechnologies. Une heure de propagande non-stop, pour ceux qui auraient encore besoin d'être conditionnés - ou rassurés. Habituellement, les reportages s'enchaînaient pour exposer au bon peuple les incomparables avantages de nouvelles pommes de terre enrichies en fer ou de chats génétiquement modifiés afin d'éviter les allergies.
Cette fois-ci, le ton était plus grave. Elle comprit rapidement qu'une catastrophe venait d'arriver, mais il lui fallut plusieurs minutes pour mettre bout à bout tous les éléments. On avait annoncé ce matin même qu'une variété de blé transgénique - le M027 - développait dans certaines circonstances rares et encore indéterminées une toxine mortelle. Les premiers résultats de l'étude lui attribuaient trois décès survenus ces derniers mois, et dont les causes étaient restées mystérieuses jusqu'à aujourd'hui. Elle entendit vaguement les différents intervenants déclarer ce qu'il faut déclarer dans des cas comme celui-là. Que ce phénomène était totalement imprévisible ! Que personne, vraiment personne, n'aurait pu se douter. Que le risque zéro - toujours lui ! - n'existe décidément pas, et ce malgré tous les progrès de la science.
Que dorénavant, des moyens supplémentaires seraient consacrés à l'évaluation. Qu'une nouvelle commission de vigilance serait créée dès que…
Tout ça lui parvenait de très loin. Elle était comme sonnée par un coup reçu en pleine figure.
Un seul chiffre passait en boucle dans son cerveau : huit hectares. C'était la surface de blé M027 qu'elle avait semée dans ses champs l'année dernière.
Avant de fondre en larmes, elle entendit juste ce détail atroce : parmi les trois victimes figurait une petite fille de huit ans atteinte de myopathie. Cette nouvelle semblait consterner le présentateur, à moins d'un mois du prochain Téléthon.
Dix jours plus tard, dans Le Nouvel Agriculteur, à la page des petites annonces, on trouvait ces quelques lignes :
AV, Nord Charente, exploitation agricole. 48 ha céréales + poulets + 30 chèvres. Disponible de suite. Prix : 250 000 euros.
Pour son hors-série hivernal, le magazine indépendant Socialter s’associe au collectif Reprise de terres pour s’attaquer à l’accaparement des terres en France et au système productiviste qui le soutient. Dans les dix prochaines années, la moitié des agriculteurs français va partir à la retraite, et c’est près d’un quart du territoire français qui va changer de mains.
Un chambardement démographique qui aiguise déjà toutes les convoitises : celles de l’agro-industrie et ses pesticides, des bétonneurs et leurs entrepôts, des aménageurs de territoire et leurs autoroutes.
Alors comment inventer des tactiques foncières, politiques et juridiques pour contrer cet accaparement ?
Quelles alliances politiques nouer pour lui opposer un front solide ?
Comment résorber les divisions historiques entre paysannerie et protection du vivant ?
Comment dépasser l’opposition entre mise en culture des terres et libre évolution – entre nature et culture ?
Je me suis installé à Nedde en 2014 en élevage laitier, avec les aides DJA (Dotation jeune agriculteur). Pour obtenir ces aides, il est nécessaire de construire un « plan d’entreprise », une sorte de prévisionnel détaillé des 5 premières années de l’activité, qui est généralement fait avec (par ?) un.e conseiller.ère de la Chambre d’agriculture. Le travail sur les chiffres pour ce prévisionnel était une première étape pour me plonger dans la réalité économique de mon projet. J’ai plutôt choisi d’être accompagné par une intervenante qui travaillait avec l’ADEAR Limousin1. Au vu des échos que j’avais à l’époque, je suppose que si j’avais fait ce « plan d’entreprise » avec un.e conseiller.ère de la Chambre, mon projet de m’installer avec 8 vaches serait passé pour « peu crédible » ou « non professionnel ». Et surtout probablement que je n’aurais pas vraiment intégré l’impact de certains choix économiques (prix, volumes envisagés, investissements, charges potentielles…). C’était donc à moi de prouver qu’avec 8 vaches, la valeur ajoutée créée par la transformation fromagère rendait l’activité viable, et me permettait d’atteindre le « revenu disponible » (un revenu équivalent au Smic, tel que l’exige l’engagement DJA) au bout de 5 ans.
Cette idée de prise en main des chiffres de son activité économique, je l’ai retrouvée au sein de l’AFOCG Limousin (Association de formation collective à la gestion) à laquelle j’ai adhéré en rejoignant le groupe d’Eymoutiers. Concrètement, le cycle de formation « Comptabilité-gestion » se déroule de septembre à avril sur 5 journées de formation, au sein de groupes de 4 à 10 adhérent.es réuni.es sur un secteur géographique donné. De nouveaux groupes sont créés chaque année, afin que chacun.e puisse être formé.e à proximité de sa ferme. Les formations sont prises en charge par le fonds de formation VIVEA.
Nous reprenons les bases de la saisie, la déclaration de TVA, la clôture, sur ces temps de formation collective, animée par une animatrice-formatrice (elles sont 2 en Limousin), en alternance avec des temps de saisie individuelle à la maison. Le dernier jour du cycle est consacré à la gestion : une fois la clôture réalisée (vers janvier-février), nous faisons un travail d’analyses des résultats, avec des outils pédagogiques qui permettent de les comprendre et surtout grâce aux échanges avec les autres membres du groupe. C’est là que le groupe me paraît pertinent. Si on réussit à dépasser la crainte ou la pudeur d’exposer ses chiffres aux autres, c’est vraiment l’occasion que les autres nous renvoient des questionnements sur les choix stratégiques de notre ferme. Cela n’est possible qu’avec des personnes qu’on retrouve régulièrement pour qu’un minimum de confiance soit installé.
Selon moi, un des travers de notre métier est d’être très facilement la tête dans le guidon, d’avoir de la difficulté à s’arrêter et prendre du recul pour faire des choix d’orientations qui soient les plus justes, cohérents et en connexion avec ses aspirations personnelles. Le groupe de l’AFOCG est un espace pour faire ce pas de côté et en discuter en collectif. Partir des chiffres qui reflètent la réalité de la ferme, croiser avec ce qui est important pour chacun.e comme : « vivre de sa production », « avoir du temps pour moi », « donner du sens à ce que je fais » et s’appuyer sur un regard extérieur bienveillant ; notamment celui de nos pairs : ce sont les ingrédients des groupes AFOCG.
L’enjeu fort de l’AFOCG est donc d’acquérir pour les paysan.es de l’autonomie décisionnelle : nous avons tou.tes en tête des exemples de situation où un banquier, un comptable, un centre de gestion pousse un.e paysan.ne dans un choix d’investissement qui n’est pas le sien ! Et qui par la suite va s’avérer décalé, démesuré, bref pas juste. Un choix d’orientation doit venir d’abord du.de la paysan.ne lui.elle-même, car il.elle en assume les conséquences et il.elle les assumera d’autant mieux que le choix est en accord avec tous les autres aspects de son travail et de sa vie.
Cette initiative pourrait s’imaginer pour d’autres types de métiers, des indépendants, micro ou auto-entrepreneurs à une échelle locale, ayant le même type de besoins et de problématiques en termes de gestion.
En 1995-1996, j’ai hérité d’une très grande maison de campagne (360 m²) et de ses dépendances (une grange de 300 m² et une maisonnette de 45 m²), de 35 hectares de forêt et 5 hectares de SAU (surface agricole utile) en tant que nue-propriétaire. J’accueillis cette donation avec une certaine distance puisque mes parents gardant l’usufruit et moi-même vivant à l’époque à Paris, je me sentais peu concernée. D’autant moins que mon père s’occupait de tout comme il l’entendait, ce qui me convenait parfaitement. J’avais compris qu’une donation avant ses 70 ans lui permettait de faire de nombreux abattements fiscaux et lui assurait de conserver ce bien dans le patrimoine familial.
Seulement, deux ans plus tard, mon père développait les premiers symptômes de la maladie d’Alzheimer et j’ai très vite dû me plonger dans les dossiers que ma mère m’a transmis. J’avais déménagé et travaillais alors à Clermont-Ferrand. La tempête de 1999 a participé à mon « basculement ». Après avoir passé tous mes week-ends de l’hiver 2000 à sortir les épicéas de nos forêts, j’ai décidé de m’y installer en 2001 et d’y créer mon activité pour donner un sens à cette propriété. Étant jeune, j’avais rêvé d’être éleveuse et j’ai pu récupérer, entre mes terres et celles de mon frère, 12 hectares, jusqu’alors prêtés à trois différents fermiers aux alentours. Deux ans plus tard, j’avais monté un troupeau de 70 brebis, réalisé 4 chambres d’hôtes avec une capacité d’accueil de 12 personnes.
En 2008, j’ai eu l’opportunité d’acheter 30 hectares de SAU à proximité de la maison, mis en vente par la Safer (société d’aménagement foncier et d’établissement rural). Sur cette surface, j’ai monté un troupeau de 8 vaches allaitantes avec l’intention d’engraisser 3 années durant tous les veaux nés sur la ferme.
J’ai exercé mon activité d’accueil jusqu’en 2014, sachant que ce n’est qu’en 2011 que j’ai vraiment commencé à trouver un équilibre financier sur la ferme ; j’avais en effet dû tout créer et acheter : terres en grande partie, matériel et troupeaux en totalité, et j’ai, depuis mon installation, bâti, certes avec ma forêt, 800 m² de bâtiments qui logent mon atelier, stockent mon foin et le bois déchiqueté qui me chauffe.
Si j’ai un peu tâtonné à l’intérieur de mon système, je n’ai pas hésité quant à l’orientation que j’allais lui faire prendre. En 2001, la question environnementale me préoccupait grandement. Je lisais nombre d’articles extraits des rapports du GIEC (Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat) et par ailleurs on annonçait la fin du pétrole, peu ou prou, pour 2030 ! Ce que je croyais ! C’est comme cela que j’ai fait ou affiné mes choix. En travaillant sur un système vertueux, qui artificialise peu, impacte le moins possible le sol à défaut de l’enrichir, en gardant mon autonomie alimentaire, en visant mon autonomie énergétique et en maîtrisant l’intégralité de ma commercialisation. J’ai commencé petit. Je suis restée… petite.
Grâce aux CIVAM (Centre d’initiatives et de valorisation de l’agriculture et du milieu rural), j’ai vite compris qu’à 600 m d’altitude, sur un sol granitique où parfois le rocher affleure, mon véritable atout pour élever et engraisser des ruminants était l’herbe. Et c’est ainsi que depuis ce temps, j’ai en permanence une trentaine de bovins : de 10 mois à 3 ans pour le troupeau destiné à l’engraissement (de 8 mères suitées et un taureau pour ce qui concerne les reproducteurs et une petite cinquantaine de brebis agnelant une fois par an au printemps - en théorie !). Les races changent, se croisent, au gré de mes envies esthétiques et de mes erreurs (les troupeaux parfois se mélangent : des génisses sont devenues mères malgré moi et des agnelages débutent parfois en tout début d’année…).
Grâce au réseau Patur’Ajust, j’ai appris à faire brouter tous les milieux atypiques - landes à bruyères, zones humides, forêts, et à les intercaler avec mes prairies naturelles. En moyenne, mes brebis ne consomment que 80 kg de foin par hiver et mes vaches tournent autour de 1,5 tonne par bête. Ayant retenu que l’herbe pâturée coûte 3 à 4 fois moins chère que l’herbe récoltée, je n’ai pas eu de difficulté à me convaincre du plein-air intégral pour l’ensemble des troupeaux qui finalement broutent toute l’année.
Ma commercialisation ne déroge pas à la règle des économies d’énergie puisque je vends la totalité de ma production en 4 week-ends par an : 2 fois en Corrèze, 1 fois en sud Gironde et une fois en Île-de-France, remplissant au mieux le camion frigo que je loue et grâce auquel je transporte un à deux bœufs, parfois un veau, une bonne douzaine d’agneaux et brebis découpés, mis sous vide et empaquetés par mes soins.
Quant à la forêt, j’ai beau avoir un Plan simple de gestion, je n’y prélève que les arbres dont j’ai besoin pour mes constructions et n’ai fait, jusqu’à présent, que peu d’éclaircies et des coupes dites « sanitaires ». Après la tempête de 1982, mon père avait fait replanter du Grandis en masse. Il y a 4 ans, les attaques de scolytes (insecte parasite de l’arbre) m’ont conduite à tout enlever. Partout où il y a des trous, j’ai opté pour la régénération naturelle. En revanche, depuis quelques années, je plante feuillus et arbres fruitiers tout autour et parfois à l’intérieur de mes prés, dans le creux des rochers, en suivant les courbes de niveaux. Ceci afin d’y créer de l’ombre pour l’herbe et pourquoi pas une ressource alimentaire supplémentaire.
Sensibilisée lors de mes études à l’histoire des Indiens d’Amériques et à leurs expulsions ou massacres, la question de la propriété tout comme celle de la transmission m’ont taraudée. Ayant conscience des capacités d’accueil de mon lieu et souhaitant les faire partager, j’ai commencé par faciliter l’installation d’un couple sur mon domaine. Ils étaient arrivés à la maison après avoir fait un tour de France de « l’agriculture durable », très en vogue à l’époque (2004). Elle était comédienne et durant sa première année de « résidence », a monté un spectacle qu’ils ont ensuite fait tourner dans les fermes. Lui, assurait la technique et la logistique et ils ont écrit un livre issu de leur voyage. Dans la foulée, ils ont créé et installé leur entreprise tournée vers les pollutions environnementales et électromagnétiques dans des bureaux à 1 km de la maison. L’entreprise a fini par déménager dans la banlieue de Tours alors qu’elle ne trouvait plus vraiment sa place au Domaine du Mons.
En 2011, alors que Terre de Liens s’implantait dans le Limousin, j’ai fait venir son directeur et son animatrice fraîchement nommée sur la ferme en leur proposant une donation de l’ensemble de ma propriété. Je voulais en devenir la première locataire. Je pense que je souhaitais avant tout me débarrasser d’une partie de la charge mentale liée à la gestion de l’ensemble - ou au moins la partager. Terre de Liens à l’époque m’a signifié deux choses : qu’ils étaient déjà en possession de trop de patrimoine bâti qui leur coûtait cher et qu’ils n’avaient à l’époque pas ou peu de compétence sur la forêt. Ils ont pensé que j’allais pouvoir créer un collectif qui s’emparerait de mes questions. Il faut du temps...
Ce n’est qu’après 2014, qui marque la fin de mon activité de chambres et table d’hôtes, que je me suis mise à accueillir de nombreux stagiaires issus des écoles d’agriculture ou via le réseau du Woofing. Des liens parfois se tissent, grâce au fait que nous travaillons ensemble et partageons un bout de chemin ensemble, à la recherche de solutions que nous savons complexes. Depuis, la maison désemplit peu. Nombre de mes ami.es sont devenus remplaçant.es temporaires pour me permettre de partir en vacances (et je m’y emploie) et les clients sont eux aussi devenu.es des ami.es. Un petit réseau voit le jour.
La vie m’a permis de rencontrer nombre d’artistes, qu’i.elles soient musicien.nes, peintres, dessinateur.ices, auteur.ices. Lentement la maison se transforme en lieu de résidence artistique, parfois de fête. On y fait des concerts, des lectures, des dégustations, des projections, des rencontres. Parfois en privé, parfois avec les « locaux », souvent de manière informelle. L’an dernier, Anne de Amézaga, connue pour son immense réseau dans le milieu du théâtre, a installé sa roulotte dans le jardin. Nous avons créé « Le Grand Bazar Merveilleux du Mons » qui a accueilli quelques spectacles.
Depuis quelques années, j’ai réintégré Terre de Liens avec la ferme intention d’y retracer mon chemin… quand je dégagerai le temps nécessaire.
J’imagine également me rapprocher du Réseau des alternatives forestières. Pour l’instant, je fais partie du groupe « Accueil » de Terre de liens qui tente de mettre en relation porteurs de projets (une centaine par an frappent à la porte du Limousin) et cédants. À défaut d’être dans la transmission physique de mon domaine, je suis portée par la transmission de savoirs et savoir-faire. Mon système n’est pas parfait mais il a le mérite de me donner mon autonomie financière, de me laisser du temps pour le questionner et progresser. Plutôt autonome, ce système maintient la biodiversité, génère des troupeaux heureux - je le vois – m’offre une liberté certaine de décision et enfin, le cadre d’une résilience véritable face aux aléas du monde.
Je sais que le Domaine du Mons n’exprimera son plein potentiel que s’il est porté collectivement. Le donner à Terre de Liens devrait favoriser un projet multiple. C’est aussi cette transmission qui maintenant est à l’agenda.